IIIeLEÇON.
Messieurs,
Dans ma dernière leçon, je vous ai entretenus, d'expériences magnétiques
dont les résultats sont concluants, pour vous prouver l'existence d'un agent
particulier agissant sûr l'organisation humaine et lui appartenant en propre.
Les faits que je vous ai cités, sont attestés par des hommes capables de
bien observer et que l'on ne peut, sans injustice, accuser de crédulite; j'ai
voulu, en agissant ainsi, appuyer d'une manière solide les propositions que
j'ai énoncées ; mes preuves étaient irrécusables. Aujourd'hui je veux en
agrandir le tableau et en même temps augmenter votre croyance.
J'espère que les nouveaux faits dont je vais
vous donner connaissance seront suffisants pour bien établir le résultat de
l'action magnétique.
Je vous ai déjà prouvé que les propriétés vitales d'un individu organisé
comme nous, peuvent être modifiées, d'une manière sensible, par l'application
de ce qu'on appelle le magnétisme, à tel point que les cautérisations de la
peau par des caustiques ne produisent aucune douleur.
Je vous ai cité des expériences décisives. Voyons-en d'autres encore.
Vous savez que, dans la vie habituelle, les organes pulmonaires ne peuvent
ressentir l'impression d'un gaz délétère, comme l'ammoniaque, sans être altérés
dans leur structure et subir des changements instantanés, auxquels nulle
puissance humaine ne saurait se soustraire ; c'était le moyen à employer pour
reconnaître d'une manière positive l'extinction de la sensibilité. Eh bien,
cette expérience a été faite.
Vous m'avez entendu vous citer aussi des phénomènes magnétiques produits à
distance, même à travers des cloisons, sans que les individus sur lesquels
j'agissais eussent été, en aucune manière , prévenus de mon action.
Je vous ai rapporté quelques détails d'une séance à l'Académie de médecine;
je vous ai dit
que les commissaires avaient à peu prés obtenu les même effets que moi sur
mon somnambule.
J'ai recherché devant vous si les hypothèses adoptées par les adversaires
du magnétisme étaient suffisantes pour expliquer ces phénomènes, et il vous a
été facile d'en apprécier la valeur ; mais j'ai senti que pour que vous pussiez
porter un jugement définitif, il fallait multiplier les faits. Sans doute vous
m'aurez déjà tenu compte de ma discrétion, en ne me voyant prendre mes preuves
que dans des faits accomplis sous les yeux de médecins; car il est naturel de
les considérer comme meilleurs juges de tout ce qui se passe dans
l'organisation humaine, et cette raison a suffi pour qu'à ce témoignage fût
aussi accordée ma préférence.
Je n'ai point cherché à m'appuyer des travaux des étrangers qui ont
consacré leurs veilles à l'étude de la science qui nous occupe. Leurs noms et
leurs ouvrages, moins connus parmi nous, eussent été des autorités moins
imposantes.
Vous apprécierez ma conduite si vous voyez. que, ne donnant rien au hasard,
je me retranche derrière une masse de faits avoués publiquement par ceux qui
les ont produits ou vu produire.
Je reviens donc, en suivant la même marche, terminer l'exposé des preuves
du magnétisme.
En 1826, à l'époque où l'Académie de médecine mit eu délibération si elle
s'occuperait du magnétisme, il me sembla que le plus sûr moyen de déterminer
les membres de ce corps à faire l'examen qu'on lui proposait, était, au lieu de
se livrer à des discussions interminables, de présenter des faits frappants,
irrécusables. Dans cette intention je réunis, le 26 janvier1826, chez M.
Bouillet, rue du Dragon, un grand nombre de médecins et de personnes distinguées
: c'étaient M. Ampère, membre de l'Académie des sciences, professeur de
physique au collège de France; M. Adelon, membre de l'Académie de médecine et
professeur de l'école de médecine; MM. Frenel, Guerard, Petel, D.-M., etc. Le
jour de cette réunion je présentai à ces Messieurs un somnambule qui m'avait
offert, il y avait quelques années, des phénomènes très-remarquables, mais que
je n'avais pas magnétisé depuis près $l'un an. Endormi dans cette séance en
quelques minutes, il sentait, les yeux étant exactement fermés et couverts d'un
corps opaque, la présence de mon doigt àplusieurs pouces de distance ; il
éprouvait continuellement, par l'effet de l'action magnétique , des
contractions violentes dans les parties correspondantes à la direction de mes
mains.
Après plusieurs expériences qui ne laissèrent aucun doute sur ce singulier
phénomène, je réveillai le somnambule, et sur l'invitation de quelques
assistants, je le rendormis, bientôt, en saisissant le moment où il était placé
loin de moi et où, me tournant le dos, il causait avec plusieurs personnes.
Dans ce second sommeil, nous répétâmes encore les expériences faites
précédemment, et je fis cesser le somnambulisme.
Vous le voyez, ce ne peut être l'imagination qui a causé les effets que
nous avons obtenus ; ce n'est pas non plus la chaleur animale, l'éréthisme de
la peau, mais bien une cause indépendante, que nous voyons agir dans tous les
phénomènes magnétiques.
Des expériences semblables furent répétées le 15 mars suivant, devant
d'autres membres de l'Académie de médecine, et sous les yeux du président de la
commission chargé de l'examen du magnétisme.
Je ne vous parle point des phénomènes de lucidité qui furent constatés dans
toutes ces séances. Je vous en instruirai plus tard, lorsque je vous
entretiendrai du somnambulisme. Mais veuillez ne pas oublier que j'ai les
procès-verbaux
qui constatent les faits dont je viens de vous donner connaissance, et
qu'ils furent signés par toutes les personnes présentes.
Lorsque je vous ai parlé de l'extinction de la sensibilité que présentent
certains individus placés sous l'influence magnétique, vous doutiez peut-être
de mes assertions; mais les preuves écrites dont je vous ai fait part ont dû
dissiper tous vos doutes. Veuillez bien me permettre de vous présenter encore
quelques nouveaux témoignages. Le premier est du docteur Bertrand. « J'ai vu, dit ce docteur, l'insensibilité assez »
prononcée chez quelques somnambules magnétiques pour qu'on pût les soumettre
aux » épreuves les plus concluantes. Pour ne vous » citer qu'un des faits dont
j'ai été témoin, j'ai » vu un magnétiseur, qui avait coutume d'endormir son
somnambule devant une réunion » nombreuse, engager tous les spectateurs à se »
munir d'une épingle et à l'enfoncer à l'improviste dans quelques parties de
son corps que ce fût; le somnambule chantait, et souvent » pendant ce temps-là,
on enfonçait jusqu'à » quarante ou cinquante épingles qu'on laissait »
fixées dans sa chair, sans qu'on pût observer » dans le son de sa voix le plus
léger trouble. »
5
avril 1830, Journal de Toulouse.
« Nous avons été déjà témoins des expériences curieuses
exécutées à Toulouse par M. le comte de, B...., et c'est pour attirer
l'attention de nos lecteurs sur un prodige nouveau de son talent, que nousavons tracé un rapide aperçu de l'histoire de la science.
Le document qui nous parvient est tout-à-fait authentique; il raconte un fait
qui s'est passé le 15 mars dans le département du Gers, çhéz M. le juge de paix du canton de Condom, et en présence de
personnes dont quelques-unes sont de notre connaissance.
» Jean..., âgé de vingt-trois ans, métayer de M.
de la Bordère, du canton de Condom; était atteint d'un abcès par congestion, à
la partie antérieure de la cuisse : les gens de l'art qui donnaient des soins
au malade , déclarèrent que la ponction serait pratiquée : mais l'opération
exigeait la plus grande prudence et beaucoup de résignation, parce que l'artère
crurale traversait la tumeur développée d'une manière effrayante.
» M. le comte de B....., dont la force magnétique
est remarquable, proposa de plonger le malade dans l'état magnétique, de
produire le somnambulisme, et d'établir l'insensibilité sur la
partie du corps où devait être faite l'opération,
afin d'épargner au malade des souffrances inévitables dans l'état de veille.
» La proposition fut acceptée. Au bout de
deux minutes le malade fut plongé dans l'état magnétique. La lucidité ne fut
pas remarquable. Jean... répondit à son magnétiseur qu'il cherchait en vain et
qu'il ne pouvait voir son mal. Dès lors le docteur Larieu fit, avec la plus
grande dextérité, l'opération chirurgicale qui avait été jugée nécessaire. À
plusieurs reprises il plongea le stylet dans l'ouverture faite par le bistouri,
afin de donner issue à la matière purulente, lorsque son écoulement était
empoché par des flocons albumineux; le pansement fut fait ensuite. Fendant
cette opération, Jean demeura immobile comme une statue, son sommeil magnétique
ne fut nullement troublé ; et sur la proposition agitée par messieurs les
médecins, de rompre l'état magnétique, M. B.... réveilla spontanément le
malade. M. le docteur Roc s'approcha de lui, et lui demanda s'il voulait
se soumettre à l'opération. II le faut bien, puisque cela est nécessaire, répondit-il.
C'est alors que M. Roc lui annonça qu'il était inutile de recommencer,
puisqu'elle était faite.
» L'étonnement du malade fut à son comble,
lorsqu'on lui en fît voir la preuve, il n'avait rien senti, rien éprouvé et
ne se rappelait que l'action de M. B...., lorsqu'il lui appuya la paume de
la main sur son front pour l'endormir: »
Le meme phénomène a été observé à la Charité, en
1828. Un malade endormi par un médecin, est invité à marcher: il traverse une
salle, heurte violemment la table, les chaises et la muraille , sans donner le
moindre signe de douleur; mais voici bien mieux encore : M. Fourquier, médecin
de cet hôpital, sous prétexte d'aider à marcher le somnambule, lui prend la
main et lui enfonce de toute sa longueur une épingle ordinaire» entre
l'indicateur et le pouce, et le conduit à sa chaise; pendant ce trajet], il lui
traverse de part en part l'oreille gauche, et le malade si bien lardé, ne sent
absolument rien.
Il y a quelque temps, ces mêmes phénomènes ont
encore été constatés dans le même hôpital.
Voici le passage du rapport, page 54 : « La
commission se rendit à l'hôpital de la Charité, le 24 août, à neuf heures du
matin, pour continuer les expériences de magnétisme.
» M. Foissac magnétise Cazot. — Cazot s'endort en huit
minutes. Trois fois on lui plaça sous
le nez un. flacon plein d'ammoniaque:sa figure se colora, larespiration
s'accéléra; mais il ne se réveilla pas, M. Fouquier
lui enfonça dans l'avant-bras, une épingle
d'un pouce. On lui en introduisit une autre, à une profondeur de deux lignes,
obliquement sous le sternum; une troisième obliquement aussi à l'épigastre, une
quatrieme perpendiculairement dans la plante du pied. M. Guersent le pinça a
l'avant-bras de manière à y laisser une échimose; M. Itard s'appuya sur la
cuisse de tout le poids de son corps. On chercha à provoquer Je chatouillement
en promenant sous le nez, sur les lèvres, sur les sourcils, les cils, le col et
la plante du pied, on petit morceau de papier : rien ne put le réveiller, »
Ontrouve encore dans les
mémoires de l'Academie des sciences, page 409, une dissertation de M. Sanvage
de Lacroix, sur le somnambulisme d'une fille de Montpellier qui présentait
l'exemple d'une pareille insensibilité.
« Le 5 avril 1757, dit l'auteur, en visitant » l'hôpital
à dix heures du matin, je trouvai la » malade au lit. Elle se mit à parler avec
une vivacité et un esprit qu'on ne lui voyait jamais » hors de cetétat;
elle changeait quelquefois
de propos, et semblait parler à plusieurs de ses
amies, qui s'assemblaient autour de son lit; ce qu'elle disait semblait
avoir quelque suite
avec ce qu'elle avait dit dans son attaque du
jour précédent, où, ayant rapporté mot pour » mot
une instruction, en forme de catéchisme, qu'elle avait entendue la veille, elle
en fit des » applications morales et malicieuses à des personnes de la maison,
qu'elle avait soin de » désigner sous des noms inventés, accompagnant le tout
de gestes et de mouvements des » yeux qu'elle avait ouverts, enfin avec toutes
» les circonstances des actions faites dans la veille, et cependant elle était
endormie. C'était » un fait bien avéré, et personne n'en doutait » plus; mais
prévoyant que je n'oserais jamais » l'assurer, à moins que je n'eusse fait mes
» épreuves en forme, je les fis sur tous les organes des sens, à mesure qu'elle
débitait fous » ses propos.
» En premier lieu, comme cette fille avait les »
yeux ouverts, je crus que la feinte, s'il y en » avait, ne pourrait tenir
contre un coup de la » main, appliqué brusquement au visage ; mais » cette
expérience réitérée ne lui fît pas faire la » moindre grimace, et elle
n'interrompit point
le fil de son discours : je cherchai un. autre expédient, ce fut de
porter rapidement le doigt » contre l'œil, et d'en approcher une bougie »
allumée assez près pour en brûler les cils des » paupières, mais elle ne
clignota seulement » point.
» En second lieu, une personne cachée poussa » tout-à-coup un grand cri
vers l'oreille de cette » fille, et fit du bruit avec une pierre portée » contre
le chevet de son lit : cette fille en tout » autre temps aurait tremblé de
frayeur, mais » alors cela ne produisit rien.
» En troisième lieu, je mis dans ses yeux et » dans sa bouche de
I'eau-de-vie, de l'esprit de » sel ammoniac; j'appliquai sur la cornée même, »
d'abord la barbe d'une plume, ensuite le bout » du doigt, mais sans aucun
succès; letabac » soufflé dans le nez, les piqûres d'épingles, les » contorsions des
doigts faisaient sur elle le même » effet que sur une machine; elle ne donnait
». jamais la moindre marque de sentiment. »
Le dixième volume de la Bibliothèque
de médecine contient un mémoire sur une femme somnambule, qui
était insensible aux coups de fouets donnés sûr les épaules à nu ; on lui
frotte un jour le dos avec du miel : on l'exposa, dans cet
état et pendant un soleil ardent aux piqûres de mouches
à miel, qui lui firent une multitude d'ampoules, sans qu'elle laissât
échapper le moindre mouvement : mais étant réveillée, elle parut sentir de
vives douleurs aux endroits affectés, et se plaignit amèrement des mauvais
traitements qu'on lui avait fait éprouver.
Rappelez-vous, Messieurs, qu'il y a fort peu de
temps les journaux ont rendu compte d'une opération très-grave faite par un
chirurgien habile de la capitale, M. Cloquet, et que la personne qui a subi
cette opération en somnambulisme, n'a pas, témoigné la moindre douleur, et
cependant l'opération dura plus de douze minutes et l'ablation entière d'un
sein cancéreux eut lieu dans cet état. Voici cette expérience.
Mme
P, âgée de
soixante-quatre ans, demeurant rue Saint-Denis n° 151, consulta M. Cloquet, le
8 avril 1826, pour un cancer ulcéré qu'elle portait au sein droit depuis
plusieurs années et qui était compliqué d'un engorgement considérable des
ganglions axillaires correspondants. M. Chapelain, médecin ordinaire de cette
dame, qui la magnétisait depuis- quelques mois dans l'intention, disait-il, de
dissoudre l'engorgement
du sein, n'avait pu obtenir d'autre résultat sinon
de produire un sommeil très-profond, pendant lequel la sensibilité paraissait anéantie, les idées conservant
toute leur lucidité ; il proposa à M. Cloquet de l'opérer pendant qu'elle
serait plongée dans le sommeil magnétique. Ce dernier qui avait jugé
l'opération indispensable, y consentit; et le jour fut fixé pour le dimanche
suivant, 12 avril. La veille et l'avant-veille, cette daine fut magnétisée
plusieurs fois par M. Chapelain, qui la disposait lorsqu'elle était en
somnambulisme à supporter sans crainte l'opération, qui l'avait même amenée à
en causer avec sécurité, tandis qu'à son réveil, elle en repoussait l'idée avec
horreur. Le jour fixé pour l'opération, M. Cloquet en arrivant à dix heures et
demie du matin, trouva la malade habillée et assise dans un fauteuil, dans
l'attitude d'une personne paisiblement livrée au sommeil naturel. Il y avait à
peu prés une heure qu'elle était revenue de la messe qu'elle entendait
habituellement à la même heure; M. Chapelain l'avait mise dans le sommeil
magnétique depuis son. retour; la malade parla avec beaucoup de calme de
l'opération qu'elle allait subir. Tout était disposé pour l'opérer, elle se
déshabilla elle-même, et s'assit sur une chaise.
M. Chapelain soutint le bras droit, le bras gauche fut
laissé pendant sur le côté du corps. M. Pailloux, élève interne de l'hôpital
St-Louis, fut chargé de présenter les instruments, et de faire les ligatures.
Une première incision partant du creux de l'aisselle fut dirigée au-dessus de
la * tumeur jusqu'à la face interne de la mamelle. La deuxième commencée au
même point cerna la tumeur par en bas, et fut conduite à la rencontre de la
première; les ganglions engorgés furent disséqués avec précaution à raison de
leur voisinage de l'artère axillaire, et la tumeur fut extirpée. La durée de
l'opération a été de dix à douze minutes.
Pendant tout ce temps, la malade a continué à
s'entretenir tranquillement avec l'opérateur, et n'a pas donné le plus léger
signe de sensibilité : aucun mouvement dans les membres ou dans les traits,
aucun changement dans la respiration ni dans la voix, aucune émotion, même dans
le pouls, ne se sont manifestés : la malade n'a pas cessé d'être dans l'état
d'abandon et d'impassibilité automatiques où elle était quelques minutes avant
l'opération. On n'a pas été obligé de la contenir, on s'est borné à la soutenir.
Une ligature. a été appliquée sur l'artère thoracique latérale,
ouverte pendant l'extraction des ganglions : la plaie étant réunie par des
emplâtres agglutinatifs et pansée, l'opérée fut mise au lit toujours en
somnambulisme, dans lequel on l'a laissée quarante-huit heures : une heure
après l'opération il se manifesta une légère hémorrhagie qui n'eut pas de
suites, et le premier appareil fut levé le le mardi suivant 14; la plaie fut
nettoyée et pansée de nouveau, la malade ne témoigna aucune sensibilité ni
douleur; le pouls conserva son rithme habituel.
Après ce pansement, M. Chapelain réveilla la malade dont le sommeil
somnambulique durait depuis une heure avant l'opération, c'est-à-dire, depuis
deux jours. Cette dame ne parut avoir aucune idée, aucun sentiment de ce qui
s'était passé ; mais en apprenant qu'elle avait été opérée et voyant ses
enfants autour d'elle, elle en éprouva une très-vive émotion, que le
magnétiseur fit cesser en l'endormant de nouveau. (*)
(*)Il est des magnétiseurs qui no doutent de rien. Voyez-vous celte malade
dormant 4g heures de suite et, comme si ce n'était pas suffisant, on la
replonge dans le somnambulisme : on ne nous a pas dit combien ce second sommeil
a duré. Vous saurez que le sommeil magnétique accompagné d'insensibilité est
très-réparateur pendant deux heures environ, et qu'il dévient ensuite
Un dernier fait va corroborer ceux que je vous ai
fait connaître; je le tire du rapport de M. Husson, page 47.
M. Husson s'adressant aux membres de l'Académie ,
leur dit :
« Vous vous rappelez peut-être, Messieurs, » les
expériences qui furent faites en 1820, à » l'Hôtel-Dieu de Paris, en présence
d'un grand » nombre de médecins dont quelques-uns sont » membres de cette
Académie, et sous les yeux » du rapporteur qui seul en concevait le plan, » en
dirigeait tous les détails, et les consignait » minute par minute sur un
procès-verbal signé » par chacun des assistants.
Peut-être nous nous serions abstenu de vous » en
parler, sans une circonstance particulière » qui nous fait un devoir de rompre
le silence. » On se rappelle qu'au milieu des discussions que la proposition de
soumettre le magnétisme » animal à un nouvel examen, avait soulevées » dans le
sein de l'Académie, un membre, » (M. Recamier) qui du reste ne niait pas la » réalité
du magnétisme, avait avancé que tandis
très-excitant et qu'il détruit au lieu do réparer ;
mais je reviendrai prochainement sur la pratique des magnétiseurs, et s'ils se
plaignent de perdre des somnambules, ils sauront pourquoi.
» que les magnétiseurs proclamaient la guérison » de MlleSamson, elle
avait demandé à rentrer » à l'Hôtel-Dieu, où ajoutait-il, elle était morte »
par suite d'une lésion organique jugée incurable » par les gens de l'art.
» Cependant cette même demoiselle Samson, » reparut six ans après cette
prétendue mort., et » votre commission convoquée le 29 décembre » 1826, pour
faire sur elle des expériences, voulut » avant tout s'assurer si l'individu que
lui présentait M. Dupotet, dont d'ailleurs la bonne » foi lui était
parfaitement connue, était bien » la même que celle qui six ans avant avait été
» magnétisée à l'Hôtel-Dieu. MM. Bricheteau et » Patissier, qui avaient assisté
à ces premières » expériences , eurent la complaisance de se » rendre à
l'invitation de la commission, et conjointement avec le rapporteur, ils
constatèrent et signèrent que c'était bien la même personne » qui avait
été le sujet des expériences faites à » l'Hôtel-Dieu en 1820, et qu'ils
n'apercevaient en elle d'autre changement que celui qui annonce une amélioration
notable dans sa santé.
» L'identité ainsi constatée, MlleSamson fut » magnétisée par M. Dupotet en
présence de la » commission. À peine les passes furent-elles
» commencées que Mlle Samson s'agita
sur son » fauteuil, se frotta les yeux, témoigna de l'impatience, se plaignit,
et toussa d'une voix rauque qui rappela à MM. Bricheteau et Pâtissier et » au
rapporteur, ce môme timbre de voix qui » les avait frappés en 1820, et qui
alors, comme » dans la circonstance présente, était pour eux » l'indice du
commencement de Faction du ma~ » gnétisme. Bientôt elle frappa du pied, appuya
» sa tête sur sa main droite et son fauteuil, et leur » parut dormir, On lui
souleva la paupière,, et on » vit comme en 1820, le globe de l'œil tourné »
convulsivement en haut. Plusieurs questions lui » furent adressées et restèrent
sans réponse; puis » on lui en fit de nouvelles; elle fit des gestes »
d'ïmpatience, et répondit avec humeur qu'on ne » devait pas la tourmenter;
enfin, sans en avoir » prévenu qui que ce fût, le rapporteur jeta sur » le
parquet une table et une bûche qu'il avait » placée sur cette table.
Quelques-uns des assistants jetèrent un cri d'effroi, MlleSamson seule » n'entendit rien, ne fit aucune
espèce de mouvement et continua à dormir après comme avant » le bruit
violent et improvisé; on la réveilla » quatre minutes après en lui frottant les
yeux circulairement avec les pouces. Alors la même
» bûche fut jetée à l'improviste sur le parquet, le » bruit fît tressaillir
la magnétisée qui alors était » éveillée ; elle se plaignit vivement du
sentiment » de la peur qu'on venait de lui causer, tandis que » six minutes
auparavant elle avait été insensible à un bruit beaucoup plus fort. »
Cette expérience eut lieu à l'Académie de médecine, rue de Poitiers.
Jusqu'à présent, Messieurs, je ne vous ai entretenus que d'effets
magnétiques que je regarde comme les plus importants pour déterminer votre
conviction; car ces effets sont, par leur nature, moins sujets à contestation
que ceux qui vont suivre, et il vous eût été impossible de les rejeter, sans
nier l'évidence même.
Je vais vous tracer à présent l'historique d'un phénomène magnétique
particulier, je veux dire le somnambulisme. Mais, avant ce récit, permettez-moi
quelques réflexions ; je crains tant de vous voir douter de la vérité, que je
voudrais devancer dans vos esprits les objections que vont y faire naître les
nouveaux phénomènes que je vais vous exposer.
« Qu'eût-on répondu, avant la découverte des » lois des actions électriques
et galvaniques, à » celui qui fût venu assurer que le frottement de
» la résine et du verre, par le contact de deux » métaux convenablement disposés, pouvait » donner lieu aux
phénomènes étonnants que tout » le monde connaît? on n'aurait certainement pas
» manqué de traiter cet homme de visionnaire, » d'enthousiaste, et considéré le
résultatd'expériences positives comme des erreurs indignes de » réfutation;
cependant rien n'est plus vrai que » l'existence de ces phénomènes : qu'on
prenne » donc garde de commettre une pareille faute à » l'égard du
somnambulisme magnétique. Si le » contact de deux pièces métalliques, le
frottement du verre ou de la résine, corps dont les » propriétés sont à une
distance incommensurable » de celles d'un système nerveux et d'un cerveau humain,
peuvent amener des phénomènes aussi » extraordinaires, pourquoi ne voudrait-on
pas ' » concevoir que deux systèmes nerveux, deux » cerveaux, mis dans certains
rapports, puissent » produire un changement dans l'existence ordinaire de
ces organes, d'où résulte le phénomène » du somnambulisme. »
Eh bien, ce que je vous donne ici comme une hypothèse, va devenir une
vérité aussi positive que celle qui est si bien établie maintenant pour vous.
Autant il serait difficile de vous démontrer
que les phénomènes électriques n'existent pas,
autant on éprouverait de difficultés pour nous prouver que nous sommes dans
l'erreur, car notre jugement, comme le vôtre, repose sur des faits aussi
solidement établis.
Le somnambulisme, le plus étonnant des phénomènes
dont l'histoire des sciences fasse mention , viendra bientôt ouvrir un vaste
champ aux observateurs ; nous le connaissons àpeine, et déjà par lui l'on a rectifié des erreurs depuis
longtemps adoptées comme des vérités ; on se demande ce que deviendront nos
connaissances amassées avec tant de peines et de soins, s'il est vrai que des
individus plongés dans le somnambulisme aient une manière particulière
d'exister, des sens à part, une mémoire distincte et une intelligence plus
active que dans l'état de veille.
Mais avant de vous parler du somnambulisme
magnétique, nous devons vous entretenir du somnambulisme naturel, afin de vous
montrer l'analogie qui existe entre ces deux états.
« Tout le monde connaît les histoires des
somnambules naturels, entr'autres celle de ce jeune séminariste, dont
l'histoire est rappelée dans l'Encyclopedie, quise levait la nuit,
écrivait ses sermons, faisait des corrections minutieuses, écri-
vait de la musique , traçait son papier avec une
canne, savait bien distinguer toutes les notes et, lorsque les paroles ne
correspondaient pas aux notes, les recopiait dans un autre caractère, il
relisait ensuite ce qu'il venait d'écrire, même quand on interposait une
feuille de carton entre ses yeux, d'ailleurs bien fermés. »
Eh bien! leur état, d'abord variable chez chacun
d'eux, est l'image de ce qui arrive dans le somnambulisme artificiel.
« L'action des somnambules naturels est d'aller
d'un lieu dans un autre, les yeux fermés et dans la plus grande obscurité.
Gomment se fait-il qu'ils évitent avec autant d'adresse tous les obstacles qui
s'opposent à leur passage?
» Le domestique de Gassendi portait, la nuit, sur
sa tète, une table couverte de carafes, il montait un escalier très -
étroit, évitait les chocs avec plus d'habileté qu'il n'eût fait pendant la
veille, et arrivait à son but sans accidents. Comment la vue s'exerçait-elle
donc sans le secours de la lumière? »
Un somnambule écrivait les yeux fermés, mais en se
levant il avait cru avoir besoin de chandelle; il en alluma une. Les personnes
qui l'observaient l'éteignirent, aussitôt il s'aperçut qu'il
était, ou plutôt il crut être dans l'obscurité, car il y
avait d'autres lumières dans la chambre, il alla rallumer sa chandelle; il ne
voyait qu'avec celle qu'il avait allumée lui-même. : La Bibliothèque de
médecine, t. 10, p. 477, fait mention d'un somnambule qui, se levant de son lit
au milieu de la nuit, allait dans une maison voisine qui était en ruine, et
dont il ne restait que les gros murs et quelques poutres mal assurées;
le somnambule montait au plus haut de cette maison, sautait d'une poutre à
l'autre, quoiqu'il y eût au-dessous un profond abîme.
Le même ouvrage rapporte l'histoire d'un autre somnambule qui,
pendant la nuit, s'habillait, prenait ses bottes, ajustait ses éperons,
et ensuite se lançait sur le bord d'une fenêtre d'un cinquième étage, qu'il
prenait pour son cheval, et s'agitait dans cette posture avec tous les gestes
d'un cavalier gui court la poste.
C'est ce qui fait dire à Rehelini, médecin italien, auteur de plusieurs
observations sur le somnambulisme, qu'il faut nous contenter d'admirer les
effets merveilleux de cet état que la Providence semble offrir aux savants pour
les confondre et montrer les bornes de l'intelligence humaine.
« Les faits les plus nombreux et les plus authentiques rapportés par les
personnes les plus dignes de foi, prouvent que pendant le sommeil les sens
externes étant fermés à leurs excitants ordinaires, le cerveau acquiert un
surcroît d'activité, devient capable de choses au-dessus de sa portée
ordinaire, et la faculté d'établir des relations au moyen des organes de la
vue, du goût, de l'odorat, de l'ouïe, se transporte hors deses sens sur
des parties qui n'en sont pas douées dans l'état naturel. »
La nature nous offre encore des phénomènes analogues chez les hystériques,
les cataleptiques et les extatiques.
« Les facultés intellectuelles exercées pendant les songes (dit M.
Richerand) , peuvent nous conduire à certains ordres d'idées auxquelles nous
n'avions pu atteindre durant la veille ; c'est ainsi que des mathématiciens ont
achevé pendant leur-sommeil, les calculs les plus compliqués, et résolu les
problêmes les plus difficiles. »
Il serait superflu de vous citer d'autres témoignages de ces faits, ils
sont généralement admis. Peut-être que l'explication de phénomènessi étranges
nous sera bientôt révélée, j'en ai le pressentiment; je crois qu'en étudiant
les lois qui servent à la production du sommeil que nous sa-
vons faire naître, nous trouverons la clef de ces
doux états.
Une chose remarquable, c'est que les somnambules
prétendent ne pas dormir. Ce n'est pas un état de sommeil dans lequel nous
sommes, disent-ils, car nous voyons, nous sentons, et nous entendons lorsque
vous le voulez, et nous possédons ces facultés à un degré plus élevé que dans
notre état habituel.
II est, aujourd'hui, difficile de savoir qui a reconnu le
premier, parmi les magnétiseurs, le somnambulisme magnétique; on fait honneur
de cette découverte à M. de Puységur; il paraît cependant qu'il s'était
manifesté chez plusieurs malades, au traitement de Mesmer ; mais, soit que l'on
ne connût pas d'abord ce sommeil, soit que Mesmer trouvât bon d'en garder pour
lui la connaissance , afin d'être longtemps supérieur à ses élèves, personne ne
s'avisa d'interroger les dormeurs, eton
ne vit jamais Mesmer s'occuper d'eux en public.
M. de Puységur retiré à sa terre de Busancy près
de Soissons, mettait en pratique les leçons de son maître, et guérissait les
malades qui venaient le consulter en employant les procédés qu'il lui avait
fait connaître.
Ce fut là, au milieu d'un grand concours de malades et de curieux, que l'on
reconnut le somnambulisme, et qu'il parut s'offrir pour la première fois, avec
toutes ses merveilles,
M. de Puységur magnétisant son jardinier, il le vit s'endormir paisiblement
dans ses bras, sans convulsions ni douleurs; interrogé, il répondit sans se
réveiller.
Il serait difficile de vous rendre les sensations qu'éprouva M. de Puységur
à la vue de ce phénomène, qui en effet était bien capable d'émouvoir.
L'état somnambulique de cet homme continua pendant quelque temps, et M. de
Puységur en profita pour s'instruire.
Voici ce que lui-même écrivait à ce sujet : « C'est avec cet homme simple,
ce paysan, homme » grand et robuste, âgé de 25 ans, naturellement » affaissé
par la maladie, ou plutôt par le chagrin, » et par cela même plus propre à être
remué par » l'agent de la nature; c'est avec cet homme, » dis-je, que je
m'instruis, que je m'éclaire. > Quand il est dans l'état magnétique, ce n'est
» plus un paysan, ne sachant à peine répondre » une phrase; c'est un être que
je ne sais nomnier ; je n'ai pas besoin de lui parler; je pense
» devant lui, et il m'entend, me répond; vient-il » quelqu'un dans sa
chambre, il le voie si je » veux, il lui parle, lui dit les choses que je »
veux qu'il lui dise, non pas toujours telles que » je les lui dicte, mais
telles que la vérité l'exige, » quand il veut dire plus que je ne crois prudent
» qu'on entende, alors j'arrête ses idées, ses » phrases, au milieu d'un mot,
et je change son » idée totalement. »
M. de Puységur ajoute : « Je ne connais rien » de plus profond et de plus
clairvoyant que ce » paysan, quand il est en crise, l'en ai plusieurs » qui
approchent de son état, mais aucun ne l'égale. »
Plusieurs tombèrent ainsi en somnambulisme, et le moyen de faire naître
cette crise fut dés lors connu.
Beaucoup de personnes s'empressèrent d'aller voir ces phénomènes nouveaux,
qui passaient alors toute croyance, et constatèrent leur réalité dans plusieurs
ouvrages qui furent imprimés en 1784.
Voici l'extrait d'une relation des faits ; elle est d'un M. Cloquet.
« Attiré comme les autres à ce spectacle, j'y » ai tout simplement
apporté les dispositions d'un
» observateur tranquille et impartial» très-décidé » à me
tenir en garde contre les illusions de la » nouveauté, del'étonnement; très-décidé à Lien » voir, à bien écouter.
»
M. Cloquet, après avoir décrit les procédés
employés par M. de Puységur pour agir sur les malades, et diverses scènes de
magnétisation, ajoute :
« Le complément de cet état ( l'état magnétique)
est une apparence de sommeil, pendant » lequel les facultés physiques
paraissent suspendues ; mais au profit des facultés inteliectuelles. On a les
yeux fermés; le sens de l'ouïe • est nul, il se réveille seulement à la
vue du ■ maître.
» Il faut bien se garder de toucher le malade » en
crise, même la chaise sur laquelle il est assis, on lui causerait des
angoisses, des convulsions, que le maître seul peut calmer;
» Ces malades en crise, ont un pouvoir surnaturel
par lequel, en touchant un malade qui » leur est présenté, en portant la main,
même » par-dessus les vêtements, ils sentent quel est le » viscère affecté, la
partie souffrante ; ils le déclarent et indiquent à peu près les remèdes convenables.
» Je me suis fait toucher par une femme d'à peu
prés 50 ans. Je n'avais certainement instruit personne de l'espèce de ma
maladie. Après s'être arrêtée particulièrement à ma tète, elle me dit
que j'en souffrais souvent, et que j'avais habituellement un grand
bourdonnement dans les oreilles, ce qui est très-vrai. Un jeune homme,
spectateur incrédule de cette expérience, s'y est soumis ensuite, et il lui a
été dit qu'il souffrait de l'estomac, qu'il avait des engorgements dans le bas
ventre, et cela depuis une maladie qu'il a eue il y a quelques années; ce qu'il
a confessé être conforme à la vérité. Non content de cette divination, il a été
sur-le-champ à vingt pas de son premier médecin se faire toucher par un autre
qui lui a dit la même chose. Je n'ai jamais vu de stupéfaction pareille à celle
de ce jeune homme, qui certes était venu pour contredire, persiffier, et non
pour être convaincu.
» Une singularité non moins remarquable que tout
ce que je viens de vous exposer, c'est que ces dormeurs qui, pendant quatre
heures, ont touché des malades, ont raisonné avec eux, ne se souviennent de
rien, de rien absolument, lorsqu'il a plu au maître de les désenchanter, de
les rendre à leur état naturel : le temps qui
s'est écoulé depuis leur entrée dans la crise jusqu'à leur sortie, est pour
ainsi dire nul. Le maître a le pouvoir, non-seulement, comme je l'ai déjà dit,
de se faire entendre de ces somnambules en crise, mais je l'ai vu plusieurs fois
de mes yeux bien ouverts, je l'ai vu présenter de loin le doigt à un de ces
êtres, toujours en crise, et dans un état de sommeil spasmodique, se faire
suivre partout où il a voulu, ou les envoyer loin de lui, soit dans leur
maison, soit à différentes places qu'il désignait sans leur dire; retenez bien
que le somnambule a toujours les yeux bien exactement fermés. J'oubliais encore
de dire que l'intelligence de ces malades est d'une susceptibilité singulière :
si, à des distances assez éloignées , il se tient des propos qui blessent
l'honnêteté, ils les entendent pour ainsi dire intérieurement, leur âme en
souffre, ils s'en plaignent, et en avertissent le maître : ce qui plusieurs
fois a donné lieu à des scènes de confusion pour les mauvais plaisants qui se
permettaient des sarcasmes inconsidérés et déplacés chez M. de Puységur. » Il
suffît au maître, pour réveiller les somnambules, de leur passer les doigts sur
les yeux. »
M. de Puységur, que sa philantropie avait porté a s'occuper du magnétisme,
s'empressa de livrer sa découverte aux personnes qui s'occupaient comme lui de
cette science ; partout où l'on put obtenir le somnambulisme, l'admiration
qu'inspirait cet étrange phénomène, était si grande, qu'on allait consulter
ceux qui le présentaient, comme on va consulter des oracles, et l'enthousiasme
n'avait point de bornes chez ceux qui étaient témoins de ces scènes.
Cependant on se familiarisa peu à peu avec cet état, et la réflexion vint
le faire mieux apprécier.
Je dois vous dire, avant de continuer, que ce nouvel effet du magnétisme,
qui aurait dû hâter le développement et la connaissance du magnétisme, en
arrêta, au contraire, les progrès; on ne s'occupa plus que de somnambulisme, on
abandonna l'étude de la cause qui le produisait, pour ne considérer que le
phénomène en lui-même; il présentait, il est vrai, plus de charmes, et il
flattait davantage l'amour-propre de celui qui le faisait naître, en lui
montrant sa puissance, que des effets qui n'étaient manifestés que par des
guérisons accompagnées seulement de quelques phénomènes physiques peu
appréciables.
Vous apprendrez qu'aujourd'hui même c'est encore le défaut de ceux qui
magnétisent : ils sont, pour la plupart, en admiration devant leurs
somnambules, aussi ignorent-ils ce que c'est que l'action magnétique. Lorsque
je vous enseignerai la doctrine de ces magnétiseurs, vous verrez qu'ils sont
aussi loin de la vérité, en expliquant la cause du somnambulisme, que ceux qui
n'admettant que les faits, les expliquent par des causes hors de la nature.
Je ne veux point, Messieurs, vous entretenir des débats auxquels donna lieu
la découverte du somnambulisme; on contesta sa réalité comme on avait contesté
celle du magnétisme; on nia même sa possibilité, avec une obstination aussi
grande que celle qui faisait, aux juges de Galilée, nier le mouvement de la
terre. Mais les magnétiseurs , sans s'émouvoir, et certains de la vérité de ce
qu'ils avançaient, continuèrent, sans relâche, de produire le somnambulisme au
grand jour.
Le témoignage de beaucoup de personnes tout-à-fait désintéressées dans
cette question, firent douter les plus incrédules ; et, depuis cinquante ans,
époque de la découverte du somnambulisme, plusieurs milliers d'observations de
cette crise ont
été recueillies dans toutes les parties de la France, par ceux meme qui
avaient contesté la réalité de ce phénomène.
Quelles que soient les lois en vertu desquelles le magnétisme produit un
état particulier dans l'individu qui y est soumis, la multiplicité des faits ne
permet aucun doute sur la réalité du phénomène.
Examinons maintenant quel est cet état particulier, et voyons si son étude
mérite l'attention ou le dédain des gens instruits. Cette question va nous
faire juger si les admirateurs du magnétisme vont trop loin dans leurs
croyances, et si le» corps savants sont excusables de la lenteur qu'ils mettent
à se prononcer sur son existence. Car, « en supposant qu'on n'eût obtenu de
cette » découverte qu'une action sensible sur les corps » animés, elle n'en
offrirait pas moins en physique » un de ces phénomènes curieux et
extraordinaires qui nécessitent l'attention la plus sérieuse, » tout au moins
jusqu'à ce qu'il soit prouvé par » des expériences exactes , multipliées et
retournées en tout sens, qu'il n'y a aucun avantage » réel à en espérer.
» Mais cette dernière supposition serait inadmissible aujourd'hui,
puisqu'il est prouvé que
l'action du magnétisme animal est un moyen » de
soulagement et de guérison dans nos maladies. Seulement, l'indifférence sur
un fuit de » cette nature serait un phénomène plus inconcevable que la
découverte elle-même. »
Messieurs, avant de vous entretenir de mes propres
expériences sur le sommeil somnambulique, je vais vous donner connaissance des
divers résumés des facultés attribuées aux somnambules.
Vous remarquerez qu'il n'existe aucun type commun.
Il y a autant de différence entre les hommes en état de somnambulisme que l'on
en trouve entr'eux dans l'état de veille.
Le premier résumé est de M. le comte de Redern,
savant distingué, qui s'est beaucoup occupé du magnétisme :
«Le corps est plus droit que dans l'état de
veille, il y a une accélération marquée dans le » pouls et une augmentation
d'irritabilité dans le » système nerveux; le tact, le goût et l'odorat » sont
devenus plus subtils, l'ouïe ne perçoit que » les sons venant des corps avec
lesquels le somnambule se trouve en rapport direct ou indirect,
c'est-à-dire en communication de fluide » vital, parce que lui et son
magnétiseur les ont
touchés; ses yeux sont fermés et ne voient plus,
mais il a une vue que l'on peut appeler intérieure, celle de l'organisation de
son corps; de celui de son magnétiseur, et des personnes avec lesquelles on le
met au rapport ; il en voit les différentes parties, mais successivement et à
mesure qu'il y porte son attention; il en distingue la structure, les formes et
les couleurs : il a quelquefois la faculté d'apercevoir les objets extérieurs
par une vue particulière ; ils lui paraissent plus lumineux, plus brillants que
dans l'état de veille. Il éprouve une réaction douloureuse des maux des
personnes avec lesquelles il est en rapport; il aperçoit leurs maladies, il
prévoit les crises, il a la sensation des remèdes convenables, et assez souvent
celle des propriétés médicinales des substances qu'on lui présente... Son
imagination est disposée à l'exaltation : il est jaloux, rempli de vanité et
d'amour propre, disposé à user de petites jongleries, pour se faire valoir...
Sa volonté n'est pas inactive, mais elle est tres-aisément influencée par le magnétiseur.
On remarque des oppositions très-frappantes entre ses opinions ordinaires et
celles ' de l'état de somnambulisme; il condamne ses actions, et parle quel
quefois de lui-même comme d'une personne »
tierce qui lui serait tout-à-fait étrangère. Il » s'exprime mieux, il a plus
d'esprit, plus de » combinaison, plus de raison, plus de moralité » que dans
l'état de veille, dont toutes les idées » lui sont présentes..... Lorsque le
somnambule » revient à l'état de veille, il oublie entièrement » tout ce qu'il
a dit, fait et entendu pendant l'acces de la mensambulance, etc. »
Voici ce que dit un membre de la faculté de
médecine :
Le malade réduit en somnambulisme, n'entend
rien de ce qui se passe à côté de lui, immobile au milieu des plus grands mouvements,
il semble séparé de la nature entière, pour ne conserver de communication
qu'avec celui qui l'a mis dans cet état.
Celui-ci a acquis (par le seul fait de la magnétisation)
, un rapport intime avec le malade; à l'aide d'une espèce de levier
invisible, il le fait mouvoir à son gré; et telle est la force de son empire,
que non-seulement il s'en fait entendre en lui, parlant, et par
signes, mais encore parla seulepensée; et ce qu'il y a de plus étrange, c'est que le magnétiste
peut communiquer sa propriété à d'autres personnes par le simple contact,
et dès
ce moment la communication se continue entre le
somnambule et son nouveau directeur.
Le malade étant mis en somnambulisme, il se
fait chez lui une désorganisation qui rompt l'équilibre de ses sens; de
manière que les uns éprouvent une dégradation extrême, lorsque certains autres
acquièrent un degré prodigieux de subtilité.
Ainsi, chez quelques-uns, l'orne se perd ou
s'affaiblit, lorsque la vue devient d'une pénétration prodigieuse; chez
d'autres, la privation de la vue et de l'ouïe est compensée par
une délicatesse incroyable du toucher ou du goût.
Chez plusieurs, un sixième sens semble se
déclarer par une extrême de la faculté intellectuelle, qui surpasse la
portée ordinaire de l'esprit humain, etc., etc.
Ecoutons encore de nouveaux détails sur les
facultés attribuées aux somnambules.
« Lorsque le magnétisme produit le somnambulisme
(dit M. Husson), l'être qui se trouve » dans cet état acquiert une extension
prodigieuse > dans la faculté de sentir. Plusieurs de ses organes
extérieurs, ordinairement ceux de la vue et » de l'ouïe, sont assoupis, et
toutes lés opérations » qui en dépendent, s'opèrent intérieurement.
» Le somnambule a les yeux fermés, il ne voit »
pas par les yeux, il n'entend pas par les oreilles ; » mais il voit et entend
mieux que l'homme » éveillé.—Il ne voit et n'entend que ceux avec » lesquels il
est en rapport. Il ne voit que ce qu'il » regarde, et ordinairement il ne
regarde que les » objets sur lesquels on dirige son attention. Il est » soumis
à la volonté de son magnétiseur, pour » tout ce qui ne peut lui nuire, et pour
tout ce » qui ne contrarie point en lui les idées de justice » et de vérité. —
Il sent la volonté de son magnétiseur, — Il voit, ou plutôt, sent l'intérieur
de son » corps et celui des autres; mais il n'y remarque » ordinairement que
les parties qui ne sont pas » dans l'état naturel, et qui en troublent
l'harmonie. Il retrouve dans sa mémoire le souvenir » des choses qu'il avait
oubliées dans l'état de veille. » Il a des prévisions et des présentations qui
» peuvent être erronées dans plusieurs circonstances, et qui sont limitées dans
leur étendue. » Il s'énonce avec une facilité surprenante. Il » n'est point
exempt de vanité. Il se perfectionne » de lui-même pendant un certain temps,
s'il » est conduit avec sagesse ; il s'égare, s'il est mal » dirigé. Lorsqu'il
rentre dans l'état naturel, il » perd absolument le souvenir de toutes les sensations et de toutes les idées qu'il a eues dans l'état du somnambulisme;
tellement, que ces deux états sont aussi étrangers l'un à l'autre que si le
somnambule et l'homme éveillé étaient deux hommes différents, »
M. Husson continue et ajoute : « Des observateurs modernes assurent que
dans cet état de somnambulisme dont nous venons d'exposer analytiquement les
principaux phénomènes, les personnes magnétisées ont une lucidité qui leur
donne des idées positives sur la nature de leurs maladies, sur la nature des
affections des personnes avec lesquelles on les met en rapport, et sur le genre
de traitement à opposer dans ces deux cas. S'il est constamment vrai, comme on
prétend l'avoir observé, en 1820, à l'Hôtel-Dieu de Paris, que pendant ce
singulier phénomène la sensibilité soit tellement assoupie que l'on puisse
cautériser les somnambules; s'il est également vrai, comme on assuré l'avoir vu
à la Salpêtrière, en 1821, que les somnambules jouissent d'une prévision telle
que des femmes bien connues et traitées depuis longtemps comme épileptiques
aient pu prédire, vingt jours d'avance, le jour, l'heure, la minute où l'accès
épileptique devait leur arriver,
et armait en effet; enfin, s'il est également »
reconnu que cette singulière faculté peut être » employée avec avantage dans la
pratique de la » médecine, il n'y a aucune espèce de doute que » ce seul point
de vue mérite l'attention et l'examen de l'Académie. »
Telle est, Messieurs, la conclusion de M. Husson;
il demande l'examen et il ne craint pas d'avouer, en pleine Académie, la série
de phénomènes extraordinaires dont je viens de vous donner textuellement
lecture; et comme vous venez de l'entendre, s'ils sont vrais, ce dont
maintenant vous ne sauriez douter, ils méritent bien l'attention des savants.
Mais voici un autre médecin qui va encore plus avant
que M. Husson, dans l'affirmation des faits.
Je dois vous faire tontes ces citations, avant de
vous dire jusqu'à quel point les faite qu'elles contiennent me paraissent
fondés.
Bans un mémoire adressé à l'Académie de Médecine,
afin de provoquer ce corps à l'étude du magnétisme, ce médecin s'exprime ainsi
:
« En posant, dit-il, successivement la main » sur
la tête, la poitrine, et l'abdomen d'un inconnu, mes somnambules en découvrent
aussitôt » les maladies, les douleurs et les altérations diverses qu'elles occasionnent; ils indiquent en » outre si la cure est
possible, facile on éloignée, » et quels moyens doivent être employés pour »
atteindre ce résultat, par la voie la plus prompte » et la plus sûre. Dans cet
examen, ils ne s'écartent jamais des principes avoués de la saine médecine.
Quoique ce soit promettre beaucoup, » je n'hésite point à le faire. Il
n'est point de maladie aiguë ou chronique, simple ou compliquée, je n'en
excepte aucune de celles, qui ont » leur siège dans les trois cavités splanchniques,
» que les somnambules ne puissent découvrir et » traiter convenablement.
» Déjà (continue ce médecin), un grand nombre » de fois j'ai fait une
application heureuse du » magnétisme animal, au traitement de maladies » qui
jusque-là avaient été méconnues ou regardées comme incurables. Je m'en suis
aidé avec » le même succès dans les maladies ordinaires, » connues par leurs
symptômes, leur marche » et leur terminaison, et j'ai toujours observé » que
les indications fournies par les somnambules étaient pleines de sagacité, de
précision » et de certitude. »
Je suis forcé, Messieurs, d'accumuler les témoignages en notre faveur, à
mesure que les faits
deviennent plus extraordinaires; ainsi, ne soyez donc pas surpris si je ne
les abandonne pas encore, pour remonter à leurs causes et vous donner mon
opinion sur leur valeur.
Les phénomènes magnétiques ont été trop longtemps contestés, pour me
permettre de ne vous citer que des faits isolés ; je dois vous faire connaître
que le nombre des personnes instruites qui les ont constatés est considérable ;
et lorsque vous ne pourrez plus mettre en doute l'existence du phénomène dont
je vous entretiens, il me sera plus facile de vous donner les moyens d'arriver
à le produire vous-mêmes.
Les épithètes peu honorables que l'on donne journellement dans le monde aux
personnes qui s'occupent du magnétisme animal, me prescrivent cette
réserve. Vous le savez, on ne nous épargne guère : nous devons donc nous
justifier, non par des raisonnements, parce qu'ils prouvent peu, mais par des
faits, qui sont plus concluants.
Je suivrais une autre méthode, si l'Académie de Médecine de Paris s'était
enfin prononcée en faveur du magnétisme; le ridicule serait alors pour ceux qui
nieraient son existence ; mais lorsque je vois des hommes, d'ailleurs
estimables, reculer devant l'opinion de quelques confrères, et
cacher la vérité, parce qu'ils craignent les luttes qu'il leur faudrait
soutenir en sa faveur, il est de mon devoir de vous faire connaître l'opinion
des gens sensés, qui, moins timides, ont osé publier leurs travaux et dire ce
qu'ils avaient observé dans le magnétisme.
« En général, dit M. Deleuze, le somnambule » magnétique saisit des
rapports innombrables ; il » les saisit avec une extrême rapidité, il parcourt
» en une minute une série d'idées qui exigerait » pour nous plusieurs heures ;
le temps semble » disparaître devant lui : lui-même s'étonne de » la variété et
de la rapidité de ses perceptions; » il est porté à les attribuer à
l'inspiration dune » autre intelligence* Tantôt c'est en lui-même »
qu'il voit cet être nouveau ; il se considère luimême en somnambulisme comme
une personne » différente de lui-même éveillé ; il parle de luimême à la
troisième personne, comme de » quelqu'un qu'il connaît, qu'il juge, à qui il »
donne des conseils, à qui il prend plus ou » moins d'intérêt. Tantôt il entend
une intelligence, une âme qui lui parle, qui lui révèle » une partie de ce
qu'il veut savoir. » (*)
(*) Virgile nous montre la Sybille parlant à Enée dans l'état que nous présentent
quelques somnambules.
Ouvrez le Cours de matière médicale, de Desbois de
Rochefort, publié par M. Lullier-Winslow, et vous pourrez y lire un chapitre
qui contient toutes les preuves nécessaires pour se
former une opinion sur le magnétisme. Voici quelques-unes des assertions de
l'auteur :
«C'est le Dieu, dit-elle, c'est le Dieu
lui-même gui me saisit / Lorsqu'elle parlait ainsi à la porte du temple,
tout-à-coup on vit de l'altération sur son visage. Elle changea de
couleur, ses cheveux se hérissèrent, sa respiration s'embarrassa, et je ne sais
quelle fureur divine s'empara de son cœur. Auto approches du Dieu, sa taille
sembla croître, et ses paroles ne furent plus celles d'une mortelle. »
Deus, ecce Deus! cui talia fanti Ante fores, subito
non vultus, non color unus, Non compta mansere comae, sed pectus anhelum. Etrabie fera corda lument, majorque vlderl, Nee
mortale sonans,afflata est numine quando
Jam propiore Dei, etc.
Liv. VI de l'Enéide, vers 47.
L'esprit, dit- on, agissait, avec tant de force sur
cens qui allaient dormir dans les temples, qu'ils étaient ravis hors
d'eux-mêmes , de sorte qu'ils avaient des visions divines extraordinaires , et
qu'ils découvraient divers mystères. Lorsque l'esprit commençait d'agir sur
eux, leur visage se changeait, ils avaient des mouvements propres à effrayer
les assistants, ils tombaient par terre comme s'ils eussent eu le mal caduc ; étendus
par terre, ils y demeuraient couchés comme des morts, pendant assez longtemps;
quelquefois tout leur corps tremblait d'une manière effrayante; d'autres fois
ils demeuraient couchés semblables à des troncs, comme si leur corps fût devenu
immobile. Se réveillant ensuite de leur extase et de leur songe, ils récitaient
des visions surprenantes que l'esprit leur avait procurées.
« Lorsque les Lapons veulent connaître ce qui se
passe loin
des lieux où ils se trouvent, ils envoient à la
découverte le » démon qui leur est familier ; et après s'être exalté
l'imagination • au son des tambours et de certains instruments de musique, »
ils éprouvent une sorte d'ivresse, pendant laquelle des choses » dont ils
n'eussent jamais eu connaissance dans leur état naturel, » leur sont subitement
révélées. »
On trouve encore dans l'histoire profane plusieurs
exemples semblables ; il y a entre autres le fait suivant, tiré d'un livre qui
traite des rites, des cérémonies et des mystères en usage parmi la Brames. Il a
été écrit bien avant l'expédition d'Alexandre le Grand dans l'Inde : il y est
dit que, par une pratique commune dans ce pays-là, qu'on appelle Matricha
Machom, ils obtiennent une nouvelle sorte de vie. Ils considèrent la région
épigastrique comme étant le siège habituel de l'âme. Ils promènent leur main
depuis cet endroit du corps jusqu'à la tête; ils pressent, ils frottent
quelques nerfs qu'ils supposent correspondre a ces différentes parties ; ils
prétendent qu'en agissant ainsi ils transportent l'âme au cerveau. Aussitôt que
le Brame se croit arrivé à ce point-là, il pense que son corps et son âme sont
réunis avec la divinité, et qu'il en fait partie.
« Toutes les fois que je le veux, dit Cardan, je
sors de mon corps de manière à n'éprouver aucune sensation, comme si j'étais en
extase. Lorsque j'y entre, ou, pour mieux dire, lorsque je me mets enextase, je sens que mon ame se sépare de mon cœur,
comme si elle s'en retirait, ainsi que de tout le reste du corps, par une
petite ouverture qui se fait d'abord à la tête, et particulièrement au
cervelet. Cette ouverture, qui s'étend tout le long de l'épine dorsale» ne se
maintient qu'avec beaucoup
d'efforts. Dans cette situation, je ne sens rien
autre chose, sinon que je me sens hors do moi-même étranger a moi-même. Mais c'est avec peine, que je me maintiens
dans cet état pour quelques instants seulement.
« Il reste évident, dit-il, que le magnétisme » animal est un principe
essentiellement inconnu » dans ses éléments, mais très-évident dans ses »
étonnants effets; que ce principe impalpable, » impondérable ,dont
la nature nous est inconnue, quoiqu'il paraisse avoir quelque rapport » avec
l'électricité, est tellement subtil, qu'il » semble être mis en mouvement ou en
action , » et transmis d'un individu à un autre, par le » seul acte de la
volonté; et que lorsqu'il agit, il » développe sur beaucoup d'individus, des
phénomènes très-variables, dont les principaux sont » la suspension momentanée
de la toux,des bâillements, une sorte de stupeur ou d'abasourdissement, un sommeil
plus ou moins profond, un état demi-cataleptique, des convulsions, et » enfin
un véritable état de somnambulisme, » souvent accompagné d'une sorte de
transport » des sens vers l'épigastre et d'une incroyable » extension de là
sensibilité.
Tout cela, Messieurs, est du somnambulisme, n'importe
le moyen employé pour le produire.
» C'est ce somnambulisme, effet extrême du » magnétisme animal, qui a
promis et qui permet «quelques applications utiles au diagnostic et » au
traitement des maladies. C'est au moyen de » ce développement incompréhensible,
inexprimable, de la sensibilité générale, que les somnambules magnétiques,
non-seulement, parviennent, sans le secours des sens, à la connaissance
des objets qui les environnent et sur » lesquels leur attention est dirigée ou
se dirige » naturellement, mais encore acquiert la faculté » de connaître des
objets placés à une distance, » ou placés (relativement au somnambule) au-»
delà des corps bien reconnus opaques, et par » suite de connaître le jeu et le
mouvement de leur propre organisation , ou de celles des individus qui leur
sont présentés. Les faits les » plus positifs, les plus avérés, les plus
irrécusables, justifient, assurent, garantissent tous » ces phénomènes du
somnambulisme magnétique, et ont prouvé que dans certaines circonstances, la
clairvoyance des somnambules pouvait étre d'un grand secours pour déterminer »
le siège et la nature des maladies, surtout celles » qui se rangent dans la
classe des organiques. »
Ce médecin donne ensuite la nomenclature
des maladies dans lesquelles on l'a employé avec succès.
Ecoutez encore ce qu'un autre membre de l'Académie de Médecine, M. Chardel,
disait à «elle compagnie, lors de la discussion sur le magnétisme :
« Au rang des phénomènes provoqués le plus » constamment par,l'action magnétique,
il faut » placer : 1° Un sommeil profond et prolongé » qui précède et qui suit
constamment la pro-» duction du somnambulisme. 2° L'exaltation, » des
facultés intellectuelles. 3° Une perfection » de la vue, qui permet au
somnambule d'apercevoir le fluide magnétique. 4° La faculté d'acquérir
des notions sur l'état des organes internes, etc., etc. »
Je voudrais, Messieurs, abréger toutes ces citations , mais je ne le puis
maintenant. Je dois vous citer encore le témoignage d'un homme tout-à-fait
désintéressé dans la question du magnétisme , et ce sera le dernier.
Après avoir parlé du somnambulisme naturel en général, et du somnambulisme
symptômatique, M. le baron Massias s'exprime ainsi à l'égard du
somnambulisme magnétique. (*)
(*) Voyez son Traité de Philosophie psycho-physiologique. (F.Didot,l830.)
« Le somnambulisme artificiel, dit-il, est le produit de certains procédés
consistanten gestes , attouchements, actes de la volonté qui le déterminent chez les
sujets propres à en éprouver les effets ; il est comme inoculé par le
magnétiseur. L'état naturel de celui chez qui il agit avec succès, l'état
magnétique qui survient, sont ordinairement séparés par quelques temps de
sommeil. Dans la crise, un grand nombre de facultés sont endormies, ce qui a
fait conserver le nom de somnambulisme au magnétisme animal, bien qu'il y ait
quelquefois magnétisme sans sommeil.
» Tandis que le somnambulisme naturel est purement organique et individuel,
et ne met le somnambule en communication qu'avec lui-même , le somnambulisme
artificiel met le somnambule en rapport avec le magnétiseur et les personnes
avec lesquelles celui-ci le fait communiquer.
Une portion seulement des facultés intellectuelles du somnambule restent
éveillées; elles le sont toutes pour le somnambule magnétique à l'égard de ceux
avec qui il est en rapport.
» Le somnambule naturel dépend de son imagination et de certaines
impressions corporelles;
le somnambule magnétique dépend de la volonté et
dos moyens de son magnétiseur.
» II se fait identification de l'organisation du somnambule
magnétique, de celle de son magnétiseur, et des personnes avec qui ce dernier
le met en rapportait moyen d'un léger contact; de sorte qu'il a en lui la
notion de ce qui se passe organiquement dans autrui, qu'il sent les maladies
qu'il n'a pas, et qu'il a l'instinct des remèdes qui leur conviennent; ce qui,
au grand scandale de la médecine classique, a donné naissance à une médecine
magnétique.
» Le somnambule magnétique a la connaissance de
l'état, de l'organisation d'une personne absente par l'intermédiaire d'un
vêtement qu'elle aura porté, ou d'un objet qu'elle aura touché.
» Il a le pouvoir de se rappeler ou d'oublier, au
gré de son magnétiseur, ce qu'il a éprouvé durant l'accès du. somnambulisme.
» Il se fait en lui, lorsque le veut le
magnétiseur, interversion des sensations, et il trouve doux ce qui est amer, et
amer ce qui est doux. Il change également ses goûts et ses déterminations
habituelles.
» Quelquefois, lorsque l'action du magnétiseur
dépasse les forces du somnambule, ou par
une prédisposition des organes de celui-ci, il
tombe dans une léthargie parfaite, voisine de la mort.
» On devrait croire que les facultés
intellectuelles du somnambule tombé dans une léthargie absolue, sont aussi
inertes et aussi nulles que ses facultés corporelles ; il n'en est point ainsi.
11 y a pensée, rêves et somnambulisme dans le somnambulisme. Revenu de sa
léthargie et placé dans son état de somnambulisme antérieur, le crisiaque
raconte tout ce qu'il a ressenti de ravissant et de merveilleux durant son
apparente insensibilité absolue. Ce qui pour le spectateur était mort, pour lui
était une nouvelle existence, cent fois plus active et plus intense que la vie
habituelle. Les mêmes accès se renouvelant, les mêmes visions se renouvellent;
rendu à l'état de simple somnambulisme , la mémoire lui en revient, et elle ne
s'efface qu'à un réveil complet, etc. »
Je borne ici mes citations, pour ne point vous
fatiguer; dans une autre séance nous examinerons quelques effets particuliers
que produit la magnétisation, effets quevous
ne trouverez décrits nulle part.
Après m'avoir entendu, vous serez naturellement
portés à penser que le plus petit effet nerveux, aussi bien que l'exaltation de certaines
fonctions, l'extase, la catalepsie et le somnambulisme , résultent d'une cause
unique, agissant toutefois en raison de l'idiosyncrasie de chaque individu, ce
qui vous expliquerait la variété et le peu d'uniformité de ces effets. (*)
(*) « L'esprit donne a l'un de parler avec sagesse
; il donne à » l'autre de parler avec science ;à l'autre le don de
guérir les > malades ; à on autre le pouvoir de faire des opérations
miraculeuses ; à un autre le discernement des esprits ; à un autre le don »
de parler diverses langues ; et a un autre celui de les interprêter. Mais
c'est un seul et meme esprit qui opère toutes ces » choses, distribuant
à chacun ses dons, selon qu'il lui plaît. »
St. Paul.
Quel pas de géant la découverte du magnétisme a
fait faire aux Connaissances humaines ! Non seulement tous les grands
phénomènes de la nature sont expliqués sans peine; mais encore, ce qu'on ne
peut trop admirer, à la connaissance des principes constituants de son être, on
joint la faculté de les analyser, de les isoler pour ainsi dire. On est
parvenu, en quelque sorte, à soulever l'âme du corps, pour la faire paraître
dans presque toute son énergie, toute sa science; enfin, dans l'état
le plus approchant, où elle peut être, de la
Divinité, avant qu'elle s'y réunisse à jamais.
Par cette porte, le temple des merveilles
éternelles est ouvert à l'oeil terrestre de l'homme.
Les mécréants traiteront la doctrine magnétique de
rêverie, et les somnambules de fanatiques ; mais nous n'écrivons pas pour ces
esprits durs et négatifs ; nous savons que la plus grande folie est de soutenir
la sagesse au milieu des fous seulement ; pour empêcher leurs déclamations de
faire impression sur les esprits sains, nous ramènerons à des idées simples,
naturelles et connues, tout ce que le magnétisme et le somnambulisme paraissent
avoir de merveilleux.
Nous savons tous que l'âme est un être simple, une
émanation de la Divinité, qu'elle est faite à sa ressemblance, qu'elle est
souverainement intelligente et active, qu'elle connaît tout, car du moment
qu'elle est dégagée du corps, rien ne lui est plus caché ; et ses facultés ne
sont bornées que par l'imperfection des sens matériels dont elle est
enveloppée, et dont la surcharge la domine presque toujours.
Ou sait, en second lieu, que les âmes ont la faculté d'agir les unes sur
les autres. Cela est prouvé par la sympathie, l'antipathie, la communication
des idéeset de toutes les affections morales.
Ceci posé,si, dans la crise du sommeil, on parvient à réduire le corps à un état
tellement végétatif, que tout ce qu'il y a de physique en lui soit comme
précipité; le principe moral se trouvera dégagé à un certain point de son union
intime avec le physique; il surnagera, pour ainsi dire, et agira presqu'en
liberté; il sera rendu à peu prés à ses qualités essentielles, qui sont
l'activité, l'intelligence et la science infinies; et dés lors, rien d'étonnant
dans la crise des somnambules ; parla, on répond à tout et sans rien forcer.
Et en effet, au regard moral, qu'est-ce que te sommeil? C'est cette absorption
physique dont nous venons de parler.
Qu'est-ce que le sommeil magnétique? C'est cette absorption plus forte et mieux réglée
qui amène l'esprit assez hors des sens, pour voir et agir par lui • même, et ne
le met pas assez loin
des sens, pour opérer,la désunion totale et l'empêcher de conserver la
communication nécessaire à la vie, à la parole et aux gestes, etc.
Que serait l'absorption totale? Ce serait la mort. Que serait l'absorption outrée, mais nontotale?Ce serait le
délire ou la mort intellectuelle, qui précède toujours la mort animale. On peut
comparer l'homme qui sommeille à un mélange composé de deux liqueurs, dont
l'une est plus lourde et s'est précipitée vers le fond; l'autre surnage sans se
désunir entièrement. Far l'agitation, le mélange recommence, et l'homme
s'éveille : si la désunion est totale, le mélange ne peut plus se reformer, et
l'homme est mort.
Comment le somnambule peut-il parler de choses dont il n'a point pris de
notions préliminaires? Ille peut, parce que son âme. étant douée à un degré
éminent, de toutes les connaissances possibles (*), elle les rend avec plus
d'énergie et
de perfection, suivant que par l'absorption des
sens,elle est plus ou moins libre. Si
elle était parvenue à la perfection absolue, elle serait totalement libre, et
l'homme mourrait.
(*} En effet, une connaissance n'est que te souvenir d'une impression.
L'âme étant en harmonie avec l'universalité des êtres, doit avoir reçu toutes
les impressions possibleset doit se les rappeler, dès qu'elle n'est pas
hébétée par l'enveloppe physique. Quand nous serons morts, nous saurons tout.
C'est la fiche de consolation après avoir perds la partie.
Pourquoi faut-il tant de peine pour apprendre, si
la science est innée, et pourquoi cette peine n'est-elle pas égale chez tous
les hommes? C'est qu'il faut, dans les points qu'on étudie, mettre l'âme plus ou moins
à nu, lui ouvrir un cours à travers les enveloppes de la matière; c'est ce
qu'on appelle se creuser le cerveau : l'on y parvient avec plus ou moins de
facilité, suivant que le physique cède plus ou moins volontiers au travail* Onpeut, dans ce sens, comparer l'âme à une lanterne sourde
: l'on apprend en faisant des trous à la lanterne, pour en faire sortir la
lumière; on oublie quand le trou s'oblitère.
Qu'est -ce qui prouve que la science est une
qualité de l'âme et qu'elle ne s'imprime point, mais qu'elle segrave?Toutes les œuvres du génie, dont l'origine est presque toujours
un effet spontané non réfléchi et accidentel d'une tète heureusement
disposée. Une idée neuve est un trou qui se fait à la lanterne du centre à la
superficie : une idée acquise est un trou que l'on fait de la superficie
au centre. La superficie est à notre disposition; c'est pour cela que nous nous
élevons facilement à toutes les connaissances qu'on nous donne. L'intérieur est
hors de notre volonté; voilà pourquoi les œuvres morales de génie sont toujours
accidentelles et rares. Elles arrivent plus facilement dans les lanternes
très-taraudées, parce que l'enveloppe est plus mince.
Tout homme de génie sentira la vérité de cette
doctrine. Les poètes ont remarqué que toutes les idées neuves et brillantes
venaient sans travail, subitement ou par une espèce d'émission
très-voluptueuse, tandis que les idées tirées des combinaisons connues, étaient
le fruit d'un travail long et douloureux. Bans le premier cas, c'est un volcan
qui vomit l'or tout fondu : dans le second , c'est un maître de mine qui le
cherche dans les entrailles de la terre, et l'extrait avec dépense et fatigue.
Si c'est un sentiment naturel, comment ne le
connaît-on pas? On ne l'a jamais connu généralement, parce qu'il y a peu d'hommes de génie,
et que ceux qui ont un sens de moins, doutent de
ce que les autres en disent. Mais de tout temps on a connu cette expiration
que l'âme jette au dehors des sens, et que j'appelle le génie ou une étincelle
de la science innée. Tous les poètes ont eu un démon et se sont dit inspirés.
Cicéron pose en principe que l'on naît poëte, et que l'on devient orateur. Il
dit, dans ses Tusculanes, que ce qui donne aux enfants plus de facilité à
apprendre qu'aux adultes, c'est que l'âme des uns et des autres porte la
science innée et universelle; mais que les tarières qu'il faut forer pour y
parvenir, sont plus faciles à traversées organes délicats : c'est ce qu'il fait
bien sentir par ces mots : Ut potiùs reminiscere quàm ediscere dicantur. De
sorte qu'ils paraissent plutôt se ressouvenir qu'apprendre. Dans le somnambule,
l'âme est tout à jour, et voilà pourquoi il sait tout..
Mais, comment connaît-il le passé et l'avenir? Le passéet l'avenir sont des connaissances ; l'âme
les a toutes : du moment qu'elle est mise en liberté, elle les développe.
Mais pourquoi tout le monde n'est-il pas somnambule? Parce qu'il y a peu d'individus dont les
sens soient assez souples pour laisser ainsi l'âme
s'échapper à demi, ou pour dire mieux, luire à travers une légère tunique.
Telles sont les idées des magnétiseurs sur le somnambulisme, et leur
réponse aux questions les plus embarrassantes.
FIN DE LA TROISIÈME LEÇON.
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