CHAPITRE V Symptômes de l'hypnose. Le sommeil hypnotique, quel que soit le procédé par lequel il ait été obtenu, se présente sous des aspects très divers; tantôt il se distingue par des caractères somatiques très nets; c'est alors le grand hypnotisme; tantôt il ne diffère guère du sommeil naturel et on peut le désigner sous le nom de petit hypnotisme ou hypnose fruste. Depuis le sommeil naturel jusqu'à l'hypnose la plus profonde, il est possible d'établir une chaîne non interrompue d'états intermédiaires souvent difficiles à distinguer les uns des autres. La diversité des faits qui montrent cette gradation des états hypnotiques rend compte des discussions qui s'élèvent chaque jour et sont loin de s'épuiser. Chaque observateur, décrivant en toute sincérité le sujet qu'il a sous les yeux, se croit en posses sion de toute la vérité et se laisse aller à douter des phénomènes qu'il ne retrouve point; souvent même il les nie, contribuant ainsi à entretenir un scepticisme absolu chez ceux qui n'observent point directement. Sans vouloir faire une étude critique de ces divergences, nous croyons qu'on peut les rapporter à deux causes principales: 1° l'état différent des malades qui servent aux expériences; 2° la nature variable des excitations par lesquelles on provoque chez ces malades les phénomènes de l'hypnose. Si l'École de la Salpê- tière est parvenue à des résultats qui concordent non seulement entre eux, mais avec ceux d'autres expérimentateurs (Tamburini et Seppiii, etc. ), c'est qu'elle a eu soin de déterminer avec la der nière précision les conditions somatiques de ses sujets et la nature de ses procédés opératoires. Ces deux points renferment toute la méthode que M. Paul Richer (i) a résumée dans les propositions suivantes: 1° Choisir comme matière de l'expérimentation des sujets dont les conditions physiologiques et pathologiques parfaitement connues soient les mêmes; 2° Soumettre les diverses conditions expérimentales à un déterminisme rigoureux; 3° Procéder du simple au composé, du connu à l'inconnu. 4° Se mettre en garde contre la simulation; 5° S'attacher surtout aux cas simples, c'est-à-dire à ceux dans lesquels les différents phénomènes apparaissent avec le plus de netteté et plus isolés les uns des autres; 6° Rechercher suivant la méthode des nosographes à classer ses divers phénomènes en séries naturelles, de façon à établir, dans ce grand groupe des faits réunis sous le nom d'hypnotisme, plusieurs subdivisions. Nous accorderons dans notre description la première place à l 'hynose hystérique, qui non seulement par son importance histo rique, mais encore par la netteté de ses divisions et l'intensité de ses symptômes, mérite de servir d'introduction à une étude géné rale de l'hypnotisme. Nous ferons la description isolée de chacun des symptômes hypnotiques, en commençant par les phénomènes neuro-musculaires, qui se révèlent par des signes plus objectifs, et en quelque sorte plus grossiers que les autres; puis, remplaçant l'analyse par la synthèse, nous présenterons le tableau des divers états nerveux désignés par M. Charcot sous les noms de léthargie, de catalepsie et de somnambulisme ; à ce propos, nous aurons à déterminer la valeur de ces périodes hypnotiques, au sujet des quelles tant de discussions se sont élevées. Enfin, nous ferons suivre l'étude du grand hypnotisme par celle des formes frustes; nous nous efforcerons de faire une place suivant leur importance à tous ces états divers et de les rattacher les uns aux autres pour arriver à montrer comment les phénomènes de l'hypnotisme sont reliés aux phénomènes physiolo giques. Pour nous, en effet, l'étude de l'hypnotisme ne doit pas être considérée isolément, elle n'offre pas seulement un attrait de curiosité, elle est surtout importante en ce qu'elle permet d'étu dier sur l'homme les processus physiologiques et en particulier les fonctions cérébrales, et elle est appelée à jouer un rôle considé rable en psychologie. Mais nous n'avons pas l'intention de nous engager, à la suite des auteurs allemands, dans la discussion des théories sur le mécanisme du sommeil nerveux; ces théories, qu'elles soient physiques, chimiques ou physiologiques, ne sont étayées par aucune expérience solide, et nous paraissent constituer, jusqu'à nouvel ordre, la métaphysique de l'hypnose. Nous essayerons de donner aux descriptions qui vont suivre les caractères d'une étude purement symptomatique. HYPEREXCITABILITÉ NEURO-MUSCULAIRE Définition. — Excitation des muscles. — Cet important phénomène constitue, pour M. Charcot et ses élèves, le caractère dominant de la léthargie. Le malade en léthargie parait dormir du sommeil le plus pro fond; les yeux sont clos ou demi-clos, les paupières frémissantes; la figure est impassible et n'exprime rien. Le corps est complète ment affaissé, la tête est renversée en arrière, les membres sont pendants et flasques, et quand, après les avoir soulevés, on les abandonne, ils retombent lourdement. Mais l'examen des muscles de la vie animale montre qu'ils ont acquis la propriété de se contracter sous l'influence d'une excita tion mécanique directe, et même de se contracturer, c'est-à-dire, après s'être contractés, de garder fixement la position acquise. C'est là le phénomène désigné par M. Charcot sous le nom d'hy- perexcitabilité neuro-musculaire (1). Une manœuvre très simple suffit à le mettre en jeu. Par exemple, si l'on malaxe les muscles de la face antérieure de l'avant-bras, le membre se contracture en flexion; si on excite l'éminence thénar, le pouce se porte dans la paume de la main; si on excite les muscles de la face, ceux, par exemple, qui se rendent de l'os de la pommette à la commissure des lèvres, on voit cette commissure se porter en haut et en dehors. On peut dire que tous les muscles striés peuvent répondre de même aux excitations mécaniques, sans excepter ceux qui ne se contractent pas d'ordinaire sous l'influence de la volonté, comme les muscles du pavillon de l'oreille. Les muscles abdominaux et t horaciques ne font pas exception à cette règle: aussi est-il pru dent de ne pas s'aventurer dans des expérimentations, de ce genre sur les hypnotiques, sans avoir des connaissances précises en anatomie et en physiologie: il est arrivé à des expérimenta teurs maladroits de produire des phénomènes inquiétants par le simple attouchement du larynx ou des insertions du dia phragme. Pour provoquer les contractures léthargiques, il faut en général une excitation mécanique qui dépasse les limites de la peau, et porte, soit directement sur les muscles, soit sur les tendons, soit sur les nerfs. Quand au mode d'excitation, il est très divers; dans la plupart des cas, on peut employer avec un égal succès la friction, la pres sion, le choc, le massage. Ces manœuvres peuvent être faites indifféremment avec la main ou un corps inerte. L'application d'un aimant à distance sur un groupe musculaire produit les mêmes effets que l'excitation mécanique directe, mais avec plus d'éner gie et plus de diffusion (i). Enfin, l'intensité de l'excitation a quelque importance, car l'excitation légère produit une contraction, et une excitation plus forte la contracture. Excitation des muscles de la face. — Les muscles de la face, pendant la léthargie avec hyperexcitabilité neuro-musculaire, se comportent autrement que les autres muscles du corps. On peut les faire contracter en excitant mécaniquement le nerf qui les anime, par exemple le nerf facial au sortir de la parotide, ou le corps même du muscle; mais la contraction ne se trans forme pas en contracture permanente; elle cesse en général avec la pression; et même, si l'on continue quelque temps l'excitation, l'action s'épuise et le muscle se relâche. Pour fixer la contraction des muscles de la face pendant la léthar gie, l'un de nous a imaginé de découvrir les yeux de la malade au moment où la contraction vient d'être obtenue; la malade est aussitôt rendue cataleptique et la contraction du muscle excité persiste pendant un certain temps. Il est possible de faire contracter isolément un grand nombre de muscles, tels que le frontal, le myrtiforme, le triangulaire des lèvres, ou bien de faire contracter plusieurs muscles à la fois, de façon à obtenir ce que Duchenne (de Boulogne) appelait des con tractions combinées expressives. Avec le doigt ou un petit bâton à extrémité arrondie, on reproduit sur la face d'un sujet plongé en léthargie toutes les belles expériences que faisait Duchenne sur des sujets éveillés au moyen de l'électricité. Ces études, qui ont été poursuivies avec une grande précision par MM. Charcot et R icher (1), permettent d'établir expérimentalement la part qui revient à chaque muscle dans l'expression des passions. En effet, sauf quelques exceptions, l'action musculaire due à l'hyperexcitabilité reste exactement localisée au muscle qu'on a directement excité; l'action de ce muscle n'entraîne pas celle des autres muscles qui lui sont habituellement associés pour rendre une expression émotionnelle. Far exemple, en appuyant le doigt ou l'extrémité mousse d'un crayon sur le point moteur du grand z ygomatique, on parvient à faire contracter ce muscle isolément, ce qui donne l'expression du rire faux; il faudrait, pour obtenir le rire franc, faire l'excitation simultanée du muscle orbiculaire palpébral inférieur. Enfin, l'hyperexcitabilité des muscles de la face permet de mettre en mouvement des muscles qui échappent généralement à l'action de la volonté, par exemple ceux du pavillon de l'oreille. Mais ce n'est pas seulement en agissant sur le corps charnu des muscles que l'on peut provoquer leur contraction; l'excita tion mécanique de leurs prolongements fibreux, de leurs tendons produit le même effet. Excitation des tendons. — Les effets de l'excitation des ten dons sont surtout bien marqués au genou. Si, chez un individu normal, on frappe sur le tendon rotulien, le muscle triceps de la cuisse se contracte, ce qui provoque une courte secousse dans le membre avec extension de la jambe. Les hystériques présentent de veille une exagération de ce réflexe tendineux, Mais dans la léthargie provoquée, on constate quelques caractères nouveaux; d'abord une diffusion du réflexe qui se traduit par une secousse généralisée à toute la moitié correspondante du corps, et ensuite une tendance marquée à la contracture. Excitation des nerfs. — L'excitation mécanique des troncs nerveux périphériques est surtout intéressante par ce fait qu'elle produit la contracture de tous les muscles tributaires du nerf excité. Il en résulte que le membre sur lequel on expérimente prend une attitude caractéristique, qui est déterminée par la distribution spéciale des rameaux du nerf excité dans les mus cles de la région. On a dit que l'hyperexcitabilité neuro-muscu laire constitue une démonstration anatomique de la réalité du sommeil nerveux; il est certain du moins que ce phénomène ne peut pas être simulé, même par des sujets munis d'une instruc tion anatomique solide. Les nerfs du membre supérieur, qui sont facilement accessibles à l'excitation mécanique, sont choisis en général pour la démon stration de cette propriété neuro-musculaire de la léthargie. ' Le nerf cubital peut être fasilement atteint dans la région du coude. Fig. 1. — Griffe cubitale; (d'aprés MM. Charcot et Richer). au fond de la gouttière formée par l'olécrane et l'épitrochlée. Si on exerce en ce point une pression mécanique avec le doigt, on voit aussitôt la main du sujet se contracturer dans l'attitude représentée par la ligure. C'est la griffe cubitale. (Fig. 1. ) Les caractères fondamentaux de cette griffe, qui présente quelques variations secondaires d'un sujet à l'autre, sont la flexion des deux derniers doigts, l'adduction du pouce, l'extension et l'écartement de l'index et du médius. L'analyse de cette attitude montre qu'elle est en accord parfait avec nos connaissances anato- miques et physiologiques. En effet, d'une part l'anatomie nous enseigne quelle est la distribution du nerf cubital à l'avant-bras et à la main; de plus, la physiologie nous apprend quelle est l'action partielle de chacun des muscles innervés par le nerf cubital. En combinant ces deux données, on peut en déduire rigoureusement l'attitude que doit prendre la main sous l'action combinée de tous les muscles en cause. Or, l'attitude déduite par raisonnement est conforme à l'attitude créée pendant la léthargie par l'excitation directe du nerf. On peut encore trouver un con trôle dans la faradisation localisée. Chez les individus sains, l'excitation faradique des troncs nerveux donne les mêmes résultats que l'excitation mécanique chez les sujets en léthargie. | | Fig. 2. — Griffe médiane. Fig. 3. — Griffe radiale (D'après MM. Charcot et nicher). La griffe médiane, qu'on provoque par l'excitation du nerf médian le long du bord interne du biceps, consiste dans la contracture en flexion de tous les segments du membre; l'avant-bras se met en pronation forcée, le poignet se fléchit et la main se ferme. (Fig. 2. ) La griffe radiale, qui est en quelque sorte l'inverse de la pré cédante, se compose de la supination de l'avant-bras, de l'extension du poignet et de tous les doigts. On provoque cette griffe par l'excitation du nerf radial au sortir de la gouttière de torsion de l'humérus. (Fig. 3. ) MM. Berger et Heidenhain sont arrivés, par l'excitation méca nique des nerfs spinaux, à produire des mouvements dans les membres correspondants. Nous présenterons une simple remarque au sujet de la localisation de la contracture, provoquée par excitation du nerf. Dans le cas de la griffe cubitale, la main se trouve immobilisée dans une sorte d'attitude hiératique; en réalité, les muscles desservis par le nerf cubital ne sont pas les seuls atteints; leurs anta gonistes aussi sont dans un état de tension manifeste; on peut dire que tous les muscles de la main sont pris. La griffe cubitale n'en possède pas moins une forme caractéristique, permettant de la distinguer des griffes médiane et radiale que nous avons dé crites; cela tient à ce que dans cette synergie des muscles de la main, ce sont les muscles innervés par le cubital qui, seuls, donnent à la main une attitude caractéristique; les autres muscles n'entrent en jeu que pour immobiliser le résultat; leur contraction est peut-être due à l'excitation qui résulte du tiraillement de leurs fibres par l'allongement brusque. Excitation galvanique du crâne. — C'est à une hyper- excitabilité que l'on peut rapprocher de l'hyperexcitabilité neuro-musculaire qu'il faut rapporter les phénomènes produits par l'excitation galvanique du crâne chez les sujets en lé thargie. M. Charcot a observé qu'en appliquant an courant galvanique sur la voûte du crâne pendant la léthargie, on peut provoquer dans le corps du sujet des secousses musculaires très énergiques. On place le tampon positif sur le crâne, au niveau des régions motrices, et le tampon négatif sur le sternum, ou bien sur le crâne en avant ou en arrière de l'oreille. On interrompt ensuite le courant; à l'ouverture et surtout à la fermeture, il se produit une secousse très nette dans le côté opposé du corps et de la face. Chez d'autres malades, le mouvement se produit dans les deux moitiés du corps, avec use prédominance marquée du côté où les électrodes sont appliqués. La m ê me expérience ayant été recommencée chez les sujets pendant l'état de veille, l'on a constaté des résultats variables. Citez les uns, l'excitation galvanique n'a rien donné; chez les autres, elle a produit les mêmes effets que pendant la léthargie (1). Caractères de la contracture léthargique. — La contracture léthargique présente quelques caractères qui la distinguent nette ment d'une contraction volontaire et permettraient, au besoin, de s'assurer que le sujet ne simule pas. Des expériences de contrôle ont été faites sur des sujets sains et vigoureux, qui prenaient volontairement des attitudes sem blables à celles de la contracture léthargique, et voici ce qui résulte de cette comparaison. Sous l'influence d'une traction con tinue, le membre contracturé d'un sujet léthargique cède par degrés, comme le membre raidi par la volonté. A ce point de vue, ressemblance parfaite; mais les tracés myographiques et cardiographiques révèlent de curieuses différences. Chez le simu lateur, le tremblement du membre et l'irrégularité de la respi ration ne tardent pas à trahir l'effort volontaire; chez l'hyp notique, le rythme respiratoire ne varie pas, et la chute du membre contracturé s'opère lentement, sans la moindre secousse. D'après MM. Charcot et Richer, lorsqu'on excite un groupe de muscles, pendant la léthargie, et qu'on met en même temps obstacle au mouvement du membre dans la direction des muscles excités, l'excitation se propage dans les muscles antagonistes. Par exemple, si, pendant qu'on excite les extenseurs des doigts, on maintient la main dans une demi-flexion, la flexion est bientôt rendue plus accentuée par la contraction des fléchisseurs, quoique l'excitation soit limitée aux extenseurs. Nous avons vu plus haut un fait analogue; l'attitude provenant d'une contracture léthargique ne dépend pas seulement des muscles excités, mais aussi des antagonistes. Il semble permis de poser comme une règle de l'innervation motrice que l'antagoniste prend une part de l'exci tation appliquée à n'importe quel muscle. Dans les circonstances ordinaires, cette contraction de l'antagoniste n'a qu'une fonction régulatrice; mais elle peut devenir prépondérante si l'effet de la contraction directe est arrêtée par un moyen quelconque (2). Si on abandonne la contracture à elle-même, on la voit per sister pendant toute la durée de la léthargie; chez quelques malades, le passage à un autre état du sommeil, ou le réveil rompent la contracture; d'autres, même réveillés, gardent leur contracture un temps indéfini. Pour mettre un terme à cet état, il fout que l'expérimentateur plonge de nouveau le sujet en léthar gie, et procède à l'excitation des muscles antagonistes. En effet, la friction ou la malaxation des muscles antagonistes résout très rapidement les contractures de la léthargie. A-t-on produit une contracture des doigts en flexion, l'excitation des fléchisseurs sur le dos de la main la fait aussitôt disparaître. A-t-on excité le muscle sterno-mastoidien, et a-t-on déterminé la rotation de la tête du côté opposé, l'excitation du muscle homo logue ramènera la tête dans sa position primitive. Cette action des antagonistes est un des caractères propres à la contracture du type léthargique. Nous signalerons encore on phénomène intéressant qui mérite de figurer dans l'histoire de l'hyperexcitabilité neuro-musculaire. M. Westphal a décrit, sous le nom de contraction paradoxale, an phénomène qui consiste en ce que lorsqu'on imprime au pied, par exemple, un mouvement énergique et brusque de flexion dorsale, le muscle tibial antérieur se contracte en produisant l'adduction et un certain degré de flexion dorsale du pied qui reste fixé dans cette position. M. Charcot a montré que ce phéno mène se présente à un haut degré chez les hyperexcitables. Si, au lieu de fléchir brusquement le membre, on le met doucement dans la même position, et que l'on excite mécaniquement les muscles extenseurs, le membre reste fixé en contracture dans la flexion. L'excitation des extenseurs se réfléchit sur les fléchisseurs qui répondent en entrant en contracture; M. Erlenmeyer a proposé, avec juste raison, de substituer à l'expression de contraction paradoxale, celle de contracture par distension des antago nistes. Ce phénomène qui se montre au plus haut degré chez les hystériques et chez les léthargiques hyperexcitables explique comment certains de ces sujets conservent les positions qui résultent d'un effort brusque, comment un sujet qui vient de lancer une pierre ou de donner un soufflet peut rester le brus tendu en contracture (1). L'action des esthésiogènes sur la contracture léthargique érite une courte mention. Chez les malades qui sont sensibles à l'aimant, on peut produire avec cet agent le transfert des con tractures unilatérales; ainsi, quand on a provoqué une griffe cubitale à droite, si on approche l'aimant de l'avant-bras de la malade endormie, ou même réveillée, on voit bientôt ses deux mains s'agiter de petits mouvements saccadés, puis la con tracture qui était à droite disparaît et vient s'emparer de la main gauche où elle est transférée, sans rien perdre de ses carac tères et de la précision de sa localisation. Divers autres agents, tels que le diapason en vibration, les métaux et l'électricité sous toutes ses formes, peuvent être employés pour opérer le tran sfert (1). A l'expérience du transfert se rattachent quelques phénomènes intéressants. Si on arrête la circulation dans un membre en le comprimant circulairement de son extrémité vers sa racine par l'application de la bande élastique d'Esmarch, l'excitation mécanique de ce membre anémié ne produit plus de contrac ture; ou plutôt elle produit une contracture latente, qu'aucun signe ne traduit au dehors, mais qui se manifeste avec le retour de la circulation (2). En effet, si la bande est enlevée, on voit le membre se contracturer à mesure qu'il se colore. L'aimant appliqué au membre anémié transfère la contracture latente au membre sain, où elle devient aussitôt visible (Charcot et nicher). Nous avons constaté un phénomène qui mérite d'être rapproché du précédent. Quand une malade en léthargie est placée dans le champ d'influence d'un aimant, si on vient à exciter mécanique ment la main ou le bras du sujet, la contracture ne se montre pas dans le muscle excité directement, mais au point symétrique de l'autre bras. Lorsqu'on fait agir l'aimant sur une contracture bilatérale et symétrique, comme deux griffes radiales ou cubitales, il ne se produit pas de transfert, mais un autre phénomène auquel nous avons proposé de donner le nom de polarisation (3). Sous l'influence de l'aimantation, les deux mains du sujet, atteintes de la contracture, commencent par présenter de petites oscillations irrégulières et rapides, auxquelles succèdent des mouve ments plus étendus, puis une véritable décharge convulsive, et finalement les deux contractures disparaissent à peu près en même temps. On peut, d'après MM. Tamburini et Seppili, supprimer l'hyper- excitabilité neuro-musculaire dans un membre par l'application d'eau froide ou de glace. L'hyperexcitabilité neuro-musculaire, pas plus qu'un autre symptôme pathologique, ne se présente avec le même degré de développement chez toutes les malades. Les unes n'ont qu'une exagération des réflexes tendineux sans tendance à la contracture: chez d'autres, les contractures peuvent se manifester, mais sans qu'aucune localisation précise soit possible. Enfin, fait singulier qui montre la parenté de l'état de veille de certains sujets avec l'état de sommeil, et les symptômes communs de l'hypnose et de l'hystérie, on trouve de nombreuses hystériques chez lesquelles on provoque facilement des contractures pendant la veille, en malaxant les muscles ou en pressant sur les nerfs, ou en percutant les tendons. Ces contractures de la veille sont bien de même nature que celles du type léthargique, car elles cèdent à l'ex citation des antagonistes, et sont transférables par l'aimant; quel- quefois elles ont la même intensité et la même précision. De nom breux auteurs, Charcot et Richer (1), Brissaud et Richet (2), Heidenhain, Tamburini et Seppili (3), etc., ont observé cette perma nence de l'hyperexcitabilité pendant la veille. Chez bon nombre d'hystériques, on peut provoquer à l'état de veille, par la pres sion digitale des nerfs, des griffes médianes, radiales et cubitales qui ressemblent parfaitement à celles de la léthargie, sauf sur un point: c'est qu'elles sont souvent douloureuses. Il faut conclure de ces faits que pour un certain nombre de malades au moins l'aptitude aux contractures n'est pas un symptôme spécial de la léthargie, et ne peut servir à démontrer la réalité de cet état. De quelle nature sont les contractures provoquées, grâce à l'hyperexitabilité musculaire ? Nous les rattacherons aux phénomènes réflexes, sans avoir pour cela la prétention de jeter une vive lumière sur la question. Alors même qu'on porte directe ment l'excitation sur le centre d'un muscle, la contracture qui en résulte est produite par un stimulus qui a suivi l'arc diastal- tique formé par les nerfs sensitifs, les centres nerveux et les nerfs moteurs. Ce qui le prouve le mieux, c'est l'action inhibitoire que les muscles antagonistes exercent sur la contracture, alors même qu'ils sont situés, comme les deux sterno-mastoidiens, de part et d'autre de la ligne médiane. II s'agit là d'une sorte d'in terférence qui ne peut se produire que dans les centres nerveux, dans le cerveau ou dans la moelle. Certains poisons du système nerveux central peuvent aussi servir à montrer, en l'abolissant, le rôle des centres nerveux dans l'hyperexcitabilité neuro-mus culaire. Si on soumet une hypnotique à des inhalations d'éther on de chloroforme, il arrive un moment où toute trace d'hyper- excitabilité disparaît, et où l'excitation mécanique des muscles et des nerfs moteurs reste sans effet (P. Richer). En résumé, l'hyperexcitabilité neuro-musculaire constitue le caractère objectif le plus important de l'état hypnotique désigné sous le nom de léthargie; il se manifeste par une exagé ration des réactions aux excitations mécaniques portant sur les muscles, sur les nerfs ou même sur les autres centres nerveux. Il n'est pas douteux toutefois que les mêmes réactions peuvent se produire chez certains léthargiques sous l'influence d'excitations superficielles de la peau ou d'excitations des os au voisinage des insertions musculaires. Il ne faut pas s'étonner de les rencontrer quelquefois chez des hypnotiques dans d'autres états; nous avons déjà, d'ailleurs, fait remarquer que l'hyperexcitabilité neuro-musculaire peut se présenter chez certaines hystériques en dehors de l'hypnotisme. A des degrés faibles, c'est-à-dire réduite à une simple exagération des réflexes normaux, l'hyper excitabilité neuro-musculaire appartient aussi à d'autres états pathologiques du système nerveux qui peuvent préexister chez le sujet, et que par conséquent il faut connaître pour être en mesure de déterminer en connaissance de cause la valeur de ce phénomène. II PLASTICITÉ CATALEPTIQUE Le trait le plus saillant de l'état cataleptique, c'est l'immobilité. Le sujet garde toutes les attitudes que l'on imprime à ses membres et à son corps. Les membres soulevés ou fléchis par l'observateur présentent une grande légèreté; ils ne sont le siège d'aucune résistance. Les yeux sont largement ouverts, le regard est fixe, la physionomie impassible. Cet ensemble de phénomènes donne à la cataleptique un aspect qu'il suffit de voir une fois pour ne jamais l'oublier. La conservation des poses communiquées n'est pas indéfinie, comme l'ont prétendu certains auteurs. Les cataleptiques ne Fig. 4. — Schéma de la disposition dans les expériences sur l'immobilité cataleptique R. Tambour à réaction de Marey. P. Pncumographe. C. Cylindre tournant. TT. Tambours à levier. (D'après M. Charcot. Leçons sur les maladies du systéme nerveux, t. III . ) gardent pas les attitudes forcées au delà de dix à quinze minutes; un homme vigoureux pourrait en faire autant. Le caractère distinctif des attitudes cataleptiques doit être cherché ailleurs-Sur le simulateur et sur la cataleptique, si on applique: 1° un tambour sur le bras étendu, pour enregistrer les moindres oscillations du membre; 2 ° un pneumographe sur la poitrine, pour obtenir la courbe de» mouvements respiratoires (fig. 4), voici ce que l'on constate: le membre cataleptisé ne tremble pas; il descend lentement, sans secousses, et la plume de l'appareil de Marey trace sur le cylindre une ligne droite parfaitement Fig. 5. — Schéma des tracés obtenu» sur une hystéro-epileptique en état de cata lepsie hypnotique. (D'après M. Charcot). — I. Tracés de la respiration. — II. Tracés des oscillations du membre. régulière (fig. 5, II). En même temps, le tracé respiratoire conserve le même caractère calme et superficiel pendant toute la durée de l'expérience (fig. 5, I). Au contraire, l'individu qui essaye de maintenir volontairement une attitude ne tarde pas fatiguer, sa main tremble (fig, 6, II); sa respiration, d'abord calme, se précipite, devient irrégulière (fig, 6, I), Les deux tracés sont, marqués d'oscillations brusques qui indiquent la fatigue musculaire et les efforts destinés à es masquer les effets. Fig. 6. — Schema des traces obtenus chez, un homme ??????? qui essaye de main- tenir l'attitude cataleptique. (D'aprés M. Charcot). — I. Tracés de la respiration — II Tracés des oscillation» du membre étendu. Les expérimentateurs de la Salpêtri è re se sont attachés à défi nir les caractères de la catalepsie vraie, afin de l'opposer aux fausses catalepsies, ou états cataleptoides qu'on rencontre pen dant d'autres phases de l'hypnotisme. Lorsqu'on soulève le membre d'une malade en léthargie ou en somnambulisme et qu'on le maintient un peu avant de l'abandonner à lui-même, il reste dans la position qu'on vient de lui communiquer; à pre mière vue, on dirait que c'est de la catalepsie; mais la vérité est que, dans cette manœuvre, on a excité les muscles du bras, et ils se sont contracturés in situ. Le membre n'est pas cata leptique, il est en contracture; en effet, la friction et le massage du muscle le font aussitôt tomber en résolution; de plus, il oppose une certaine résistance aux changements d'attitude: deux caractères qui n'appartiennent pas à la catalepsie vraie. En effet, chez les grands hypnotiques, on ne rencontre pas de contractures pendant la catalepsie. Si on exerce une pression prolongée sur les muscles, les nerfs ou les tendons, on réussit seulement à produire le relâchement musculaire, et finalement, la paralysie. L'étude de la paralysie cataleptique appartient tout en tière à M. Richer (1). Il a montré que le muscle paralysé, ayant perdu sa tonicité, s'allonge, laissant aux antagonistes un rôle prépondérant. C'est ainsi que si on excite les fléchisseurs, le membre se porte dans l'extension. Aussi l'attitude cataleptique est-elle exactement l'inverse de l'attitude léthargique produite par l'excitation du même point moteur. Seulement, comme il ne s'agit pas de contracture, la nouvelle attitude n'est maintenue par aucune raideur. La faradisation localisée détruit rapidement la paralysie cataleptique, quand elle persiste après le réveil. L'excitation des antagonistes et la suggestion ne la modifient que difficilement. L'aimant et d'autres agents esthésiogènes peuvent opérer le transfert des attitudes cataleptiques (2). Une malade est assise près d'une table où on a placé un aimant; le coude gauche repose sur le bras du fauteuil, lavant-bras et la main sont relevés verticalement, le pouce et l'index sont étendus, les autres doigts sont dans la demi-flexion. A droite, l'avant-bras et la main sont étendus sur la table: l'aimant est sous un linge, à 5 centimètres environ. Au bout de deux minutes, l'index droit commence à trembler et à se lever; à gauche, les doigts étendus se fléchissent et la main reste on instant flasque. La main droite et l'avant-bras se lèvent et se placent dans la position primitive de la main gauche, qui s'étend sur le bras du fauteuil avec la mollesse cireuse propre à l'état cataleptique. Il est possible de limiter la catalepsie a use moitié du corps. Cette expérience classique a été imaginée dès 1878, par M. Des- courtis, à la Salpêtrière (1). On sait que dans la catalepsie les yeux sont largement ouverts; si on ferme les yeux de la catalep tique, on la fait tomber en léthargie: si on ne ferme qu'un seul œil, par exemple le droit, en maintenant l'autre ouvert, il se produit un état mixte; la catalepsie continue à affecter le côté droit, tandis que le côté gauche acquiert tous les caractères de la léthargie. A droite, te membre soulevé garde la position qu'on lui donne; à gauche, il retombe lourdement. A droite, l'excitation mécanique ne réussit à provoquer ni réflexe, ni contracture; à gauche, l'excitation provoque immédiatement une contracture intense. On peut également combiner la catalepsie au somnambulisme, en plaçant d'abord la malade en léthargie, puis en agissant sur son vertex d'un côté, et en ouvrant l'œil de l'autre côte (2). L'aimant provoque le transfert de tous ces états dimidiés. Le transfert de l'hémicatalepsie associée à l'hémiléthargie présente an trait particulier: à la fin de l'expérience, l'œil reste ouvert du côté qui est devenu léthargique, et inversement l'œil reste fermé du côté qui est devenu cataleptique. Ainsi, on peut obtenir, chez un sujet type, par le moyen détourné du transfert, une hémicata lepsie avec l'œil fermé, et une hemiléthargie avec l'œil ouvert (3). Les attitudes cataleptiques présentent un certain nombre de caractères que nous retrouverons plus tard, en faisant l'histoire des suggestions. Braid a signalé le premier l'harmonie constante qui règne entre l'attitude corporelle et l'expression de la physio nomie. H faut noter aussi l'alternance qui existe dans la catalepsie entre les attitudes et les manifestations intellectuelles. Quand on donne par exemple une hallucination à la cataleptique, les attitudes fixes, artificiellement imprimées au membre, font place à des mouvements complexes et parfaitement coordonnés, en rapport avec l'objet de la suggestion. Le sujet ressemble à une statue qui s'anime. Bientôt la suggestion s'épuise, l'hallucination perd de sa force et prend fin, et le sujet abandonné à lui-m ê me s'immobilise de nouveau dans une attitude cataleptique. Cette sorte de balancement entre le trouble psychique et le trouble moteur est la règle de la catalepsie. HYPEREXCITABILTÉ CUTANO-MUSCULAITRE Nous avons vu qu'on peut provoquer pendant la léthargie des contractures énergiques en excitant mécaniquement les nerfs, ou les tendons ou le corps même des muscles et quelquefois aussi par l'excitation de la peau. On rencontre dans l'état de somnam bulisme, chez les grandes hystériques, une contracture qui parait être d'une autre espèce; elle s'en distingue et par le mode d'excitation et par le mode de résolution. Le point de départ de la contracture somnambulique parait être dans la peau, qui acquiert une impressionnabilité exquise; on la provoque en employant de très légères excitations superficielles, comme le frôlement, l'effleurement des poils, le souffle buccal, ou l'agitation de la main à distance, produisant un léger courant d'air, peut-être aussi une simple excitation psychique. 11 y a là un contraste avec la contracture léthargique, qui résulte générale ment d'une excitation profonde. Cette première différence en en traîne une seconde; produite par une excitation cutanée diffuse, la contracture somnambulique reste diffuse, et quoiqu'on puisse la limiter à un segment de membre, elle n'a rien de la localisation en quelque sorte anatomique de la contracture léthargique. Au contraire, d'après les observations de Heidenhain et de Dumont- pallier, elle gagne de proche en proche des parties qui n'ont pas été excitées. Mais le meilleur moyen d'isoler ces deux espèces de contractures, au moins dans les cas types de grand hypnotisme, c'est le mode de résolution. L'excitation des antagonistes, qui supprime instantanément la contracture de la léthargie, ne fait rien sur celle du somnambulisme; on ne la détruit qu'en renou velant pendant quelques instants l'excitation cutanée qui lui a donné naissance. On a signalé aussi d'autres différences, mais elles sont moins constantes que les précédentes. On a dit que la contracture léthargique seule est transférée par l'aimant; nous avons cependant réussi à transférer également la seconde espèce de contracture chez les somnambules. L'aptitude à la contracture par excitation cutanée est en gé néral répandue sur toute la surface du corps. Hais il est pos sible de la limiter à une région déterminée, en excitant de diverses façons les téguments du crâne (1). Nous verrons plus loin, en faisant l'histoire des différents états, que si, pendant qu'une grande hypnotique est en léthargie ou en catalepsie, on fait la friction du vertes, le sujet entre en somnambulisme total, et toutes les parties de son corps acquièrent l'aptitude aux con tractures cutanées. Si on fait la friction latéralement, sur un seulcôté de la tête, on provoque un hémisomnambulisme, loca lisé au côté du corps correspondant; l'autre moitié ne change pas d'état; on a ainsi un hémisomnambulisme associé à l'hémi- léthargie ou à l'hémicatalepsie. Si enfin, au lieu de faire une fric tion étendue du vertex, on pratique une forte pression avec le doigt, ou un corps mousse, sur certains points du cuir chevelu qui semblent en rapport avec les centres moteurs, on détermine le somnambulisme partiel du membre dont le centre moteur parait avoir été impressionné. On peut ainsi somnambuliser isolément une moitié de la face, un bras, une jambe, ou les deux bras, les deux jambes, la totalité de la face. Il est même possible de déterminer le somnambulisme isolé de la partie supérieure de la race en excitant un point du crâne situé au-dessus d'une ligne horizontale, passant par l'arcade sourcilière, et en arrière d'une ligne verticale passant en arrière de l'apophyse mastoide, etc. L'excitation isolée et successive de ces divers points donne un état de somnambulisme partiel généralisé, dans lequel le sujet parle, entend et reçoit des hallucinations. Par leur précision, ces expériences sont à l'abri de la fraude; car elles consistent dans une disparition locale du phénomène de l'hyperexcitabilité neuro-musculaire, qui appartient à la léthargie; or ce phénomène ne s'imite pas; le sujet ne peut ni le provoquer ai le supprimer selon son caprice. Mais nons ne croyons pas possible d'interpréter ces expériences, et de dire si elles sont une confirmation des localisations cérébrales, ou si elles s'expliquent par l'existence de zones réflexogènes; cette der nière interprétation nous parait toutefois plus vraisemblable. On rencontre, en effet, chez les sujets hystériques hypnotisés, beaucoup de zones dont l'excitation agit à distance par voie réflexe: d'abord les zones hystérogènes dont la compression provoque l'attaque d'hystérie et l'arrête quand elle est lancée (1); puis les zones hypnogènes, distinctes des premières comme siège et comme effet, dont l'excitation produit et, suivant les cas, modifie et même supprime le sommeil hypnotique; viennent ensuite les zones dynamogènes, signalées pour la première fois par l'un de nous (2), dont l'excitation produit une exagération momentanée de la force musculaire, mesurable au dynamomètre; Il existe aussi des zones érogènes, dont nous parlerons plus loin; enfin, Heidenhain, Born, et en France Dumontpallier et Magnin ont décrit des zones réflexogènes, dont l'excitation produit chez les hypnotiques des effets moteurs plus ou moins distants du point de la peau qu'on a excité. Chez quelques sujets de Heidenhain, en tirant la peau de la nuque dans la région des vertèbres cervicales, on produit par action réflexe un gémissement dû à une expiration sonore: c'est la répétition sur l'homme de la célèbre expérience de Goltz sur les grenouilles. M. Dumontpallier, par l'excitation du cuir chevelu, a produit des mouvements directs ou croisés, et en rapport avec les centres moteurs qu'il excitait. Toutes ces expériences démontrent que chez l'hypnotique il y a un grand nombre de points du corps, et surtout de points du cuir chevelu, qui sont en état d'hyperexcitabilité. Il serait imprudent d'aller au delà de cette simple affirmation. IV TROUBLES DE LA RESPIRATION ET DE LA CIRCULATION Lorsqu'on endort un sujet par un procédé lent et prolongé, par exemple la fixation du regard, on voit au bout de quelque temps la respiration qui s'accélère; puis, au moment de l'invasion du sommeil, on entend souvent un bruit laryngien particulier. MM. Tamburini et Seppili (1) ont appliqué à l'étude de la respira- tion et de la circulation les procédés graphiques de la physiologie moderne. Les résultats auxquels Us sont arrivés dans cette voie sont en accord parfait avec les recherches de la Salpêtrière, qui ont été faites à peu près en méme temps. Pendant l'état léthargique, la courbe respiratoire est assez régulière; en général, les mouvements sont lents, profonds; en somme, la respiration ne diffère pas essentiellement de ce qu'elle est a l'état normal. On peut en dire autant de la phase de som nambulisme. Le seul caractère propre à l'hypnotisme consisterait dans une certaine indépendance on même un véritable antago nisme entre la respiration thoracique et la respiration abdominale (Nicher). C'est dans la catalepsie que le mode respiratoire se modifie considérablement. Les mouvements sont rares, superficiels, d'une lenteur extréme, et séparés par une période d'immobilité plus ou moins longue. On peut comparer dans la figure ci-jointe les deux tracés si différents de la catalepsie et de la léthargie. Fig. 7. — Tracé respiratoire: L pendant la léthargie; Ç pendant la catalepsie (d 'après MM. Tamburini et Seppili). On a observé sur une malade que l'application de l'aimant près de l'épigastre amenait de profondes modifications dans la courbe respiratoire de la léthargie; au contraire, l'aimant paraissait rester à peu près «ans action sur la courbe de la catalepsie. La figure ci-jointe, empruntée à MM. Tamburini et Seppili, auteurs de l'expérience, rend bien compte de ces deux effets contraires. La malade est placée en léthargie; après quelques respirations régulières, on approche l'aimant qui provoque un fort mouvement d'expiration, suivi d'un fort mouvement d'inspiration; à ce moment, on ouvre les yeux de la malade et on produit la cata- Fig. 8. — En L, courbe respiratoire de la léthargie; en M +, on approche l'avant du thorax; es C, on produit 1a catalepsie; en L, on produit la léthargie; en M-, on elève l'aimant. lepsie; aussitôt la courbe respiratoire propre à cet état se manifeste; quelque temps après, on referme les yeux et la léthargie se produit; alors, nouvelle expiration profonde, produite par l'aimant qui est resté en place; puis inspiration profonde. On e nlève l'aimant et la courbe léthargique revient au type normal. Les recherches de MM. Tamburini et Seppili sur la circulation ne sont pas moins intéressantes. Au moyen du pléthismographe de Mosso et du sphygmographe à air, ils ont constaté que dans la phase léthargique le tracé graphique tend continuellement à monter, et que, lorsqu'on provoque la catalepsie, le tracé redescend lentement; en d'autres termes, la léthargie détermine une augmentation du volume de l'avant-bras, c'est-à-dire une dilatalion des vaisseaux; la catalepsie, an contraire, détermine une diminution du volume de lavant-bras, c'est-à-dire un rétrécissement des vaisseaux. L'un de nous a repris les expériences de MM. Seppili et Tamburiai; les résultats obtenus, sans être cornplètement confirmatifs, montrent au moins qu'il se produit dans la circutation périphérique des modifications qui paraissent bien en dehors de la volonté du sujet. Nous nous sommes étendus longuement me tes propriétés neuro-musculaires de l'hypnotisme, car l'École de la Salpêtrière a cru trouver dan» ces phénomènes des signes physiques donnant la preuve irréfutable de la sincérité des expériences. La localisa- tion précise de la contracture léthargique aux muscles dessertis '' par les branches du nerf excité, la conservation des attitudes cataleptiques sans tremblement et sans fatigue, tes effets d'une traction continue sur les contractures de la léthargie et du som - mnambulisme, limitation de chacun de ces phénomènes à une moitié du corps, leur mode de production et de disparition, ont pare constituer autant de garanties contre la simulation, Sur ce point la démonstration est complète. Il est à peu près certain qu'aucun individu éveillé ne pourrait, en dehors d'un état ner- veux voisin de l'hypnotisme, imiter les signes physiques si carac térisés par lesquels le grand hypnotisme se manifeste. La crainte de la simulation, qui avait dominé toute l'histoire du magnétisme animal, est devenue aujourd'hui, pour l'expérimentateur instruit et prudent, un danger complètement imaginaire. V SYMPTOMES SUBJECTIFS Les modifications apportées par l'hypnotisme dans l'état de la sensibilité et dans les fonctions intellectuelles n'ont pas été jus qu'ici l'objet de recherches précises. On ne trouve dans ce domaine que des observations isolées, quelquefois même con tradictoires; aucune vue d'ensemble ne s'en dégage. Pour avoir un fil conducteur dans ce dédale, nous aurons plus d'une fois recours à la comparaison du sommeil hypnotique avec le sommeil naturel, et nous verrons que les manifestations psychiques de 1 hypnose offrent la plus grande analogie avec le rêve. A. — L ' état des sens , chez les sujets endormis, varie depuis l' anesthésie jusqu'à l'hyperesthésie. Pendant la léthargie, tous les sens sont éteints, à l'exception parfois de l'ouïe qui veille encore, comme dans le sommeil naturel. Pendant la catalepsie, les sens spéciaux se réveillent partiellement; le sens musculaire, notam ment, retrouve toute son activité. Enfin, pendant le somnambu lisme, ils ne sont pas seulement réveillés, mais exaltés d'une façon extraordinaire. A plusieurs mètres de distance, des malades ressentent le froid produit par le souffle buccal (Braid). Le compas de Weber, appliqué sur leur peau, provoque une sensation double avec un écart égal à trois, dans des régions où il faut donner à l'instrument un écart égal à dix-huit pendant l'état de teille (Berger). Le sens visuel présente parfois une suractivité telle que l'étendue du champ visuel peut être doublée, de même que l'acuité visuelle, etc. L'odorat peut être si développé que le sujet retrouve, guidé par l'odeur, les morceaux cachés d'une carte de visite qu'on lui a fait sentir avant de la déchirer (Taguet). L'ouïe est tellement fine qu'une conversation peut être entendue à un étage inférieur (Azam). Ce sont là des faits intéressants, mais isolés. Nous manquons de travaux d'ensemble sur ces questions, qu'il serait cependant facile d'étudier régulièrement, avec les méthodes d'investigation que nous avons entre les mains. B. — L'état de la mémoire a donné lieu à des observations plus suivies. On n'a guère étudié jusqu'ici que l'état de la mémoire pendant le somnambulisme, où elle présente le plus souvent la même hyperexcitabilité que les organes des sens. On a souvent opposé, et avec raison, la mémoire après le réveil, et la mémoire pendant le sommeil hypnotique. Ces deux mémoires se comportent différemment. C'est là, d'ailleurs, un fait que l'on retrouve pendant le sommeil naturel. Le sujet hypnotisé ne se rappelle, en général, quand il est réveillé, aucun des faits qui se sont passés pendant le sommeil hypnotique; au contraire, quand il est endormi, sa mémoire s'étend et embrasse tous les faits de son sommeil, de son état de veille et de ses sommeils antérieurs. 1° Insistons d'abord sur cette hyperexcitabilité de la mémoire qui accompagne le somnambulisme. M. Richet a imaginé une expérience qui met en relief ce curieux phénomène. « J'endors V... Je lui récite quelques vers, puis je la réveille. Elle n'en a conservé aucun souvenir. Je la rendors de nouveau, elle se rappelle parfaitement les vers que je lui ai récités. Je la réveille, elle a oublié de nouveau. » La mémoire de l'hypnotisé est très étendue, plus étendue que celle de l'état de veille. Plusieurs auteurs ont cité des exemples de cette exaltation de la mémoire, qui étonne et a fait croire quelquefois à une lucidité mystérieuse des sujets. Les somnam bules, dit M. Richet, se représentent avec un luxe inouï de détails les endroits qu'Os ont vus jadis, les faits auxquels ils ont assisté. M... qui chante l'air du deuxième acte de l'Africaine pendant son sommeil ne peut pas en retrouver une seule note quand elle est réveillée. M. Beaunis cite une de ses malades à qui il faisait dire pendant son sommeil tout ce qu'elle avait mangé la veille ou l'avant-veille. sans oublier le plus petit aliment. Une fois réveillée, il lui énumerait tout son dîner par le menu, et elle était tout étonnée de le voir si bien renseigné. Nous sommes parvenus à faire répéter à une malade endormie les menus des repas qu'elle avait mangés huit jours auparavant; sa mé moire normale ne s'étendait pas au delà de trois ou quatre jours; pour lui faire franchir cette limite, il fallait l'exciter avec l'aimant. Nous citerons encore un exemple qui paraît bien propre à montrer l'hyperamnésie des somnambules. Une jeune fille était en somnambulisme dans le cabinet de M. Charcot à la Salpêtrière; survient M. Parrot, médecin de l'hospice des Enfants assistés. On demande à la somnambule le nom de l'étranger; elle répond sans hésitation, au grand étonnement de tous: M. Parrot. A son réveil, elle affirme qu'elle ne le connaît pas; mais après l'avoir longtemps examiné, elle finit par dire: « Je crois bien que c'est un médecin des Enfants assistés. » Elle avait été recueillie quelque temps dans cet hospice, à l'âge de deux ans environ; elle avait perdu depuis longtemps le souvenir du médecin qu'elle reconnaissait difficilement à l'état de veille, tandis qu'elle pouvait dire son nom, au commandement, pendant le somnambulisme. L'exaltation de la mémoire pendant le somnambulisme, sans donner absolument raison à ceux qui soutiennent que rien ne se perd dans la mémoire, montre au moins que la mémoire de conservation est beaucoup plus étendue qu'on ne se l'imagine, quand on la mesure sur la mémoire de reproduction ou de rappel. Il est évident après cela que dans un grand nombre de cas, lorsque bous croyons que te! souvenir est complètement effacé de notre esprit, il n'en est rien; la trace est toujours là, mais ce qui nous manque, c'est la force de l'évoquer, et il est bien probable que si l'on nous hypnotisait ou si l'on nous soumet tait à l'action d'excitants auxquels nous serions sensibles, il serait possible de faire revivre le souvenir mort en apparence. On voit donc que l'hypnotisme exalte particulièrement la mémoire de rappel. Il nous a paru, d'après nos expériences, qui sont d'ailleurs conformes à celles d'autres auteurs, que la mémoire de conservation reste pendant le sommeil à peu de chose près ce qu'elle est pendant la veille. En essayant à plusieurs reprises de faire répéter à des hypnotiques des séries de chiffres après une seule lecture, nous n'avons pas vu que les malades eussent acquis l'aptitude de retenir un beaucoup plus grand nombre de chiffres qu'après leur réveil. Mais ce sont là des expériences négatives, auxquelles il ne faut pas attribuer une trop grande valeur. Le développement de la mémoire pendant le somnambulisme mérite d'être rapproché du développement de la mémoire pendant le sommeil naturel. Un grand nombre de faits nous démontrent que, pendant les rêves, on voit apparaître des personnages ou on entend prononcer des noms qu'on avait connus autrefois, mais qu'on croyait avoir complètement oubliés. Un auteur qu'il faut toujours consulter quand il s'agit du sommeil et des rêves, A. Maury, cite plusieurs exemples intéressants de cette revivis cence de vieux souvenirs chez le dormeur. « Il y a quelques années, dit-il, le mot de Mussidan me revint à la mémoire. Je savais que c'était le nom d'une ville de France, mais j'avais oublié où elle était située. Quelques jours après, je vis en songe un personnage qui me dit qu'il arrivait de Mussidan; je lui demandai où se trouvait cette ville. C'est, me répondit-il, un chef-lieu de canton du département de la Dordogne. » Au réveil, il vérifia le fait qui était vrai. Autre exemple de ce rappel par le réve de faits effacés. Le même auteur a passé ses premières •années à Trilport, où son père contruisait un pont. Un soir, il réve qu'il est enfant à Trilport, et il aperçoit un homme en uniforme auquel il demande son nom. Le personnage répond qu'il s'appelle C... et qu'il est garde du port, puis disparaît. Au réveil, le nom de C... poursuit M. Maury; il demande quelque temps après à une vieille domestique de la famille si elle se rappelle un individu du nom de G..., et elle répond aussitôt que c' était un garde du port quand son père construisait le pont (1), 2°—La comparaison que nous venons de faire entre le sommeil naturel et le sommeil artificiel doit être étendue aux phénomènes qui suivent le réveil. Chacun sait que l'oubli des rêves est un fait presque constant. Au moment du réveil, nos songes nous apparaissent avec une certaine vivacité; mais quelques instants après, ils s'effacent définitivement, à moins qu'on n'ait eu soin de les raconter à une autre personne ou de les écrire. De même, dans l'hypnose, l'oubli au réveil suit tout sommeil un peu profond; cet oubli est même plus absolu qu'après le sommeil naturel. H y a là un fait caractéristique, qui a frappé l'attention de tous les obser vateurs. Voici un sujet auquel on a fait exécuter les actes les plus compliqués et donné les hallucinations les plus dramatiques; il s'est étonné, il a ri, il a pleuré, il s'est mis en colère, il a passé par des émotions violentes; il est même tombé et, dans sa chute, s'est fait à la tête une blessure; rien de tout cela ne subsiste dans sa mé moire au réveil. Livré à lui-même, il ne parviendra pas à recom poser une seule des scènes dont il a été le témoin ou l'acteur. Mais si on examine les choses de près, on s'aperçoit que la perte de souvenir n'est pas complète; le souvenir persiste, vague et confus, et, pour le faire revivre, il suffit de mettre le sujet sur la voie, surtout quand on réveille le sujet en somnambulisme, sans le faire passer d'abord par des phases plus profondes. M. R. Hei- denhain cite plusieurs exemples de ce rappel du souvenir qui, d'ailleurs, est également possible pour les songes ordinaires. Après avoir endormi son frère, il lui dit ce vers d'Homère: suffit de dire: « Homère. Fuite. » Aussitôt, M. A. Heidenhain répéta intégralement, mais très lentement, le vers qu'il avait entendu. M. Richet, à qui nous empruntons cet exemple, en cite un autre de même nature: « Chez F..., lorsqu'il est réveillé, je puis faire renaître le souvenir de ce qu'il a fait. Il me dit d'abord qu'il ne se rappelle rien; puis, si je lui indique par exemple qu'il s'est levé et qu'il a eu peur: « Ah ! oui, je me souviens, tu m'as fait voir un serpent. » D'autres auteurs, par exemple M. Beaunis, ont employé un moyen différent, la suggestion. Il suffit de suggé rer à certains sujets qu'à leur réveil ils se souviendront de tout ce qu'ils ont vu, entendu, dit et lait pendant leur sommeil pour qu e le souvenir soit complet. M. Delbœuf est arrivé au même résultat, sans suggestion spéciale; il a constaté que, toutes les fois que le sujet est réveillé au milieu d'une action, il est capable de se souvenir de tout ce qui se rattache à cette action (1). Par exemple, l'opérateur fume un cigare imaginaire auprès de la malade endormie; il lui dit tout à coup que la cendre brûlante du cigare vient de tomber sur son fichu et y met le feu. Aussitôt la malade se lève et plonge le fichu dans une cuvette pleine d'eau qui est sur la table. A ce moment, on la réveille; elle sent ses mains mouillées, voit le fichu, et se rappelle toute la scène. Dans cette expérience, le dernier acte du rêve est le premier acte du réveil. M, Delb œ uf insiste sur cette condition qui lui parait nécessaire au rappel du souvenir. Il ne suffit pas que la suggestion faite pendant le somnambulisme laisse une trace matérielle; il faut, de plus, que le sujet soit surpris par le réveil au milieu d'une action. Ces expériences sont d'autant plus intéressantes qu'elles con cordent avec d'autres faits empruntés à la pathologie. L'un de de nous a montré en effet qu'après l'absence épileptique, que l'on a rapprochée de la soi-disant inconscience somnambulique, le malade peut avoir conservé le souvenir de l'acte réputé auto matique, et même en donner une explication dans les mêmes con ditions (2), Nous croyons cependant qu'il ne faut pas trop se presser d'enfermer tous ces moyens de rappel dans une formule,car le résultat dépend d'une multitude de causes, la constitution du sujet, la forme de la suggestion, l'éducation hypnotique, etc. On sera peut-être étonné d'apprendre que quelquefois 11 est pos sible de rappeler au sujet le souvenir d'un acte commis pendant l e somnambulisme, sans le mettre sur la voie, comme M. Richet, sans lui donner de suggestion spéciale, comme M. Beaunis, sans le réveiller au milieu de l'acte, à la manière de M. Delbœuf, mais simplement en insistant et en fixant aussi fortement que possible l'attention du sujet sur le souvenir qu'on veut évoquer. L'emploi simultané d'un excitant, de l'aimant par exemple, contribue beaucoup au réveil du souvenir par suggestion. Quoi qu'il en soit de tous ces artifices destinés à exciter la mémoire de l'individu qui sort de l'hypnose, et à jeter une sorte de pont entre son sommeil hypnotique et son état de veille, il n'en est pas moins vrai que le sommeil hypnotique profond est toujours suivi d'amnésie; les efforts mêmes qu'on est obligé de faire pour suspendre cette amnésie sont la preuve de son exis tence. Evidemment l'hypnose produit une lésion de la mémoire. Mais cette lésion est plus superficielle que profonde; elle ne porte que sur une partie de la mémoire, la mémoire de rappel; quant à la mémoire de conservation, elle est à peu près intacte, car un nouveau sommeil rend au sujet le souvenir complet qu'il semble avoir perdu quand il est éveillé. On peut donc dire que les troubles de la mémoire qui sont sous la dépendance du somnambulisme sont surtout des troubles super ficiels qui n'intéressent qu'une seule espèce de mémoire, la mémoire de rappel; elle est exaltée pendant le somnambulisme; elle est déprimée après le retour à l'état normal; quant aux causes de ces variations, nous les ignorons complètement. Nous ferons encore chemin faisant plusieurs de ces aveux d'ignorance. C—L'état intellectuel des hypnotisés est difficile à définir; on peut mesurer l'acuité de leurs sens, faire l'inventaire de ce qui est contenu dans leur mémoire; mais comment apprécier avec la même e xactitude l'état de leur jugement et de leur raison ? Tout au plus peut-on remarquer d'une manière générale que l'intelligence de l'hypnotique se développe parallèlement à l'état de sa sensibilité. La léthargie classique représente le sommeil profond et sans rêves; l'état psychique est en général presque nul. Les malades dont l'ouïe veille encore peuvent recevoir quelques suggestions élémentaires; en les tirant par la manche, on les fait lever; on leur donne des hallucinations auditives; mais c'est là tout ce qu'on peut obtenir. Cependant il serait bien possible que la léthargie suspendit seulement le pouvoir de réagir, et que derrière le mas que inerte de la léthargique un reste de pensée veillât encore. Dans les deux autres phases de catalepsie et de somnambulisme, le sommeil est beaucoup moins profond; l'intelligence du sujet entre en Jeu; c'est le rêve hypnotique qui commence. Le caractère dominant de la catalepsie, c'est l'automatisme. On s'est quelquefois servi de ce mot pour définir le caractère intel lectuel de l'hypnotisé; cela n'est pas exact; il n'y a que le cata leptique qui mérite le nom d'automate. La catalepsie s'accom pagne quelquefois d'un éveil partiel de l'intelligence qui permet à l'expérimentateur d'agir sur son sujet par suggestion verbale. Dans tous les cas, l'esprit du cataleptique se laisse manier avec la même docilité que ses membres; il y a chez lui une sorte de plasticité de l'idéation. Les suggestions qu'on lui donne ont un caractère fatal; jamais le sujet n'y résiste. On a dit avec raison que le cataleptique n'a point une personnalité à lui, qu'il n'existe pas de moi cataleptique. On peut trouver un analogue de cet état dans certains rêves que l'on subit sans faire aucune réflexion, sans opposer la moindre résistance. Bien différent est le somnambule; ce n'est pas un automate, c'est une personne qui a son caractère, ses aversions et ses préférences; aussi a-t-on donné, et avec raison, à la vie som-nambulique, le nom de condition seconde pour l'opposer à l'état de veille. Il existe certainement un moi somnambulique. On peut comparer l'état Intellectuel du somnambule à certains rêves dans lesquels le dormeur intervient d'une façon active, et fait preuve de jugement, de sens critique, quelquefois même d'esprit et de volonté. Il y a d'ailleurs des somnambules qui font des rêves spontanés, pendant lesquels ils cessent d'être en rapport avec l'opérateur. Laissant de côté ce qui concerne la léthargie et la catalepsie, nous allons étudier avec quelques développements l'état intellectuel do somnambule; le somnambulisme est l'état médico-légal par excellence; c'est aussi l'état dans lequel l'aptitude aux sug gestions est le plus développée. Nous avons en ce moment sons les yeux deux sujets qui présentent les deux types opposés du somnambulisme, ce qu'on pourrait appeler le type passif et le type actif. L'une reste immo - b ile, les yeux baissés, sans rien dire, sans rien exprimer; elle répond aux demandes d'une voix basse. Cependant, nous nous sommes assurés que ce repos de l'intelligence n'est qu'apparent: la malade a une parfaite conscience des lieux et des personnes et elle ne perd aucune des paroles qu'on prononce à côté d'elle. Notre seconde malade forme un contraste étrange avec la première. C'est le mouvement perpétuel. Dès qu'on l'a mise en som nambulisme, elle se levé de sa chaise, regarde de droite et de gauche, et va parfois jusqu'à interpeller familièrement les personnes présentes, qu'elle les connaisse ou non. Un jour, on lu i montre là photographie d'un des assistants; elle la prend, cherche le modèle, le trouve et le compare à la photographie pour s'assurer de la ressemblance. Un autre jour, elle fait spontané ment le récit des expériences d'hypnotisme qu'une autre per sonne a pratiquées sur elle les jours précédents. Bref, cette ma lade n'a pas, comme la première, l'aspect d'une personne qui dort. Mais ce ne sont là que des apparences; essayons de voir d'un peu plus près l'état psychique du somnambulisme. Il n'existe point de différence tranchée entre la vie somnambu-lique de la plupart des malades et leur vie normale. Aucune des fac ultés intellectuelles du sujet ne l'abandonne pendant le som meil. Il semble seulement que le ton de sa vie psychique est monté: l'hypnotique en somnambulisme présente presque constamment de l'hyperexcitabilité psychique. C'est ce qui se montre nettement dans les émotions. En géné ral, rien n'est plus facile que de faire rire une malade aux éclats et de la faire pleurer jusqu'aux larmes. Un récit dramatique qu'on leur raconte les remue profondément; le ton grave de la voix, alors même qu'on prononce des mots vides de sens, produit le même effet L'influence de la musique est des plus curieuses; suivant le caractère du morceau, le sujet exprime, par ses gestes et par tes altitudes de tout son corps, l'impression qu'il ressent. En somme, chez les sujets que nous avons observés, l'hypnotisme ne nous parait pas amener un changement radical dans le carac tère. Les fonctions intellectuelles sont dans le même état d'acti- vité. A ce propos, voici un exemple assez convaincant de présente d'esprit: Une malade, qui est entrée très jeune à la Salp ê lrière, a pris l'habitude de tutoyer M. X..., lorsqu'elle se trouve seule avec lui ou en présence de personnes connues; il suffit de l'arrivée d'un étranger pour qu'elle cesse aussitôt le tutoiement. Or, môme quand on la met en somnambulisme, la malade conserve le senti ment des convenances, tutoyant M. X..., quand elle est seule avec lui, et cessant de le tutoyer dès qu'il arrive un étranger. C'est chez les somnambules que l'on rencontre le curieux phé nomène de la résistance. Nous aurons à en parler plus loin, à propos des suggestions. Quand on donne un ordre à une som nambule, il arrive souvent qu'elle discute, elle demande le motif, elle dit non. C'est surtout sous la forme d'un refus d'obéir à l'ordre que la résistance se produit; les malades résistent moins aux hallucinations qu'on leur donne, car les hallucinations entament moins leur personnalité. Nous avons cependant quelques exemples de ce fait. Un de nos sujets, quand on veut le transformer en prêtre, et lui donner une soutane, s'y refuse obstinément. Une malade de M. Richet à qui l'on pratiquait, par suggestion, l'am putation du bras, poussait des cris de douleur en voyant le sang couler; mais presque au même moment, elle comprenait que c'était une fiction, et riait à travers ses larmes Ce sont les faits de ce genre qui ont fait croire, bien à tort, à la simulation. La malade de M. Richet avait réellement une hallucination, elle avait devant les yeux une image sensible, mais sa raison n'était pas complètement paralysée; elle avait encore la force de se défendre contre la perception fausse qu'on lui suggérait. Chacun de nous peut faire l'expérience de ces curieux dédou blements de la conscience, en étudiant ses propres rêves. Ici en core nous voyons apparaître la parenté du sommeil normal et du sommeil hypnotique. En général, le rêveur est comme la som nambule qu'on hallucine par suggestion: rien ne le surprend; il voit passer devant ses yeux les plus criantes invraisemblances. Mais quelquefois un reste de sens critique se réveille. Au milieu d'une sc è ne burlesque, on se surprend à dire: « Mais c'est im possible ! Mais c'est un rêve 1 » Non seulement les somnambules peuvent résister, mais elles penvent mentir, M. Pitres raconte qu'il avait suggéré à une femme en somnambulisme d'assassiner une de ses voisines; le crime accompli, il la fit comparaître, toujours en somnambulisme devant an magistrat. Elle déclara qu'elle n'avait aucune connais sance du crime; ce fut seulement après un dialogue très prolongé que, pressée de questions, accablée de preuves, elle finit par avouer qu'elle avait donné un coup de couteau à sa voisine. En core mettait-elle dans ses aveux certaines réticences (1). Ces faits nous prouvent que le somnambule est loin d'être, comme quelques autours l'ont prétendu, un automate incon scient, sans jugement, sans raisonnement, sans spontanéité intel lectuelle. Tout au contraire, sa mémoire est parfaite; son intelligence est des plus vives, son imagination est surexcitée. Les sujets peuvent-ils faire, pendant le somnambulisme, des opérations intellectuelles dont ils seraient incapables pendant la veille ? On en a cité des exemples. Pour notre part, nous n'avons rien constaté de bien certain; quelquefois seulement nous avons vu que nos malades lisaient avec une plus grande rapidité que pen dant la veille des caractères renversés, et même rétablissaient les lettres supprimées d'un double acrostiche. D'ailleurs, cette exaltation de l'intelligence n'a rien d'invraisemblable. On cite maint exemple d'un penseur qui a résolu la nuit, dans un rêve, des problèmes qu'il poursuivait vainement depuis plusieurs jours. Enfin, en terminant, nous signalerons un état mental tout par ticulier, qui ne se rencontre que dans le petit hypnotisme. Les sujets au réveil affirment qu'ils n'ont pas perdu un seul moment c onscience de leur état, et qu'ils ont assisté en quelque sorte comme des témoins aux phénomènes de suggestion développés par le magnétiseur. On voit, en somme, par les observations très vagues auxquelles nous sommes obligés de nous borner, qu'il serait fort difficile de donner la formule psychique du somnambulisme. Mais ce que nous tenons à affirmer, c'est qu'on ne représente pas exacte- ment cet état, quand on se contente de M appliquer le mot sommaire d'automatisme. Un dernier trait de l'état intellectuel des hypnotiques est l'apti tude aux suggestions. En raison de l'importance des faits de sug gestion, nous leur consacrerons une partie distincte de ce livre. D. — Les phénomènes de sensibilité élective, dont nous avons déjà fait mention au sujet des procédés d'hypnotisation, acquièrent un grand développement pendant le somnambulisme. Les malades en état de somnambulisme présentent souvent une sorte d'at traction pour l'opérateur qui les a endormies en les touchant sur le vertex. Nous verrons plus loin que la friction du vertex, est le moyen le plus usité pour provoquer secondairement le som nambulisme. Lorsque la pression sur le vertex est faite avec un objet quelconque, par exemple un coupe-papier, il se produit en général un état de somnambulisme indifférent. La malade est calme; tout le monde peut l'approcher et même la loucher sans provoquer de sa part le moindre mouvement de défense; tout le monde peut produire les contractures propres à l'état somnambulique; ces contractures peuvent être provo quées par une personne et détruites par une autre; elles ne sont sous la dépendance d'aucune influence individuelle; tout le monde enfin peut lai donner des suggestions. Mais il en est tout autrement dans le somnambulisme électif. Lorsque l'expérimentateur a fait la pression du vertex avec sa main, ou bien s'est servi du souffle buccal, le sujet est] comme attiré vers l'opérateur; aussitôt qu'il s'éloigne, le sujet manifeste de l'inquiétude, du malaise, il suit parfois l'opérateur en gémis sant, et ne trouve du repos qu'auprès de lui. Tout contact étranger provoque un signe de douleur. On produit encore le somnambulisme électif quand on endort le sujet au moyen des passes, comme le font les magnétiseurs, ou quand on l'endort par intimation ou par suggestion; ce qu'il y a de plus curieux, c'est que, si l'on dit au sujet qu'il s'endormira le lendemain à telle heure, le sommeil qui survient à l'heure fixée et en l'absence de l'opérateur est électif, et le sujet n'est en rapport qu'avec la personne qui a fait la suggestion (Beaunis). Enfin, quand un malade est en état de somnambulisme indifférent, il suffit qu'une personne touche une partie nue de son corps, par exemple ses mains, pour développer à son profit les phénomènes d'électivité. Tous ces procédés opératoires ont pour caractère commun de faire jouer un rôle à la personnalité de l'opérateur, rôle qu'on a peut-être exagéré autrefois, mais qu'on déprécie beaucoup trop depuis Braid. Il est certain que l'êlectivité peut manquer complètement chez certains sujets, mais elle est constante chez d'autres. Enfin, en dehors de l'électivité artificielle développée par î'expérimentateur, il existe une électivité naturelle ou spontanée: c'est ainsi que tel sujet est plus facilement endormi et suggestionné par tel expérimentateur, surtout quand celui-ci l'a déjà endormi souvent. Cette influence spéciale d'un individu sur un autre, qui existe sous une forme si accentuée pendant le somnambulisme, n'est en somme qu'use exagération d'un fait normal. Il n'est pas rare de voir certaines personnes éprouver pour d'autres un état spécial d'attraction et ressentir, sans motif suffisant, des sympathies ou des antipathies. Tous ces états psychiques sont d'une réalité incontestable, bien que le plus souvent les psychologues en abandonnent l'étude aux romanciers. Il est probable que les phénomènes d'électivité prennent leur origine dans un contact de l'opérateur avec son sujet. Le contact animal, dît M. Bain (1), le plaisir de l'embrassement est le commencement et la fin de toutes les émotions tendres. Nous voyons, en effet, l'électivité se manifester chez la somnambule à la suite de l'attouchement du vertex et des mains nues; l'action du doigt à distance, dans les passes, parait aussi tenir à une influence du même ordre. Quant à la production du sommeil électif par suggestion, nous pouvons aussi l'expliquer par ce fait déjà men tionné plus haut que la suggestion, consistant dans un rappel de sensation, agit probablement de la même façon qu'une excitation sensorielle. Une ingénieuse expérience de M. Richer confirme ces vues, et montre que l'electivité a sa source dans une hyperesthérie du tact. « Pendant que la malade est plongée dans le somnambulisme par friction du vertex au moyen d'un objet quelconque, deux observateurs se présentent qui, sans résistance aucune de sa part, s'emparent chacun d'une de ses mains. Que va-t-il se passer ? Bientôt la malade, de chaque main, presse celle de chacun des observateurs et ne veut pas les abandonner. L'état spécial d'attraction existe à la fois pour les deux, mais la malade se trouve en quelque sorte divisée par moitié. Chacun des obser vateurs ne possède la sympathie que d'une moitié de la malade, et celle-ci oppose la même résistance à l'observateur de gauche lorsqu'il veut saisir la main droite qu'à l'observateur de droite lorsqu'il veut saisir la main gauche (2). » Signalons encore une variante de l'expérience qui est aussi très instructive. L'opérateur qui possède les préférences du sujet peut les transmettre à une autre personne; il suffit pour cela que le nouvel opérateur glisse sa main sur celle du premier et arrive ainsi graduellement à saisir celle de la malade qui, après une brusque secousse, se presse contre lui, et le même manège recom mence. La sensibilité élective se manifeste par plusieurs phénomènes dont le plus important est relatif aux contractures. L'expérimen tateur qui est en rapport avec le sujet a seul le pouvoir de faire naître des contractures somnambuliques et de les détruire. C'est en vain qu'une autre personne essayerait de détruire la contracture par une nouvelle excitation de même nature portée sur le même point. Ses efforts restent inefficaces, alors même qu'ils sont faits en dehors de la vue du sujet; celui-ci, grâce à son hyperesthésie sensorielle, est capable de reconnaître le contact de chaque opérateur entre mille; il arrive parfois à le reconnaitre à travers ses vêtements. L'électivité existe aussi pour les suggestions. Bans le somnambulisme indifférent, la malade obéit à toutes les suggestions d'où qu'elles viennent; l'hallucination formée à la voix d'une personne peut être continuée par une autre et supprimée par une troisième. C'est aussi ce qui a lieu dans la catalepsie. Dans le somnambulisme électif, la malade n'écoute souvent que la voix de celui qui l'a endormie; lui seul peut lui donner des suggestions. Il y a plus; nous avons observé que lorsque deux observateurs se partagent, par moitié, la sympathie de la malade, l'hallucination suggérée par celui qui est en rapport avec le côté droit n'intéresse que l 'œil droit; elle est unilatérale. Le sujet se la voit point de l'œil gauche. En soumettant à l'action des esthésiogènes les phénomènes de sensibilité élective, on voit par une transformation curieuse la répulsion succéder à l'attraction. Au moment où l'une de nos somnambules tient les mains de M. X..., nous approchons un petit aimant de sa tête. Très vite, la malade s'éloigne de M. X..., en poussant une plainte: M. X... la poursuit, elle recule toujours; il ne peut pas la toucher sans qu'elle se mette à geindre. Quelque temps après, elle revient spontanément vers l'expérimentateur; puis elle s'éloigne de nouveau, et il est encore impossible de la toucher. Au moment où elle revient pour la troisième fois, on en profite pour la réveiller (1). C'est ici le lieu de rappeler que, chez quelques hystériques, il existe sur certains points du corps des régions {zones érogènes de Chambard) (2) qui ne sont pas sans analogie avec les zones hystérogènes, et dont le simple attouchement, dans l'état de somnambulisme provoqué, détermine des sensations génitales assez intenses pour amener l'orgasme. Une malade offrait au niveau de la partie supérieure du sternum une zone de ce genre, dont la simple pression provoquait tout les signes du paroxysme de l'excitation génitale. Ces phénomènes ont été provoqués plusieurs fois, à l'insu de l'observateur, qui eût pu se trouver sous le coup d'une accusation des plus graves, s'il n'avait pris la précaution indispensable, dans ces conditions, de n'être jamais seul avec le sujet. Si nous rapprochons de ce fait la possibilité de suggérer à la somnambule l'hallucination de la présence d'un individu quel conque, on comprendra à quelles mystifications coupables on peut arriver. La zone érogène n'est sensible que pendant le somnambulisme total. Si on provoque un somnambulisme partiel, par excitation superficielle à la région des centres moteurs des membres, la zone érogène est sans action; elle se réveillait chez un sujet lorsqu'on excitait la région occipitale du cerveau. La zone érogène est transférable par l'aimant. Ce transfert est suivi d'oscillations consécutives qui provoquent une exaltation génitale intense. Enfin, l'excitation de la plaque érogène n'est efficace que si elle résulte d'une pression faite par une personne de l'autre sexe; si la pression est faite par une autre femme ou avec un objet inerte, elle produit seulement une impression désagréable. |