CHAPITRE XIII Des applications de l'hypnotisme à la thérapeutique et à la pédagogie, I Ce que nous avons dit de l'hypnotisme, et de la suggestion en particulier, a dû faire prévoir ce que peut être la médecine d'ima gination, dont l'importance a été déjà entrevue par d'anciens au teurs. « Si la médecine d'imagination était la meilleure, pourquoi ne ferions-nous pas de la médecine d'imagination ? > disait Deslon. On nous permettra d'insister un peu sur cette médecine d'ima- gination, sur cette thérapeutique suggestive, car c'est bien le nom qu'elle mérite. Comment procède-t-on en effet ? Sous l'in fluence d'une idée persistante suggérée par les circonstances extérieures, il se développe une paralysie; le médecin, usant de son autorité, suggère l'idée de guérison nécessaire, incontes table, et la paralysie guérit; la cure aussi bien que le développe ment du trouble fonctionnel a été déterminée par une idée. L'idée peut donc être, suivant les circonstances, un agent patho gène et un agent thérapeutique. C'est une notion qui n'es» pas nouvelle; mais, ayant été mai interprétée, elle est restée infé conde (1). On a appelé maladies imaginaires, les maladies par imagi nation ; et celte confusion de termes a confirmé une confusion d'idées. Or, nous venons de le montrer notamment par les faits relatifs aux paralysies par suggestion, les maladies par imagina tion, c'est-à-dire provoquées par une idée fixe, sont des maladies réelles et offrant pour quelques-unes au moins des caractères objectifs indiscutables. L'existence de maladies par imagination étant démontrée, il est prouvé du même coup qu'il n'existe pas et qu'il ne peut pas exister de maladies imaginaires, c'est-à-dire de maladies pure ment fictives, puisque, dès que le sujet s'est laissé imposer cette idée fixe qu'il est affecté d'un trouble fonctionnel quelconque, ce trouble fonctionnel se développe à un certain degré. Et il faut ajouter que ces malades par imagination ne sont pas seulement affectés d'un trouble local: pour se laisser dominer par cette idée de maladie, il faut être particulièrement excitable et suggestible, i! faut être doué d'un état de faiblesse psychique congénitale qui coïncide du reste fréquemment avec des manifestations névropa-thiques plus oumoins caractérisées, ou des malformations physi ques. N'est pas hypocondriaque qui veut, comme disait Lasègue. Cette distinction nous permet d'éclairer la thérapeutique des maladies par imagination, des maladies suggérées. Lorsqu'un de ces hypocondriaques, vésaniques atténués, aux quels on applique le plus communément le nom de malades imaginaires, vient implorer le secours de la médecine, sous pré texte qu'il s'agit de douleurs, de troubles subjectifs, que lui répond-on souvent ? « Ce n'est rien, un peu d'imagination, ne vous préoccupes pas », et on lui donne négligemment un remède anodin. Ce malade, qui s'est suggéré une douleur et qui en souffre réellement, acquiert la conviction que sa maladie n'est pas connue et qu'on ne peut rien pour lui. L'idée d'incurabilité devient d'autant plus intense qu'il a une plus haute opinion du savoir du médecin qu'il a consulté; et ce malade par imagination, qui était venu avec une affection chronique, s'en va souvent incurable. Les entrepreneurs de guérisons miraculeuses procèdent tout autrement. Ils ne nient pas la maladie, mais ils affirment qu'elle va guérir par l'action d'une puissance surhumaine. Ils agissent par suggestion, ils inculquent graduellement cette idée que la maladie peut guérir, le sujet s'en pénètre, se l'approprie; quel quefois la guérison s'effectue en conséquence de la suggestion, et quand on dit que c'est la foi qui sauve, on ne fait qu'employer une expression rigoureusement scientifique. II se s'agit plus de nier ces miracles, mais d'en comprendre la genèse et d'ap prendre à les imiter. Ainsi, il n'existe pas de maladies imaginaires, mais il y a dos maladies par imagination avec de véritables troubles fonctionnels. Ces troubles se développent sous l'influence d'une suggestion spontanée, accidentelle ou provoquée; ils sont susceptibles de guérir sous l'influence d'une autre suggestion opérant en sens inverse et d'égale intensité. Le traitement moral doit donc con sister, non pas à nier la maladie, mais à affirmer qu'elle est sus ceptible de guérir, qu'elle commence à guérir, qu'elle va guérir tout à fait. Lorsqu'un croyant associe la divinité à son idée de guérison, il s'habitue à l'attendre subite et complète, à l'occasion d'une manifestation religieuse déterminée: les choses se passent, en effet, souvent ainsi. C'est ce que nous avons vu, par exemple, à la Salp ê tri è re chez la célèbre Etcheverry qui vit guérir tout à coup une hémiplégie avec contracture datant de 7 ans, à propos d'une cérémonie du mois de Marie: il ne lui resta qu'une certaine faiblesse du côté, qui disparut en peu de jours et que l'on peut expliquer par l'influence du défaut d'exercice si longtemps prolongé. Ce miracle, qu'on peut appeler expérimental puisqu'il fut préparé de longue main par les médecins — depuis longtemps on suggérait à la malade qu'elle guérirait au moment de telle céré monie religieuse — ce miracle, disons-nous, nous explique les guérisons par l'imposition des mains, dont l'histoire sacrée abonde. Pour ne pas remonter plus loin que le siècle dernier, c'est la suggestion qui explique les cures de Greatrakes, les exorcismes de G assner, les succès de Mesmer et les miracles accomplis autour de la tombe du diacre Paris, dans le cimetière de Saint-Médard, et de nos jours, dans les fameuses grottes qui se trouvent situées du côté des Pyrénées. Le médecin, qui n'est pas un thaumaturge, a des ressources bien moindres. Lorsqu'un malade, atteint d'une affection d'origine psychique, s'adresse au médecin, celui-ci ne peut guère, sauf dans quelques circonstances exceptionnelles, lui inspirer confiance qu'en des moyens plus ou moins lents; mais quels qu'ils soient, H fout les employer avec confiance et autorité. C'est un fait bien avéré, que, par l'hydrothérapie, certains médecins obtiennent, dans les affections hystériformes, des résultats plus rapides que d'autres, par ce seul fait qu'ils agissent en même temps par suggestion. On peut eu dire autant du massage dans des circonstances analogues, etc. Dans beaucoup de circonstances, la suggestion peut constituer u n agent thérapeutique précieux. À côté des paralysies et des spasmes d'origine psychique, il faut citer l'anorexie dite nerveuse ou hystérique qui peut être grandement influencée, de même que les troubles vésaniques développés en général sur un terrain hystérique (Auguste Voisin, Séglas, Lombroso, Dufour, etc. ). Il faut bien reconnaître une certaine valeur à plusieurs des faits de cet ordre, rapportés par Braid, Charpignon (1), Liébault (2), B ernheim (3), Beaunis, etc. Il est donc utile, dans ces cas, de rechercher les meilleures conditions de suggestibilité, et de s'as surer si le sujet est hypnotisable ou particulièrement sensible a tel mode de suggestion que l'on mettra en usage avec confiance et autorité. Il est à remarquer qu'un état névropathique ne s'improvise pas; celui qui en souffre ne l'a pas créé, il résulte le plus communé ment d'une dégénérescence héréditaire progressive et accumulée. Le sujet qu'il s'agit de traiter n'est point dans sa famille un acci dent, ceux qui l'entourent pâtissent souvent de son mal à un certain degré: le névropathe vit dans une atmosphère de nervosité. Si la suggestion a joué un rôle dans le développement de l'affection actuelle, le traitement moral n'aura aucune action, parce que Vidée pathogène se trouve sans cesse cultivée dans ce milieu morbide. Ce traitement ne reprendra chance de succès que lorsqu'on aura eu recours à une mesure préalable d'hygiène morale, à l'isolement qui s'impose encore davantage dans les manifestations dites épidémiques de la suggestion. Nous avons eu en vue surtout d'appeler l'attention sur le mode d'action du traitement moral, et sur le rôle que joue la suggestion. il ne s'agit nullement d'innovation: quand on fait avaler certaines boulettes dites fulminantes, c'est bien de la suggestion qu'on administre sous forme pilulaire; quand on injecte de l'eau claire sous la peau, on fait encore de la suggestion par la voie hypoder-m ique. Et il convient de remarquer que celte médecine d'imagination doit être préconisée surtout contre une catégorie de troubles bien déterminés, contre les troubles d'origine psychique. Ce n'est pas ici le Heu d'insister sur les indications particulières de la suggestion en thérapeutique. L'étude que nous venons d'en faire a suffisamment montré dans quelle mesure elle est capable d'agir sur les phénomènes moteurs, sensitifs ou psychiques, et que, par conséquent, elle peut être utilisée dans le traitement des troubles dynamiques capables de se développer sous l'influence d'une action psychique, d'un choc moral ou même d'une excitations périphériques. Il est impossible aujourd'hui de nier cette action. Toutefois, il est encore difficile de présenter un exposé rigoureusement scientifique des résultats obtenus, parce que les observations publiées sont encore peu nombreuses et que, dans un certain nombre d'entre elles, il est impossible de trouver os caractère objectif de l'hypnose; en outre, un certain nombre de ces observations sont incomplètes ou publiées par des person nes incompétentes qui font des descriptions insuffisantes pour entraîner la conviction sur la réalité d'un état morbide caracté risé. Enfin, précisément en raison de la nature de son action qui ne s'exerce que sur des troubles sans lésion matérielle, c'est-à- dire purement dynamiques, la suggestion ne guérit que des affections capables de se modifier spontanément, ou sous l'in fluence d'agents extérieurs variés. Il est donc difficile actuelle ment, moins difficile pourtant que pour d'autres médications très usitées, d'établir la valeur réelle de cette méthode de traitement. Ce qu'on peut dire, c'est qu'elle est fondée sur des notions pré- cises de psycho-physiologie et par conséquent rationnelle. La médecine d'imagination se distingue de la thérapeutique hypnotique, dans laquelle le sommeil artificiel est lui-même l'agent curatif, de quelque façon d'ailleurs qu'il ait été produit. On a quelquefois confondu, et bien à tort, ces deux procédés thé rapeutiques, le sommeil provoqué et la suggestion (1). Ils sont loin d'avoir la même valeur. Le sommeil hypnotique n'a souvent qu'une action suspensive et momentanée sur les troubles fonctionnels, névralgies, contrac tures, etc., etc.; mais à lui seul, il amène rarement la disparition complète des phénomènes, s'ils ne sont pas essentiellement fugitifs de leur nature, et il ne faut pas ignorer que, dans bon nombre de circonstances, ce sommeil, tout comme les autres sommeils artificiels provoqués par le chloroforme, la morphine, etc., est capable de déterminer des accidents névropathique jusqu'alors inconnus du sujet. Beaucoup d'hystériques étaient prises d'accidents convulsifs autour du baquet de Mesmer, et beaucoup de magnétiseurs ont provoqué des attaques de contrac ture que quelques-uns ont prises pour de la catalepsie. Cette notion n'est pas à dédaigner; elle doit faire garder une certaine réserve dans l'usage du sommeil nerveux en thérapeutique. Toutefois, quand il s'agit d'hystériques caractérisées, à mani festations convulsives intenses, chez lesquelles par conséquent le sommeil provoqué ne peut guère déterminer que des accidents qui existent déjà, il est avéré que le nombre et l'intensité des attaques peuvent être grandement atténués par les manœuvres hypnotiques; plusieurs hystériques de la Salpêtrière, entrées pour des attaques, n'en ont jamais tant qu'elles sont soumises au sommeil hypnotique, en dehors de toute suggestion. Il faut remarquer encore que quelquefois le sommeil nerveux a quelque chose de plus qu'une simple action hypnotique: chez les magnétiseurs, le sujet sait, lorsqu'on l'endort, que les manœuvres auxquelles on se livre ont un but thérapeutique; et, dans quelques cas, le sommeil provoqué peut être considéré comme appartenant à la médecine d'imagination: que la sugges tion soit l'œuvre du malade ou celle du médecin, elle n'en existe pas moins. L'usage de la suggestion dans l'éducation est probablement aussi ancien que la pédagogie, et on trouve des remarques fort intéressantes à ce point de vue dans beaucoup d'ouvrages sur l'éduca tion. Fechtersleben, dans son Hygiène de l' â me, insiste sur l'utilité de convaincre les enfants qu'ils ont déjà acquis du talent dans une branche quelconque, pour développer leurs aptitudes. Gratiolet fait remarquer que, chez les enfants, certains gestes, certaines attitudes sont capables de développer des tendances corrélatives (1). Mais ce serait une mesure très grave de soumettre à des pratiques régulières de suggestion des enfants normalement constitués; on risquerait fort d'en faire des automates, ce qui n'est pas précisément le but de l'éducation. Quant à l'application de la suggestion hypnotique aux enfants vicieux, elle est plus défendable. Le succès parait vraisemblable, mais il est difficile de le prouver par des faits (fui échappent à toute contestation: car il est très certain que, parmi les enfants vicieux, un certain nombre qui échappent à la démence précoce, et aux progrès du vice, évoluent spontanément vers un état psychique qui se rapproche de l'état normal. D'autre part, certains enfants, enfermés dans des maisons de santé sous le coup d'ordonnances de non-lieu, se trouvent dans les mêmes conditions que ceux qui ont subi une peine de nature à renforcer les motifs d'éviter le mal. Dans ces cas, la suggestion hypnotique ne joue que le rôle de la suggestion pénitentiaire et son utilité peut être mise en doute. L'efficacité de la suggestion pédagogique peut, il nous semble, être démontrée par la possibilité de modifier certains instincts par suggestion chez les animaux. L'un de nous a été fréquem ment témoin d'une pratique curieuse des fermières du pays de Caux: lorsqu'une poule a pondu un certain nombre d'œufs dans un nid de son choix et qu'elle a commencé à couver, si, pour des raisons particulières, on veut lui faire couver d'autres œufs dans un autre nid, on lui place la tête sous une aile et on la balance un certain nombre de fois, jusqu'à ce qu'elle dorme, ce qui arrive rapidement, puis on la place dans le nid qu'on lui destine; à son réveil, elle ne songe nullement à son propre nid, elle a adopté les œufs étrangers. Quelquefois, on peut, par le même procédé, faire couver des poules qui n'ont pas encore manifesté l'intention de le faire. C'est là une modification de l'instinct par suggestion qui peut faire penser que l'application pédagogique de la suggestion n'est pas aussi absurde que quelques auteurs veu lent bien le dire. |