CHAPITRE PREMIER Les débuts du magnétisme animal. — Mesmer et Puységur. Nous avons à parler d'une question qui est vieille comme le monde, qui est entrée dans le courant des discussions scien tifiques depuis environ un siècle, qui, sans cesse repoussée et conspuée par les corps savants, renaissait toujours, mais n'avançait jamais, et qui aujourd'hui encore, malgré l'importance des résultats acquis, est en pleine évolution. En retraçant l'histoire du magnétisme animal nous chercherons à expliquer les causes de ses fortunes si diverses, et à indiquer l'enseignement qui s'en dégage. A mesure que nous avancerons dans notre sujet, on comprendra mieux cette vérité que si le magnétisme animal n'est pas entré plus tôt dans la science, c'est par défaut de méthode. C'est aux érudits qu'il appartient de suivre le magnétisme animal à travers les âges, et d'en chercher les origines lointaines dans les mœurs des peuples anciens. Nous renonçons à ces études historiques, pour lesquelles la compétence nous manque. Nous nous proposons simplement de résumer les conclusions de la science sur le magnétisme animal, et par conséquent nous ne parlerons de l'histoire du magnétisme que dans la mesure où cette histoire a laissé des traces sur l'état actuel de la ques tion (1). A ce point de vue, il est inutile de remonter au-delà de Mesmer et de ses précurseurs immédiats. Le Mesmérisme se rattache à une tradition qui s'est développée vers le milieu du xvi°siècle; cette tradition, comme l'indique le nom môme de Magnétisme animal, que Mesmer n'a pas inventé, attribuait à l'homme le pouvoir d'exercer sur ses pareils une action analogie à celîe de l'aimant, il paraît avéré que l'aimant naturel et ses propriétés physiques, l'existence de deux pôles doués de propriétés contraires, l'action à distance, sans contact direct, ont produit une impression profonde sur les esprits. Dès l'antiquité on avait vu, ou du moins cru observer, que l'aimant possède des vertus curatives, et on l'avait employé comme remède. Cette opinion s'était perpétuée au moyen âge (1). Dans un livre de Cardan, datant de 1584 (Les livres de Hierosme Cardanus, le septième livre des pierreries, p. 186, À et B), on trouve le récit d'une expérience d'anesthésie produite par l'aimant. L'usage était alors de faire avec l'aimant des anneaux qu'on portait au cou et aux bras pour guérir les maladies nerveuses. Peu à peu se fit jour l'idée que le corps de l'homme a des propriétés magnétiques. La première trace de cette doctrine se trouve dans les ouvrages de Paracelse. Cet illustre illuminé contenait que l'homme jouit, à l'égard de son corps, d'un double magnétisme; qu'une portion tire à soi les astres et s'en nourrit; de là la sagesse, les sens, la pensée; qu'un autre tire à soi les éléments et s'en sépare: de là la chair et le sang; que la vertu attractive et cachée de l'homme est semblable à celle du karabé et de l'aimant; que c'est par cette vertu que le magnés des personnes saines attire l'aimant dépravé de celles qui sont malades (2). A la suite de Paracelse, un grand nombres de savants du XVI e et du XVII e siècle, Glocénius, Burgraeve, Helinotius, Robert Fludd, le père Kircher, Maxwell, crurent reconnaître dans l'aimant les propriétés du principe universel par lequel ces esprits avides de généralisation pensaient expliquer tous les phénomènes de la nature. Ces savants écrivirent des livres volumineux, remplis de discussions stériles, d'affirmations sans preu ves et d'argumentations dérisoires. Telle est la tradition dans laquelle Mesmer a puisé à pleines mains; il est incontestable qu'il a lu quelques-uns de ces livres si nombreux, consacrés par les anciens auteurs à la doctrine magnétique, bien qu'il s'en soit défendu. Son originalité est d'avoir, en quelque sorte, mis la main sur le prétendu principe universel du monde et de l'avoir dirigé sur les malades au moyen des attou chements et des passes. Ses prédécesseurs ne paraissent pas s'être adonnés à ces pratiques; ils croyaient qu'il était suffisant, pour diriger l'esprit vital, de se servir de talismans et de boîtes magiques. Antoine Mesmer naquit en Allemagne en 1734; il se fit recevoir docteur-médecin à la Faculté de Vienne, et prit pour sujet de sa thèse: De l'influence dés astres, des planètes sur ta guérison des maladies (1766). Il prétendait prouver que le soleil, la lune et les corps célestes agissent sur les êtres vivants au moyen d'un fluide subtil qu'il appelait magnétisme animal, pour marquer ses com munes propriétés avec l'aimant. Depuis la publication de cette œuvre bizarre et mystique, Mesmer avait fait la rencontre du P. Hell, jésuite, professeur d'astronomie, qui, en 1774, établi à Vienne, guérissait des maladies au moyen de fers aimantés. Découvrant quelque analogie entre les expériences du père Hell et ses propres théories astronomiques, Mesmer voulut essayer les effets de l'aimant dans le traitement des maladies. Le récit de ses cures remplit les journaux de Vienne. Divers personnages importants attestèrent qu'ils avaient été guéris, parmi lesquels Ostervald, directeur de l'Académie des sciences de Munich, atteint de paralysie, et Bauer, professeur de mathé matiques, d'une ophthalmie opiniâtre. Mais, d'autre part, les corps savants de son pays résistèrent à ses expériences, et il écrivit à la plupart des Académies de l'Europe des lettres qui restèrent sans réponse. Bientôt, il abandonna les aimants et les appareils du P. Hell, se borna à imposer les mains, et déclara que le magné tisme animal est distinct de l'aimant. Forcé de quitter Vienne à la suite d'une aventure qui n'a rien de clair, Mesmer vint à Paris. 11 s'installa d'abord dans un quar tier obscur, place Vendôme, et se mit à enseigner sa théorie du fluide magnétique. Un mémoire sur la découverte du magnétisme, qu'il publia en 1779, annonça au monde qu'il avait trouvé un principe capable de guérir toutes les maladies. 11 résumait sa doctrine dans 27 propositions ou plutôt assertions, dont la plupart ne font que reproduire les conceptions nuageuses de la médecine magnétique. LE MAGNÉTISME ANIMAL PROPOSITIONS 1° il existe une influence mutuelle entre les corps célestes, la terre et les corps animés. 2 ° Un fluide universellement répandu, et continué de manière à ne souffrir aucun vide, dont la subtilité ne permet aucune compa raison, et qui, de sa nature, est susceptible de recevoir, propager cl communiquer toutes les impressions du mouvement, est le moyen de celte influence. 3° Cette action réciproque est soumise à des lois mécaniques inconnues jusqu'à présent. 4° II résulte de cette action des effets alternatifs qui peuvent être considérés comme un flux et un reflux. 5° Ce reflux est plus ou moins général, plus ou moins particulier, plus ou moins composé, selon la nature des causes qui le déter minent. 6° C'est par cette opération, la plus universelle de celles que la nature nous offre, que les relations d'activité s'exercent entre les corps célestes, la terre et ses parties constituantes. 7° Les propriétés de la matière et du corps organisé dépendent de cette opération. 8° Le corps animal éprouve des effets alternatifs de cet agent, et c'est en s'insinuant dans la substance des nerfs qu'il les affecte immédiatement. 9° II se manifeste, particulièrement dans le corps humain, des propriétés analogues à celles de l'aimant; on y distingue des pôles également divers et opposés, qui peuvent être communiqués, changés, détruits et renforcés; le phénomène même de l'inclinai son y est observé, 10° La propriété du corps animal qui le rend susceptible de l'influence des corps célestes et de l'action réciproque de ceux qui l'environnent, manifestée par son analogie avec l'aimant, m'a déter miné à la nommer magnétisme animal. 11 ° L'action et la vertu du magnétisme animal, ainsi caractérisées, peuvent être communiquées à d'autres corps animés ou inanimés. Les uns et les autres en sont cependant plus ou moins susceptibles. 12° Celte action et cette vertu peuvent être renforcées et proposées par ces mêmes corps. 13° On observe à l'expérience l'écoulement d'une matière dont la subtilité pénètre tous les corps sans perdre notablement de son activité. 14° Son action a lieu à une distance éloignée, sans le secours d'aucun corps intermédiaire. 15° Elle est augmentée et réfléchie par les glaces, comme la lumière. 16° Elle est communiquée, propagée et augmentée par le son. 17° Cette vertu magnétique peut être accumulée, concentrée, transportée. 18° J'ai dit que les corps animés n'en étaient pas également suscep tibles: il en est même, quoique très rares, qui ont une propriété si opposée, que leur seul présence détruit tous les effets de ce magnétisme sur les autres corps. 19° Cette vertu opposée pénètre aussi tous les corps; elle peut être également communiquée, propagée, accumulée, concentrée et transportée, réfléchie par les glaces et propagée par le son, ce qui constitue non seulement une privation, mais une vertu opposée positive. 20° L'aimant, soit naturel, soit artificiel, est, ainsi que les autres corps, susceptible de magnétisme animal, et même de la vertu opposée, sans que ni dans l'un ni dans l'autre cas son action sur le feu et l'aiguille souffre aucune altération, ce qui prouve que le prin cipe du magnétisme animal diffère essentiellement de celui du minéral. 21° Ce système fournira de nouveaux éclaircissements sur la nature du feu et de la lumière, ainsi que dans la théorie de l'attraction, du flux et du reflux, de l'aimant et de l'électricité. 22° H fera connaître que l'aimant et l'électricité artificielle n'ont, à l'égard des maladies, que des propriétés communes avec une foule d'autres agents que la nature nous offre, et que, s'il est résulté quelques effets utiles de l'administration de ceux-là, ils sont dus au magnétisme animal. 23° On reconnaitra par les faits, d'après les règles pratiques que j'établirai, que le principe peut guérir immédiatement les maladies des nerfs et médiatement les autres. 24° Qa'avec son recours, le médecin est éclairé sur l'usage des médicaments, qu'il perfectionne leur action, et qu'il provoque et dirige les crises salutaires, de manière à s'en rendre le maître. 25° En communiquant ma méthode, je démontrerai, par une théorie nouvelle des matières, l'utilité universelle du principe que je leur oppose. 26° Avec cette connaissance, le médecin jugera sûrement l'origine, la nature et les progrès des maladies même des plus compliquées; il en empêchera l'accroissement et parviendra à leur guérison sans jamais exposer le malade à des effets dangereux et à des suites fâcheuses, quels que soient l'âge, le tempérament et le sexe. Les femmes, même dans l'état de grossesse, et lors des accouchements, jouiront du même avantage. 27° Cette doctrine, enfin, mettra le médecin en état de bien juger du degré de santé de chaque individu, et de la présence des maladies auxquelles il pourrait être exposé. L'art de guérir parviendra ainsi à sa dernière perfection. Les doctrines de Mesmer curent du succès. Dès le début, il eut la bonne fortune de convertir un des médecins régents de la Faculte de médecine, Deslon, premier médecin du comte d'Artois, élèves et clients affluèrent. Le moment paraissait favorable; des découvertes récentes avaient remué les esprits et ouvert à la science des horizons nouveaux. Franklin avait inventé les para tonnerres, les frères Montgolfier inventaient les aérostats. Il y a des découvertes scientifiques qui ramènent le peuple à la superstition, en rendant le merveilleux vraisemblable. Tout le inonde voulut se faire magnétiser: l'affluence devint telle, que Mesmer prit un valet toucheur pour magnétiser à sa place. Ce ne fut pas assez; il inventa le fameux baquet, autour duquel plus de trente personnes se faisaient magnétiser simulta nément. Au milieu d'une grande salle, dans laquelle d'épais rideaux ne laissent pénétrer qu'une lumière douce et voilée, se trouve une caisse circulaire en bois de chêne, élevée d'un pied environ; c'est le baquet. Au fond de la caisse, sur une couche de verre pilé et de limaille de fer, reposent des bouteilles remplies et rangées symétriquement, de telle sorte que tous les goulots con vergent vers le centre; d'autres bouteilles sont disposées en sens inverse et rayonnent vers la circonférence. L'eau baigne tous ces objets; mais le liquide n'est pas indispensable, le baquet peut être à sec. Le couvercle est percé d'un certain nombre de trous d'où sortent des branches de fer coudées et mobiles, que les malades doivent saisir. Le silence est complet. Les malades for ment plusieurs rangs autour du baquet, s'unissant entre eux par des cordes passées autour de leur corps, ou par une seconde chaine qu'ils forment en joignant leurs mains. Puis on attend. Tout à coup, un air mélodieux se fait entendre: c'est un piano-forte ou un harmonica placé dans la pièce voisine, une voix humaine s'y joint quelquefois. Alors, sous l'influence des effluves magnéti ques qui s'échappent du baquet, on voit se produire de curieux phénomènes. Ils ont été fort bien décrits par Bailly, témoin ocu laire: « Quelques malades sont calmes et n'éprouvent rien; d'autres toussent, crachent, sentent quelque légère douleur, une chaleur locale ou une chaleur universelle et ont des sueurs; d'autres sont agités et tourmentés par des convulsions. Les con vulsions sont extraordinaires par leur nombre, par leur durée, par leur force. On en a vu durer plus de trois heures. Elles sont caractérisées par les mouvements involontaires, précipités, de tous les membres, du corps entier, par le resserrement de là gorge, par des soubresauts des hypocondres et de l'épigastre, par le trouble et l'égarement des yeux, par des cris perçants, des pleurs, des hoquets et des rires immodérés. Elles sont pré cédées ou suivies d'un état de langueur ou de rêverie, d'une sorte d'abattement et même d'assoupissement. « Le moindre bruit imprévu cause des tressaillements ; et l'on a remarqué que le changement de ton et de mesure dans les airs joués sur le piano-forte influait sur les malades, en sorte qu'un mouvement plus vif les agitait davantage, et renouvelait la viva cité de leurs convulsions. On voit des malades se cherchant exclu sivement, et, en se précipitant l'un vers l'autre, se sourire, se parler avec affection et adoucir naturellement leurs crises. Tous soumis à celui qui magnétise, ils ont beau être dans un assoupis sement apparent, sa voix, son regard, un signe les en retire. On ne peut s'empêcher de reconnaître, à ces effets constants, une grande puissance qui agite les malades, les maîtrise, et dont celui qui magnétise semble être le dépositaire. Cet état convulsif est appelé crise. On a observé que dans le nombre des malades en crise, il y avait toujours beaucoup de femmes et peu d'hommes ; que ces crises étaient une ou deux heures à s'établir, et que, dès qu'il y en avait une d'établie, toutes les autres commençaient suc cessivement et en peu de temps. » Lorsque l'agitation dépassait certaines limites, on transportait les malades dans une salle matelassée ; on y délaçait les femmes, qui alors pouvaient, sans se faire de mal, battre les murs ouatés avec leur tête. Au milieu de cette foule palpitante, Mesmer se promenait en habit de soie lilas, et magnétisait avec le concours de Deslon et de ses aides, qu'il choisissait jeunes et beaux. Mesmer tenait à la main une longue baguette de fer dont il touchait les corps des patients et surtout leurs parties malades ; souvent, abandonnant la baguette, il les magnétisait des yeux, en fixant son regard sur le leur, ou bien il faisait une application des mains sur les hypocondres et les régions du bas ventre. Cette application était parfois continuée pendant des heures. D'autres fois, le maître employait les passes. D'abord il se mettait en rapport avec le sujet. Assis en face de lui, pieds contre pieds, genoux contre genoux, il posait ses doigts sur les hypocondres, puis il les promenait en effleurant légèrement les côtes. Ces manipulations étaient remplacées, lorsqu'on voulait produire des effets plus énergiques» par la magnétisation à grands courants. * Le maître passait les mains, va faisant faire ta pyramide aux doigts, sur tout le corps du malade, en commençant par la tête et en descendant ensuite le long des épaules et jusqu'aux pieds. Après cela, il revient à la tête, devant et derrière, sur le ventre et sur le dos; puis il recommence, et recommence encore, jusqu'à ce que, saturé du fluide réparateur, le magnétisé se pâme de douleur ou de plaisir, deux sensations également salutaires. (i) » Des jeunes femmes subissaient l'attrait de la crise et demandaient à y être plongées de nouveau; elles suivaient Mesmer par toute la salle, et avouaient qu'il était impossible de ne pas éprouver un vif attachement pour la personne de leur magnétiseur. Ces scènes devaient être bien curieuses à voir; autant que nous pouvons en juger aujourd'hui, Mesmer provoquait chez ses ma lades des crises nerveuses dans la description desquelles on retrouve les principaux signes de la grande attaque hystérique, telle qu'on la voit se produire journellement (2). Le silence, l'obs curité, l'émotion, l'atteste d'un phénomène extraordinaire, la réunion de plusieurs personnes dans un même lieu, sont des conditions connues pour favoriser les crises convulsives chez des sujets prédisposés. Rappelons que les femmes étaient en majorité, que la première crise qui se déclarait produisait une contagion, et nous serons pleinement édifiés sur la nature hystérique de ces manifestations. Faisons encore ressortir quelques-uns des caractères de ces crises convulsives; les mouvements de tous les membres, du corps entier, les resserrements de la gorge, les soubresauts des hypo- condres et de l'épigastre, appartiennent manifestement à l'hysté rie, et nous renseignent ainsi sur les antécédents nerveux du monde élégant et frivole qui se soumettait aux expériences de Mesmer. Néanmoins, il règne encore beaucoup d'incertitude sur la nature d'un grand nombre des phénomènes qui se passaient autour du baquet. (1) Louis Figuier, Histoire du merveilleux, t. III, p. 20, Paris, 1860. (2) Voir Bourneville et Regnard, Iconographie photographique de la Sal- pétrière. — Paul Richer, Etudes cliniques sur l'hystéro-épilepsie. HISTORIQUE. — MESMER M L'engouement produit par le traitement de Mesmer ne tarda pas à se généraliser. La maison de la place Vendôme devint trop petite. Mesmer acheta l'h ô tel Bullion, place de la Bourse, où il installa quatre baquets, dont un gratuit pour les pauvres. Ce dernier ne suffisant pas, Mesmer s'en alla magnétiser un arbre à l'extrémité de la rue de Bondy, et l'on vît des milliers de malades s'y attacher avec des cordes, dans l'espoir d'une guérison. Mais cette vogue devait bientôt cesser, et des difficultés de toutes sortes assaillirent Mesmer. Dès son arrivée; à Paris, il avait demandé à l'Académie des sciences, et ensuite à la Société royale de médecine une enquête sur ses expériences; on ne parvint pas à se mettre d'accord sur les conditions de cette enquête, et on se sépara avec aigreur. Deslon, professeur de la Faculté de médecine, demanda à ses collègues une assemblée générale pour y rendre compte des observations qu'il avait faites et des propo sitions de Mesmer. L'assemblée, excitée par M. de Vauzesmes, lui fut singulièrement hostile. On le condamna sans examen des faits; bien plus, on le frappa d'une peine disciplinaire, en le menaçant de le radier du tableau des médecins de la faculté, au bout de l'année, s'il ne se corrigeait pas. Sur ces entrefaites, Mesmer quitta la France, malgré les instances du gouvernement qui lui offrit une pension viagère de vingt mille livres pour le retenir; son absence fut courte; il fut rappelé bientôt après par ses disciples qui, connaissant la cupidité de leur maître, ouvrirent une souscrip tion de dix mille louis pour le déterminer à faire un cours où il dévoilerait ses découvertes. Mais ce cours fut le point de départ de divisions entre le maître et les disciples. Ces derniers, ayant acheté à prix d'argent son secret, se croyaient le droit de le répandre dans des cours publics. Mesmer prétendait conserver le monopole de sa découverte. D'ailleurs, malgré ses promesses, il ne s'était jamais complètement expliqué, sans doute parce qu'il n'avait rien à dire; il n'avait rien ajouté de précis aux vingt-sept propositions publiées en 1779. Plusieurs des élèves qui avaient acheté fort cher le secret de Mesmer lui reprochèrent que la théorie qu'on leur avait débitée avec emphase était un assemblage de prin- cipes obscurs; en vérité, ils n'avaient pas tort. Un des auditeurs de Deslon disait: « Ceux qui savent le secret en doutent plus que ceux qui l'ignorent. > Ce fut le temps des luttes, des dissensions, des épigrammes, des diatribes, des vaudevilles et des chansons. Le gouvernement finit par intervenir en nommant, en 1784, une commission pour examiner le magnétisme; celle commission, composée de membres pris dans la Faculté de médecine et l'Aca démie des sciences, choisit pour rapporteur Bailly, le célèbre as tronome; elle comptait des membres illustres, Franklin, Lavoisier. Une autre commission composée de membres de la Société royale de médecine fut chargée de faire un rapport distinct sur le même objet; Laurent de Jussieu faisait partie de cette seconde commission. Nous trouvons de l'intérêt à relire aujourd'hui les rapports de ces commissions, comme on relirait les débats d'une affaire obscure dont l'avenir aurait révélé une partie du secret. Les com missaires suivirent, dans leur enquête, une ligne de conduite irréprochable. La question était de savoir s'il existait un fluide magnétique de la nature de celui que Mesmer et Deslon préten daient avoir découvert. Deslon proposait de prouver l'existence du fluide par l'observation des guérisons qu'il opérait. Mais les commissaires jugèrent avec raison cette voie trop douteuse; ils se décidèrent à rechercher avant tout « les effets momentanés du fluide sur le corps animal, en dépouillant ces effets de toutes les illusions qui peuvent s'y mêler, et en s'assurant qu'ils ne peuvent être dus à aucune autre cause que le magnétisme animal >. Mais quels étaient les effets momentanés du magnétisme connus à cette époque ? c'étaient les crises. C'était là ce que l'on recherchait particulièrement; il pouvait s'y associer quelques effets magnétiques réels, mais Mesmer et ses élèves n'attachaient de vertu curative qu'à l'apparition de ces mouvements convulsifs. Ce n'est, dit Deslon, que par l'intermédiaire de crises, que le magnétiseur fait naître et dirige à son gré, qu'il peut seconder ou provoquer les efforts de la nature, et par ce moyen arriver à la guérison. Nous savons aujourd'hui que ces crises sont des phéno mènes parfaitement réels, qui, en général, reconnaissent pour cause la névrose hystérique. 11 y a plus: Un bon nombre de faits nous montrent que, sous l'influence de crises de cette nature, certaines paralysies, persistant depuis des mois et même des années, peuvent disparaître instantanément. 11 y avait donc une part de vérité dans la vertu curative de ces phénomènes convulsifs. Les commissaires se soumirent au traitement une fois pat semaine et n'éprouvèrent rien, si ce n'est, de temps 5 autre, après plusieurs heures de séance, un peu d'agacement des nerfs, ou de douleur au creux de l'estomac, sur lequel besion appuyait la main. Cette expérience négative s'explique pour nous, car nous savons que les crises ont, comme le magnétisme, besoin d'un ter rain prédisposé pour se produire. Les commissaires observèrent pour les sujets sensibles une extrême différence entre les traite ments privés et publics; ce qui s'explique encore facilement pour qui connaît la contagion de l'exemple dans toutes les mani festations hystériques. Ce qui frappa surtout les commissaires, c'est que les sujets ne tombaient dans leurs crises que lorsqu'ils savaient qu'on les magnétisait. Ainsi, dans des expériences conduites par Jumelin, ils observent le fait suivant: une femme parait être un sujet très sensible, elle sent de la chaleur dès que la main de M. Jumelin approche de son corps. On lui bande les yeux, et on lui persuade qu'elle est magnétisée, elle sent les mêmes effets. On la magnétise sans l'avertir, et elle n'éprouve rien. Plusieurs, comme elle, éprouvent des effets terribles quand on n'agit pas, et n'éprouvent rien quand on agit. Mais l'expérience la plus curieuse en ce genre fut faite en présence de Deslon confondu. Lorsqu'un arbre a été magnétisé, il doit arriver, selon la doctrine, que toute personne qui en approche éprouve des eff ets. On fait l'expérience à Passy, en présence de Franklin: Deslon magnétise un arbre d'un verger, puis on fait avancer, les yeux bandés, un jeune garçon de douze ans, très sensible au ma gnétisme. Au premier, au second, au troisième arbre, il éprouve un étourdissement; au quatrième, à 24 pieds de l'arbre magnétisé, il tombe en crise, ses membres se raidissent, et on est obligé de le porter sur un gazon voisin où Deslon le fait revenir. Tout ce que ces expériences démontrent, c'est que l'idée préconçue peut déterminer les mêmes effets magnétiques que des moyens purement physiques. C'est une vérité bien connue dos expérimentateurs. Nous savons parfaitement aujourd'hui qu'on peut endormir un sujet en lui persuadant simplement qu'il va s'endormir; on arrive même, en usant de ce procédé, à le magnétiser à dis tance, en lui affirmant qu'il tombera en somnambulisme, tel jou r, à telle heure, et dans tel lieu qu'il plaît do choisir. Les commissaires qui ignoraient tous ces phénomènes, aujour d'hui bien établis pensèrent qu'on pouvait expliquer toutes les observations dont ils avaient eu connaissance, par trois causes principales, qui sont l'imitation, l'imagination et l'attouchement. Voici, en effet, la conclusion de leur rapport: « Les commissaires ayant reconnu que le fluide magnétique animal ne peut être aperçu par aucun de nos sens; qu'il n'a eu aucune action ni sur eux-mêmes, ni sur les malades qu'ils lui ont soumis; s'étant assurés que les pressions et les attouchements occa sionnent des changements rarement favorables dans l'économie animale, et des ébranlements toujours facheux dans l'imagination; ayant enfin démontré, par des expériences décisives, que l'imagina tion sans magnétisme produit des convulsions, et que le magnétisme sans l'imagination ne produit rien, ils ont conclu, d'une voix una nime, sur la question de l'existence et de l'utilité du magnétisme, que rien ne prouve l'existence du fluide magnétique animal; que ce fluide, sans existence, est. par conséquent, sans utilité; que les violents effets que l'on observe au traitement public appartiennent à l'attouchement, à l'imagination mise en action, et à cette imitation machinale qui nous porte malgré nous à répéter ce qui frappe nos sens. Et, en même temps, ils se croient obligés d'ajouter, comme une observation importante, que les attouchements, l'action répétée de l'imagination, pour produire des crises, peuvent être nuisibles; que le spectacle de ces crises est également dangereux, à cause de cette imitation dont la nature semble nous avoir fait une loi; et que, par conséquent, tout traitement public où les moyens du magnétisme sont employés, ne peut avoir, à la longue, que des effets funestes. « A Paris, ce 11 août 1781. < Signé : B. Franklin, Majault, Le Rot, Sallin, B ailly, D 'ARCET, de Bout, Guillotin, Lavoisier. » Ainsi, les commissaires voyaient surtout dans le magnétisme un effet de l'imagination. Deslon parait s'être rallié à cette conclusion, car il a dit avec un certain bon sens: « Si la médecine d'imagina tion est la meilleure, pourquoi ne ferions-nous pas de la médecine d'imagination ? > Aujourd'hui, l'explication nous parait être d'une insuffisance manifeste. Autant vaudrait dire que l'hystérie est le résultat de l'imagination. Les commissaires déposèrent en même temps un rapport secret qui disait leur dernière pensée sur le magnétisme. Ce curieux document a pour but de signaler les dangers du magnétisme relativement aux mœurs. Nous croyons utile de le reproduire in extenso. « Les commissaires chargés par le roi de l'examen du magnétisme animal, en rédigeant le rapport qui doit être présenté à Sa Majesté, et qui doit peut-étre devenir public, ont cru qu'il était de leur pru dence de supprimer une observation qui ne doit pas être divulguée; mais ils n'ont pas dû la dissimuler au ministre de Sa Majesté; ce ministre les a chargés d'en rédigerunenote, destinée à être mise sous les yeux du roi, et réservée à Sa Majesté seule.« Cette observation importante concerne les mœurs; les commissaires ont reconnu que les principales causes des effets attribués au magnétisme animal sont l'attouchement, l'imagination, l'imitation, et ils ont observé qu'il y avait toujours beaucoup plus de femmes que d'hommes en crise; cette différence a pour première cause les différentes organisations des deux sexes; les femmes ont, en général, les nerfs plus mobiles: leur imagination est plus vive, plus exaltée. Il est facile de la frapper, de la mettre en mouvement. Cette graude mobilité des nerfs, en leur donnant des sens plus délicats et plus exquis, les rend plus susceptibles des impressions de l'attouchement. En les touchant dans une partie quelconque, on pourrait dire qu'on les touche à la fois partout; cette grande mobilité des nerfs fait qu'elles sont plus disposées à limitation; les femmes, comme on l'a déjà fait remarquer, sont semblables à des cordes sonores parfaitement tendues et à l'unisson; il suffit d'eu mettre une en mouvement, toutes les autres à l'instant le partagent; c'est ce que les commissaires ont observé plusieurs fois; des qu'une femme tombe en crise, les autres ne tardent pas d'y tomber.< Celte organisation fait comprendre pourquoi les femmes ont des crises plus fréquentes, plus longues, plus violentes que les hommes, et c'est à leur sensibilité de nerfs qu'est dû le plus grand nombre de leurs crises. 11 en est quelques-unes qui appartiennent a une cause cachée, mais naturelle, à une cause certaine des émotions dont les femmes sont plus ou moins susceptibles, et qui, par une influence éloignée, en accumulant ces émotions, en les ponant à leur plus haut degré, peut contribuer à produire un état convulsif, qu'on confond avec les autres crises; cette cause est l'empire que la nature a donné à un sexe sur l'autre pour l'attacher et l'émouvoir: ce sont toujours des hommes qui magnétisent des femmes; les relations établies ne sont sans doute alors que celles d'un malade à l'égard de son médecin; mais ce médecin est un homme; quel que soit l'état de maladie, il ne nous dépouille point de notre sexe, il ne nous dérobe pas entièrement au pouvoir de l'autre; la maladie en peut affaiblir les impressions sans jamais les anéantir. D'ailleurs, la plupart des femmes qui vont au magnétisme ne sont pus réellement malades; beaucoup y viennent par oisiveté et par amusement; d'autres, qui ont quelques incommodités, n'eu conservent pas moins leur fraîcheur et leur force; leur sens sont tout entiers; leur jeunesse a toute sa sensibilité; elles ont assez de charmes pour agir sur le médecin, elles ont assez de sauté pour que le médecin agisse sur elles; alors le danger est réciproque. La proximité longtemps continuée, l'attouchement indispensable, la chaleur individuelle communiquée, les regards confondus, sont les voies connues de la nature, et les moyens qu'elle a préparés de tout temps pour opérer immanquablement la communication des sensations et des affec- (ions. « L'homme qui magnétise a ordinairement les genoux de la femme renfermes dans les siens; les genoux et toutes les parties inférieures du corps sont par conséquent en contact. La main est appliquée sur les hypocondres, et quelquefois plus bas sur les ovaires; le tact est donc exercé à la fois sur une infinité de parties, et dans le voisinage des parties les plus sensibles du corps. « Souvent l'homme, ayant sa main gauche ainsi appliquée, passe la droite derrière le corps de la femme *. le mouvement de l'un et de l'autre est de se pencher mutuellement pour favoriser ce double attouchement. La proximité devient la plus grande possible, le visage touche presque le visage, les haleines se respirent, toutes les impres sions physiques se partagent instantanément, et l'attraction réci proque des sexes doit agir avec, dans toute sa force. Il n'est pas extraordinaire que les sens s'allument; l'imagination, qui agit en m ê me temps, répand un certain désordre dans toute la machine; elle surprend le jugement, elle écarte l'attention, les femmes ne peuvent se rendre compte de ce qu'elles éprouvent, elles ignorent l'état où elles sont. « Les médecins commissaires, présents et attentifs au traitement, ont observé avec soin ce qui s'y passe. Quand cette espèce de crise se prépare, le visage s'enflamme par degrés, l'œil devient ardent, et c'est le signe par lequel la nature annonce le désir. On voit la femme baisser la tète, porter la main au front et aux yeux pour les couvrir; sa pudeur habituelle veille à son insu et lui inspire le soin de se cacher. Cependant la crise continue et l'oeil se trouble: c'est un signe non équivoque du désordre total des sens. Ce désordre peut n'être point aperçu par celle qui l'éprouve, mais il n'a point échappé au regard observateur des médecins. Dès que ce signe a été mani feste, les paupières deviennent humides, la respiration est courte, entrecoupée; la poitrine s'élève et s'abaisse rapidement; les convulsions s'établissent, ainsi que les mouvements précipités et brusques, ou de membres, ou du corps tout entier. Chez les femmes vives et sensibles, le dernier degré, le terme de la plus douce des émotions, est souvent une convulsion; à cet état succèdent la langueur, l'abattement, une sorte de sommeil des sens, qui est un repos nécessaire après une forte agitation. « La preuve que cet état de convulsion, quelque extraordinaire qu'il paraisse à ceux qui l'observent, n'a rien de pénible, n'a rien que de naturel pour celles qui l'éprouvent, c'est que, dès qu'il a cessé, il n'en reste aucune trace fâcheuse. Le souvenir n'en est pas désagréable, les femmes s'en trouvent mieux et n'ont point de répu gnance à le sentir de nouveau. Connue les émotions éprouvées sont les germes des affections et des penchants, on sent pourquoi celui qui magnétise inspire tant d'attachement, attachement qui doit être plus marqué et plus vif chez les femmes que chez les hommes, tant que l'exercice du magnétisme n'est confié qu'à des hommes. Beau coup de femmes n'ont point, sans doute, éprouvé ces effets, d'autres ont ignoré cette cause des effets qu'elles ont éprouvés; plus elles sont honnêtes, moins elles ont dû l'on soupçonner. On assure que plusieurs s'en sont aperçues et se sont retirées du traitement magné tique; mais celles qui l'ignorent ont besoin d'être préservées. < Le traitement magnétique ne peut être que dangereux pour les mœurs. En se proposant de guérir des maladies qui demandent un long traitement, ou excite des émotions agréables et chères, des émotions que l'on regrette, que l'on cherche à retrouver, parce qu'elles ont un charme naturel pour nous, et que physiquement elles contribuent à notre bonheur; mais moralement, elles n'en sont pas moins condamnables, et elles sont d'autant plus dangereuses qu'il est plus facile d'en prendre la douce habitude. Un étal éprouvé presque en public, au milieu d'autres femmes qui semblent l'éprou ver également, n'offre rien d'alarmant; on y reste, ou y revient, et l'on ne s'aperçoit du danger que lorsqu'il n'est plus temps. Exposées à ce danger, les femmes fortes s'en éloignent, les faibles peuvent y perdre leurs mœurs et leur santé. « M. Deslon ne l'ignore pas; M. le lieutenant de police lui a fait quelques questions à cet égard, en présence des commissaires, dans une assemblée tenue chez M. Deslon même, le 9 mai dernier. M . Lenoir lui dit: « Je vous demande, en qualité de lieutenant général de police, si lorsqu'une femme est magnétisée, ou en crise, il ne serait pas facile d'en abuser. > M. Deslon a répondu affirmati vement, et il faut rendre cette justice à ce médecin, qu'il a toujours insisté pour que ses confrères, voués à l'honnêteté par leur état, eussent seuls le droit et le privilège d'exercer le magnétisme. On peut dire encore que, quoiqu'il ait chez lui une chambre destinée primitivement aux crises, il ne se permet pas d'en l'aire usage; mais, malgré cette décence observée, le danger n'en subsiste pas moins, dès que le médecin peut, s'il le veut, abuser de sa malade. Les occasions renaissent tous les jours, à tous moments; il y est exposé quelquefois pendant deux ou trois heures; qui peut répondre qu'il sera toujours le maître de ne pas vouloir ? Et même en lui supposant une vertu plus qu'humaine, lorsqu'il a en tête des émotions qui éta blissent des besoins, la loi impérieuse de la nature appellera quel qu'un à son refus, et il répond du mal qu'il n'aura pas commis, mais qu'il aura fait commettre. « Il y a encore un moyen d'exciter des convulsions, moyen dont les commissaires n'ont point eu de preuves directes et positives, mais qu'ils n'ont pu s'empêcher de soupçonner; c'est une crise simulée, qui donne ce signai ou qui en détermine un grand nombre d'autres par l'imitation. Ce moyen est au moins nécessaire pour hâter, pour entretenir les crises, crises d'autant plus utiles au magnétisme que, sans elles, il ne se soutiendrait pas. « Il n'y a point de guérisons réelles, les traitements sont fort longs et infructueux. Il y a tel malade qui va au traitement depuis dix-huit mois ou deux ans sans aucun soulagement; à la longue on s'ennuierait d'y être, on se lasserait d'y venir. Les crises font spec tacle, elles occupent, elles intéressent; d'ailleurs, pour des yeux peu attentifs, elles sont des effets du magnétisme, des preuves de l'existence de cet agent, qui n'est réellement que le pouvoir de l'imagination. < Les commissaires, en commençant leur rapport, n'ont annoncé que l'examen du magnétisme pratiqué par M. Deslon, parce que l'ordre du roi, l'objet de leur commission ne les conduisait que chez M. Deslon; mais il est évident que leurs observations, leurs expériences et leurs avis portent sur le magnétisme en général. H. Mes mer ne manquera pas de dire que les commissaires n'ont examiné ni sa méthode, ni ses procédés, ni les effets qu'elle produit. Les commissaires, sans doute, sont trop prudents pour prononcer sur ce qu'ils n'ont pas examiné, sur ce qu'ils ne connaîtraient pas; mais cependant ils doivent faire observer que les principes de M. Deslon sont les mêmes que ceux des vingt-sept propositions que M. Mesmer a fait imprimer en 1779. « Si M. Mesmer annonce une théorie plus vaste, elle n'en sera que plus absurde; les influences célestes sont une vieille chimère dont on a reconnu il y a longtemps la fausseté; toute cette théorie peut être jugée d'avance, par cela seul qu'elle a nécessairement pour base le magnétisme, et elle ne peut avoir aucune réalité, puisque le fluide animal n'existe pas. Cette théorie brillante n'existe, comme le magnétisme, que dans l'imagination; la méthode de magnétiser de H. Deslon est la même que celle de H. Mesmer. M. Deslon a été disciple de M. Mesmer; ensuite, lorsqu'ils se sont rapprochés, l'un et l'autre ont traité indistinctement les malades, et, par conséquent, en suivant les mêmes procédés; la méthode que M. Deslon suit aujourd'hui ne peut donc être que celle de M. Mes mer. « Les effets se correspondent également; il y a des crises aussi violentes, aussi multipliées et annoncées par des symptômes sem blables chez M. Deslon et chez M. Mesmer. Que peut prétendre M. Mesmer en assignant une différence inconnue et inappréciable, lorsque les principes, la pratique et les effets sont les mêmes? D'ailleurs, quand cette différence serait réelle, qu'en peut-on inférer pour l'utilité du traitement contre les moyens détaillés dans noire rapport et dans cette note mise sous les yeux de Sa Majesté? « La voix publique annonce qu'il n'y a pas plus de guérisons chez M. Mesmer que chez M. Deslon; rien n'empêche que chez lui, comme chez M. Deslon, les convulsions ne deviennent habituelles, et qu'elles ne se répandent en épidémie dans les villes, qu'elles ne s'étendent aux générations futures; ces pratiques et ces assemblées ont également les plus graves inconvénients pour les mœurs. « Les expériences des commissaires, qui montrent que tous que effets appartiennent aux attouchements, à l'imagination, à l'imitation, en expliquant les effets obtenus par SI. Deslon, expliquent également les effets produits par M. Mesmer. On peut donc raisonnablement conclure que, quel que soit le mystère du magnétisme de M. Mesmer, ce magnétisme ne doit pas être plus réel que celui de H. Des lon, et que les procédés de l'un ne sont ni plus utiles ni moins dangereux que ceux de l'autre. La Société royale de médecine fit son rapport cinq jours après; ce Turent les mêmes conclusions. Mais un membre de cette com mission, Laurent de Jussieu, se sépara de ses collègues et eut le courage scientifique de publier un rapport personnel où il exprima ses convictions sur le sujet. De Jussieu avait fait quelques expériences qui lui paraissaient ne pas pouvoir s'expliquer par l'imagination; ces faits démon traient, selon lui, que l'homme produit sur son semblable une action sensible par le frottement, par le contact et, plus rarement, par un simple rapprochement à quelque distance. Cette action, dit-il, attribuée à un fluide universel non démontré, appartient certainement à la chaleur animale, qu'il appelle ailleurs fluide électrique animalisé. Quant à la théorie du magnétisme animal, il ne la repousse pas en termes aussi absolus que Bailly, qui avait dit: l'imagination fait tout, le magnétisme est nul. Il se con tente de dire — ce qui est infiniment plus sage — que la théorie du magnétisme ne peut être admise tant qu'elle ne sera pas déve loppée et étayée de preuves solides. En somme, selon la remarque de Dechambre, on voit percer dans ce rapport l'idée que Mesmer est sur la trace d'une vérité féconde. Ce pressentiment du célèbre naturaliste devait être bientôt confirmé. Nais il y a plus; certaines assertions de l'oeuvre de Jussieu méritent d'être prises en consi dération, car elles renferment une part de vérité. L'efficacité de l'action du contact et du frottement est prouvée par l'existence, chez certains sujets, de plaques hypnogènes (Pitres), dont le plus léger attouchement peut déterminer le sommeil somnambulique. Depuis longtemps, M. Charcot a montré le rôle des zones hystérogènes dont l'irritation détermine dès manifestations convulsives; or, ces zones ont leur siège de prédilection dans les régions ovariennes, dans les hypocendres, sur lesquels Mesmer pratiquait de préférence ses manœuvres. Après le rapport de Bailly, Mesmer quitta Paris et retourna en Allemagne. Son rôle était terminé; nous n'en parlerons plus. Ses amis l'ont représenté comme un homme avide de gloire, mais en même temps plein de charité pour l'humanité souffrante. L'opi nion publique, plus sévère, a fait de lui le type du charlatan scientifique. Jusqu'ici le magnétisme animal n'était pas encore découvert; il avait probablement figuré dans la plupart des phénomènes mesmériques, au baquet et ailleurs; mais on n'avait pas su le reconnaître au milieu des crises nerveuses qne provoquait Mesmer. C'est à un élève de Mesmer, au marquis Armand-Jacques- Marc Chastenet de Puységur, qu'il faut attribuer l'invention du magnétisme animal ou du somnambulisme provoqué, qui doit, pour cette raison, porter le nom de somnambulisme puysé- gurien (1). En 1784, au mois de mai, M. de Puységur, retiré dans sa terre de Buzancy, près de Soissons, occupait ses loisirs en magnétisant des paysans à l'exemple du maître, quand un jour, par hasard, il vit se produire un phénomène entièrement nouveau (2). Un jeune paysan de vingt-trois ans, nommé Victor, atteint depuis quatre j ours d'une fluxion de poitrine, tombe, pendant qu'on le magnétise, dans un sommeil paisible, sans convulsions ni douleurs. Il parlait, s'occupait tout haut de ses affaires. On pouvait changer, sans effort, le cours de ses idées, lui inspirer des sentiments gais; alors il était content, imaginant tirer à un prix, danser à une fête. Simple et niais pendant l'état de veille, il devient pen dant sa crise d'une intelligence profonde; on n'a pas besoin de lui parier, il suffit de penser devant lui pour qu'il comprenne et réponde. Il suffit aussi de penser certains ordres pour qu'il les exécute. C'est lui-même qui a indiqué le traitement nécessaire a sa maladie. Il est bientôt guéri. (il Les ouvrages de Puységur sont les suivants: Mémoire* pour servir & l'histoire du magnétisme animal, 1784; Suite aux mémoire», 1805; Du magné tisme animal, etc., 1807; Recherches, expériences et observations physiolo giques sur l'homme, dans l'état de somnambulisme naturel et dans le somnam bulisme provoqué par l'acte magnétique, 1811, etc. Tel est, en résumé, le cas du paysan Victor. La nouvelle do cette guérison s'étant rapidement répandue, on vit accourir do tous côtés une foule de malades qui venaient demander le soula gement de leurs maux. Le phénomène recommença, à la grande joie de Puységur, qui écrit: « La tête me tourne de plaisir en voyant le bien que je fais. » Ne pouvant suffire an nombre toujours croissant des malades, le marquis magnétisa, selon les procédés de Mesmer, un orme situé sur la place du village de Buzancy. Les malades assis autour de cet arbre, sur des bancs de pierre, enlaçaient avec des cordes qui partaient de l'arbre les parties souffrantes de leur corps et formaient la chaîne en se tenant par les pouces. Pendant ce temps, M. de Puységur choisissait entre ses malades plusieurs sujets que, par attouchement de ses mains ou présentation d'une baguette en fer, il faisait tomber en crise parfaite, qui, bientôt, dégénère en un sommeil où toutes les facultés physiques paraissent suspendues, mais au profit des facul tés intellectuelles. Un témoin oculaire, Cloquet (i), nous donne, à cet égard, des renseignements précieux. On a les yeux fermés, dit-il; le sens de l'ouïe est nul, il se réveille seulement à la voix du maître. 11 faut bien se garder de toucher le malade en état de crise, même la chaise sur laquelle il est assis, car on lui causerait des angoisses, des convulsions, que le maître seul peut calmer. Le maître les désenchante en leur touchant les yeux ou en leur disant: Allez embrasser l'arbre. Alors ils se lèvent, toujours endormis, vont droit à l'arbre et, bientôt après, leurs yeux s'ouvrent. Une fois rendus à l'état normal, ces malades ne gardent aucun souvenir de ce qui s'est passé pendant les trois ou quatre heures de leur crise. Mais ce que Puységur recherchait avant tout, c'était la guérison des maladies; la thérapeutique était son objectif, comme il avait été celui de Mesmer. Il observa ou crut observer que les malades en état de crise avaient un pouvoir surnaturel, qui leur mérita le nom de médecins; en effet, il leur suffisait de toucher, pardessus le vêtement, un malade qui leur était présenté, pour sentir la partie affectée, le viscère soutirant et pour indiquer à peu près les remèdes convenables. Préoccupés uniquement de celte queslion, Puységur et les autres magnétiseurs qui opérèrent à son exemple à Lyon, Bordeaux, Bayonne, Marseille, etc., ne songèrent point à faire l'histoire naturelle de cet état singulier de sommeil, produit artificiellement. Puységur est comme Mesmer, un guérisseur. Mais il faut remarquer avec M. Dechambre que dans ces traitements de Puységur, si la foi est robuste, l'honnê teté ne l'est pas moins. Aucune exhibition publique; rien pour frapper l'imagination; aucun choix parmi les sujets; pas de femmelettes; pas de mélancoliques; mais des paysans et des paysan-nes, affectés souvent de maladies épaisses et tenaces. L'honnêteté et le désintéressement de Puységur font un heureux contraste avec la cupidité de Mesmer. Quant aux vues théoriques de Puységur, ce sont celles de Mesmer, légèrement modifiées. Aussi peu versé que son maître dans les sciences physiques, il admet toujours l'existence d'un fluide universel, qu'il reconnaît de nature électrique; ce fluide sature tous les corps, et principalement le corps de l'homme, qui a une organisation électrique parfaite, qui est une machine électrique vivante. Il appartient à la volonté de l'homme de mani fester ce fluide électrique et de le propager au dehors, sous forme de mouvement, pour lui faire atteindre le somnambule. Ce qu'il y a de curieux, c'est que Puységur a condamné avec force l'emploi des aimants dans les maladies et de toute électricité étrangère à notre organisme. Cette prévision a été démentie. On connait toute l'étendue actuelle de l'électro-thérapie. Ainsi, le marquis de Puységur transformait la tradition reçue de Mesmer; à la place du baquet, c'étaient de simples attouchements ou des commandements. Plus de crises violentes, accom pagnées des cris, des sanglots et des contorsions d'une véritable attaque d'hystérie; à la place, un sommeil calme, paisible, silencieux, réparateur. Ce n'était pas là une transformation du magné tisme, c'était la véritable découverte de cet état, dont l'honneur revient au marquis de Puységur. On peut facilement démêler la part de vérité qui existe dans le s descriptions du somnambulisme magnétique laissées par Puységur. Cet observateur a très bien vu l'obéissance des sujets endormis aux ordres du magnétiseur qui dirige à son gré leurs pensées et leurs actes: c'est ce que nous étudierons plus tard sous le nom de suggestion. Il a remarqué l'inconscience du sujet qui, au réveil, ne garde aucun souvenir de ce qui s'est passé pendant le sommeil. Nous verrons que cette inconscience est un phénomène fréquent, et presque constant pendant le grand hypno tisme. Enfin, on notera dans les descriptions la présence manifeste de cette singulière affinité, dont le sujet parait être, doué pour le magnétiseur; phénomène qui se traduit par quelques effets assez curieux: aucune autre personne que le magnétiseur ne peut toucher le sujet endormi, sous peine de lui donner des angoisses et même des convulsions. Tout cela est exact, scientifiquement établi et reconnu aujourd'hui de tout le monde. Ce qui ne l'est pas encore, c'est la faculté de deviner la pensée du magnétiseur, sans aucune communication matérielle, c'est la connaissance des maladies (le malade voit son mal), c'est l'indication des remèdes utiles, c'est la prévision de l'avenir, que Puységur croyait rendre vraisemblable en l'appelant pressentation. La doctrine de Mesmer avait été frappée de réprobation par le jugement des corps savants. Ce ne furent pas les expériences de Puységur qui la relevèrent, car le surnaturel y tenait une trop grande place. Les magnétiseurs de profession s'emparèrent de ces expériences dont ils firent le thème de leurs élucubrations. On comprend d'ailleurs le succès qu'eut la prétendue lucidité des somnambules. Puységur avait trouvé une forme nouvelle pour ce don de divination auquel l'humanité a toujours cru. De nombreuses sociétés magnétiques se fondèrent sur presque tous les points de la France, et principalement, dit Thouret, dans les villes qui ne possédaient point d'université, et où le contrôle était moins facile. Cependant la Société de l'Harmonie, fondée à Stras bourg, comptait plus de 150 membres. Disons un mot, en passant, des cataleptiques de Pététin, qui parait avoir eu le bonheur d'observer le premier ou un des premiers les phénomènes de transposition des sens. Pététin était un méde cin de Lyon, président perpétuel de la Société de médecine de Lyon, ennemi des nouvelles doctrines magnétiques; il observa et montra à ses collègues une femme cataleptique qui voyait, en tendait, sentait, goûtait et odorait par le creux épigastrique et le bout des doigts. Ceci se passait en 1787. Il parut, après la mort de Pététin, un mémoire de lui, qui contenait sept observations du même genre. Il expliquait ces phénomènes étranges par l'accumu lation du fluide électrique animal dans certaines parties du corps. Les magnétiseurs s'emparèrent du fait, et nous allons voir que, pendant longtemps, il ne sera question que de transposition des sens. Avant 1820, on ne trouve guère à citer, dans l'histoire du ma gnétisme, que l'ouvrage du naturaliste Deleuze, intitulé: Histoire critique du magnétisme animal (1813). Ce livre indigeste, dont on a fait beaucoup trop de cas, témoigne seulement de la sincé rité et de l'honnêtet è de son auteur, mais il n'ajoute rien au bilan du magnétisme. Deleuze se préoccupe surtout, comme ses devanciers, des ver tus curatives du magnétisme; et pour en prouver la réalité, il ne trouve rien de mieux que de conseiller aux incrédules de l'essayer sur les divers malades. D'ailleurs, pour réussir, il faut, dit-il, avoir la foi, ce qui dispense d'une démonstration en règle. Le magné tisme convient à toutes les maladies; il constitue toujours, comme du temps de Puységur et de Mesmer, la panacée universelle. Vers la même époque, en 1813, un thaumaturge venu des Indes, Faria, donna des représentations publiques et payantes pour montrer les prodiges qu'on peut opérer avec le magné tisme. Il usait, pour provoquer le sommeil, d'un procédé curieux. Il faisait asseoir le sujet dans un fauteuil, les yeux fermés, puis il criait d'une voix forte et impérieuse: « Dormez ! » Le sujet après une légère secousse tombait parfois dans l'état que Faria appelait sommeil lucide. Ce charlatan avaît bien vu que la cause du somnambulisme réside dans Je sujet lui-même. On peut en dormir, disait-il avec raison, en ayant la volonté d'endormir, ou sans cette volonté, ou avec une volonté contraire. |