CHAPITRE IV Des procédés pour produire l'hypnose. Au point de vue de sa production, le sommeil hypnotique ne diffère pas foncièrement du sommeil naturel, dont il n'est en somme qu'une altération, et toutes les excitations qui déterminent la fatigue sont susceptibles de provoquer 1 hypnose chez les sujets appropriés; c'est dans ce sens que l'on peut dire avec M. Richer que tous les moyens sont bons, pourvu qu'ils s'adressent à un organisme prédisposé. Les excitations sensorielles produisent l'hypnose de deux manières: lorsqu'elles sont fortes et brusques, lorsqu'elles sont faibles et prolongées. Les excitations violentes ont été étudiées pour la première fois par M. Charcot et ses élèves; nous citerons les impressions visuelles vives, telles que l'apparition brusque de la lumière solaire dans une chambre obscure, l'action de regarder le soleil en face, l'incandescence subite d'une lampe au magnésium, d'une lampe électrique, etc. Chez les grandes hystériques, l'excitation intense produit immédiatement la catalepsie. Qu'elle soit assise à travailler, debout, ou en marche, la malade est aussitôt figée dans l'attitude où elle a été surprise, avec une expression de frayeur sur la face et dans le geste. On produit le même effet avec un bruit intense, comme celui du tamtam ou du gong chinois, avec un coup de sifflet, ou enf in avec la vibration d'un diapason. Quand le sujet est entraîne', des bruits relativement légers, rnais inattendus, par exempte le froissement d'un morceau de papier ou un choc sur un verre, suffisent à produire la catalepsie. Si au lieu d'être violente, l'excitation est modérée, il faut qu'elle soit prolongée pour déterminer le sommeil hypnotique, mais presque toujours elle le produit. On endort le sujet selon le procédé de Braid, en fixant son regard pendant quelques instants sur un objet peu lumineux ou même tout à fait obscur comme un bâton noir, et tenu de préférence près des yeux et un peu en haut, afin de déterminer un strabisme convergent et supérieur. Au bout de quelque temps, les yeux deviennent humides et brillants, le regard devient fixe, la pupille se dilate; si on éloigne l'objet, le sujet reste en catalepsie; si on ne l'éloigne pas, le sujet ne tarde pas à tomber en arrière en poussant un soupir, pendant qu'un peu d'écume vient à ses lèvres; c'est la léthargie. La convergence des yeux suffit à elle seule à amener le sommeil, par exemple pendant la nuit (Carpenter); un certain nombre de sujets s'endorment spontanément en fixant leur ouvrage d'aiguille, ou en lisant, ou en se regardant dans un miroir, pour se coiffer. Les sons monotones amènent aussi le sommeil; Weinhold et Heidenhain ont déterminé l'hypnose en faisant en tendre le tic-tac d'une montre; un son musical faible mais continu peut produire le même effet. On sait bien, d'ailleurs, que les excitations monotones de l'ouïe, les mélopées des nourrices, le bruit du vent, la récitation des oraisons, ont une action marquée sur le sommeil naturel d'un grand nombre de personnes. L'un de nous est arrivé à provoquer le sommeil léthargique en fatiguant l'odorat par l'impression prolongée du musc. Les impressions gustatives n'ont guère été essayées; nous avons vu les titillations du pharynx réussir chez plusieurs sujets; mais dans ce cas la causalité est peut-être complexe, car, presque toujours, le sujet fixe son regard et immobilise sou thorax. Un certain nombre de faits semblent indiquer que les excitations des organes des sens qui ne mettent point en jeu leur onction spéciale, mais n'ont sur eux qu'une action mécanique, sont susceptibles de produire les mêmes effets. Ainsi, lorsqu'on com prime le globe oculaire à travers la paupière supérieure abais sée, comme le faisait volontiers Lasègne, on peut déterminer l'hypnose chez un certain nombre de sujets; de même, en e xerçant une pression sur le conduit auditif externe. Ces pro-c édés d'hypnotisation nous paraissent rentrer dans le groupe des procédés par épuisement des sens spéciaux; en effet, lorsqu'on comprime le globe oculaire, si légèrement que ce soit, ou produit une irritation du fond de l' œ il, d'où résulte une tion lumineuse; lorsqu'on comprime l'orifice externe du conduit auditif, on détermine par l'intermédiaire de l'air contenu dans ce conduit une pression sur la membrane du tympan, et il en résulte, comme il est facile de s'en convaincre, un bruissement continu, capable d'amener la fatigue du centre auditif, et, dans ce cas encore, le sommeil résulte d'un épuisement. Toutefois, les procédés d'hypnotisation dans lesquels on a recours à des manœuvres qui nécessitent un contact de la peau sont susceptibles d'interprétations complexes. On sait que les anciens magnétiseurs se servaient de ce qu'on appelle les passes; ces passes consistent en attouchements légers, soit directs, soit indirects, à travers les vêtements, qui, par leur répétition pro longée, amènent le sommeil. M. Ch. Richet a pu vérifier que les excitations cutanées faibles sont capables de produire le sommeil somnambulique tout aussi bien que les excitations des sens spéciaux; mais il est à supposer que l'élément psychique entre pour une grande part dans le succès des passes. 11 est un point intéressant à relever dans l'histoire des procédés d'hypnose par les irritations cutanées. On est frappé, lorsqu'on parcourt les livres des magnétiseurs qui ont écrit dans la première moitié de ce siècle, de la fréquence d'un certain nombre de manœuvres, qui ont contribué à discréditer le magnétisme animal. On voit, en effet, que souvent l'operateur plaçait le sujet assis en face de lui, serrait ses genoux entre les siens, lui saisissait les pouces à pleines mains et, quelquefois, appliquait son front contre celui de la personne en expérience. Ces manoeuvres, qui paraissaient contraires à la décence et sans valeur au point de vue du résultat à obtenir, avaient en réalité pour base des observations fort justes, qui se sont trouvées vérifiées depuis. On a constaté que certaines irritations légères portées sur le vertes des sujets hypnotisés avaient la propriété de changer la forme de la sommation. C'est ainsi que chez les individus plon gés dans les états désignés dans la nomenclature de M. Charcot sous le nom de léthargie et de catalepsie, une légère friction dans la région du vertes provoque le passage à l'état de somnambu lisme. MM. Heidenhain, Grützner et Berger, en faisant des fric tions faibles et très prolongées sur un côté de la tête de sujets éveillés, sont parvenus à produire chez ces personnes une hyp nose unilatérale, s'accusant par l'hyperexcitabilité musculaire. Mais l'influence des irritations localisées à certaines régions a sur-tout été bien décrite récemment par M. Pitres (1) qui a mon tré que, chez un certain nombre de sujets, il existe des zones dites hypnogènes, tantôt superficielles, tantôt profondes, dont l'irritation, même légère, est susceptible de provoquer l'hypnose et quelquefois de la faire cesser. Or, ces zones, qui peuvent se ren contrer à peu près sur tous les points du corps, se voient beau coup plus fréquemment au voisinage des articulations, sur l'ex trémité céphalique et en particulier sur le front et très souvent surtout à la racine des pouces. Les anciennes manœuvres se trouvent donc justifiées par l'observation régulière des faits. Il ne faut pas trop se hâter de blâmer et de nier ce qu'on ne com prend pas. Les irritations cutanées sont tout aussi efficaces lorsqu'elles sont faites avec les barbes d'une plume, avec un corps inerte quelconque, qu'avec la main. Nous nous sommes assurés sur plusieurs sujets qu'en approchant un aimant d'une plaque hypno- gène on déterminait le sommeil. Nous avons vu aussi que le sujet lui-même peut s endormir en pressant sur une de ses plaques. Ajoutons que chaque sujet peut présenter des zones hypnotiques différentes, non seulement au point de vue de leur siège, mais encore au point de vue de leur action; la léthargie, la catalepsie, le somnambulisme dans leurs différentes formes peuvent résulter de l'excitation de l'une ou de l'autre de ces plaques. La chaleur peut produire le même effet qu'une excitation méca nique de la peau. Berger a montré qu'en tenant ses mains chaudes à proximité de la tête d'une personne dormant de son sommeil naturel, il produisait l'hypnose; c'était bien la chaleur dégagée par les mains qui amenait ce résultat, car, lorsqu'il entourait ses mains de gants de laine, ou qu'il couvrait la tète du dormeur, I hypnotisation n'avait plus lieu. D'ailleurs, Berger obtint les mêmes effets en approchant de la tête des sujets en expérience des plaques métalliques modérément chauffées. Une excitation peut être capable d'endormir, sans être sentie car le phénomène conscience est un élément surajouté, qui n'est pas nécessaire. C'est ainsi que l'aimant, qui agit comme une exci talion périphérique, peut endormir un sujet, bien que ce dernier ne perçoive pas l'action que ce corps exerce sur son organisme. Cette influence de l'aimant sur l'hypnose a été signalée pour la première fois par M. Landouzy, en 1879, et vérifiée depuis par M. Chambard et par nous-mêmes. On peut résumer les procédés d'hypnose par excitation senso rielle, ou procédés physiologiques, ainsi qu'il suit: 1° — Procédés par excitation du sens de la vue. a — Excitations brusques et fortes: rayon lumineux (lumière solaire, rayon électrique, incandescence subite d'une lampe au magnésium). b — Excitations faibles et prolongées. Fixation du regard sur un objet brillant ou non, placé près des yeux et un peu en haut. 2° — Procèdès par excitation du sens de l'ouie. a — Excitations brusques et fortes: tamtam, instruments de cuivre, etc. 6 — Excitations faibles et prolongées: tic-tac d'une montre, vibrations d'un diapason, un bruit monotone quelconque. 3° — Procédés par excitation du sens du goût et de l'odorat. 4° — Procédés par excitation du sens du toucher, a — Excitations brusques et fortes: Pression sur les zones hypnogènes. b — Excitations faibles et prolongées: Passes, contacts, action de la chaleur, aimantation. Ces divers procédés physiologiques ont une influence très diverse sur les différents sujets. Leur combinaison peut rendre l'effet plus efficace ou plus rapide. Bien que, comme l'a montré Braid, la personnalité de l'opérateur n'ait pas l'importance qu'on lui attachait autrefois, il ne faut pas dire qu'elle soit toujours nulle. H est facile de prouver que certains expérimentateurs réus sissent plus que d'autres, au moins sur certains sujets. C'est là un phénomène d'électivité qui n'est pas sans importance et dans lequel la chaleur spécifique, l'odeur, etc., jouent peut-être un rôle. Si celte électivité existe dans les procédés physiologiques, elle est surtout manifeste avec les procédés psychiques. En effet, ce n'est pas seulement par les excitations sensorielles et péri phériques que l'on détermine l'hypnose. On y arrive encore par des excitations centrales, c'est-à-dire en agissant sur l'imagination. On peut même dire que, toutes les fois que le sujet est averti qu'on va l'hypnotiser, son esprit concourt au succès do l'opération, et le sommeil résulte en partie d'une action psy chique. La production de l'hypnose par action psychique a surtout été mise en lumière par l'abbé Faria, qui provoquait le sommeil par intimation. Son procédé consistait à dire au sujet, d'une voix impérieuse: c dormez ». Parfois, sans prononcer aucun mot, il suffit de faire un geste de commandement. Le procédé de Faria est rarement employé d'une façon aussi simple, le. plus souvent on remplace l'intimation par l'insinuation. On produit le sommeil, par exemple, en disant au sujet qu'il a envie de dormir, qu'il se sent lourd, que ses paupières tombent, qu'il n'entend, qu'il ne voit plus, etc., ou encore, comme nous l'avons observé, en faisant semblant de dormir soi-même. Ces procédés de douceur réussissent parfaitement chez les sujets qui ont déjà été endormis par d'autres procédés et on comprend qu'ils réussissent du premier coup sur des sujets particulièrement dispo sés, qui viennent se faire endormir dans un but de traitement, et qui ont confiance dans l'opérateur et dans le résultat de l'opération. Ce n'est là du reste que de la suggestion à l'état de veille. Souvent cette suggestion se dissimule sous diverses manœuvres qui ont fait admettre autrefois l'existence de la magnétisa tion à distance. On peut endormir un sujet entraîné en faisant des passes à travers une porte, pourvu que le sujet sache bien qu'il y a là un magnétiseur qui cherche à l'endormir; celte expé rience, par laquelle on a voulu démontrer que le somnambulisme est produit par un fluide s'échappant du corps du magnétiseur et traversant les corps opaques, prouve tout simplement que l'idée fixe qu'on est hypnotisé, c'est-à-dire une impression psychi que, suffit à endormir. On peut expliquer de la même façon comment une personne à Paris peut endormir un de ses sujets qui es! en province, quand ce dernier sait le jour et l'heure où l'opération doit commencer; ou comment on endort certains sujets en leur faisant toucher des objets auxquels on attribue à haute voix des vertus magnétiques. Ainsi s'explique l'action tant vantée autrefois de l'eau magnétisée et des arbres magnétisés. Mais l'expérience la plus frappante est la suggestion de sommeil à longue échéance. On affirme au sujet, avec le sérieux et l'auto rité nécessaires, que dans tant de jours, à telle heure, il s'endor mira spontanément. Au jour fixé, quand l'heure arrive, la sug gestion se réalise; le sommeil saisit le sujet au milieu de ses occupations et dans quelque lieu qu'il se trouve. Beaucoup d'auteurs qui ont reconnu la puissance de la suggestion comme agent hypnogénique ont voulu voir la suggestion partout. Tel est Braid qui affirme que le concours de l'imagination du sujet est indispensable au succès de l'opération; « l'hypnotiste le plus expert, dit-il, s'exercera en vain si le sujet ne s'y attend pas, et s'il ne s'y prête pas de corps et d'âme. » De nos jours, quelques auteurs ont soutenu que l'attention expectante était la cause de tous les phénomènes hypnotiques, comme de tous les phénomènes de la méthallothérapie; Schneider et Berger expli quent la production de l'hypnose par une concentration unilaté rale de l'attention. Ce sont là des affirmations trop absolues. 11 existe toute une série d'agents purement physiques qui sont capables de provoquer le sommeil sans le concours de l'imagina tion de l'opéré, contre sa volonté et à son insu. En terminant, nous mentionnerons quelques-unes des expé riences faites par l'un de nous (1), qui confirment l'idée déjà indiquée par Braid, que l'hypnose résulte d'un épuisement de l'influx cérébral. On peut donner la preuve expérimentale que les excitations sensorielles de toutes sortes qui provoquent l'hypnose agissent par épuisement, car le premier effet de ces excitations est une exagération généralisée de la motilité. Si on dispose dans la main droite du sujet la poignée d'un dyna mographe, de telle façon qu'elle soit seulement maintenue, sans pression, et si on endort ensuite le sujet par un procédé quel conque, on peut constater qu'entre l'excitation et le sommeil, il se produit une décharge motrice. Les doigts pressent d'une manière très intense le dynamographe; de plus, ce mouve ment est généralisé à tous les muscles du corps. H est donc probable que l'excitation hypnogène met en jeu une activité qui s'épuise. Mais ici nous rencontrons une difficulté. Comment la théorie de l'épuisement explique-t-elle le sommeil par suggestion? On l'a dit depuis longtemps, la présence de l'élément psychique dans l'hyp nose rend boiteuses toutes les explications physiques qu'on vou drait donner de cet état. Cependant, sans méconnaître la difficulté de ce problème, nous croyons possible, dans une certaine mesure, de rapprocher quelques procédés psychiques d'hypnotisation des procédés par épuisement. Toutes les espèces de suggestions con sistent à faire prédominer une idée dans l'esprit du sujet; la suggestion du sommeil n'échappe pas à cette règle; c'est par l'idée du sommeil que l'on endort. Or, qu'est-ce qu'une idée? Des expériences multiples, dont on trouvera le détail plus loin, montrent que toute idée est une image, que toute image est un rappel d'une sensation antérieure. A ce point de vue, l'hypnotisa- tion par suggestion consiste dans une hypnotisation par des excitations physiques, qui, au lieu d' ê tre actuelles, sont rappe lées. Citons un exemple à l'appui; l'expérience nous a été com muniquée par M. Ballet. Voici une malade à qui l'on a donné, soit pendant l'état de veille, soit pendant un sommeil antérieur, la suggestion d'une lampe électrique, allumée dans un coin de la pièce. La malade est réveillée, elle cause tranquillement. Si on lui dit de regarder dans le coin où se trouve la lampe imaginaire, elle tombe tout à coup en catalepsie, comme si elle avait reçu un rayon électrique en pleine figure. L'hallucination, c'est-à-dire l'image de l'impression lumineuse, a produit le même effet que l'impression réelle, parce qu'elle en est le rappel. De même, il nous paraît vraisemblable que la suggestion de sommeil ne réalise son effet qu'en provoquant le rappel de certaines impressions de fatigue qui amènent l'épuisement au même titre qu'une excitation physique. Le réveil du sujet hypnotisé peut être obtenu, comme la sommation, au moyen de deux procédés différents, par impression périphérique et par impression centrale ou psychique. En géné ral, il suffit de souffler légèrement sur les yeux ou sur le front du sujet pour le réveiller; le souffle de la bouche peut être remplacé sans inconvénient par le vent d'un soufflet, ou par la projection de quelques gouttes d'eau. Quand ce moyen ne réussit pas, on découvre les globes oculaires et on souffle dessus avec force. Si le réveil ne se produit pas encore, on presse (chez les hystéri ques) sur la région ovarienne. M. Pitres a montré en outre qu'il existé chez nombre d'hystériques des plaqués cutanée» dont l'excitation détermine le réveil. Ces plaques, dont le siège est variable suivant les sujets, se rencontrent le plus souvent sur le vertex, sur le front, au niveau des articulations. Ce sont tons là des procédés par excitation cutanée. Il est bien probable qu'on doit pouvoir réveiller en s'adressant aux sens spéciaux, et notam ment à la vue et à l'ouïe. Mais on ne sait rien de clair sur tous ces points. En soufflant sur la moitié du front d'un sujet endormi, et en abritant l'autre moitié avec un écran, on ne réveille qu'une moitié du corps. Le réveil se fait aussi par impression psychique. En disant un certain nombre de fois au sujet endormi: < Ré veillez-vous ! » on le réveille, comme en lui disant: « Dormez ! » on l'endort. On voit qu'il existe une sorte de parallélisme entre les causes qui hypnotisent et celles qui déshypnotisent. ce sont toujours des excitations, qu'elles soient cutanées, sensorielles ou psychiques. Ce rapprochement entre les deux ordres de procédés s'ac centue encore davantage chez certains hystériques qui pré sentent des plaques douées de propriétés inverses, à la fois hypnogènes et hypno-frénatriees. Lorsque les malades en ques tion sont éveillés, une excitation portée au niveau de ces plaques, par exemple sur le vertex, les plonge dans l'hypnotisme; une seconde excitation sur le même point ramène l'état de veille. On peut dire dans ce cas qu'une même cause a produit des effets contraires, dépendant de l'état somatique du sujet au mo ment de l'action. Mais ce n'est point une règle générale. H y a des zones qui sont exclusivement hypnogènes, et d'autres qui sont exclusivement hypno-frénatrices. Si les moyens de produire l'hypnose sont très nombreux, leur efficacité dépend de beaucoup de conditions. La première est l'ac coutumance. On l'a dit avec raison, lorsqu'on essaye d'endor mir une personne pour la première fois, presque tout échoue, et lorsqu'on a répété plusieurs fois l'expérience, tout réussit. Ce fait de l'éducation hypnotique est très important à noter. Il peut arriver qu'à une première séance d'hypnotisation, on n'obtienne absolument aucun effet, et que le sujet affirme n'avoir rien éprouvé; il n'importe, cette tentative a imprimé dans son système nerveux une modification qui persiste, et qui facilitera les ten tatives subséquentes. Le sommeil tarde d'abord à se produire, puis il survient en quelques minutes, puis en quelques secondes, et enfin presque instantanément. À ce moment, le sujet tombe entièrement à la merci de son magnétiseur. 11 est intéressant de remarquer que ces faits sont l'expression d'une loi de physiologie générale, la loi de répétition. Des expériences nombreuses de psychométrie ont montré que: 1° lorsqu'un acte est répété un grand nombre de fois, avec des intervalles de repos suffisants, chaque série de répétition s'accompagne d'un gain dans le temps de réaction; 2° Le gain de temps décroît à mesure que le nombre des répétitions augmente; 3° Il finit par atteindre une limite dif ficile à dépasser. Mais ici s'impose une question des plus controversées à la pé riode actuelle de l'histoire du magnétisme animal. Tout individu est-il susceptible d'être endormi artificiellement par les procédés que nous avons exposés en masse? Ou bien faut-il pour obtenir ce résultat que le sujet soit prédisposé par un état morbide ? Y a-t-il une névrose hypnotique, pour employer l'expression de M. Ladame, en dehors de laquelle l'hypnotisation est impos sible? ou encore les névropathies, et en particulier l'hystérie, doivent-elles être considérées comme une prédisposition indis pensable ? Nous avons déjà dit qu'au point de vue de sa production, le sommeil artificiel ne pouvait pas être séparé du sommeil spontané, physiologique; et nous ajouterons qu'à la limite, dans ses formes atténuées, il n'en diffère pas par sa nature, ni par ses caractères. Nous admettons volontiers que, sur un sujet quelconque, en répétant, en variant et en prolongeant suffisamment les tenta tives, on peut produire un sommeil artificiel, puisqu'on peut provoquer la fatigue. Avant d'affirmer que le résultat est impos sible, il faudrait au moins que les tentatives eussent été faites, et en bonne logique, c'est aux sceptiques à faire la preuve négative. Mais il n'en est pas moins certain que la plupart des névropathes et surtout les hystériques offrent une prédis position très nette au sommeil hypnotique et que leur som meil diffère du sommeil naturel par des caractères physiques spéciaux. Or, c'est précisément cette adjonction des caractères physiques spéciaux qui constitue le point le plus important de la question; car ces phénomènes d'ordre somatique servent de preuve aux manifestations psychiques, extrêmement complexes, qui les accom pagnent. Jusqu'à présent, on a pu dire que c'est seulement dans l'hypnotisme des hystériques, dans cette forme décrite par MM. Charcot et Richer sous le nom de grand hypnotisme, que l'on a découvert des phénomènes physiques imprimant à leur sommeil un caractère spécial. Nous admettons certainement qu'on peut dans la grande majorité des cas provoquer artificiellement un épuisement suffisant pour amener le sommeil. Mais le point sur lequel la discussion reste ouverte est le suivant: étant démontré qu'on peut toujours endormir un individu artificiellement, en découle-t-il nécessairement que cet individu dort d'un sommeil spécial qui n'est pas le sommeil naturel? Quand même cette question serait résolue dans le sens de l'affirmative, quand même il serait établi qu'aucune personne n'est absolument réfractaire à l'hypnotisme, nous nous croirons toujours en droit d'affirmer que les phénomènes hypnotiques consistent dans un trouble du fonctionnement régulier de l'organisme. Ainsi que M. Barth l'a dit récemment, on peut donner mal à la tête à tout le monde; mais ce n'est pas la preuve que le mal à la tête soit un état physiologique. Nous n'admettons donc pas l'opinion de certains auteurs qui traitent l'hypnose comme un état physiologique et paraissent plus préoccupés de la séparer des autres névroses que de l'y rattacher (1), Une question secondaire se rattache directement à la précédente: un individu hypnotisable peut-il être hypnotisé sans son consente ment, et même malgré sa volonté contraire? Beaucoup de per sonnes se sont émues à l'idée qu'un étranger pourrait les sugges tionner et disposer d'elles comme de simples automates. H y a là, certainement, un danger pour la liberté humaine, danger qui grandit avec la répétition des expériences. Quand une personne a été souvent endormie, on peut l'endormir à son insu de plusieurs façons différentes: d'abord, pendant son sommeil naturel, en pressant légèrement sur ses yeux; puis, à l'état de veille, si elle est hystérique, en la surprenant par une excitation forte, un coup de gong, un rayon électrique, ou tout simplement un geste brusque. On a rapporté à ce sujet quelques anecdotes curieuses: une hystérique qui écoute la musique militaire est frappée de catalepsie en entendant le bruit des cuivres; une autre est endormie par l'aboiement d'un chien; une autre qui a des points hypno- géniques aux jambes s'endort en mettant ses bas. Mais supposons que le sujet soit averti qu'on va l'endormir, et qu'il ait le désir de résister. A quoi servira cette résistance? Quelquefois à rien, et, malgré ses protestations bruyantes, il ne tarde pas à se soumettre à l'autorité que l'expérimentateur a acquise sur lui. Mais il y a des jours où le sujet s'est suggéré qu'il ne dormira pas, et alors l'expérimentateur se heurte contre une idée fixe qu'il est inca pable de modifier; le gong, la lumière électrique ne produi sent aucun effet; la pression oculaire, continuée pendant des heures, n'amène d'autre résultat qu'une attaque convulsive. On peut développer artificiellement ces idées fixes qui mettent un obstacle à peu près absolu à toutes les tentatives d'hypnotisation. Les malades le savent bien; parfois, désirant ne pas être endormies par tel individu, elles se font endormir et suggestionner par leurs compagnes. Les expérimentateurs se sont quelquefois servis du même moyen; et il faut voir un simple effet de suggestion dans les boites et talismans qu'on a remis aux malades, en leur affirmant que, tant qu'ils porteront ces objets sur eux, nul ne pourra les endormir. Quant aux personnes qui n'ont jamais été endormies, peuvent-elles résister toujours avec avantage à l'individu qui voudrait les endormir de force? Quelques auteurs ont dit: « Un individu peut empêcher qu'on l'hypnotise, s'il résiste. > Celte naïveté rappelle un peu le mot de certains philosophes: « Je suis libre de faire ceci ou cela, si je le veux. » Le tout est de savoir ce que le sujet peut déployer de résistance et de volonté. Il ne faut pas croire que la résistance morale, parce qu'elle est une fonction psychi que, représente une quantité égale chez tous les hommes; loin de là, elle varie d'une personne à l'autre autant que la force musculaire. Aussi ne peut-on pas faire une réponse unique à la question posée. Quand une personne n'a jamais été hypnotisée et n'est pas très sensible à l'hypnotisme, son consentement et même sa bonne volonté sont tout à fait nécessaires au succès de l'opération; on ne pourrait probablement pas l'endormir malgré elle. Mais d'autres personnes, en plus petit nombre, sont hypntisables au plus haut degré; celles-là offrent nécessairement moins de résistance; elles peuvent être surprises pendant le sommeil naturel et hypnotisées par la pression oculaire; à l'état de veille, il serait possible de les intimider, de les capter, et même, sans les endormir, de leur donner les suggestions les plus dangereuses (i). C'est à elles de veiller sur leur sécurité. Il est inutile de chercher à atténuer la gravité de ce fait. |