RAPPORT SUR LES EXPÉRIENCES MAGNÉTIQUES FAITES PAR LA COMMISSION DE L'ACADÉMIE ROYALE DE MÉDECINE, Lu
dans les séances des 21 et 28 juin 1831.
Je ne pouvais donner plus de valeur à ce traité
qu'en y joignant une copie du rapport de l'Académie royale de médecine.
L'exemplaire qui m'a servi m'avait été remis par les membres de la commission,
quelques jours après la lecture qui en fut faite en séance publique.
La science du magnétisme a fait bien des progrès
depuis cette époque, et bientôt sans doute MM. de l'Académie regretteront
amèrement de n'avoir pas suivi le conseil du président de la commission , M.
Husson. Cet homme distingué sollicitait avec ardeur l'Académie de s'emparer au plus tôt de cette découverte avant qu'elle n'eût
pénétré dans les masses; on n'écouta pas un aussi sage avis, l'entêtement et
l'orgueil ont prévalu sur la raison, et aujourd'hui on pourrait dire aux
médecins ce mot devenu fameux : il est trop tard. La vérité en effet ne
peut plus être mise sous le boisseau , elle va parcourir le monde, folle
d'abord, car elle est trop jeune et trop forte pour être sage, mais elle
reviendra ensuite au lieu d'où elle fut chassée pour y rentrer en maîtresse.
RAPPORT sur le MAGNETISME
Messieurs,
Plus de cinq ans se sont écoulés depuis qu'un jeune
médecin, M. Foissac, dont nous avons eu de fréquentes occasions dejuger le zèle et l'esprit observateur, crut devoir
fixer l'attention de la section de médecine sur les phénomènes du magnétisme
animal. Il lui rappela que le rapport fait en 1784, par la Société royale de
médecine, avait trouvé, parmi les commissaires chargés des expériences, un
homme consciencieux et éclairé qui avait publié un rapport contradictoire à
celui de ses collègues; que, depuis cette époque, le magnétisme avait
été l'objet de nouvelles expériences, de nouvelles recherches ; et, si la
section le jugeait convenable, il proposait de soumettre à son examen une
somnambule qui lui paraissait propre à éclairer une question que plusieurs bons
esprits de France et d'Allemagne regardaient loin d'être résolue, bien qu'en
1784, l'Académie des sciences et la Société royale de médecine eussent prononcé
leur jugement contre le magnétisme. Une commission composée de Messieurs
Adelon, Burdin aîné, Marc, Pariset, et moi, fut chargée de vous faire un
rapport sur la proposition de M. Foissac.
Ce rapport, présenté à la section de médecine dans
sa séance du 15 décembre 1825, concluait à ce que le magnétisme fût soumis à un
nouvel examen ; cette conclusion donna lieu à une discussion animée qui se
prolongea pendant trois séances, les 10 et 24 janvier et 14 février 1826. La
commission répondit dans cette dernière séance à toutes les objections dont son
rapport avait été l'objet; et dans ta meme séance,
après une mûre délibération, après le mode jusqu'alors inusité en matière de
science, d'un scrutin individuel, la section arrêta qu'une commission spéciale
serait chargée d'examiner de nouveau les phénomènes du magnétisme animal.
Celte nouvelle commission composée de MM. Bourdois,
Double, Itard, Guencau deMussy, Guersent, Fouquier,
Laénnec, Leroux, Magendie, Marc et Thillaye, fut nommée dans ta séance du 28
février 4826. Quelque temps après, M. Laénnec, ayant été forcé de quitter
Paris, pour raison de santé, je fus désigné pour le remplacer, et la commission
ainsi constituée s'occupa de remplir la mission dont elle avait été investie.
Son premier soin, avant la retraite de M. Laénnec,
fut d'examiner la somnambule qui avait été offerte par M. Foissac.
Diverses expériences furent faites sur elle dans le
local de l'Académie; mais, nous devons l'avouer, notre inexpérience, notre
impatience, notre dé fiance trop vivement
manifestées peut-être ne nous permirent d'observer que des phénomènes
physiologiques assez curieux, que nous vous ferons connaître dans la suite de
notre rapport, mais dans lesquels nous n'observâmes aucun phénomène du
somnambulisme. Cette somnambule, fatiguée sans doute de notre exigence, cessa à
cette époque d'être mise à notre disposition, et nous dûmes chercher dans les
hôpitaux des moyens de poursuivre nos expériences.
M. Pariset, médecin de la Salpetrière, pouvait plus
que qui ce fût nous aider dans nos recherches; il s'y prêta avec un
empressement qui malheureusement n'a point eu de résultat. La commission qui
fondait une grande partie de ses espérances sur les ressources que pouvait lui
fournir cet hôpital, soit sous le rapport des individus qu'elle aurait soumis
aux expériences, soit sous celui de la présence de M. Magendie, qui avait
demandé à les. suivre comme commissaire, la commission, disons-nous, se voyant
privée des moyens d'instruction qu'elle espérait y trouver, eut recours au zèle
de chacun de ses membres.
M. Guersent lui promit le sien dans l'hôpital des
Enfants, M. Fouquier, dans celui de la Charité, MM. Gueneau et le rapporteur
dans l'Hotel-Dieu. M. Itard, dans l'institution des
Sourds-muets; et dès lors, chacun se disposa à
faire des essais dont il devait rendre témoins les autres membres de la
commission. Bientôt d'autres et de plus puissants obstacles ne tardèrent pas à
arrêter nos travaux; les causes qui ont pu faire naître ces obstacles nous sont
inconnues; mais en vertu d'un arrêté du conseil général des hospices, en date
du 19 octobre 1825, qui défendait l'usage de tout remède nouveau qui n'aurait
pas été approuvé par une commission nommée par le conseil, les expériences
magnétiques ne purent être continuées à l'hôpital de la Charité.
Réduite à ses propres ressources, a celles que les
relations particulières de chacun de ses membres pouvaient lui offrir, la
commission fit un appela tous les médecins connus
pour faire ou avoir fait du magnétisme animal l'objet de leurs recherches. Elle
les pria de la rendre témoin de leurs expériences, de lui permettre d'en suivre
avec eux la marche, d'en constater les résultats. Nous déclarons que nous avons
été on ne peut mieux servis dans nos espérances par différents de nos
confrères, et surtout par celui qui, le premier, avait soulevé la question de
l'examen du magnétisme, par H. Foissac. Nous ne craignons pas de déclarer ici
que c'est à sa constante et persévérante intervention, et au zèle actif de M.
Dupotet, que nous devons la majeure partie des matériaux que nous avons pu
réunir pour rédiger le rapport que nous vous présentons. Toutefois, Messieurs,
ne croyez pas que votre commission ait dans aucune circonstance confié à
d'autres qu'à elle, le soin de la direction des expériences dont elle a été
témoin; que d'autres que le rapporteur aient tenu minute par minute la plume
pour la rédaction des procès-verbaux constatant la succession des phénomènes
qui se présentaient, et à mesure qu'ils se présentaient. La commission a mis a
remplir tous ses devoirs, l'exactitude la plus scrupuleuse; et si elle rend
justice à ceux qui l'ont aidée de leur bienveillante coopération, elle doit
détruire les plus légers doutes qui pourraient s'élever dans vos esprits sur la
part plus ou moins grande que d'autres qu'elle auraient' prise dans l'examen de
cette question. C'est elle qui a toujours conçu les divers modes
d'expérimentation, qui en a tracé le plan, qui en a constamment dirigé le
cours, qui en a suivi et écrit la marche ; enfin, en se servant d'auxiliairesplus ou moins zélés et éclairés,
elle a toujours été présente, et toujours elle a
imprimé sa direction propre à tout ce qui a été' fait.
Aussi vous verrez qu'elle n'admet aucune expérience
faite on dehors de la commission, meme par des membres de l'académie.
Telle confiance que doivent établir entre nous l'esprit de confraternité et
l'estime réciproque dont nous sommes tous animés, nous avons senti que dans
l'examen d'une question dont la solution est si délicate, nous ne devions nous en
rapporter qu'à nous seuls; et que vous, vous ne pouviez vous en rapporter qu'à
notre garantie. Nous avons cru cependant devoir excepter de cette exclusion
rigoureuse, un fait très-curieux, observé par M. Cloquet; nous l'avons admis,
parce qu'il était déjà, pour ainsi dire, la propriété de l'académie, la section
de chirurgie s'en étant occupée dans deux de ses séances.
Cette réserve que la commission s'est imposée,
Messieurs, dans l'usage des différents faits relatifs à la question qu'elle a
étudiée avec tant de soin et d'impartialité, nous donnerait le droit d'en
demander le retour, si quelques personnes qui n'auraient pas été témoins de nos
expériences, voulaient élever des discussions sur leur authenticité. Par la
raison que nous n'appelons votre confiance que sur ce que nous avons vu et
fait, nous ne pouvons pas admettre que ceux qui en même temps que nous et avec
nous, n'auraient ni vu ni fait, pussent attaquer ou révoquer en doute ce que
nous avancerons avoir observé : et comme, enfin, nous avons toujours eu la plus
grande défiance des annonces qu'on nous faisait des merveilles qui devaient
arriver, et que ce sentiment nous a constamment dominés dans toutes nos
recherches, nous pensons avoir quelque droit à ce que, si vous ne nous accordez
pas votre croyance, vousn'éleviez
cependant aucun doute sur les dispositions morales et physiques dans lesquelles
nous avons toujours procédé à l'observation des divers phénomènes dontnous avons été temoins.
Ainsi, Messieurs, ce rapport que nous sommes loin
de vous présenter comme devant fixer votre opinion sur la question du
magnétisme, ne peut, ne doit être considéré que comme la réunion et la
classification des faits que nous avons observés jusqu'à présent; nous vous
l'offrons comme une preuve que nous avons cherché à justifier votre confiance;
et tout en regrettant qu'il ne répose pas sur un plus grand nombre
d'expériences, nous avons cependant l'espoir que vous l'accueillerez avec
indulgence, et que vous en entendrez la lecture avec quelque Intérêt. Nous
croyons, toutefois, devoir vous prévenir que, ce que nous avons ru dans nos
expériences, ne ressemble en aucune manière à tout ce que le rapport de 1784
cite des magnétiseurs de cette époque. Nous n'admettons ni nous ne rejetons
l'existence d'un fluide, parce que nous ne l'avons pas constatée; nous ne
parlons ni du baquet, ni de la baguette, ni de la chaîne que l'on établissait
en faisant communiquer tous les magnétisés par les mains, ni de l'application
des moyens prolongés pendant longtemps, et quelquefois pendant plusieurs heures
sur les hypocondres et le ventre, ni du chant, ni de la musique qui
accompagnaient les opérations magnétiques, m' de la réunion d'un grand nombre
de personnes qui se faisaient magnétiser en présence d'une foule de témoins,
parce que toutes nos expériences ont eu lieu dans le calme le plus parfait,
dans le silence le plus absolu, sans aucun moyen accessoire, jamais par un
contact immédiat, et toujours sur une seule personne à la fois.
Nous ne parlons pas de ce que du temps de Mesmer,
on appelait si improprement crise, et qui consistait en convulsions, en rires
quelquefois inextinguibles, en pleurs immodérés, en cris perçants, parce que
nous n'avons jamais rencontré ces différents phénomènes.
Sous tous ces rapports, nous ne balançons pas à prononcer
qu'il existe une très-grande différence entre les faits observés et jugés en
1784, et ceux que nous avons recueillis dans le travail que nous avons
l'honneur de vous présenter; que celte différence établit entre les uns et les
autres une ligne de démarcation on ne peut plus tranchée, et que, si la raison
a fait justice d'une grande partie des premiers, l'esprit de recherches et
d'observation doit s'étudier à multiplier et apprécier les seconds.
Il en est du magnétisme, Messieurs, comme de
beaucoup d'autres opérations de la nature, c'est-à-dire, qu'il est nécessaire
que certaines conditions soient réunies pour produire tels
et tels effets; c'est une vérité incontestable, et
qui, s'il était besoin do preuves pour la constater, se trouverait confirmée
par ce qui arrive dans divers phénomènes physiques. Ainsi sans sécheresse dans
l'atmosphère, vous ne pourrez développer que fàiblementl'électricité; sans la chaleur, vous n'obtiendrez
jamais la combinaison du plomb et de l'etain, qui est la soudure commune des
plombiers; sans la lumière du soleil, vous ne verrez pas s'enflammer
spontanément le mélange de parties égales en volume de chlore et d'hydrogène,
etc., etc. Que ces conditions soient extérieures ou physiques, comme celles que
nous venons de vous citer; qu'elles soient intimes, ou morales, comme celles
que les magnétiseurs prétendent être indispensables au développement des
phénomènes magnétiques, il suffit qu'elles existent et qu'elles soient exigées
par eux, pour que la commission ait dû se faire une obligation de chercher à
les réunir, et un devoir de savoir s'y soumettre. Pourtant nous n'avons dû ni
voulu nous dépouiller de cette inquiète curiosité qui nous portait en même
temps à varier nos expériences et à mettre en défaut, si nous le pouvions, les
pratiques et les promesses des magnétiseurs. Sous ce double rapport, nous avons
cru devoir nous affranchir de l'obligation qu'ils imposent d'avoir une foi
robuste, de n'être mus que par l'amour du bien. Nous avons cherché tout
simplement à être des observateurs curieux, méfiants et exacts.
Nous n'avons pas dû non plus chercher à expliquer
ces conditions : c'eût été une question de pure controverse, et pour la
solution de laquelle nous n'aurions pas été plus avancés que lorsqu'il s'agit
d'expliquer les conditions en vertu desquelles s'exécutent les phénomènes
physiologiques, en vertu desquelles aussi, et comment a lieu l'action des
médicaments; ce sont des questions du même genre, et sur lesquelles la science
n'a point encore prononcé.
Dans toutes les expériences que nous avons faites,
nous avons toujours observe le silence le plus rigoureux, parce que nous avons
pensé que dans le développement de phénomènes aussi délicats, l'attention du
magnétiseur et du magnétisé ne devait être distraite par rien d'étranger. Nous
ne voulions pas, d'ailleurs, mériter le reproche d'avoir nui par des
conversations ou par des distractions au succès de l'expérience; et nous avons
toujours eu soin que l'expression de nos
physionomies n'inspirât ni gene au magnétiseur, ni doute au magnétisé; notre
position, nous aimons à le répéter, a été constamment celle d'observateurs
curieux et impartiaux. Ces diverses conditions, dont plusieurs avaient été
recommandées dans les ouvrages du respectable M. Deleuze, ayant été bien
établies, voici ce que nous avons vu :
La personne qui devait être magnétisée a été placée
assise, soit sur un fauteuil commode, soit sur un canapé, quelquefois môme sur
une chaise.
Le magnétiseur, assis sur un siège un peu plus élevé,
en face et à un pied de distance d'elle, parait se recueillir quelques moments,
pendant lesquels il prend ses pouces entre les deux doigts, de manière à ce que
l'intérieur de ses pouces touche l'intérieur des siens. Il fixe les yeux sur
elle, et reste dans cette position jusqu'à ce qu'il sente qu'il s'est établi
une chaleur égale entre ses pouces et les siens. Alors il relire ses mains en
les tournante dehors, les pose sur les épaules où il les laisse environ une
minute, et les ramène lentement par une sorte de friction très-légère le long
des bras jusques à l'extrémité des doigts; il recommence 5 ou 6 fois ce mouvement, que les magnétiseurs appellent
passe; puis il place ses mains au-dessus de la tête, les y tient un
moment, les descend en passant devant le visage à la distance d'un ou deux
pouces, jusques à l'épigastre où il s'arrête encore, en appuyant ses doigts sur
cette partie; et il descend lentement le long du corps jusques aux pieds. Ces
passes se répètent la plus grande partie de la séance; et lorsqu'il veut la
terminer, il les prolonge au-delà de l'extrémité des mains et des pieds en
secouant ses doigts à chaque fois. Enfin, il lait devant le visage et la
poitrine des passes transversales à la distance de trois à 4 pouces en
présentant les deux mains rapprochées, et en les écartant brusquement.
D'autres fois, il rapproche les doigts de chaque
main, et les présente à 3 ou 4 pouces de distance de la
tête ou de l'estomac, en les laissant dans cette positionpendantuneou deux minutes; puis lès
éloignant et les rapprochant alternativement de ces parties, avec plus ou moins
de promptitude, il simule le mouvement tout naturel qu'on exécute, lorsqu'on
veut se débarrasser d'un liquide qui aurait humecté l'extrémité des doigts. Ces
divers
modes ont été suivis dans toutes nos expériences,
sans nous attacher à l'un plutôt qu'à l'autre, souvent n'en employant qu'un,
quelquefois nous servant de deux, et nous n'avons jamais été dirigés dans le
choix que nous en avons fait par l'idée qu'un mode produirait un effet plus
prompt et plus marqué que l'autre.
La commission ne suivrapas dans l'énumération des faits qu'elle a observés,
l'ordre des temps dans lequel elle les a recueillis; il lui a paru beaucoup
plus convenable et surtout beau» coup plus rationnel de vous les présenter
classés selon le degré, plus ou moins prononcé, de l'action magnétique qu'elle
a reconnu dans chacun d'eux.
Ainsi nous avons établi les quatre divisions
suivantes :
1° Les effets du magnétisme sont nuls chez les personnes
bien portantes, et chez quelques malades.
2°Ils sont peu marqués chez d'autres.
3° Ilssont souvent le produit de l'ennui, de la monotonie, de l'imagination.
4° Enfin on les a vus se développer indépendamment
de ces dernières causes, très-probablement par l'effet du magnétisme seul.
1° Effets nuls. Le rapporteur de la commission
s'est soumis à' plusieurs reprises à des expériences magnétiques. Une fois,
entre autres, jouissant alors d'une santé parfaite, il a eu la constance de se
tenir pendant 314 d'heures assis, dans la même position, les yeux formés, dans
une immobilité complète, et il déclare n'avoir ressenti dans cette épreuve
aucune especed'effets, bien que l'ennui de la position, et le silence absolu
qu'il avait recommandé d'observer, eussent été très-capables de produire le
sommeil. M. de Mussy a subi la môme épreuve avec le même résultat. Dans une
autre circonstance où le rapporteur était tourmenté par des douleurs
rhumatismales très-violentes, et très-opiniâtres, il s'est laissé magnétiser à
plusieurs reprises, et jamais il n'a obtenu de ce moyen le plus léger
soulagement, quoique bien certainement l'acuité de ses souffrances lui fit
désirer vivement de les voir, sinon disparaître, au moins-s'a-doucir.
Le 11i novembre 1826, notre
respectable collègue, M.Boùrdois, éprouvait depuis deux mois un malaise qui
exigeait de sa
part une attention particulière pour sa manière
habituelle de vivre. Ce malaise, nous disait-il, n'était pas son état normal,
il en connaissait la cause, et pouvait en fixer le point de départ. Dans ces
conditions, qui, d'après l'assertion de M. Dupotet, étaient favorables au
développement des phénomènes magnétiques, M. Bourdois fut magnétisé par ce méme
M.
Dupotet,
en présence de MM. Itard, Mare, Double, Gueneau, et le rapporteur. L'expérience
commence a 3 heures 33 minutes; le pouls alors battait-84 fois, nombre qui, au
rapport de M. Double et de M. Bourdois, est celui de l'état normal. A 3 heures
41 minutes on cessa l'expérience, et M. Bourdois n'a absolument rien éprouvé. Mous
avons seulement noté que le pouls était descendu à 72 pulsations, c'est-à-dire
12 de moins qu'avant l'expérience.
Dans lameme séance, notre collègue, M. Itard, atteint depuis
huit ans d'un rhumatisme chronique, dont le siège était alors dans l'estomac, et
souffrant dans ce même moment d'une crise habituelle attachée à sa maladie ( ce
sont ses expressions), se fait magnétiser par M. Dupotet; à 3 heures 50minutes,
son pouls bat 60 fois, à 3 heures 57 minutes, il ferme les yeux, à 4 heures 3
minutes, on cesse de le magnétiser, il nous dit que pendant le temps qu'il a eu
les yeux ouverts, il a cru sentir l'impression du trajet des doigts se porter
sur ses organes, comme s'ils avaient été frappés d'une bouffée d'air chaud;
mais qu'après les avoir fermés, et l'expérience, continuant, il n'avait plus
éprouvé la même sensation; il ajoute qu'au bout de 5 minutes, il a senti un mal
de tête qui occupait tout le front, et le fond des orbites, avec un sentiment
de sécheresse a la langue, bien que la langue observée par nous fût
très-humide; enfin, il dit que la douleur qu'il éprouvait avant l'expérience et
qu'il avait annoncé être dépendante de l'affection dont il se plaignait, avait
disparu, mais qu'elle était en général très-mobile. Nous avons noté que le
pouls était monté à 74 pulsations, c'est-à-dire 14 de plus qu'avant
l'expérience.
Nous aurions pu très-certainement vous rapporter
d'autres observations dans lesquelles le magnétisme n'a eu aucune espèce
d'action; mais outre l'inconvénient de citer des faits sans aucun résultat,
nous avons pensé qu'il vous suffirait d'avoir connaissance de ce que trois
membres de la commission avaient
expérimenté sur eux-memes, pour avoir une certitude
plus complète de la vérité de nos recherches.
2° Effets peu marqués. Il ne vous aura pas échappé,
Messieurs, que le dernier fait de la série précédente présentait un
commencement d'action du magnétisme, nous l'avons placé a la fin de cette
section pour servir de chaînon à ceux qui vont suivre.
M. Magnien, docteur en médecine, âgé de 54 ans,
demeurant rue St.-Denis, n° ....marchant très-difficilement par suite d'une
chute faite il y a plusieurs années sur le genou gauche, et très-probablement
aussi par suite du développement d'un anévrisme du cœur auquel il a succombé au
mois de septembre dernier, a été magnétisé par le rapporteur le 48, 49, 20, 24,
22 et 23 août 1826. Le nombre des pulsations a été moindre a la fin des 5
séances qu'au commencement ; ainsi il a baissé de 96 à 90, de 98 à 88, de77 à
71, de 82 à 79, de 80 à 78, et dans la 6 ce nombre a été le même au commencement qu'à la fin, c'est-a-dirc 83. Les
inspirations ont été égales, à une seule exception où elles ont été à 20 au
commencement, et à 20 a la fin. M. Magnien a constamment éprouvé une sensation
de fraîcheur, dans toutes les parties vers lesquelles les doigts du magnétiseur
ont été dirigés et maintenus longtemps dans la meme direction. Ce phénomène ne
s'est pas démenti une seule fois.
Notre collègue, M. Roux, qui se plaignait d'une
affection chronique de l'estomac, a été magnétisé six fois par H. Foissae, les
27, 29 septembre, 1, 3, 5 et 7 octobre 1827; il éprouva d'abord une diminution
sensible dans le nombre des inspirations et des battements du pouls, ensuite un
peu de chaleur à l'estomac, une grande fraîcheur au visage, la sensation d'une
vaporisation d'éther même quand on n'exécutait point de passes devant lui, et
enfin une disposition marquée au sommeil.
Anne Bourdin, âgée de 25 ans, demeurant rue du
Paon, n° 15, a été magnétisée les 17, 20 et 21 juillet 4826, à l'Hôtel-Dieu,
par M. Foissac, en présence du rapporteur. Cette femme disait se plaindre de
céphalalgie, et d'une névralgie qui avait son siège dans l'œil gauche. Pendant
les 3 séances magnétiques, nous avons vu les inspirations s'élever de 16 à 59,
de 44 à 20, elles pulsations de 69 à 79, de 60 à 68, de 76 a 95. La tète s'est
appesantie pendant ces 3 épreuves, cette femme s'est endormie
quelques minutes, il ne «'opéra aucun changement
dans la névralgie de l'œil, il y a eu de l'amélioration dans la céphalalgie.
Therese Tierlin a été magnétisée
les22,23,24,29 et 30 juillet 4826. Elle était entrée à l'Hôtel-Dieu, se
plaignant de douleurs dans le ventre et dans la région lombaire. Pendant les 5
séances magnétiques, nous avons vu les inspirations s'élever de 15 a 17, de 18
à 19, de 20 à 25, et s'abaisser de 27 à 24, et les pulsations s'éleverde448 à
125,de100â 120, de100a113, de95à98, de 117 à 120. Nous avons remarqué que cette
femme semblait avoir peur des mouvements des doigts et des mains du
magnétiseur, qu'elle les fuyait, en retirant sa tète en arrière, qu'elle les
suivait pour ne pas les perdre de vue, comme si elle eût à en redouter un mal
quelconque; elle a été visiblement tourmentée pendant les 5 séances.
Nous
avons observé chez elle de fréquents et longs soupirs, quelquefois entrecoupés,
le clignotement et l'abaissement des paupières, le frottement des yeux, la
déglutition assez fréquente de la salive, mouvement qui chez d'autres
magnétisés a constamment précédé le sommeil, et enfin la disparition de la
douleur dé la région lombaire.
La commission, en rapprochant ces différents faits,
n'a voulu fixer votre attention que sûr la série des phénomènes physiologiques
qui se sont développés dans les 2 derniers. Elle ne peut attacher aucune
importance à cette amélioration partielle survenue dans les symptômes des
très-insignifiantes maladies de ces deux femmes. Si ces maladies existaient, le
temps et le repos ont pu en triompher. Si elles n'existaient pas, comme il
arrive trop souvent, la feinte a dû disparaître sans le magnétisme, comme avec
le magnétisme. Ainsi, Messieurs, nous ne vous les avons présentés que comme les
premiers éléments, pour ainsi dire, de l'action magnétique, que vous verrez'se
prononcer davantage, à mesure que nous parcourrons les autres divisions que
nous avons établies.
3° Les effets observés sont souvent produits par
l'ennui, la monotonie et l'imagination. La commission a eu plusieurs occasions
de remarquer que la monotonie des gestes, que le silence religieux observé dans
les expériences, quel'ennui occasionné par une position constamment la môme,
ont produit le sommeil chez plusieurs individus, qui cependant n'étaient pas
.soumis a l'influence magnétique, mate qui se retrouvaient
dans les memes circonstances physiques et morales dans lesquelles précédemment
on les avait endormis; dans ces cas
il
nous a été impossible de ne pas reconnaître la puissance de l'imagination,
puissance en vertu de laquelle ces individus croyant être magnétisés,
éprouvaient les mêmes effets que s'ils l'avaient été. Mous citerons
particulièrement les observations suivantes.
Mlle. Lemaitre, âgée de 35
ans, était affectée depuis trois ans d'une amaurose, quand elle entra à
l'Hôtel-Dieu. Elle a été magnétiséeles7,13,14,15,16,17, 18,19, 20,21 et 22juillet 1826. Nous
ne répéterons pas ici les différents phénomènes qui ont marqué le commencement
de l'action magnétique, et que nous avons détaillés dans la section précédente,
tels que le clignotement, l'abaissement des paupières, le frottement des yeux
comme pour se débarrasser d'une sensation incommode, l'inclination brusque de
la tète et la déglutition de la salive. Ce sont, comme nous vous l'avons dit,
des signes que nous avons observés constamment et sur lesquels nous ne
reviendrons plus. Nous dirons seulement que nous avons remarqué un commencement
de somnolence à la fin de la 3e séance, que cette somnolence a été
en croissant jusques à la 11e, qu'à dater de la 4e des
mouvements convulsifs des muscles du cou et de la face, des mains, de l'épaule,
se sont manifestés, et qu'à la fin de chaque séance, nous avons trouvé plus
d'accélération dans le pouls qu'au commencement; mais ce qui doit le plus fixer
votre attention, c'est qu'après avoir été magnétisée dix fois, et avoir paru
les huit dernières successivement de plus en plus sensible à l'action du
magnétisme, M. Dupotet, son magnétiseur, s'assit d'après l'invitation du
rapporteur à la onzième séance, le 20 juillet, derrière elle, sans faire aucun
geste, sans avoir aucune intention de la magnétiser, et qu'elle éprouva une
somnolence plus mnarquée que les jours précédents, mais moins d'agitation et
demouvements convulsifs. Du reste il ne s'est manifesté aucune amélioration
dans l'état de sa vue depuis le commencement des expériences, et elle est
sortie de l'Hôtel-Dieu, comme elle y était entrée.
Louise Ganot, domestique, demeurant rue du Battoir,
n° 19, entrée à l'Hôtel-Dieu, le 18 juille 1826, salle St.~Roch,n°17, pour y être traitée d'une leucorrhée, a été
magnétisée par
M. Dupotet, les21,22,23, 24, 25,26, 27et 28 juillet
1826; elle était, nous a-t-elle dit, sujette à des attaques de nerfs, et en
effet, des mouvements convulsifs de la nature de ceux qui caractérisent
l'hystérie se sont constamment développés chez elle pendant toutes les séances
magnétiques; ainsi les cris plaintifs, laroideur et la torsion des membres supérieurs, la
direction de la main vers l'épigastre, le renversement de tout le corps en
arriére, de manière a former un arc dont la concavité était dans le dos,
quelques minutes de sommeil qui terminaient cette scène, tout dénotait chez
celte femme des attaques d'hystérie que l'on aurait pu croire etreoccasionnées par
l'influence magnétique. Nous avons voulu savoir jusqu'à quel point l'imagination
pouvait agir sur elle; et à la 6° séance, le 26 juillet, M. Dupotet qui, jusqu'alors,
l'avait magnétisée, se plaça en faco d'elle et a deux pieds de distance, sans
avoir de contact avec elle, sans exercer aucune manœuvre; mais ayant la vive
intentionde produire sur elle
quelques phénomènes magnétiques, l'agitation, les mouvements convulsifs, des
soupirs longs et entrecoupés, la roideur des bras ne tardèrent pas à se
manifester comme dans les séances précédentes. Le lendemain 27, nous plaçons H.
Dupotet derrière elle, et elle est assise dans le grand fauteuil à joues dont
elle s'est servie dans les expériences précédentes. Le magnétiseur se borne à
diriger l'extrémité de ses doigts en face de la partie moyenne de son dos, et
par conséquent le derrière du fauteuil est interposé entre la magnétisée et le
magnétiseur.
Bientôt les mouvements convulsifs des jours
précédents se déclarent plus violemment, et souvent elle tourne la tète en
arrière. Elle nous dit à son réveil qu'elle a exécuté ce mouvement parce qu'il
lui semblait qu'elle était tourmentée par quelque chose qui agissait derrière
elle. Enfin, après avoir observé, ' les 26 et 27 juillet, le développement des
phénomènes magnétiques, bien que dans un cas il n'y eût pas eu de manœuvres,
mais seulement l'intention, et que dans l'autre, ces manœuvres très-simples (la
direction des doigts ), aient eu lieu par derrière et à l'insu de ladite dame
Ganot, nous avons voulu expérimenter si les mêmes phénomènes se reproduiraient
en l'absence du magnétiseur. C'est ce qui est arrivé le 28 juillet. M Ganot a
été mise dans toutes les circonstances semblables à celles des autres épreuves; meme heure de la
journée, (5 heures et demie du matin), meme local, môme silence, meme fauteuil,
memes assistants, memes préparatifs, tout, en un root, était comme les six
jours précédents; il ne manquait que le magnétiseur, qui était resté chez lui;
les mômes mouvements convulsifs se sont déclarés peut-etre avec un peu moins de
promptitude et de violence, mais toujours avec le môme caractère.
Un homme agé de 27 ans, sujet depuis 15 à des
attaques d'épilepsie, a été magnétisé 15 fois à l'Hôtel-Dieu, depuis le 27 juin
jusqu'au 47 juillet 1820, par le rapporteur de la commission. Le sommeil a
commencé à paraître a la 4e séance, le 1 juillet; il a été plus fort
à la 5°, le 2 du meme mois. Dans les suivantes il a éte assez léger et on
l'interrompait facilement, soit par du bruit, soit par des questions; le
rapporteur eut la précaution, dans les 13° et 14°, de se placer derrière le
fauteuil dans lequel il était assis, et là, défaire les passes; à la 15 séance qui eut lieu le17
juillet, il continna a le placer, comme il l'avait fait pour la dame Ganot,
dans les mêmes circonstances, où il le mettait depuis le commencement des
expériences; il se plaça de meme derrière son fauteuil, etles memes phénomènes de somnolence se
manifestèrent, bien qu'il ne l'ait point magnétisé; nous avons dû
nécessairement conclure de cette série d'expériences que ces deux femmes et que
cet épileptique ont éprouvé les mômes effets lorsqu'ils étaient magnétisés, et
lorsqu'ils croyaient l'être; que par conséquent, l'imagination a suffi pour
produire chez eux des phénomènes qu'avec peu d'attention ou qu'avec de la
préoccupation d'esprit on aurait pu attribuer au magnétisme.
Mais nous nous empressons de déclarer qu'il est
plusieurs antres cas, et aussi rigoureusement observés, dans lesquels il nouseût été difficile de ne pas admettre le magnétisme
comme cause de ces phénomènes. Mous les plaçons dans notre 4e
classe.
Un enfant de 28 mois, atteint comme son père, dont
il sera parlé plustard, d'attaques d'épilepsie, fut magnétisé chezM. Bourdois,
par H. Foissac, le 6 octobre1827. Presqu'immédiatement après le commencement
des passes, l'enfant se frotta les yeux, fléchit la tète de côté, l'appuya sur
un des coussins du canapé sur lequel on l'avait assis, bâilla, s'agita, se
gratta la tète et les
oreilles, parut combattre le sommeil qui semblait
vouloir l'en* vahir, et bientôt se releva, permettez-nous l'expression, en
grognant; le besoin d'uriner le prit, et après qu'il l'eut satisfait, il parut
très-éveillé : il fut encore magnétisé; mais comme il ne paraissait pas, cette
fois, voisin du sommeil, on cessa l'expérience.
Nous rapprochons de ce fait celui d'un sourd-muet
âgé de 48 ans, sujet depuis longtemps a des accès d'épilepsie très-fréquents,
sur lequel M. Itard voulut essayer l'action du magnétisme ; ce jeune homme a
été magnétisé 15 fois par M. Foissac. Nous no dirons pas ici que les accès
épileptiques furent suspendus pendant les séances, et qu'ils ne revinrent qu'au
bout de huit mois, retard sans exemple dans l'histoire de sa maladie; mais nous
dirons que les phénomènes appréciables que ce jeune homme éprouva pendant les
expériences, furent la pesanteur des paupières, un engourdissement général, le
besoin de dormir, et quelquefois même des vertiges.
Une action encore plus prononcée a été observée sur
un membre de la commission, M. Itard, qui, le 11 novembre 1820, s'était soumis,
comme nous l'avons dit, à des expériences, et qui n'en avait ressenti aucun
effet. Magnétisé par M. Dupotet, le 27 octobre 1827, il a éprouvé de
l'appesantissement sans sommeil, un agacement prononcé des nerfs de la face,
des mouvements convulsifs dans les ailes du nez, dans les muscles de la face et
des mâchoires, un afflux dans la bouche d'une salive d'un goût métallique,
sensation analogue a celle qu'il avait éprouvée par le galvanisme. Les deux
premières séances ont provoqué une céphalalgie qui a duré plusieurs heures, et
en môme temps les douleurs habituelles ont beaucoup diminué. Un an après, M.
Itard, qui avait des douleurs dans la tète, fut magnétisé 18 fois par M.
Foissac; le magnétisme a provoqué presque constamment un afflux de salive, et
deux fois avec une saveur métallique; on observait peu de mouvements et de
contractions musculaires, si ce n'est quelques soubresauts dans les tendons des
muscles des avant-bras et des jambes. M. Itard, nous a dit que sa céphalalgie
avait cessé chaque fois après une séance de 12 à 15 minutes, qu'elle n'existait
plus à la 9e, lorsqu'elle fut rappelée par une interruption de trois
jours dans le traitement magnétique, et dissipée de nouveau par ce moyen; il
a éprouvé pendant l'expérience la sensation d'un
bien-être général, une disposition a un sommeil agréable, de la somnolence
accompagnée de rêvasseries vagues et agréables; sa maladie subit, comme
précédemment, une amélioration notable qui ne fut pas de longue durée après la
cessation du magnétisme.
Ces trois observations ont paru à votre commission
tout-a-fait dignes de remarque ; les deux individus qui font le sujet des deux
premières, l'un cet enfant de 28 mois, l'autre, le sourd-muet, ignorent ce
qu'on leur fait : l'un d'eux meme n'est pas en état de le savoir, et l'autre
n'a 'jamais eu la moindre idée de ce qui concerne le magnétisme; tous deux sont
cependant sensibles à son action, et bien certainement on ne peut attribuer
chez l'un ni chez l'autre cette sensibilité à l'imagination ; elle lui est bien
moins attribuable encore dans l'observation que nous avons rapportée de M.
Itard.
Ce n'est point sur des hommes de notre âge, et
comme nous, toujours en garde contre les erreurs de notre esprit et de nos
sens, que l'imagination, telle que nous l'envisageons ici, a de la prise : elle
est, à celte époque de la vie, éclairée par la raison , et dégagée de ces
prestiges qui séduisent si facilement la jeunesse; c'est à'cet âge qu'elle se
tient en éveil, et que la défiance, plutôt que la confiance, préside aux
diverses opérations de notre esprit. Ces circonstances se sont heureusement
rencontrées chez notre collègue; et l'académie le connaît trop bien pour ne pas
admettre que ce qu'il dit avoir éprouvé, il l'a réellement éprouvé. Sa véracité
a été la meme, et le 11 novembre 1820, lorsqu'il a déclaré n'avoir rien ressenti,
et le 27 octobre 1827, quand il affirme devant nous avoir été sensible à
l'action du magnétisme.
La somnolence observée dans les (rois faits que
nous venons de rapporter, nous a paru être le passage de l'état de veille a
celuiquel'on appelle le sommeil magnétique, ou somnambulisme, mots que la
commission a trouvés impropres, pouvant donner de fausses idées; mais que dans
l'impossibilité de les changer, elle a été forcée d'adopter.
Quand l'individu, soumis à l'action du magnétisme,
est en somnambulisme, les magnétiseurs nous assurent qu'il n'entend
ordinairement que les personnes que l'on a mises en rapport
avec lui, soit celle qui le magnétise, soit celles
que le magnétiseur auraient mises en
communication avec lui par le moyen de la jonction des mains ou d'un contact
immédiat quelconque. Selon eux, les organes extérieurs de ses sens sont tous ou
presque tous assoupis, et cependant, il éprouve des sensations. Ils ajoutent
que Ton dirait qu'il se réveille en lui un sens intérieur, une sorte d'instinct
qui l'éclairé, tantôt sur sa conservation, tantôt sur celle des personnes avec
lesquelles il est 'en rapport. Pendant lotit le temps que dure ce singulier
état, il est, disent-ils, soumis à l'influence de celui qui le magnétise, et
parait lui obéir avec une docilité sans réserve, sans même que sa volonté
fortement prononcée à l'intérieur, soit manifestée ni par un geste, ni par une
parole. (*)
(*) Les magnétisés,dit l'illustre et infortuné Bailly,à la page 7 de son rélèbre
rapport fait en 1784, a l'Académie royale des sciences, ont beau ètre plongés
dans an assoupissement apparent la voix du magnétiseur, son
regard, un signe les en retire. On no peut s'empêcher de reconnaître a ces
effets constants une grande puissance qui agite les malades, les maîtrise, et
dont celui qui magnétise semble être le dépositaire.
Ce singulier phénomène, Messieurs, a paru à votre
commission un objet d'autant plus digne de son attention et de ses recherches
que, bien que Bailly eût paru l'entrevoir, il n'était cependant pas connu
lorsque le magnétisme fut soumis à l'examen des commissaires, qui jugèrent le
magnétisme en 1784, et qu'en outre, c'était pour l'étudier que Monsieur Foissac
avait, pour ainsi dire, exhumé la question du magnétisme. Ce fut en
effet en 1784, après la publication du rapport des commissaires, qu'il fut observé pour la 1 fois a
Buzancy, près Soissons, par un des plus zélés sectateurs et promoteurs du
magnétisme animal, M. de Puysegur.
Dans un sujet qui pouvait être si facilement
exploité par le charlatanisme, et qui nous paraissait si éloigné de tout ce que
l'on connaissait jusqu'alors, vos commissaires ont du être très-sévères sur le
genre de preuves admises pour constater ce phénomène; et en même temps ils ont
dû se tenir continuellement en garde contre l'illusion et la fourberie dont ils
devaient craindre d'étre les dupes.
La commission réclame votre attention pour les
observations suivantes, dans la disposition desquelles elle a eu pour but, que
le développement de ce singulier état, et que la
manifestation des phénomènes qui le caractérisent, vous offrissent toujours Une
progression croissante, de telle sorte qu'ils fussent toujours de plus en plus
évidents. Me Louise Delaplane, agée de 16 ans, demeurant rue Tirechape,
n° 9,avait une suppression menstruelle, accompagnée de douleurs, de tension et
de gonflement dans le bas ventre, lorsqu'elle entra a l'Hôtel-Dieu, le 13 juin
1826. Des sangues appliquées à la vulve, des bains, et en général un traitement
approprié ne produisant aucun soulagement, elle fut magnétisée par M. Foissac,
les22,23, 24, 25, 26,27 et 28juin 1826; Elle s'endormit dans la l séance, au
bout de huit minutes. On lui parle, elle ne répond pas; on jette près d'elle un
paravent de fer blanc, elle reste dans une complète immobilité; on brise avec
force un flacon de verre, elle se réveille en sursaut. A la 2e séance
elle répond par des signes de tête affirmât ifs et négatifs aux questions qu'on
lui adresse ; dans la 3 elle donne a entendre que dans deux jours elle parlera
et indiquera la nature et le siège de sa maladie. On la pince très-fortement au
point de faire naître une échimose, elle ne donne aucun signe de sensibilité.
On lui débouche sous le nez un flacon plein d'ammoniaque. Elle est insensible à
unelinspiration; à la 2e, elle porte la main à son
nez. A son réveil elle se plaint de la douleur que lui causent la partie pincée
et échimosée, de meme que l'inspiration du flacon d'ammoniaque, et elle relire
brusquement sa tête. Les parents de celte fille résolurent de la faire sortir
de l'Hotel-Dicu, le 30 du même mois, parce qu'ils avaient appris qu'on la
magnétisait. Elle y fut cependant magnétisée encore 4 fois ; dans toutes ces
épreuves, elle ne parla jamais, et répondit seulement .par des signes aux
diverses questions qu'on lui adressa. Nous ajouterons qu'insensible aux
chatouillements d'une plume introduite dans les narines, promenée sur ses
lèvres, et sur les ailes du nez, au bruit d'une planche jetée brusquement sur
une table, elle se réveille au bruit d'un bassin de cuivre, lancé sur le carreau,
et au bruit d'un sac d'écus qu'un autre jour l'on vuide de haut dans ce même
bassin. Une autre fois, le 9 décembre 1826, M. Dupotet magnétise
devant
la commission le nommé Baptiste Chamet, charretier à Charonne, qu'il avait
magnétisé pour la dernière fois il y avait
2 ou 3 ans ; au bout de huit minutes, interpellé à
diverses reprises pour savoir de lui s'il dort, il fait brusquement un signe de
tete affirmatif; plusieurs questions restent sans réponse. Comme il parait
souffrir, on lui demande ce qui lui Tait mal, il indique avec la main la
poitrine : on lui demande encore quelle est celle partie, alors H répond :
c'est le foie, et il indique toujours la poitrine; M. Guersent le pince
très-fortement au poignet gauche, et il ne témoigne aucune douleur : on lui
ouvre la paupière qui cède très-difficilement à cette tentative, et on voit le
globe de l'œil tourné, comme convulsivement, vers le haut de l'orbite,
et la pupille notablement contractée.
La commission a vu dans les deux observations
qu'elle vient de rapprocher, la première ébauche du somnambulisme, de cette
faculté, au moyen de laquelle les magnétiseurs disent que dans le sommeil des
organes extérieurs des sens, il se développe chez les magnétisés un sens
intérieur et une espèce d'instinct capable de se manifester par des actes
extérieurs raisonnés. Bans chacun des cas rapportés ci-dessus, la commission a
vu en effet soit des réponses par signes ou par phrases à des questions faites,
soit des promesses, à la vérité toujours déçues, d'événements qui n'arrivent
pas, mais pourtant les premières traces de l'expression d'un commencement
d'intelligence. Les trois observations suivantes vous, prouveront avec quelle
défiance on doit accueillir les promesses de certains prétendus somnambules.
M"0 Joséphine Martineau, âgée de 10
ans, demeurant rue S. Nicolas, n° 37, était affectée depuis trois mois d'une
gastrite chronique lorsqu'elle entra a l'Hôtel-Dieu, le 5 août 1826. Elle fut
magnétisée par M. Dupotet, en présence du rapporteur, quinze jours de suite
depuis le 7jusques au 21 du même mois, deux fois entre 4et 5 heures du
soir, et 15 fois, de 6 à 7heures dû matin. Elle a commencé a s'endormir
dans la 2e séance, et dans la 4, à répondre aux questions
qu'on lui adressait. Nous ne vous répéterons pas qu'à la fin de chaque séance,
le pouls a été plus fréquent qu'au commencement, qu'elle n'a conservé aucun
souvenir de ce qui s'est passé dans le sommeil. Ce sont de ces phénomènes
communs qui ont précédement été bien constatés chez d'autres magnétisés. Il
s'agit ici du somnambulisme, et c'est ce phénomène que nous avons cherché à observer sur MeMartineau. Dans son
sommeil, elle dit qu'elle né voit pas les assistants; mais qu'elle les entend,
et personne ne parle. Sur l'Interpellation faite à cet égard elle répond
qu'elle les entend quand on fait du bruit; elle dit qu'elle ne guérira que
quand on l'aura purgée. Elle désigne pour ce purgatif trois onces de manne, et
des pilules anglaises prises deux heures après la manne. Le lendemain et le
surlendemain, le rapporteur ne donne pas de manne, il administre4pilules de mie de pain, en deux jours :
elle a quatre garderobes pendant ces deux jours. Elle dit qu'elle se réveillera
tantôt après 5 ou 10 minutes de sommeil , et elle ne se réveille qu'après 17 et
16. Elle annonce que tel jour elle nous donnera des détails sur la nature de
son mal. Ce jour arrive, et elle ne nous dit rien. Enfin, chaque fois elle a
été en défaut.
M. do Geslin, demeurant rue de Grenelle S.-Honoré,
n°37, écrivit à la commission le 8 juillet 1826, qu'il avait à sa disposition
une somnambule, H"» Couturier, âgée do 30 ans, ouvrière en dentelles,
demeurant dans la même maison que lui, qui, entr'autres facultés, possédait
celle de lire dans la pensée de son magnétiseur, et d'exécuter les ordres qu'il
lui transmettrait mentalement. La proposition de M. de Geslin était trop
importante pour ne pas etre acceptée avec empressement. M. Gueneau et le
rapporteur se rendirent à son invitation. M. de Geslin leur renouvela les
assurances qu'il leur avait données dans sa lettre sur les facultés
surprenantes de sa somnambule; et après l'avoir endormie par les procédés que
nous vous avons indiqués, il les invite à lui faire connaître à lui ce qu'ils
désiraient qu'il demandât mentalement à sa somnambule.
L'un de nous, le rapporteur, se plaça sur un bureau
pour écrire avec la plus grande exactitude tout ce quise passerait; et l'autre,
M. Gueneau, se chargea d'écrire sur des morceaux de papier, qu'il communiquait
à son collègue, les ordres que tous deux voulaient qui fussent transmis à la
magnétisée.
M. Gueneau écrivit sur un premier morceau de papier
les mots suivants : Allez vous asseoir sur un tabouret qui est en face du
piano. M. de Geslin se pénétrant de cette volonté dit a la somnambule
d'exécuter ce qu'il lui demande mentalement. Elle se lève de sa place, et se
mettant devant la pendule, il est, dit-elle, 9 heures 20 minutes. M. de Geslin
lui annonce que ce
n'est point la ce qu'il lui a demandé ; alors elle
va dans la chambre voisine, on lui lait savoir qu'elle se trompe encore; elle
reprend sa place. On veut qu'elle se gratte le front, elle étend la main droite
et n'exécute pas le mouvement commandé. On désire qu'elle s'asseie au piano,
elle va à une croisée éloignée de six pieds du piano. Le magnétiseur se plaint
qu'elle ne fasse pas ce qu'il lui impose par sa pensée, elle se lève, et change
de chaise. Nous demandons que, quand H. de Geslin lèvera la main, la somnambule
lève la sienne, et qu'elle la tienne suspendue jusqu'à ce que celle du
magnétiseur retombe. Elle lève la main, qui reste immobile et qui ne retombe
que 5 minutes après celle de M. de Geslin. On lui présente le derrière d'une
montre, elle dit qu'il est 0 heures 35 minutes, et l'aiguille marque 7 heures.
Elle dit qu'il y a trois aiguilles, et il n'y en a que 2 ; on substitue une
montre à trois aiguilles, et elle dit qu'il y en a deux, qu'il est 0 heures 40
minutes, et la montre marque 9 heures 25 minutes. Elle se met en rapport avec
M. Gueneau, et lui dit, au sujet de sa santé, des choses tout-à-fait erronées,
et en contradiction évidente avec ce que notre collègue avait écrit a ce sujet
avant de se prêter à l'expérience. En résumé, cette dame Couturier n'a tenu
aucune des promesses qui nous avaient été faites, et nous avons été autorisés à
croire que M. de Geslin n'avait pas pris toutes les précautions convenables
pour ne pas être induit en erreur, et que telle était la cause de sa croyance
aux facultés extraordinaires qu'il lui attribuait, facultés que nous n'avons
nullement reconnues.
M. Chapelain, docteur eu médecine demeurant cour
Batave, n° 3, informa la commission le 14 mars 1828, qu'une femme de 21 ans,
demeurant dans sa maison, et qui lui avait été adressée par notre collègue, M.
Caille, avait annoncé étant endormie par suite d'expériences magnétiques, que
le lendemain, 15 , à 11 heures du soir, elle rendrait un ténia de la longueur
du bras. La commission avait un trop grand désir de voirie résultât de celte
annonce pour négliger l'occasion qui lui était offerte. Messieurs Itard,
Thillaye et le rapporteur auxquels se joignirent deux membres de l'Académie,
MM. Caille et Virey, ainsi que le docteur Dance, actuellement médecin de
l'hôpital Cochin, se rendirent le lendemain 15, à 10 heures 55minutes du soir,
au domicile de cette femme. Elle fut à l'instant magnétisee
par M.
Chapelain et endormie à 11.Elle annonce alors qu'elle voit dans son intérieur
quatre morceaux do vers dont le 1 est enveloppé dans une
peau ; que, pour les rendre, il faudrait qu'elle prit de l'émétique et de la
poudre aux vers. On luî objecte qu'elle avait dit qu'elle rendrait ce 1er
morceau à 41 heures, cette objection la contrarie, elle se lève brusquement :
le rapporteur la saisit, s'assure qu'elle ne cache rien sous ses jupons et
l'asseoie, ses jupons levés, sur une chaise percée qu'il avait bien visitée
auparavant. Au bout de 10 minutes, elle dit éprouver du chatouillement à l'anus
; elle se lève encore brusquement, eton profite de ce mouvement pour s'assurer que rien ne
sort de l'anus. A11 heures 42 minutes, elle est réveillée, fait des efforts
pour aller à la garderobe et ne rend rien. M. Chapelain la magnétisa de
nouveau, l'endormit et lui donna à 2 heures 72 minutes du matin, l'émétique qui
procura des vomissements, sans morceaux de vers. Le 16, à 10 heures du matin,
elle rendit par l'anus des matières fécales moulées dans lesquelles il n'y
avait aucune apparence de vers. Voilà donc trois faits bien constatés, et nous
pourrions en citer d'autres, dans lesquels il y a eu bien évidemment erreur ou
tentative de supercherie de la part des somnambules, soit dans ce qu'ils
disaient entendre, soit dans ce qu'ils promettaient défaire, soit dans ce
qu'ils annonçaient devoir arriver.
Dans cette position, nous désirions ardemment
éclaircir la question, et nous pensâmes qu'il était essentiel autant dans
l'intérêt des recherches auxquelles nous nous livrions, que pour nous
soustraire aux déceptions du charlatanisme, et nous assurer s'il y avait
quelque signe qui pût indiquer que le somnambulisme existait véritablement,
c'est-à-dire si le magnétisé endormi était, permettez-nous l'expression, plus
qu'endormi, s'il était arrivé à l'étal du somnambulisme.
M.Dupotet, dont il a déjà été question plusieurs
fois, proposa, le 4 novembre -1826, à la commission, de la rendre témoin
d'expériences dans lesquelles il mettrait dans toute son évidence la réalité du
somnambulisme magnétique. Il s'engageait, et nous avons sa promesse signée par
lui, à produire à volonté, et hors de la portée de la vue des individus mis par
lui en somnambulisme, des mouvements convulsifs dans une partie quelconque de
leur corps, par le fait seulement de la direction de son doigt
vers celle partié. Il regardait ces convulsions
comme le signe certain de l'existence du somnambulisme. La commission profila
de la présence de Baptiste Chamet (page 458), pour faire sur lui les
expériences d'après lesquelles elle pourrait éclaircir celte question. En
conséquence, M. Dupotet l'ayant mis en somnambulisme, dirigea un doigt en
pointe vers les siens; on en approcha même une lige métallique, aucun effet
convulsif ne fut produit. Un doigt du magnétiseur fut dirigé de nouveau vers
ceux du magnétisé; ou vit dans les doigts index et médius des deux mains un
léger mouvement semblable à la convulsion déterminée par la pile galvanique.
Six minutes après, le doigt du magnétiseur dirigé vers le poignet gauche
imprima à celte partie un mouvement complet de convulsion, et c'est (dors que
le magnétiseur annonça que dans 5 minutes on ferait tout ce que l'on
voudrait de cet homme. Alors M. Marc, placé derrière ce dernier, indiqua
que le magnétiseur devait chercher à agir sur l'index droit : il dirigea le
sien vers celte partie, et c'est le gauche et la cuisse du même côté qui entrèrent
en convulsion. Plus tard on dirigea les doigts vers les orteils, aucun effet
ne. fut produit. On exécute des passes antérieures. Messieurs Bourdois,
Guersentet Gueneau de Mussy, dirigèrent successivement leurs doigts vers ceux
du magnétisé qui se contractèrent à leur approche. Plus tard on aperçut des
mouvements dans la main gauche vers laquelle cependant aucun doigt n'était
dirigé. Enfin on suspendit toute expérience pour vérifier si les mouvements
convulsifs n'avaient pas lieu quand on ne le magnétisait pas ; et ces
mouvements se renouvelaient, mais plus faiblement.
La commission en a conclu qu'il n'était pas besoin
de l'approche des doigts du magnétiseur pour produire des convulsions, bien que
M. Dupotet ajoutât que lorsqu'elles ont commencé à avoir lieu, elles pouvaient
se reproduire d'elles-mêmes.
M. Lemaitre, dont nous avons déjà parlé pag. 452,
lorsqu'il s'est agi de l'influence de l'imagination sur la production des
phénomènes magnétiques, a présenté aussi celte mobilité convulsive;.mais tantôt
ces mouvements, assez semblables pour leur prestesse à ceux que l'on éprouve
par l'approche d'une pointe électrique, avaient lieu dans une partie, par suite
de l'approche des doigts, tantôt aussi sans que celte dernière condition eût
été remplie; tantôt nous les avons vus arriver plus ou
mains de temps après la tentative qu'on faisait
pour les développer; tantôt ce phénomène a eu lieu plusieurs fois dans une
séance, tantôt il ne paraissait pas une seule
fois; tantôt l'approche des doigts vers une partie était suivie de convulsions
dans une autre.
Un nouvel exemple de ce phénomène est celui qui
nous a été fourni par M. Chalet, consul de France à Odessa. M. Dupotet le
magnétisa en notre présence, le 17 novembre 1826; il dirigea le doigt vers son
oreille gauche, et aussitôt on aperçut un mouvement dans les cheveux qui sont
derrière l'orcille,et que l'on attribua à la contraction des muscles de cette
région; on renouvela des passes avec une seule main, sans diriger le doigt vers
l'oreille, et on aperçut dans l'oreille un mouvement général et brusque
d'ascension. Un doigt fut ensuite dirigé vers la même oreille, et n'y produisit
aucun effet.
C'est principalement sur M. Petit, âgé de 32 ans,
instituteur à Athis, que les mouvements convulsifs ont été déterminés avec le
plus de précision par l'approche des doigts du magnétiseur. H. Dupotet le
présenta à la commission, le 10 août 1826, en lui annonçant que ce M. Petit
était très-susceptible d'entrer en somnambulisme, et que dans cet état, lui M.
Dupotet, pouvait à sa volonté, et sans l'exprimer par la parole, par la seule
approche de ses doigts, déterminer dans les parties que la commission aurait
indiquées par écrit des mouvements convulsifs apparents. Il fut endormi
très-promptement; et c'est alors que la commission, pour prévenir tout soupçon
d'intelligence, remit a H. Dupotet une note rédigée en silence à l'instant
môme, et dans laquelle elle avait indiqué par écrit les parties qu'elle
désirait qui entrassent en convulsion. Muni de cette instruction, il dirigea
d'abord la main vers le poignet droit qui entra en convulsion, il se plaça
ensuite derrière le magnétisé et dirigea son doigt en premier lieu vers
la-cuisse gauche, puis vers le coude gauche, et enfin vers la tete. Ces trois
parties furent presque aussitôt prises' de mouvements convulsifs. M. Dupotet
dirigea sa jambe gauche vers celle du magnétisé, celui-ci s'agita de manière à
ce qu'il fût sur le point de tomber. M. Dupotet dirigea ensuite son pied vers
le coude droit de M. Petit, et ce coude droit s'agita; puis il porta son pied
vers le coude et la main gauche, et des mouvements convulsifs très-forts se
développèrent dans tout le membre supérieur. Un des
commissaires, M. Marc, dans l'intention de prévenir davantage encore toute
espèce de supercherie, lui mit un bandeau sur les yeux, et les expériences
précédentes lurent répétées avec une légère différence dans le résultat.
D'après l'indication mimique et instantanée d'un ou deux d'entre nous, H.
Dupotet dirigea son doigt vers la main gauche : à son approche les deux mains
s'agitèrent. On désira que l'action se portât à la fois sur les deux
membres inférieurs. D'abord les doigts furent approchés sans résultat. Bientôt
le somnambule remua d'abord les mains, puis se recula, puis agita les pieds.
Quelques moments plus tard, le doigt approché de la main, la fit retirer et
produisit une agitation générale. MM. Thillaye et Marc dirigèrent les doigts
sur diverses parties du corps, et provoquèrent quelques mouvements convulsifs.
Ainsi H. Petit a toujours eu par l'approche des doigts, des mouvements
convulsifs, soit qu'il ait eu ou qu'il n'ait pas eu un bandeau sur les yeux; et
ces mouvements ont été plus marqués quand on a dirigé vers les parties soumises
aux expériences, une lige métallique telle qu'une clef ou une branche de
lunette. En résultat, la commission, quoique témoin de plusieurs cas dans
lesquels cette faculté contractile a été mise en. jeu par l'approche des doigts
ou de tiges métalliques, a besoin de nouveaux faits pour apprécier ce phénomène
sur la constance et la valeur duquel elle ne se croit pas assez éclairée pour
se prononcer.
Réduits par conséquent à nous en rapporter à notre
inquiète surveillance, nous avons poursuivi nos recherches et multiplié nos
observations, en redoublant de soins, d'attention et de méfiance.
Vous vous rappelez peut-être, Messieurs, les
expériences qui furent faites en 1820;à l'Hôtel-Dieu, en présence d'un
grand nombre de médecins dont quelques-uns sont membres de cette académie, et
sous les yeux du rapporteur qui seul en concevait le plan, en dirigeait tous
les détails, et les consignait minute par minute sur un procès-verbal signé par
chacun des assistants. Peut-être nous nous serions abstenus de vous en parler,
sans une circonstance particulière qui nous fait un devoir de rompre le
silence. On se rappelle qu'au milieu des discussions que la proposition de
soumettre le magnétisme animal
a un nouvel examen avait soulevées dans le sein de
l'Académie un membre, qui du reste ne niait pas la réalité des phénomènes
magnétiques, avait avancé que tandis que les magnétiseurs proclamaient la
guérison de M Samson, elle lui demandait à rentrer à l'Hôtel-Dieu, où,
ajoutait-il, elle était morte par suite d'une lésion organique jugée incurable
parles hommes de l'art.
Cependant cette môme M. Samson reparut, six ans
après celle prétendue mort, et votre commission convoquée le29 décembre 1820,
pour faire sur elle des expériences, voulut avant tout s'assurer si l'individu
que lui présentait M. Dupotet, dont d'ailleurs la bonne foi lui était parfaitement
connue, était bien la meme que celle qui, 9 ans auparavant, avait été
magnétisée à l'Hôtel-Dieu. MM. Bricheteau et Pâtissier qui avaient assisté a
ces premières expériences, eurent la complaisance de se rendre à l'invitation
de la commission, et, conjointement avec le rapporteur, ils constatèrent et
signèrent que c'était bien la même personne qui avait été le sujet des
expériences faites à l'Hôtel-Dieu en 1820, et qu'ils n'apercevaient en elle
d'autre changement que celui qui annonce une amélioration notable dans sa
santé.
L'identité ainsi constatée, M. Samson fut
magnétisée par M. Dupotet en présence de la commission. A peine les
passes furent-elles commencées que M. Samson s'agita sur son fauteuil, se
frotta les yeux, témoigna de l'impatience, se plaignit, et toussa d'une voix
rauque qui rappela à MM. Bricheteau, Pâtissier et au rapporteur, ce même timbre
de voix qui les avait frappes en 1820, et qui alors, comme dans la circonstance
présente, était pour nous l'indice du commencement de l'action du magnétisme.
Bientôt elle frappa du pied, appuya sa tête sur sa main droite et son fauteuil,
et leur parut dormir. On lui souleva la paupière, et on vit comme en 1820, le
globe de l'œil tourné convulsivement en haut. Plusieurs questions lui furent
adressées et restèrent sans réponse; puis lorsqu'on lui en fit de nouvelles,
elle fit des gestes d'impatience, et répondit avec mauvaise humeur qu'on ne
devait pas la tourmenter; enfin, saris en avoir prévenu qui que ce fût, le
rapporteur jeta sur le parquet une table et unebûchequ'il
avait placée sur cettetable. Quelques-uns des
assistants jetèrent un cri d'effroi, M. Samson seule n'entendit rien, ne fit
aucune espèce de mouvement et continua
à dormir après comme avant le bruit violent et
improvisé :on la réveilla quatre minutes après, eu lui frottantles yeux circulai' rement avec les pouces. Alors la
môme bûche fut jetée à l'improviste sur le parquet; le bruit fit tressaillir la
magnétisée qui alors était éveillée; elle se plaignit vivement du sentiment de la
peur qu'on venait de lui causer, tandis que six minutes auparavant elle avait
été insensible à un bruit beaucoup plus fort.
Vous avez tous également entendu parler d'un fait
qui a fixé dans le temps l'attention de la section de chirurgie, et qui lui a été
communiqué dans la séance du 16 avril 1829, par M. Jules Clocquet. La
commission a cru devoir le consigner ici comme une des preuves les moins
équivoques de la force du sommeil magnétique. Il s'agit d'une dame P âgée de 64
ans, demeurant rue St.-Denis, n° l5l, qui consulta M. Clocquet, le 8 avril
1829, pour un cancer ulcéré qu'elle portait au sein droit depuis plusieurs
années et qui était compliqué d'un engorgement considérable des ganglions
axillaires correspondants. SI. Chapelain, médecin ordinaire de cette dame, qui
la magnétisait depuis quelques mois dans l'intention, disait-il, de dissoudre
l'engorgement du sein, n'avait pu obtenir d'autre résultat, sinon de produire
un sommeil très-profond, pendant lequel la sensibilité paraissait anéantie, les
idées conservant toute leur lucidité. H proposa à M. Clocquet de l'opérer
pendant qu'elle serait plongée dans le sommeil magnétique. Ce dernier, qui
avait jugé l'opération indispensable, y consentit; et le jour fut fixepour le dimanche suivant, 12 avril. La veille et
l'avant-veille, cette dame fut magnétisée plusieurs fois par Kl. Chapelain, qui
la disposait, lorsqu'elle était en somnambulisme, à supporter sans crainte
l'opération, qui l'avait même amenée à en causer avec sécurité, tandis qu'à son
réveil, elle en repoussait l'idée avec horreur.
Le jour fixé pour l'opération, M. Clocquet en
arrivant a 10 heures et demie du matin, trouva la malade habillée et assise
dans un fauteuil, dans l'attitude d'une personne paisiblement livrée au sommeil
naturel. Ily avait à peu près une
heure qu'elle était revenue de la messe qu'elle entendait habituellement à la
meme heure: M. Chapelain l'avait mise dans le Sommeil magnétique depuisson
retour; la malade parla avec beaucoup de calme de l'opération qu'elle allait
subir. Tout étant disposé pour l'opérer, elle se déshabilla elle-meme, et
s'assit sur une chaise.
M. Chapelain soutint le bras droit. Le bras gauche
fut laissé pendant sur te côté du corps. M. Pailloux, élève interne de
l'hôpital St.-Louis, fut chargé de présenter les instrumente, et de faire les
ligatures. Une première incision partant du creux de l'aisselle fut dirigée
au-dessus de la tumeur jusqu'à la face interne de la mamelle. La 2° commencée
au môme point cerna la tumeur par en bas, et fut conduite à la rencontre de la
première. Les ganglions engorgés furent disséqués avec précaution, à raison de
leur voisinage de l'artère axillaire, et la tumeur fut extirpée. La durée de
l'opération a été de 10 à 42 minutes.
Pendant tout ce temps, la malade a continué à
s'entretenir tranquillement avec l'opérateur, et n'a pas donné le plus léger
signe de sensibilité : aucun mouvement dans les membres ou dans les traits,
uucun changement dans la respiration ni dans la voix, aucune émotion, même dans
le pouls, ne se sont manifestés : la malade n'a pas cessé d'être dans l'état
d'abandon et d'impassibilité automatiques où elle était quelques minutes avant
l'opération. On n'a pas été obligé de la contenir, on s'est borné à la
soutenir. Une ligature a été appliquée sur l'artère thoracique latérale,
ouverte pendant l'extraction des ganglions : la plaie étant réunie par des
emplâtresagglulinatifs, et pansée,
l'opérée futmise au lit toujours en
état de somnambulisme dans lequel on l'a laissée 48 heures. Une heure après
l'opération, il se manifesta une légère hémorragie qui n'eut pas de suite. Le
premier appareil fut levé le mardi suivant 44, la plaie fut net-lavée et pansée
de nouveau; la malade ne témoigna aucune sensibilité ni douleur; le pouls
conserva son rithme habituel.
Après ce pansement, M. Chapelain réveilla la malade
dont le sommeil somnambulique durait depuis une heure avant l'opération,
c'est-à-dire depuis deux jours. Cette dame ne parut avoir aucune idée, aucun
sentiment de ce qui s'était passé; mais en apprenant qu'elle avait été opérée,
et voyant ses enfants autour d'elle, elle en éprouva une très-vive émotion que
le magnétiseur fit cesser en l'endormant aussitôt.
La commission a vu dans ces deux observations la
preuve la plus évidente de l'abolition de la sensibilité pendant le
somnambulisme, et elle déclare que bien qu'elle n'ait pas été témoin deladernière, elle la trouve empreinte d'un tel caractèrede vérité, elle lui a été attestée et répétée par
unsi bon observateur,
qui l'avait communiquée à la section de chirurgie,
qu'elle n'a pas craint de vous la présenter comme le témoignage le moins
contestable de cet état de torpeur et d'engourdissement provoqué par le
magnétisme.
Au milieu des expériences dans lesquelles la
commission avait cherché a apprécier celle faculté de mettre en mouvement sans
contact la contlractlilité des muscles de M. Petit d'Athis, ( p. 464) d'autres
essais se faisaient sur lui pour observer la clairvoyance, c'est-à-dire la
vision & travers les paupières fermées» dont on disait qu'il était doué
pendant le somnambulisme.
Le magnétiseur nous avait annoncé que son
somnambule reconnaîtrait entre douze pièces de monnaie celle que lui,
M.Dupotet, aurait tenue dans sa main. Le rapporteur y plaça un écu de 5 francs
au millésime de Fan 13, et le mela ensuite a 12 autres qu'il rangea en cercle
sur une table. M. Petit désigna une de ces pièces; mais elle était au millésime
de 4812. Ensuite, on lui présenta une montre dont on avait dérangé les
aiguilles afin qu'elles n'indiquassent pas l'heureactuelle, et deux fois de suite M. Petit fut dans
l'erreur sur l'indication de leur direction. On a voulu expliquer ces mécomptes
en nous disant que M. Petit perdait de sa lucidité depuis qu'il était magnétisé
moins souvent ;et pourtant dans la même séance, le rapporteur a fait avec lui
une partie de piquet, il a souvent cherché à le tromper en annonçant une carte
ou une couleur pour une autre, et la mauvaise foi du rapporteur n'a pas empêché
M. Petit de jouer juste, et de savoir la couleur du point de son adversaire.
Nous devons ajouter que chaque fois que l'on a interposé un corps, une feuille
de papier, un carton entre les yeux et l'objet à désigner, M. Petit n'a pu rien
distinguer.
Si ces épreuves eussent été les seules dans
lesquelles nous eussions cherché à reconnaître cette clairvoyance, nous en
aurions conclu que ce somnambule ne la possédait pas; mais cette faculté parut
dans tout son jour dans l'expérience suivante, et cette fois le succès répondit
entièrement à ce que nousavait annoncé M. Dupotet.
M. Petit fut magnétisé, le15 mars 4826, parlui, à 8 heures et demie du soir, et endormi à peu
près en une minute. Le président de la commission, M. Bourdois, s'assura que le
nombre des pulsations avait, depuis qu'il était endormi, diminué de 22
par minute, et que le pouls avait même
quelque chose d'irré-gulier. M. Dupotet, après avoir mis un bandeau sur les
yeux du somnambule, dirige sur lui a plusieurs reprises ses doigts en pointe à
deux pieds environ de distance. Aussitôt il se manifeste dans les mains et dans
les bras vers lesquels était dirigée l'action, une contraction violente. M.
Dupotet ayant également approché ses pieds de ceux de AI. Petit, toujours sans
contact, celui-ci les retire avec vivacité. Il se plaint d'éprouver dans les membres sur lesquels l'action
s'était portée une vive douleur et une chaleur brûlante. M. Bourdois essaie de
produire les mêmes effets. Il les obtient également, mais avec moins de
promptitude, et à un degré plus foible.
Ce point bien établi, on s'occupe de reconnaître la
clairvoyance du somnambule. Celui-ci ayant déclaré qu'il ne pouvait voir avec
le bandeau, on le lui retire ; mais alors toute l'attention se porte à
constater que les paupières sont exactement fermées. A cet effet, on tient
presque constamment pendant les expériences une lumière au devant des yeux de
M. Petit, à la distance d'un ou deux pouces; et plusieurs personnes eurent
les yeux presque continuellement fixés sur les siens. Aucune ne put apercevoir
le moindre écartement entre les paupières. M. Ribes fit même remarquer que
leurs bords étaient superposés de manière que les cils se croisaient.
On examine aussi l'état des yeux, on les ouvre de
force sans que le somnambule s'éveille; et l'on remarque que la prunelle est
portée en bas, et dirigée vers le grand angle de l'oeil.
Après ces observations préliminaires, on procède a
vérifier les phénomènes (le la vision avec les yeux fermés.
M. Ribes, membre de l'Académie, présente un
catalogue qu'il lire de sa poche. Le somnambule, après quelques efforts qui
paraissent le fatiguer, lit três-distinctement ces mots : Lavater, il est
bien difficile de connaître les hommes. Ces derniers mois étaient imprimés
en caractères très-fins. On lui met sous les yeux un passe-port, il le
reconnaît, et le désigne sous le nom de passe homme. Quelques instants
après, on substitue au passe-port un port-d'armes que l'on sait être presqu'en
tout semblable au passe-port, et on le lui présente du côté blanc. M. Petit
peut seulement reconnaitre que c'est une pièce encadrée et assez semblable à la
première : on le retourne. Alors,
après quelques instants d'attention, il dit ce que
c'est, et lit distinctement ces mots : De par le Roi, et à gauche port-d'ar-mes.
On lui montre encore une lettre ouverte : il dit ne pouvoir la lire,
n'entendant pas l'anglais : c'était en effet une lettre anglaise.
M. Bourdois tire de sa poche une tabatière sur
laquelle était un camée encadré en or. Le somnambule ne peut d'abord le voir
distinctement ; le cadre d'or l'éblouissait, disait-il. Quand on eut couvert le
cadre avec les doigts, il dit voir l'emblème de la fidélité. Pressé de dire
quel était cet emblème, il ajoute : je vois un chien, il est comme dressé
devant un autèl. C'est là en effet ce qui était représenté.
On lui présente une lettre fermée : il ne peut rien
découvrir du contenu. Il suit seulement la direction des lignes avec le doigt :
mais il lit fort bien l'adresse quoiqu'elle contint un nom assez difficile : à
M. de Rockenstroh.
Toutesces expériences fatiguaient extrêmement M. Petit. On le laissa un instant
reposer : puis, comme il aime beaucoup le jeu, on lui proposa, pour le
délasser, de faire une partie de cartes. Autant les expériences de pure
curiosité semblent le contrarier et le fatiguer, autant il fait avec aisance et
dextérité ce qui lui fait plaisir, et ce à quoi il se porte de son propre
mouvement.
Un des assistants, M. Raynal, ancien inspecteur de
l'université, fit avec M. Petit un cent de piquet, et perdit; celui-ci mantait
les cartes avec la plus grande agilité, et sans jamais se tromper. On essaya
plusieurs fois inutilement de le mettre en défaut en soustrayant ou en
changeant des cartes; il comptait avec une surprenante facilité le nombre de
points marqués sur la carte à marquer de son adversaire.
Pendant tout ce temps on n'avait cessé d'examiner
tes yeux, et de tenir auprès d'eux une lumière ; on les avait toujours trouvés
exactement fermés; on remarqua que le globe de l'œil semblait néanmoins se
mouvoir sous la paupière et suivre les divers mouvements des mains. Enfin,M.
bourdois déclara que selon toutes les vraisemblances humaines, et autant qu'on
en pouvait juger par les sens, les paupières étaient exactement closes.
Pendant que M. Petit faisait une 2e
partie de piquet, M. Dupotet, sur l'invitation de M. Ribes, dirigea par
derrière la
main vers son coude ; la contraction précédemment,
observée eut lieu de nouveau. Puis, sur la proposition de M. Bourdois,
il le magnétisa par derrière, et toujours à plus d'un pied de distance dans
l'intention de réveiller. L'ardeur que le somnambule portait au jeu, combattait
cette action, et faisait que, sans le réveiller, elle le gênait et le
contrariait. Il porta plusieurs fois la main derrière la tête, comme s'il y
souffrait. Il tomba enfin. dans un assoupissement qui paraissait être un
sommeil naturel assez léger : et quelqu'un lui ayant parlé dans cet état, il
s'éveilla comme en sursaut. Peu d'instants après, SI. Dupotet, toujours placé
près de lui et à quelque distance, le plongea de nouveau dans le sommeil
magnétique, et les expériences recommencèrent. M. Dupotet désirant qu'il ne restât
aucune ombre de doute sur la nature d'une action physique exercée à volonté sur
le somnambule, proposa de mettre à M. Petit tel nombre de bandeaux que l'on
voudrait, et d'agir sur lui dans-cet état. On lui couvrit, en effet, la figure
jusqu'aux narines avec plusieurs cravates; on tamponna avec des gants la cavité
formée par la proéminence du nez, et on recouvrit le tout d'une cravate noire
descendant en forme dévoile, jusqu'au cou. Alors
on recommença de nouveau et de toutes les manières, les essais d'action à
distance; et constamment les mêmes mouvements se manifestèrent dans les parties
vers lesquelles la main ou le pied étaient dirigés.
Après ces nouvelles épreuves, M. Dupotet ayant été
à M. Petit ses bandeaux, fit avec lui une partie d écarté pour le
distraire. Il joua avec la même facilité qu'auparavant et gagna encore. Il
mettait tant d'ardeur à son jeu qu'il resta insensible à l'influence de M. Bourdois qui essaya inutilement, pendant qu'il jouait,
d'agir sur lui par derrière, et de lui faire exécuter uncommandement volontaire.
Après sa partie, le somnambule se leva, se promena
a travers le salon, écartant les chaises qui se trouvaient sur son passage, et
alla s'asseoir à l'écart pour se reposer quelque temps loin des curieux et des
expérimentateurs qui l'avaient fatigué. Là M. Dupotet le réveilla à plusieurs
pieds de distance; mais ce réveil ne fut pas complet, a ce qu'il paraît, car
quelques instants après il s'assoupit; il fallut faire de nouveaux efforts pour
le réveiller complètement.
Eveillé, il a dit no conserver aucun souvenir de ce
qui s'était passé pendant son sommeil.
A coup sûr, si, comme M. Bourdois l'a consigné à
part sur le procès-verbal de cette séance, la constante immobilité des
paupières et leurs bords superposés de manière que les cils paraissaient
entrecroisés; sont des garanties suffisantes de la clairvoyance de ce
somnambule à travers les paupières, il est impossible de refuser, si non sa
croyance, au moins son étonnement à tout ce gui s'est passé dans cette séance,
et de ne pas désirer être témoin de nouvelles expériences pour pouvoir fixer
son opinion sur l'existence et la valeur du magnétisme animal.
Le vœu exprimé à cet égard par notre président n'a
pas tardé à recevoir son exécution chez trois somnambules qui, outre cette
clairvoyance observée sur le précédent, ont présenté des preuves d'une
intuition et d'une prévision très-remarquables, soit pour eux, soit pour
d'autres.
Ici la sphère parait s'agrandir; il no s'agit plus
de satisfaire une simple curiosité, de chercher & s'assurer s'il existe un
signe qui puisse faire prononcer que le somnambulisme a ou n'a pas lieu, si un
somnambule peut lire les yeux fermés, se livrer pendant son sommeil & des
combinaisons de jeux plus ou moins compliquées, questions curieuses,
intéressantes, dont la solution, celle de la dernière surtout, est, comme
spectacle, un phénomène très-extraordinaire; mais qui en véritable intérêt, et
surtout en espérances sur le parti qu'en peut tirer la médecine, sont
infiniment au-dessous de celles dont la commission va vous donner connaissance.
Il n'est personne parmi vous, Messieurs, qui, dans
tout ce qu'on a pu lui citer du magnétisme, n'ait entendu parler de cette
facilité qu'ont certains somnambules, non-seulement de préciser le genre de
maladies dont ils sont affectés, la durée, l'issue de ces maladies, mais encore
le genre, la durée, et l'issue des maladies des personnes avec lesquelles on
les met en rapport. Les trois observations suivantes nous ont paru, tellement
importantes que nous avons cru devoir vous les faire connaître dans leur
entier, comme présentant des exemples fort remarquables de cette intuition et
de celte prévision ; vous y trouverez en môme temps la réunion de divers
phénomènes qui n'ont pas été observés chez les autres magnétisés.
Paul Villagrand, étudiant en droit, ne à Magnac
Laval (Haute-Vienne), le 18 mai 1803, fut frappé le 25 décembre 1825, d'une
attaque d'apoplexie qui fut suivite
de la
paralysie de tout le côté gauche du corps. Après 47 mois de divers traitements
par l'acupuncture, un selon à la nuque, douze moxas le long de la coloune
vertébrale, traitement qu'il suivit 'soit chez lui, soit à la maison de santé,
soit a l'hospice de perfectionnement, et dans le cours desquels il eut deux
nouvelles attaques, fut admis le 8 avril 1827, dans l'hôpital de la Charité.
Bien qu'il eut éprouvé un soulagement notable des moyens mis en usage avant son
entrée dans cet hôpital, il marchait avec des béquilles sans pouvoir s'appuyer
sur le pied gauche.Le bras du même côté exécutait bien divers mouvements; maisPaul ne pouvait le lever vers la tôle. Il y voyait
à peine de l'œil droit, et avait l'ouïe
très-dure des deux oreilles. C'est dans cet état qu'il fut confié aux soins de
notre collègue M. Fouquier qui, outre la paralysie bien évidento, lui reconnut
des symptômes d'hypertrophie du cœur.
Pendant cinq mois, il lui administra l'extrait
alcoolique de noix vomique, le fitsaigner de temps en temps, le purgea, et lui fit appliquer des
vésicatoires. Le bras gauche reprit un peu de force, les maux de tôle auxquels
il était sujet s'éloignèrent, et son état resta stationnaire jusqu'au 29 août
1827, époque a laquelle il fut magnétisé pour la première fois par M. Foissac,
d'après l'ordre et sous la direction de M. Fouquier. Dans cette première séance
il éprouva une sensation de chaleur générale, puis des soubresauts dans les
tendons. Il s'étonna d'etre envahi,' pour ainsi dire, par une envie de dormir,
se frotta les yeux pour la dissiper, fit des efforts visibles et infructueux
pour tenir ses paupières ouvertes, enfin, sa tète tomba sur la poitrine, et il
s'endormit. A dater de ce moment, la surdité et le mal de tete ont cessé. Ce
n'est qu'à la neuvième séance que le sommeil devint profond; etc'est à la dixième qu'il répondit par des sons
inarticulés aux questions qu'on lui adressa; plus tard, il annonça qu'il ne
pourrait guérir qu'à l'aide du magnétisme, et il se prescrivit la continuation
des pilules d'extrait de'noix vomique, des sinapismes et des bains de Barèges.
Le 25 septembre, la commission se rendit à l'hôpital de la Charité, flt
déshabiller le malade, et constata que le membre
inférieur gauche était manifestement plus maigre que le droit, que la main
droite serrait beaucoup plus fort que la gauche, que la langue tirée hors la
bouche était portée vers la commissure droite, et que dons la buccination, la
joue droite était plus bombée que la gauche.
On magnétisa alors Paul qui ne tarda pas à entrer
en somnambulisme. II récapitula ce qui était relatif à son traitement, et
prescrivit que dans le jour même on lui appliquât un sinapisme à chaque jambe
pendant 1 heure et demie, que le lendemain on lui fit prendre un bain de
Barèges, et qu'en sortant du bain, on lui mit des sinapismes pendant 12 heures
sans interruption, tantôt a une place, tantôt à une autre, que le
surlendemain, après avoir pris un second bain de Barèges, on lui Unit une
palette et demie de sang par le bras droit. Enfin il ajouta qu'en suivant ce
traitement, le28, c'est-à-dire trois jours après, il marcherait sans béquilles
en sortant de la séance où il dit qu'il faudrait encore le magnétiser. On
suivit le traitement qu'il avait indiqué; et au jour dit, le 28 septembre, la
commission vint à l'hôpital de la Charité. Paul se rendit appuyé, sur ses
béquilles, à la salle des conférences où il fut magnétisé comme de coutume et
mis en somnambulisme. Dans cet état, il assura qu'il retournerait à son lit
sans béquilles, sans soutien. A son réveil il demanda
ses béquilles, on lui répondit qu'il n'en avait plus besoin. En effet il se
leva, se soutint sur la jambe paralysée, traversa la foule qui le suivait,
descendit la marche de la chambre d'expériences, traversa la 2° cour de la
Charité, monta deux marches; et arrivé au bas de l'escalier, il s'assit. Après
s'être reposé deux minutes, il monta a l'aide d'un bras et de la rampe les 24 marches de l'escalier qui conduit a la salle où il couche ;
il alla à son lit sans appui, s'assit encore un moment, et fit ensuite une
nouvelle promenade dans la salle, au grand étonnement de tous les malades qui
jusqu'alors l'avaient toujours vu cloué dans son lit. A dater de ce jour, Paul
ne reprit plus ses béquilles.
La commission se réunit encore le 41 octobre
suivant, à l'hôpital de la Charité. On le magnétisa, et il annonça qu'il serait
complètement guéri à la finde
l'année si on lui établissait un seton, deux pouces au-dessous delà région du
coeur. Dans cette séance on le pinça à plusieurs reprises, on lui enfonça une
épingle à une ligne de profondeur dans le sourcil, et dans
le poignet sans qu'il donnât aucun signe de
sensibilité, Le 16 octobre, M. Fouquier reçut du conseil général des hospices,une lettre qui l'invitait à suspendre les
expériences magnétiques qu'il avait commencées à l'hôpital de la Charité. On
fut donc obligé d'interrompre ce traitement magnétique, dont ce paralysé ne
pouvait, disait-il, assez louer l'effieacité, M. Foissac le fit
sortir de l'hôpital, et le plaça rue des Petits Augustin», n°l8, dans une
chambre particulière où il continua son traitement.
Le 29 du môme mois, la commission se rendit chez le
malade, pour examiner les progrès de sa guérison; mais avant de le magnétiser,
elle constata que la marche avait lieu sans béquilles, et qu'elle paraissait
plus assurée que dans la précédente séance. Ensuite on lui fit essayer ses
forces au dynamomètre. Pressé par la main droite, l'aiguille marquait trente
kilogrammes, et de la main gauche 12. Lesdeux mains réunies la firent monter à 31. On le
magnétisa; en 4 minutes le somnambulisme se déclara , et Paul assura qu'il
serait totalement guéri le 1" janvier. On essaya ses
forces : la main droite fait monter l'aiguille du dynamomètre à 29 kilogrammes
(un de moins qu'avant le sommeil), la main gauche (la paralysée), à 26,14 de
plus qu'avant le sommeil, et les deux mains réunies à 45,14 de plus qu'avant.
Toujours dans le somnambulisme, il se lève pourmarcher et franchit vivement l'espace; il saute a
cloche pied sur le pied gauche. Il se met à genou sur le genou droit : il se
relève en se soutenant par la main gauche sur un assistant, et en faisant
porter sur le genou gauche tout le poids de son corps. Il prend et soulève M.
Thillaye, le fait tourner sur lui-même, et se rasseoit l'ayant sur ses genoux.
Il tire de toute sa force le dynanamomètreet fait monter l'échelle de traction à 16 myriagrammes.
Sur l'invitation qu'on lui fait de descendre l'escalier, il quitte brusquement
son fauteuil, prend le bras de M. Foissac, qu'il quitte a la porte, descend et
remonte les marches 2 à 2, 5 à 3, avec une rapidité convulsive, qu'il modère
cependant quand on lui dit de les franchir une à une. Aussitôt qu'il est
réveillé, il perd cette augmentation étonnante de ses forces; alors en effet le
dynamomètre ne marque plus que trois myriagrammes 3 quarts, c'est-à-dire 12 et
quart moins qu'avant le
réveil. Sa démarche est lente,, mais assurée, il ne
peut soutenir • le poids de son corps sur la jambe gauche (la paralysée), et il
essaie inutilement de soulever M. Foissac.
Nous devons noter, Messieurs, que peu de jours avant
«elle dernière expérience, ce malade avait perdu 2 livres et demie de sang,
qu'il avait encore deux vésicatoires aux jambes, un séton à la nuque, un autre
à la poitrine; vous reconnaîtrez par conséquent avec nous quelle prodigieuse
augmentation de forces le magnétisme avait développée dans les organes malades,
celle des organes sains restant la meme, puisque pendant tout le temps qu'a
duré le somnambulisme la force totale du corps. avait été plus que quadruplée.
Paul renonça par la suite à tout traitement
médical. 11 voulut seulement qu'on se bornât a le magnétiser; et, vers la fin
de l'année, comme il témoignait le désir d'être mis et maintenu pendant 8 jours
en somnambulisme pour que sa guérison fût complétée le 1er janvier,
il fut magnétisé le 25 décembre, et à dater de ce jour ilresta en somnambulisme jusqu'au 1er janvier.
Pendant ce temps il fut, à des intervalles inégaux,
éveillé environ 12 heures; et dans ces courts moments de réveil on lui laissait
croire qu'il n'était endormi que depuis quelques heures. Pendant tout son
sommeil ses fonctions digestives se firent avec un surcroit d'activité.
Il était endormi depuis trois jours,
lorsqu'accompagné deM. Foissac, il partit à
pied le 28 décembre de la rue Mondovi, et aller trouver M. Fouquier à l'hôpital
de la Charité, où il arriva à 0 heures. 11 y reconnut les malades auprès
desquels il était couché avant Sa sortie, les élèves qui faisaient le servicedans ta salle, et il lut, les yeux fermés, un doigt
étant appliqué sur chaque paupière, quelques mots qui lui furent présentés par
M. Fouquier. Tout ce dont nous étions les témoins nous parut si étonnant que la
commission, voulant suivre jusqu'à la finl'histoire de ce somnambule, se réunit de nouveau le 1janvier, chez M. Foissac, où elle trouva Paul endormi
depuis le 25 décembre. Il avait supprimé 15 jours auparavant les sétons. de la
nuque et de la poitrine, et s'était fait établir au bras gauche un cautère
qu'il devait conserver toute la vie. Il déclarait, du reste, qu'il était
guéri, qu'en ne commettant aucune
imprudence, il arriverait a un âge avancé, et qu'il
succomberait aune attaque d'apoplexie.
(Toujours endormi), il sort de chez M. Foissac, H marche et court
dans la rue d'un pas ferme et assuré; à son retour il porte avec
la plus grande facilité une personne présente qu'il n'avait pu qu'avec peine
soulever avant d'être endormi.
Le 12
janvier la commission se rassembla de nouveau chez M. Foissac où se trouvaient
M. E. Lascase député, M. de ***, aide de camp du Roi, et M. Ségalas, membre de
l'académie. M. Foissac nous annonça qu'il-allait endormir Paul, que dans cet
état de somnambulisme on lui appliquerait un doigt sur chaque œil fermé, et que
malgré celte occlusion complète des paupières, il distinguerait la couleur des
cartes, qu'il lirait le litre d'un ouvrage et quelques mots ou lignes indiqués
au hasard dans le corps môme de l'ouvrage. Au bout de 2 minutes de manœuvres
magnétiques, Paul est endormi. Les paupières étant tenues fermées constamment»
et alternativement par MM. Fouquier, Itard, Marc et le rapporteur, on lui
présente un jeu de cartes neuves, dont on brise la bande de papier portant le
timbre de la régie, on les môle, et Paul reconnaît facilement et successivement
les roi de pique, as de trèfle, dame de pique, neuf de trefle, sept de carreau,
dame de carreau, et huit de carreau.
On lui présente, ayant les paupières tenues fermées
par M. Ségalas, un volume que le rapporteur avait apporté. Il lit sur le
titre histoire de France. (*) Il ne peut lire tes 2 lignes
intermédiaires et lit sur la cinquième le nom seul Anquetil, qui y est
précédé de la préposition par. On ouvre le livre a la
page 89, et il lit à la 1-religne 11 le nombre de ses..il passe
le mol troupes, et continue. Au moment ou
on le croyait le plus occupé des plaisire du carnaval.... il lit également le titre courant Louis ; mais ne peut
lire le chiffre romain qui le suit. On lui présente un papier sur lequel on a
écrit les mots agglutination et magnétisme animal. Il épèle le 1er
et prononce les 2 autres. Enfin on lui a présenté le procès-verbal de cette
séance, il en a lu assez distinctement la date et quelques mots plus lisiblement écrits que d'autres. Dans toutes ces
expériences, les doigts ont été appliqués sur la totalité de la commissure de
chaque oeil, en pressant de haut en bas la paupière supérieure sur
l'inferieure, et nous avons remarqué que le globe de l'œil avait été dans un
mouvement constant de rotation et paraissait se diriger vers l'objet soumis à
la vision.
(*) Histoire de Franco depuis les Gaulois jusque à la
mort de Louis XVI, par Anquelil, 13 vol. in 8 , Paris, 1817. Le passage lu par Paul, est a la page 89
du 7 volume.
Le 2 février, Paul Ait mis en somnambulisme citez
MM.Scribe et Brémard,
négociants, rue St.-Honore. Le rapporteur de la commission était le seul membre
présent à l'expérience. Ou ferma les paupières comme dans la précédente, et
Paul lut dans l'ouvrage intitulé Les mille et une nuits le titre, le mol
préface et la 1" ligne de cette préface moins le mot peu. On
lui présenta aussi un vol. intitulé
Lettres
de deux amies, par Mme Campan. Il distingua sur une estampe
la ligure de Napoléon, il en montra les bottes, et dit qu'il y voyait 2 femmes.
Ensuite il lut couramment les a4 premièreslignes delà page 3a l'exception du mot raviver. Enfin, il
reconnut sans les toucher quatre cartes qu'on lui présenta successivement deux
à deux, ce sont le roi de pique et le huit de cœur, la dame et le roi de
trèfle.
Dans une autre séance qui eut lieu le -15 mars
suivant, Paul essaya inutilement de distinguer différentes cartes qu'on lui
appliqua sur l'épigastre; mais il lut encore les yeux fermés dans un livre
ouvert au hasard, et cette fois ce fut M. Jules Clocquet qui lui boucha les
paupières. Le rapporteur écrivit aussi sur un morceau de papier les mots Maximilien
Robespierre, qu'il lut également bien.
Les conclusions à tirer de cette longue et curieuse
observation sont faciles. Elles découlent' naturellement de la simple
exposition des faits que nous vous avons rapportés, et nous les établissons de
la manière suivante : 1° Un malade qu'une médecine rationnelle faite par un des
praticiens les plus distingués dela capitale n'a pu guérir de la paralysie, trouve sa guérison dans l'emploi
dumngnétisme, et dans
l'exactitude avec laquelle on suit le traitement qu'il se prescrit lui-meme
quand il est en somnambulisme. 2° Dans cet état ses forces sont notablement
augmentées. 3° Il nous donne la preuve la plus irrécusable qu'il lit, ayant
les yeux fermés. 4° Enfin il prévoit l'époque de sa guérison, et cette guérison
arrive.
L'observation suivante nous montrera cette
prévision encore
plus développée, chez un homme du peuple
tout-à-fait ignorant, et qui, à coup sûr, n'avait jamais entendu parler du magnétisme.
Pierre Cazot, âgé de 20 ans, ouvrier chapelier, né
d'une mère épileptique, était sujet depuis dix ans à des attaques d'épilepsie
qui se renouvelaient 5 ou 6 fois par semaine, lorsqu'il entra à l'hôpitalde la Charité dansles premiers jours du mois d'août 1827. 11 fut
soumis de suite au traitement du magnétisme, s'endormit à la troisième séance,
et devint somnambule à la dixième, qui eut lieu le 19 août. Ce fut alors à 9
heures du matin qu'il annonça que le jour même à 4 heures après midi il aurait
une attaque d'épilepsie,.mais qu'on pouvait la prévenir si on le magnétisait un
peu auparavant. On préféra vérifier l'exactitude de sa prévision, et aucune
précaution ne fut prise pour s'y opposer. On se contenta de l'observer sans
qu'il s'en doutât. A une heure il fut saisi d'une violente céphalalgie, à S
heures il fut forcé de se mettre au lit, et à A heures précise:; l'accès
éclata. Sa durée fut de 5 minutes. Le surlendemain Cazot étant en
somnambulisme, M. Fouquier lui enfonça à l'improviste une épingle d'un pouce de
long entre l'index et le pouce de la main droite; il lui perça avec la même épingle
le lobe de l'oreille : on lui écarta les paupières et on frappa plusieurs fois
la conjonctive avec la tête d'une épingle sans qu'il donnât le moindre signe de
sensibilité.
La commission se rendit à l'hôpital de ta Charité
le 24 août a 0 heures du malin poursuivre les expériences que M. Fouquier, l'un de ses
membres, avait le projet de continuer sur lui.
M. Foissac, qui l'avait déjà magnétisé, se plaça en
face, et à 6 pieds de distance de
Cazot; il le fixa, ne fit aucun geste avec les mains, garda le silence le plus
absolu, et Cazot s'endormit un 8 minutes. Trois fois on lui plaça sous le nez
un flacon plein d'ammoniaque : sa ligure se colora, la respiration s'accéléra,
mais il ne se réveilla pas. M. Fouquier lui enfonça, dans l'avant bras, une
épingle d'un pouce. On lui en introduisit une autre, à une profondeur de deux
lignes, obliquement sous le sternum, une troisième obliquement aussi à
l'épigastre, une quatrième perpendiculairement dans la plante du pied. M. Guersent le pinça à
l'avant-bras de manière à y laisser une echimose; M. ltard s'appuya sur sa
cuisse de tout le poids dé son corps.
On chercha à provoquer le chatouillement en
promenant sous le nez, sur les lèvres, sur les sourcils, les cils, le cou et la
plante du pied, un petit morceau de papier : rien ne put le réveiller. Nous le
pressâmes de questions.... Combien aurez-vous encore d'accès? pendant un an.
Savez-vous s'ils seront rapprochés les uns des autres? non. Enaurez-vous un ce
mois-ci ? J'en aurai un lundi 27, à 3 heures moins 20 minutes. Sera-t-ii fort?
il ne le sera pas la moitié de celui qui m'a pris dernièrement. Quel, autre
jour aurez-vous un autre accès? Après uu mouvement d'impatience il répond,
d'aujourd'hui en quinze, c'est-à-dire le7 septembre. A quelle heure? à 6 heures
moins 10 minutes du matin. La maladie d'un des enfants de Cazot le força de
sortir ce jour-là môme, 24 août, de la Charité. Mais on convint de l'y faire
revenir le lundi 27 au matin pour observer l'accès qu'il avait annoncé devoir
arriver le môme jour, à S heures moins vingt minutes. Le concierge ayant refusé
de le -recevoir lorsqu'il s'y présenta, Cazot se rendit chez M. Foissac pour se
plaindre de ce refus. Ce dernier préféra, nous a-t-il dit, dissiper cet accès
par le magnétisme, que d'en être seul témoin : nous n'avons pu, par conséquent,
constater l'exactitude de celle prévision. Hais il nous restait encore à observer
l'accès annoncé pour le 7 septembre, et M. Fouquier, qui fit entrer Cazot le 6
à l'hôpital sous prétexte de lui donner des soins qu'il ne pouvait recevoir
hors de l'établissement, le fit magnétiser dans le courant de cette journée du
6 par M. Foissac qui l'endormit par la force seule de sa volonté et la fixité
de son regard. Dans ce sommeil, Cazot répéta que le lendemain il aurait une
attaque à 6 heures moins dix minutes, et qu'on pourrait la prévenir s'il était
magnétisé un peu auparavant.
A un signal convenu et donné par M. Fouquier, M.
Foissac, dont Cazot ignorait la présence, le réveilla comme il l'avait endormi
par la force seule de sa volonté, malgré les questions qu'on adressait à ce
somnambule, et qui n'avaient pas d'autre but que de lui cacher le moment où il
devait être réveillé. Pour être témoin du second accès, la commission se réunit
le 7. septembre, à 6 heures moins un quart du matin, dans la salle St.-Michel
de l'hôpital de la Charité. Là elle apprit que la veille, à huit heures du soir,
Cazot avait été saisi d'une douleur de tète qui l'avait tourmenté toute la
nuit, que cette douleur lui avait
procuré la sensation d'un carillon, et qu'il avait
ou des élancements dans les
reilles, A 6 heures moins 40 minutes, nous fûmes témoins de l'accès
épileptique caractérisé par la roideur et la contraction des membres, la
projection répétée et saccadée de la tête en arrière, la courbure arquée du
corps en arriére, la clôture convulsive des paupières, la rétraction du globe
de l'œil vers le haut de l'orbite, les soupirs, les cris, l'insensibilité au
pincement, le serrement de la langue entre les dents. Tout cet appareil de
symptômes a duré 5 minutes pendant lesquelles il y a eu deux rémissions de
quelques secondeschacune; et ensuite, il y
a eu un brisement des membres, et une lassitude générale.
Le 10 septembre, à 7 heures du soir, la commission se réunit chez M. Itard,
pour continuer ses expériences sur Cazot. Ce dernier était dans le cabinet où
la conversation s'est engagée et a été entretenue avec lui jusqu'à 7 heures 1\2, moment auquel M. Foissac, arrivé depuis lui et resté
dans l'antichambre séparé de lui par deux portes fermées' et à une distance de
42 pieds, commença à le magnétiser; Trois minutes après, Cazot dit, je crois
que M. Foissac est là, car je me sens abasourdi. Au bout de 8 minutes il
était complètement endormi. On le questionne et il assure de nouveau que de ce
jour en trois semaines, le 1 octobre, il
aura un accès épileptique à midi moins deux minutes.
Ils'agissait d'observer avec autant de soin que nous l'avions fait le 7
septembre, l'accès épileptique qui avait été prédit pour le 4 octobre. A cet effet la commission se rendit ce même jour à
11 heures 1/2chez M. Georges, fabriquant de chapeaux, rue des
Ménétriers, n°17, où Cazot demeurait et travaillait. Nous apprîmes de ce M.
Georges, 4° que Cazot est un ouvrier trèsrangé, d'une excellente conduite, et
incapable, soit par la simplicité de son esprit, soit par sa moralité, de se
prêter à une supercherie quelconque, que Cazot ne se sentant pas bien portant,
était resté dans sa chambre et qu'il ne travaillait pas; qu'il n'avait pas eu
d'accès d'épilepsie depuis celui dont la commission avait été témoin à
l'hôpital de la Charité; qu'il y avait dans ce moment auprès de Cazot un homme intelligent
sur la véracité et la discrétion duquel on pouvait compter, que cet homme n'a
point annoncé à Cazot qu'il avait prédit une
attaque pour aujourd'hui; qu'il parait prouvé que
M. Foissae a eu depuis le 10 septembre des relations avec ledit Cazot,
sans qu'on puisse eu inférer qu'il lui ait rappelé sa prédiction, et qu'au
contraire ledit M. Foissac a paru attacher une très grande importance à ce que
personne ne rappelât audit Cazot sa prédiction. M. Georges monte à midi moins 5
minutes dans une pièce située au-dessous de celle où habite Cazot, et une
minute après, il est venu nous prévenir que l'accès avait lieu. Nous sommes
tous montés a la hâte, MM. Guersent, Thillaye, Marc, Gueneau de Mussy, Itard et
le Rapporteur, au 6e étage, où, étant arrivés, la montre d'un des
commissaires marquait midi moins une minute au temps vrai. Réunis autour du Ut
de Cazot, nous avons trouvé l'accès épileptique caractérisé par les symptômes
suivants. Roideur tétanique du tronc et des membres, renversement de la tète et
par fois du tronc en arrière, rétraction couvulsive par en haut du globe des
yeux dont on ne voit que le blanc, injection très-prononcée de la face et du
cou, contraction des mâchoires, convulsions flbrillaires partielles des muscles
de l'avant-bras et du bras droit; bientôt après, opisthotonos tellement
prononcée que le tronc était soulevé en arc de cercle, et que le corps n'avait
d'autre appui que la tête et les pieds, lesquels mouvements se sont terminés
par une brusque détente. Peu de moments après celle attaque, c'est-à-dire après
une minute de relâche, un nouvel accès semblable au précédent s'est déclaré.
Il-y a eu des sons inarticulés, la respiration était haletante, par secousses,
le larynx s'abaissant et s'élevant rapidement, et le pouls battant de 132 à 160
fois. Il n'y a pas eu d'écume à la bouche, ni de. contraction du pouce vers la
face palmaire. Au bout de 0 minutes, l'accès s'est terminé par des soupirs,
l'abaissement des membres, l'ouverture des paupières qui lui a permis de Axer
les assistants d'un air étonné, et il nous a dit être courbaturé, surtout dans
le bras droit..
Quoique la commission ne pût douter de l'action
bien réelle que lemagnétisme produisait sur
Cazot, môme à son insu et à une certaine distance, elle voulut encore en
acquérir une preuve nouvelle. Et comme il avait été prouvé dans la dernière
séance que M. Foissac avait eu avec lui des relations, dans lesquelles il
aurait pu lui dire qu'il avait annoncé une attaque qui
devait arriver le 1octobre, la commission
voulut aussi, en. provoquant de nouvelles expériences sur Cazot, induire M.
Fois-sac en erreur sur le jour où son épileptique aurait l'attaque,
qu'il aurait annoncée d'avance. Par ce moyen nous nous mettions à l'abri de
toute espèce de connivence, à moins qu'on ne suppose qu'un homme que nous avons
toujours vu probe et loyal voulût s'entendre avec un homme sans éducation, sans
intelligence, pour nous tromper. Nous avouons que nous n'avons fait ni à l'un
ni à l'autre cette injure, et nous rendons la même justice à MM. Dupotet et
Chapelain, dont nous avons eu plusieurs fois occasion de vous parler.
La commission se réunit donc dans le cabinet de M.
Bourdois, le 5 octobre à midi, heure à laquelle Cazot y arriva avec ,
son enfant. M. Foissac avait été invité à s'y rendre à midi et demi, il arriva
à. l'heure dite, à l'insu de Cazot, se retira dans le salon, sans aucune
communication avec nous. On 'alla cependant lui dire par une porte dérobée que
Cazot était assis sur un canapé éloigné de 10 pieds d'une porte fermée, et que
la commision désirait qu'il l'endormit et l'éveillai à cette distance, lui
restant dans le salon, et Cazot dans le cabinet.
A midi 57 minutes, pendant que Cazot est occupé à
la conversation à laquelle nous nous livrions, et qu'il examine les tableaux
qui ornent le cabinet, M. Foissac placé dans la pièce voisine commence ses
manœuvres magnétiques, et nous remarquons qu'au bout de quatre minutes, Cazot
clignote légèrement les yeux, qu'il a un air inquiet, et qu'enfin il s'endort
en 9 minutes. M. Guersent, qui lui avait donné des soins à l'hôpital des
Enfants pour ses attaques d'épilepsie, lui demande s'il le reconnaît? Réponse
affirmative. M. Itard lui demande quand il aura un autre accès? il répond que
ce sera d'aujourd'hui en 4 semaines (le S novembre) à 4 heures 5 minutes du
soir. On lui demande ensuite quand il en aura uneautre? Il répond après s'être recueilli et avoir hésité,
que ce sera cinq semaines après le précédent qu'il vient d'indiquer, le 9
décembre, à 9 heures et demie du matin.
Le procès-verbal de celte séance ayant été lu en
présence de M. Foissac, pour qu'il le signat avec nous, nous avions voua, comme
il a été dit ci-dessus, l'induire en erreur; et en le lui, lisant avant de le
faire signer aux membres de ta commission,
le Rapporteur lut que le 1er accès de
Cazot aurait lieu le dimanche 4 novembre, tandis que le malade avait annonce
qu'il aurait lieu le samedi 3. Il le trompa également surle second,, et M. Foissac prit note de ces fausses
indications comme si elles étaient exactes ; mais ayant, quelques jours après,
mis Cazot en somnambulisme, ainsi qu'il avait coutume do le faire pour dissiper
ses maux de tôle il apprit de lui que c'était le 3, et non le 4, qu'il devait
avoir son accès, et il en avertit M. Itard le 1er novembre, croyantqu'il y avait eu erreur dans la rédaction de notre
procès-verbal.
La commission prit pour observer l'accès du S
novembre les précautions qu'elle avait prises pour examiner celui du 1er
octobre; elle se rendit à 4 heures du soir chez M. Georges, elle apprit de lui,
de sa femme, et d'un de ses ouvriers, que Cazot avait travaillé comme de
coutume toute la matinée jusques à 2 heures, et qu'en dînant il avait ressenti
du mal de tête; que cependant il était descendu pour reprendre son travail;
mais que le mal de tête augmentant, et qu'ayant eu un étourdissement, il était
remonté chez lui et s'était étendu sur son lit où il s'est endormi. Alors JIM.
Bourdois, Fouquier et le Rapporteur montèrent, précédés de M. Georges, vers la
chambre de Cazot. M. Georges y entra seul et le trouva profondément endormi, ce
qu'il nous fit remarquer par la porte qui était entr'ouverte sur l'escalier. H.
Georges lui parla haut, le remua, le secoua par le bras sans pouvoir le
réveiller, et a 4 heures 6 minutes, au milieu des tentatives faites par M.
Georges pour le réveiller, Cazot a été saisi des principaux symptômes qui
caractérisent un accès d'épilepsie, et semblables en tout à ce que nous avions
observé sur lui précédemment.
Le second accès annoncé dans la séance du 6 octobre
pour le 9 décembre, c'est-à-dire deux mois auparavant, a eu lieu à 0 heures
3 quarts, au lieu de 9 heures et demie, un quart d'heure plus tard qu'il
n'avait été prédit, et fut caractérisé par les mêmes phénomènes précurseurs, et
par les mômes symptômes que ceux des 7septembre, 1eroctobre et 3novembre.
Enfin le 11 février, Cazot fixa l'époque d'un
nouvel accès au dimanche 22 avril, midi 5 minutes, et celte annonce se vérifia
comme les précédentes, à 5minutes près, c'est-
à-dire l'accès arriva à raidi 10 minutes. Cet accès remarquable par sa
violence,
par l'espèce de fureur arec laquelle Cazot se
mordit la main ci Pavant-bras, par les secousses brusques et répetées qui le
soulevaient, durait depuis 35 minutes, lorsque M. Foissac, qui était présent,
le magnétisa. Bientôt l'état convulsif cessa pour faire place à un état de
somnambulisme magnétique pendant lequel Cazot se leva, se mit sur une chaise et
dit qu'il était très-fatigué ; qu'il aurait encore deux accès : l'un de demain
en 9 semaines, à 6 heures 3 minutes (25 juin ). Ilne veut pas penser au 2e accès parce qu'il
faut songer à ce qui arrivera auparavant (à ce moment il renvoie sa femme qui
était présente), et il ajoute qu'environ trois semaines après l'accès du 25
juin il deviendra fou, que sa folie durera trois jours, pendant lesquels il
sera si méchant, qu'il se battra avec tout le monde, qu'il maltraitera même sa
femme, son enfant, qu'on ne devra pas le laisser avec eux, et qu'il ne sait pas
s'il ne tuerait pas une personne qu'il ne désigne pas. 11 faudra alors le
saigner de suite des deux pieds. Enfin, ajoute-t-il, je serai guéri pour le
mois d'août; et une fois guéri, la maladie ne me reprendra plus telles que
soient les circonstances qui arrivent.
C'est le 22 avril que toutes ces prévisions nous
sont annoncées; et deux jours après, le vingt-quatre, Cazot, voulant arrêter un
cheval fougueux qui avait pris le mors aux dents, fut précipité contre la roue
d'un cabriolet qui lui fracassa l'arcade orbitaire gauche, et le meurtrit horriblement.
Transporté à l'hôpital Beaujon, il y mourut le 15 mai. On trouva à l'ouverture,
du crâne une méningite récente, des collections purulentes sous les téguments
du crâne, et à l'extrémité du plexus choroïde une substance jaunâtre
intérieurement, blanche à l'extérieur, et renfermant de petites hydatides.
Nous voyons, dans cette observation, un jeune homme
sujet depuis dix ans à des attaques d'épilepsie pour lesquelles il a été
successivement traité a l'hôpital des Enfants, à St.-Louis, et exemplé du service
militaire. Le magnétisme agit sur lui quoiqu'il ignore complètement ce qu'on
lui fait. 11 devient somnambule. Les symptômes de sa maladie s'améliorent ; les
accès diminuent de fréquence ; les maux de tète, son oppression disparaissent
sous l'influence du magnétisme; il se prescrit un traitement approprié à la
nature, de son mal, et dont il se promet In guérison. Magnétisé à son insu et
de loin,
il tombe en somnambulisme, en est retiré avec la
même promptitude que lorsqu'il était magnétisé de près. Enfin il indique avec
une rare précision un et deux mois d'avance le jour et l'heure où il doit avoir
un accèsd'épilepsie. Cependant,
doué de sa prévision pour des accès aussi éloignés, bien plus pour des accès
qui ne doivent jamais avoir lieu, il ne peut pas prévoir que dans deux jours il
sera frappé d'un accident mortel.
Sans chercher à concilier tout ce qu'une pareille
observation peut, au premier coup d'oeil, offrir de contradictoire, la
commission vous fera remarquer que les prévisions de Cazot ne sont relatives
qu'à ses accès ; qu'elles se réduisent à la conscience de modifications
organiques qui se préparent et arrivent en lui comme le résultat nécessaire des
fonctions intérieures ; que ces prévisions, quoique plus étendues, sont
tout-à-fait semblables à celles de certains épileptiques qui reconnaissent à
certains symptômes précurseurs, comme la céphalalgie, les vertiges, la
morosité, l'aura epileptica, qu'ils auront bientôt un accès. Serait-il
étonnant que les somnambules dont, comme vous l'avez vu, les sensations sont
extrêmement vives, puissent prévoir leurs accès longtemps d'avance, d'après
quelques symptômes ou impressions intérieures qui échappent à l'homme éveillé?
C'est de cette manière, Messieurs, que l'on pourrait entendre la prévision
attestée par Arétée dans deux endroits de ses immortels ouvrages, par Sauvage
qui en rapporte un exemple, et par Cabanis. Ajoutons que la prévision de Cazot
n'est pas rigoureuse, absolue. Qu'elle est conditionnelle, puisqu'on prédisant
un accès il annonce qu'il n'aura pas lieu si on le magnétise, et
qu'effectivement il n'a pas lieu, elle est tout organique, tout intérieure.
Ainsi nous concevons pourquoi il n'a pas pré™ un événement tout extérieur,
savoir que le hasard lui ferait rencontrer un cheval fougueux, qu'il aurait
l'imprudence de vouloir l'arrêter, et qu'il recevrait une blessure mortelle. Il
a donc pu prévoir un accès qui n'a dû jamais arriver. C'est l'aiguille d'une
montre qui dans Un temps donné doit parcourir une certaine portion du cercle
d'un cadran, et qui ne la décrit pas, parce que la montre vient à être brisée.
Nous venons de vous offrir, dans les deux
observations précédentes, deux exemples très-remarquables de l'intuition, de
cette faculté développée pendant le somnambulisme, et en vertu de
laquelle deux individus magnétisés voyaient la
maladie dont ils étaient atteints, indiquaient le traitement par lequel on
devait les combattre, en annonçaient le terme, en prévoyaient les attaques. Le
fait dont nous allons vous présenter l'analyse nous a offert un nouveau genre
d'intérêt. Ici le magnétisé plongé dans le somnambulisme juge la maladie des
personnes avec lesquelles il se met en rapport; il en détermine la nature, et
en indique le remède.
Mlle Céline Sauvage a été mise en
somnambulisme en présence de la commission les 18 et 21 avril, 17 juin, 9 août,
23 décembre 1826,13 et 17 janvier et 21 février 1827.
En passant de l'état de veille à celui de
somnambulisme, elle éprouve un refroidissement de plusieurs degrés, appréciable
au thermomètre, sa langue devient sèche et rugueuse, de souple et humidequ'elleétaitauparavant,son halcine,jusqu'alorsdouce, est fétide et repoussante.
La sensibilité est presqu'abolie pendant la durée
de son sommeil , car elle fait six inspirations ayant sous les narines un
flacou rempli d'acide hydrochlorique, et elle n'en témoigne aucune émotion. M.
Marc la pince au poignet, une aiguille à acupuncture est enfoncée de trois
lignes dans la cuisse gauche, une autre de deux lignes dans le poignet gauche.
On réunit ces deux aiguilles par un conducteur galvanique, des mouvements
convulsifs très-marqués se développent dans la main, et Mlle Céline
parait étrangère à tout ce qu'on lui fait. Elle entend les personnes qui lui
parlent de près et en la touchant, et elle n'entend pas le bruit de deux
assiettes que l'on brise à côté d'elle.
C'est lorsqu'elle est plongée dans cet étal de
somnambulisme que la commission a reconnu trois fois chez elle la faculté de
discourir sur les maladies des personnes qu'elle touche, et d'indiquer les
remèdes qu'il convient de leur opposer.
La commission trouva parmi ses membres quelqu'un
qui voulut bien se soumettre auxindacations de cette somnambule. Ce fut M. Marc. Mlle Céline fut
priée d'examiner avec attention l'état de la santé de notre collègue. Elle
appliqua la main sur le front et la région du cœur, et au bout de trois minutes
elle dit : que le sang se portait à la tète; qu'actuellement M. Marc avait mal
dans le côté gauche de cette cavité; qu'il avait souvent de l'oppression,
surtout après avoir mangé; qu'il devait avoir souvent une petite toux ; que la partie inférieure do
la poitrine était gorgée de sang; que quelque chose gênait te passage des
aliments ; que cette partie ( et elle désignait la région de l'appendice
xiphoïde), était rétrécie; que pour guérir M. Marc, il fallait qu'on le saignât
largement, que Ton appliquât des cataplasmes de ciguë, et que l'on fît des
frictions avec du laudanum sur la partie inférieure de la poitrine, qu'il but
de la limonade gommée, qu'il mangeât peu et souvent, et qu'ilne se promenât pas immédiatement après le repas.
Il nous tardait d'apprendre de M. Marc s'il
éprouvait tout ce que cette somnambule avait annoncé. Il nous dit qu'en effet
il avait de l'oppression lorsqu'il marchait en sortant de table, que souvent,
comme elle l'annonçait, il avait de la toux, et qu'avant l'expérience il avait
mal dans le côté gauche de la tête, mais qu'il ne ressentait aucune gène dans
le passage des aliments.
Nous avons été frappés de cette analogie entre ce
qu'éprouve M.Marc, et ce qu'annonce la somnambule; nous l'avons soigneusement
annoté, et nous avons attendu une autre occasion pour constater de nouveau
cette singulière faculté. Cette occasion fut offerte au rapporteur, sans qu'il
l'eût provoquée, par la mère d'une jeune demoiselle à laquelle il donnait des
soins depuis fort peu de temps.
La malade était âgée de 23 à 25 ans, atteinte
depuis deux ans environ d'une hydropisie ascite accompagnée d'obstructions
nombreuses, les unes du volume d'un œuf, d'autres du volume du poing,
quelques-unes du volume d'une tôle d'enfant, et dont les principales avaient
leur siège dans le côté gauche du ventre. L'extérieur du ventre était inégal, bosselé;
et ces inégalités correspondaient aux obstructions dont la capacité abdominale
était le siège. M. Dupuytren avait déjà pratiqué dix ou douze fois la ponction
à cette malade, et avait toujours retiré une grande quantité d'albumine claire,
limpide, sans odeur, sans aucun mélange. Le soulagement suivait toujours
l'emploi dece moyen.
Le rapporteur a été présent trois fois a cette
opération ; et il fut facile à M. Dupuytren et à lui de s'assurer du volume et
de la dureté de ces tumeurs, par conséquent, de reconnaître leur impuissance
pour la guérison de celle malade. Ils prescrivirent néanmoins différents
remèdes, et ils attacherent quelque im
portance à ce que M11e. ....fut mise à l'usage du lait
d'une chèvre à laquelle on ferait des frictions mercurielles.
Le 24 février 1827, le rapporteur alla chercher M.
Foissac et Mlle Céline, et il les conduisit dans une maison rue du
faubourg du Roule, sans leur indiquer ni le nom, ni la demeure, ni la nature de
la maladie de la personne qu'il voulait soumettre à l'examen de la somnambule.
La malade ne parut dans la chambre ou se fitl
l'expérience que quand M. Foissac eut endormi Mlle Céline : et
alors, après avoir mis une de ses mains dans la sienne, elle l'examina pendant
huit minutes, non pas comme le ferait un médecin en pressant l'abdomen, en le
percutant, en le scrutant dans tous les sens; mais seulement en appliquant la
main à plusieurs reprises sur le ventre, la poitrine, le dos et la tôle.
Interrogée pour savoir d'elle ce qu'elle avait
observé chez Mlle... elle répondit que tout le ventre était malade,
qu'il y avait un squirrhe et une grande quantité d'eau du côté de la rate, que
les intestins étaient très-gonflés; qu'il y avait des poches où des vers
étaient renfermes ; qu'il y avait des grosseurs du volume d'un oeuf dans
lesquelles étaient contenues des matières puriformes, et que ces grosseurs
devaient être douloureuses; qu'il y avait au bas de l'estomac une glande
engorgée de la grosseur de trois de ses doigts, que cette glande était dans
l'intérieur de l'estomac et devait nuire à la digestion, que la maladie était
ancienne, et qu'enfin MlIe... devait avoir des maux de tétlé. Elle
conseilla l'usage d'une tisane de bourrache et de chiendent nitrée, de cinq
onces de suc de pariétaire pris chaque matin, de très-peu de mercure pris dans
du lait. Elle ajouta que le lait d'une chèvre que l'on frotterait d'onguent
mercuriel, une demi-heure avant de la traire, conviendrait mieux (*) ; en outre
elle prescrivit des cataplasmes de fleurs de sureau constamment appliqués sur
le ventre, des frictions sur
cette cavité, avec de l'huile de laurier, et, à son
défaut, avec le suc de cet arbuste uni à l'huile d'amandes douces, un lavement
de décoction dé kina coupé avec une décoction émolliente. La nourriture devait
consister en viandes blanches, laitage farineux, point de citron. Elle
permettait très-peu de vin, un peu de rhum à la fleur d'orange, ou de la
liqueur de menthe poivrée. Ce traitement n'a pas été suivi, et l'eût-il été, il
n'aurait pas empêché la malade de succomber. Elle mourut un an après.
L'ouverture du cadavre n'ayant pas été faite, on ne put vérifier ce qu'avait
dit la somnambule.
(*) Sans attacher une grande importance a cette
singulière rencontre de la prescription laite par la somnambule de l'usage du
lait d'une chèvre frictionnée d'onguént mercuriel avec celle meme prescription
recommandée à la malade par MM. Dupuytren et par te rapporteur, la commission a
dû consigner dans son travail cette coïncidence. Elle la présente comme un fait
dont le rapporteur garantit l'authenticité, mais dont ni elle ni lui ne peuvent
donner aucune explication.
Dans une circonstance délicate où des médecins fort
habiles, dont plusieurs sont membres de l'Académie, avaient prescrit un
traitement mercuriel pour un engorgement des glandes cervicales qu'ils
attribuaient à un vice vénérien, la famille de la malade qui était soumise à ce
traitement, voyant survenir de graves accidents, voulut avoir l'avis d'une
somnambule. Le rapporteur fut appelé pour assister à celte consultation, et il
ne négligea pas' de profiter de cette nouvelle occasion d'ajouter encore à ce
que la commission avait vu. Il trouva une jeune femme, Mmela C...., ayant tout le côté droit
du cou profondément engorgé par une grande quantité deglandes rapprochées les unes des autres. Une était
ouverte et donnait issue à une matière purulente jaunâtre.
M11e Céline, que M. Foissac magnétisa en
présence du rapporteur, se mit en rapport avec elle, et affirma que l'estomac
avait été attaqué par une substance comme du poison, qu'il y avait une
légère inflammation des intestins, qu'il y avait à la partie supérieure droite
du cou une maladie scrofuleuse qui avait dû être plus considérable qu'elle ne
l'était à présent, qu'en suivant un traitement adoucissant qu'elle prescrit, il
y aurait de l'amélioration dans quinze jours ou trois semaines. Ce traitement
consistait en quelques grains de magnésie, huit sangsues au creux de l'estomac,
des décoctions de gruau, un purgatif salin toutes les semaines, deux lavements
chaque jour, l'un de décoction de kina, et, immédiatement après, un autre de
racines de guimauve, des frictions d'éthersurles membres, un bain
toutes les semaines; et, pour nourriture, du laitage, des viandes légères et
l'abstinence du vin. On suivit ce traitement pendant quelque temps, et il y cul
une amélioration notable. Mais l'impatience de la malade qui trouvait
que le retour vers la santé n'était pas assez rapide détermina la famille à
convoquer une nouvelle réunion de médecins. Ily fut décidé que la malade serait soumise à un nouveau
traitement mercuriel. Le rapporteur cessa alors de voir la malade, et apprit
qu'à la suite de l'administration du mercure elle avait eu du côté do l'estomac
des accidents très-graves qui la conduisirent au tombeau après deux mois de vives
souffrances, Un procès-verbal d'autopsie signé par MM. Fouquier, Marjolin,
Cruveillier et Foissac, constata qu'il existait un engorgement scrofuleux ou
tuberculeux des glandes du cou, deux légères cavernes remplies de pus,
résultant de la fonte des tubercules au sommet de chaque poumon, la membrane
muqueuse du grand cul de sac de l'estomac était presque entièrement détruite.
Ces Messieurs constatèrent, en outre, que rien n'indiquait la présence d'une
maladie vénérienne soit récente, soit ancienne.
Il résulte de ces observations, 4° que dans l'état
de somnambulisme M"0 Céline a indiqué les maladies de trois
personnes avec lesquelles on l'a mise en rapport; 2° que la déclaration de
l'une, l'examen que l'on fait do l'autre après trois ponctions, et l'autopsie
de la 3°, se sont trouvés d'accord avec ce que cette somnambule avait avancé;
3° que les divers traitements qu'elle a prescrits ne sortent pas du cercle des
remèdes qu'elle pouvait connaître, ni de l'ordre des choses qu'elle pouvait
raisonnablement recommander; et 4°qu'elle les a appliqués avec une
sorte de discernement.
A tous ces faits que nous avons si péniblement
recueillis, que nous avons observés avec tant de défiance et d'attention, quenous avons cherché à classer de la manière qui pût
le mieux vous faire suivre le développement des phénomènes dont nous avions été
les témoins; quenous nous sommes surtout
efforces de vous présenter dégagés de toutes les circonstances accessoires qui
en auraient embarrassé et embrouillé l'exposition, nous pourrions ajouter ceux
que l'histoire ancienne, et même l'histoire moderne nous rapportent sur les
prévisions qui se sont souvent réalisées, sur les guérisons obtenues par
l'imposition des mains, sur les extases, sur les convulsionnaires, sur les
oracles, sur les hallucinations, enfin sur tout ce qui, s'éloignant des
phénomènes physiques explicables par l'action d'un corps
sur un autre, rentre dans le domaine de la
physiologie, et peut être considéré comme un effet dépendant d'une influence
morale non appréciable par nos sens. Mais la commission était instituée pour
examiner le somnambulisme, pour faire des expériences sur ce phénomène qui
n'avait «pas été étudié par les commissaires de 1784, et pour vous en rendre
compte; elle serait donc sortie du cercle dans lequel vous l'aviez
circonscrite, si, cherchant à appuyer ce qu'elle avait vu sur des autorités qui
auraient observé des faits analogues; elle eut grossi son travail de faits qui
lui auraient été étrangers. Elle a raconté avec impartialité ce qu'elle a vu avec
défiance; elle a exposé avec ordre ce qu'elle a observé en diverses
circonstances, ce qu'elle a suivi avec une attention autant minutieuse que
continue. Elle a la conscience que le travail qu'elle vousprésente est l'expression fidèle de
tout ce qu'elle a observé. Les obstacles qu'elle a rencontrés vous sont connus,
ils sont en partie cause du retard qu'elle a mis à vous présenter son rapport,
quoique depuislongtemps les matériaux en
fussent entre ses mains. Toutefois, nous-sommes loin de nous excuser et de nous
plaindre de ce retard, puisqu'il donne à nos observations un caractère de
maturité et de réserve qui doit appeler votre confiance sur des faits que nous
vous racontons, loin de la prévention et de l'enthousiasme que vous pourriez
nous reprocher, si nous les avions recueillis la veille. Nous ajoutons qu'il
est loin de notre pensée de croire avoir tout vu ; aussi nous n'avons pas la
prétention de vous faire admettre comme axiome, qu'il n'y a de positif dans le
magnétisme que ce que nous mentionnons dans notre rapport. Loin de poser des
limites à celle partie de la science physiologique, nous avons au contraire
l'espoir qu'un nouveau champ lui est ouvert; et garants de nos propres
observations, les présentant avec confiance à ceux qui après nous voudront
s'occuper du magnétisme, nous nous bornons à en tirer les conclusions
suivantes.
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