De la Cause du Sommeil Lucide

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SÉANCE X

DE L'INTUITION DES ÉPOPTES

Tout épopte, étantabstrait des sens, a une manière singulière de former les idéesdes objets, différente de celle qui est propre à l'homme dans son étatnaturel de sensations. Il voit, mais sans le ministère des yeux ; ilflaire sans celui des narines ; il goûte sans celui du palais ; il écoutesans celui de l'ouïe ; il palpe sans celui du tact. Voilà pourquoinous avons dit que dans cet état un aveugle peut voir, un sourd entendre, et unmuet parler. Lors donc qu'on raconte qu'un épopte s'isole de tout com­mercesocial, soit naturellement, soit par ordre du concentrateur, on ne peut quedire que dans le premier cas il est tout à fait abstrait d'atten­tion,et que dans le second il s'accommode à la précision du commandement, ens'en abstrayant par obéissance.

Cette manièrede former les idées des objets, qui ne convient nullement à l'homme dansson état de veille, ne convient pas non plus à un pur esprit dansl'exercice de ses fonctions spi­rituelles. L'homme les remplit avec les espèceset avec les bornes que lui prescrit la circons­cription de ses sens :l'esprit les remplit sans espèces et sans bornes ; mais l'épopte les rem­plitavec les espèces et sans bornes, en se pla­çant comme unêtre moyen entre l'homme et l'esprit.

L'intuition qui enrésulte n'est donc que mixte, c'est-à-dire, une intuition quiparticipe de l'universalité des connaissances de l'esprit et des erreurs desconnaissances de l'homme, et par là même elle rend toujourséquivoques toutes ses idées. La certitude de la possibilité des erreurs est unvernis qui masque l'éclat môme des vérités exactes.

Dire aussi quel'intuition mixte n'atteint les objets que par les espèces, c'estannoncer que sa juridiction n'embrasse que les objets relati­vement concrets etabstraits de leurs espèces, pour l'intelligence de cette doctrine.

En attendant, nousobservons que ce que les philosophes ont caractérisé de sens interne del'homme, et les magnétiseurs d'un sixième sens qui englobetous les autres sens, n'exprime que des mots, sans aucune idée admissible.Le sens interne des premiers n'est, pour ainsi dire, qu'un dépôt decombinaisons d'idées acquises par les sens externes et nullement la scienceinfuse et innée de l'âme, qui n'éclate jamais dans l'usage de la vie. Lesixième sens des seconds n'est qu'une logomachie ridicule et puérile. Lesens est un organe qui suppose un arrangement déterminé de ses parties, et mar­quedes bornes précises dans l'espace. Cette construction particulièren'existe pas chez l'homme, parce que l'intuition se manifeste dans toutes lesparties du corps, et change de place d'après la densité du sang ; ellen'a de plus aucune circonscription dans l'ordre physique. Quoique cette facultéait pour intermé-diaire un sang liquide, néanmoins elle ne se développe quecomme une propriété essentielle de l'âme, c'est-à-dire, aussi indéfinieque son principe. L'idée de celui qui avait le premier reconnu chez l'homme unsens interne, ne paraît avoir été que d'annoncer qu'il a inté­rieurement l'aptitudeà la jouissance des fonc­tions des organes externes et au delà,ainsi qu'il le montre par le fait même dans l'état d'é­popte ; que cesens est privé de tout mécanisme propre aux organes externes, puisqu'il se déve­loppedans toute partie donnée du corps, à l'exception de celles quirecèlent du sang épais ; et qu'enfin ce sens n'a pas de circonscriptionfixe et déterminée comme les organes exter­nes, étant susceptible d'atteindreson objet ana­logue à toute distance de temps et de lieux, et àtravers tous les obstacles, comme la vision intuitive. Il n'a été caractérisésans doute d'un seul sens interne que parce qu'embrassant la jouissance descinq sens externes et au delà, il ne fournissait pas une nomenclaturepropre à les désigner suivant leur nature. Toutefois pour éviter lesnéologismes, nous conserverons la dénomination plurielle de sens internes, etnon la singulière de sens internes qui englobe les autressens, quoique l'une et l'autre soient éga­lement insuffisantes pourexprimer cette préro­gative du corps.

2. — Le concret, dontnous avons parlé, s'op­pose à l'abstrait : la représentation deleurs objets est ce qui est appelé idée concrète et idée abstraite.L'objet concret est celui qui a une existence réelle, et l'objet abstrait estcelui qui n'existe que dans la conception. Dans cette acception naturelle, le concretet l'abstrait sont absolus. Ainsi, la matière et l'espritsont des objets absolument concrets ; et l'humanité, la bonté, etc., sont desobjets absolument abs­traits ; les premiers existent réellement, et les secondsn'existent que dans la conception.

Tout ce qui estinaccessible aux sens et incon­cevable, quoique ayant une existence réelle, estappelé aussi abstrait ; mais dès lors il n'est qu'un abstrait relatif,parce qu'il n'est imperceptible qu'à l'homme. Il en résulte quel'esprit, qui est un concret absolu, devient un abstrait relatif, parce qu'iln'est imperceptible qu'à l'homme. Il en résulte que l'esprit, qui est unconcret absolu, devient un abstrait relatif, et prend dans la conversationvulgaire la dénomination générique de simple abstrait. Le sensible ensuite, quiétant séparé du spirituel, n'exprime plus tout ce qui est sous la compréhensiondu concret absolu, se trouve nécessairement rangé sous la déno­mination deconcret relatif.

L'intuition mixte,qui ne donne les idées des objets que par les espèces, ne peutdonc attein­dre que le concret relatif. Ainsi donc les épop­tes, lorsqu'ilsdisent voir des êtres surnaturels, comme les anges, les démons, ne lesvoient que de la manière qu'ils se les représentent, ou dans la formesensible sous laquelle ces esprits s'of­frent à leur intuition.

Il s'ensuit que lapensée d'autrui, qui ne peut avoir aucune forme sensible, ne peut jamaisêtre l'objet de l'intuition des époptes. C est le seul réceptacleoù la nature a permis à l'homme de cacher à ses semblablestout ce qu'il veut déro­ber à leur connaissance. Les purs esprits seulspeuvent le pénétrer : parce que dans l'ordre intellectuel, la seule conceptionest l'expression du sentiment, un langage sonore et intelligible ; etconséquemment lire la pensée d'autrui dans tous ses plis et replis est unefaculté aussi con­forme à un être surnaturel que celle de laparole à l'homme.

Cependant il estconstant que des époptes ont dévoilé et dévoilent encore tous les jours lessentiments internes de leurs semblables. Cette faculté n'est pas communeà tous, mais elle n'est pas tout à fait étrangère àtous. S'ils y mêlent des erreurs incompatibles avec le fond de la pensée,il est certain qu'ils en dévoilent avec justesse une bonne partie.

Ces faits sontexacts et ne s'opposent pas au principe par lequel nous établissons que l'in­tuitionmixte ne peut atteindre la pensée. Tâchons maintenant d'en relever la connexionet la différence.

3. — Celui qui lepremier a avancé que des époptes lisent la pensée d'autrui a peut-être eumoins de tort que ceux qui se sont prévalus de son témoignage pour répandresans restriction l'existence de ce phénomène. Est-ce que tout homme nelit pas la pensée de ses semblables, lorsqu'elle est exprimée par unecombinaison de mots ? L'épopte n'en fait pas davantage lors­qu'il dévoile unepensée non exprimée. Une pensée bien gravée dans le sens de la mémoire estaussi accessible à l'intuition de certains époptes qu'une penséeexprimée par les mots lest à ceux qui ne sont pas sourds, ou tracée parl'écriture l'est à ceux qui ne sont pas aveu­gles. Nul épopte ne litdonc dans la pensée comme telle, mais seulement les empreintes des idées qui lacomposent suivant notre manière d'entendre.

Pour bien saisir ceque nous venons d'exposer, il faut remarquer que la pensée qui fait la vie del'âme, ne peut jamais s'interrompre ; toutefois, elle ne peut pasinvariablement s arrêter sur le même objet dans une créatureintelligente. Pen­ser constamment et varier successivement, c'est le seul genrede vie qui lui soit accordée par la nature. Elle doit donc à chaqueinstant changer l'objet de sa pensée, et en embrasser simultané­ment plusieursautres à la fois. Tandis qu'elle en change un, elle s'occupe des autres,pour les abandonner aussitôt à leur tour ; de sorte que pour un seulinstant, même des plus impercep­tibles, elle ne peut cesser ni de penserni de varier.

La pensée n'estpoint un résultat de la suc­cession des idées, mais une agglomération de toutesensemble. Elle s'agrandit de nouvelles idées, qui entrent toujours dans sontout mais qui n'en font point la suite. Ainsi l'on est tou­jours embarrasséd'en trouver le commencement et la fin, parce qu'elle ne se présente àl'esprit que comme un cercle dont on chercherait en vain les deux bouts. Lesparoles et l'écriture ne la rendent jamais : elles ne font que l'esquisser pardes similitudes, des comparaisons et des métaphores, en donnant àentendre plus qu'elles n'expriment. Les nuances du sentiment sont siimperceptibles et si nombreuses qu'elles dépas­sent toutes les combinaisonspossibles de mots : celui qui l'exprime par des paroles ou par l'écri­ture, nele rend jamais tel qu'il le conçoit : il le défigure toujours en l'accommodantaux règles de la grammaire, c'est-à-dire à lamanière de s'énoncer, adoptée par les hommes. Ainsi il arrive qu'unepensée devient moins énergique par l'énonciation qu'elle ne l'est par la concep­tion,de même que parfois elle devient plus bril­lante par l'enonciationqu'elle ne l'est par la conception. Ainsi le même fait n'est jamais tracépar les mêmes idées, et la pensée d'un écrivain exprimée dans une languen'est plus la même, étant traduite verbalement dans une autre ; c'estparce que les mots ne répondent jamais complè­tement aux idées, ni leurcombinaison, ni la pensée d'un homme à celle d'un autre.

Lors donc queRivarol a dit que la langue fran­çaise est plus parfaite que les autreslangues, par­ce qu'étant assujettie à tracer, sous peine d'être inintelligible,d'abord le sujet ensuite le verbe, et enfin ses régimes et le reste, elle suitl'ordre naturel de la pensée, il s'est montré peu versé dans la connaissance del'idéologie. Si c'est une perfection elle est commune à toutes leslangues. Mais celles-ci ont encore en général une autre perfection plus oumoins caractérisée que n'a pas la langue française, c'est la transposition del'ordre grammatical sans engendrer la confusion des idées. Le sujet de lapensée est le premier qui s'offre à l'esprit, et il est aussi le premierqui demande à être exprimé : et ce sujet n'est souvent que lerégime du verbe et même d'une préposition de la phrase. La langue qui nepeut pas rendre sans confusion, tel qu'il est dans la conception, ne suit doncpas l'ordre naturel des idées. La grammaire analyse la pensée pour faireentendre les hommes entre eux : elle ne règle ni ne peut régler le modedes conceptions. La lan­gue qui s'y accommode le mieux est la plus par­faite detoutes.

4. — Il faut doncdistinguer dans la concep­tion humaine la pensée permanente et stable de lapensée fugitive. La première est celle sur la­quelle l'homme revienttoujours, malgré le croi­sement des autres qui s'y entremêlent et quiconstituent la seconde. Celui qui écrit une let­tre a devant l'esprit nonseulement le sujet dont il veut rendre compte, mais aussi le choix des mots, lacombinaison des expressions, les règles de la grammaire, l'élégance dela diction et la connexion des parties du sujet. D'autres idées aussi qui s'y mêlentpar des analogies relatives, et qui sont étrangères au but, sont sinombreuses que l'écrivain même chez qui elles se reprodui­sent est uninstant après hors d'état de s en ren­dre compte. Il arrive mêmefréquemment qu'une idée utile qui s'est présentée à l'esprit comme unéclair, pendant qu'il s'occupait d'une autre, devient inaccessible un instantaprès à l'homme même qui l'avait conçue.

Les époptes quidévoilent la pensée ne lisent que les traces d'une pensée stable et perma­nente,de la même manière à peu près qu'un homme lit lapensée d'un autre homme par son écriture, ou qu'il garde la mémoire des idéesqu'il a eues autrefois. Ces traces étant plus pro­fondément gravées dans lesiège de la mémoire, par la répétition des replis de l'attention, queles traces d'une pensée fugitive, dévoilent devant l'intuition des époptesl'objet qu'elles représen­tent, et rendent inconcevable à la raison, uneexécution qui est toute naturelle à l'état des époptes. Aussi toutepensée fugitive qui, sans contredit, s'y est entremêlée leur est inconnue; parce que leurs traces ou s'effacent aussitôt ou sont donc tropimperceptibles pour être lues.

Ainsi toutes lesfois qu'on exige des époptes qu'ils dévoilent la pensée, on s'efforce àla répé­ter et à la ruminer cent fois dans l'esprit ; et les époptes nel'atteignent que lorsque les images des idées dont elle résulte, sontdéjà bien impri­mées dans le tableau de la mémoire. Si l’on réfléchitbien, on trouvera que c'est la même route que suit celui qui rappelleà la mémoire les idées passées. La différence en mieux est en faveur dece dernier ; parce que la connaissance d'une seule idée lui suffît souvent, enraison de son analogie avec les autres, pour connaître la pensée entière; au lieu que les époptes ont besoin d'étudier chaque trace pour cetteexécution merveilleuse ; et ils perdent le mérite de l'exac­titude si parinattention ils en négligent quel­qu'une.

Cependant il est descataleptiques qui lisent quelquefois des pensées fugitives ; mais ils n'an­noncentpar là qu'une extrême lucidité qui atteint les traces mêmelégères et superficielles. La pensée comme telle ne peut jamaisêtre acces­sible à l'intuition mixte, parce qu'elle est dépour­vuede toute forme sensible.

5. — Ces époptes quiannoncent à quelqu'un, sans l'avoir appris, sa profession, ses projets,ses opinions, et d'autres opérations de l'esprit assujetties à unehabitude, ne dé voilent pas sa pen­sée, mais en lisant seulement les traces,qui par la répétition des actes, sont profondément gravées dans le tableau dela mémoire. Mais autant cette classe d'époptes est lucide, autant est stupidela classe de ceux qui dans le sommeil lisent un livre ouvert et répondent dansleur langue maternelle aux langues étrangères. Leur lucidité ne s'étend,en général, qu'à ce qu'atteignent les sens, et non à ce qui leurest caché.

Cette exécution asans doute de quoi frapper l'esprit d'étonnement ; mais elle ne dépose pas enfaveur d'une intuition étendue. L'expérience m'a démontré que ces époptes n'ontjamais été aptes à analyser le plus léger des maux, ou à y appli­querle plus petit médicament propice. Ils jouis­sent certes de l'intuition ; maisd'une intuition si bornée qu'ils méritent à peine d'être placésdans la catégorie des époptes. J'ai mes raisons pour parler sisévèrement sur leur compte ; leurs avis ont manqué plus d'une fois defaire des victimes dans les malades.

Il n'est pasdifficile de trouver la raison de cette circonscription si étroite. Il estconstant qu'une intuition complète doit fournir à l'épopted'autres idées que celles qu'on acquiert par les sens. Il ne lui suffit pas,pour être censé en jouir, qu'il atteigne ce qui ne tombe pas sous sessens ; il faut aussi qu'il atteigne ce qui naturel­lement ne tombe pas sous lesens de ses sem­blables. La connaissance de ce qui oppose des obstaclesà la pénétration de ces organes senso­riaux est précisément ce qui formel'un des caractères précis de l'intuition.

En lisant dans lesommeil un livre ouvert, et en répondant aux langues étrangères, cesépop­tes ne font que ce que d'autres font naturelle­ment. Ils jouissent certesd'une intuition quel­conque, puisqu'ils voient les yeux fermés, et entendent cequ'ils n'ont jamais appris ; mais cette intuition ne s'étend qu'à ce quiest subor­donné à l'action des organes externes, et con­séquemment ellen'a pas le caractère qui la tend supérieure et étrangère àla sensation. L'intuition n'est complète que dès qu'elle perce cequi est naturellement impénétrable aux organes externes, quoique ayant la possibilitéd’y pénétrer. Ainsi c'est une intuition complète que celle des époptespar laquelle ils lisent un livre fermé ou une lettre cachetée ; parce que lessens trouvent une barrière qui les empêche d'y pénétrer, et nonautrement . lorsque nous appelons complète une intuition, nous n'enten­donspas dire qu'elle est parfaite, mais seule­ment qu'elle entre de rigueur dans lacatégorie d'intuitions des degrés propres.

6. — Lors donc qu'ona dit que les époptes qui répondent aux langues inconnues ne font que lire lapensée de leur interlocuteur, on n'a cherché qu'à, éluder une difficultépar une autre difficulté encore plus insoluble. On ne conçoit pas certes,comment une ouvrière ou une servante, qui sait à peine la languemater­nelle, peut, dans un sommeil, répondre à un Chinois ou à unIroquois. Mais conçoit-on com­ment cet être sensitif peut atteindra lapensée ; c'est-à-dire un objet immatériel, qui, n'ayant point de forme,devient inaccessible à l'esprit humain ? Du moins on parle, quelque partparmi les hommes le chinois et l'iroquois, quoi­que tout à fait inconnusdans son état de veille à l'épopte en question. Mais quels hommes ontdéjà atteints ce qui par sa simplicité est au des­sus de la conceptionhumaine ?

Ajoutons àcela une autre réflexion qui dérive de la nature même de la pensée ;c'est qu'ordi­nairement la pensée qu'on exprime n'est pas la même quecelle qui existe dans la conception. Elle a existé, et pendant qu'on la rendsensible par des mots, elle est remplacée par une autre qui doit la suivre. Sil'épopte qui répond aux langues étrangères ne lit que la pensée de soninterlocuteur, il doit plutôt atteindre celle qui existe dans l'esprit quecelle qui est exprimée.

Mais en admettant,même contre le sens com­mun, que les époptes qui répondent aux languesinconnues, ne font que lire la pensée, pourrons-nous expliquer comment il s yprennent pour lés parler comme s'ils étaient des indigènes? Il estcertain qu'il y en a surtout parmi les épop­tes naturels, qui en ont parlé tantbien que mal. Comment savent-ils la signification des mots et leur emploiopportun, qui sont tout à fait indépendants de la pensée del'interlocuteur ? Sans en garantir la véracité, je puis assurer que des époptesqui répondaient dans leur langue maternelle, et que j'ai eus sous ma direction,m'ont dit plusieurs fois qu'en raison de l'em­barras de la prononciation, ilsn'osaient pas parler la langue précise dans laquelle on leur adressait desquestions.

Ce n'est donc paspar la lecture de la pensée proprement dite que ces êtres intuitifs répon­dentaux langues étrangères ; mais par un autre principe qui a déjàété entamé dans l'une des séances précédentes, et qui sera plus ample­mentdéveloppé dans la suite. En attendant il est bon d'observer que les époptesn'atteignent que ce qui est possible aux sens, quoique ceux-ci ne l’atteignentjamais et que chez eux cette jouissance des fonctions soit beaucoup plusparfaite que chez les hommes ? Les hommes n'ont jamais les sens aussi parfaitsqu'ils doi­vent l’être par leur constitution primitive. L'or­ganisationà laquelle ces messagers sont subordonnés, a toujours un dérangementinterne, qui provient de la dégradation de la nature humaine. Toutefois ils ontla possibilité de jouir de leurs fonctions, du moins en partie sans en avoirjamais l'actualité. Les sens peuvent, par exem­ple, atteindre l'intérieur descorps mais en surmontant par l'art des obstacles qui s'y oppo­sent. Ils peuventde même découvrir à des lieux les objets qui échappent àleur action, mais en se transportant sur le théâtre même de lascène qui doit être découverte. Toutefois ils n'atteindrontjamais, quoiqu'en ayant la possibilité, les subtiles émanations des corps etd'autres propriétés semblables qui leur con­viennent.

Ce qui ressemble auxsens est indépendant de toute organisation chez les époptes. Ce n'est que ladifférence du sang qui fait la différence de leurs connaissances. L'intuitionmixte n'a de ressemblance avec les sens que dans la repré­sentation des objetspar espèces. Du reste, la première diffère desseconds par sa source, par son mode et par son développement, comme l'espritdiffère de la matière.

Avant de passeroutre, je ne puis pas négliger de remarquer ici l'inconcevable économie de lanature dans le mode et l'ordre de ces traces, dont la lecture décèle auxépoptes la pensée d'autrui. Qui pourra expliquer comment ces empreintes segravent, et comment, étant si nombreuses et susceptibles à chaqueinstant d'être accrues, elles restent connexes entre elles etn'engendrent point de confusion ?

7. — Nous avons ditque l'intuition est une jouissance simultanée de fonctions semblables àcelles des cinq sens et au delà, sans distance de temps et de lieux. Ilfaut remarquer ici que ce que nous appelons une jouissance simulta­née desfonctions n'est point un exercice actuel, mais seulement une possibilité de cetexercice. Les époptes habitués dans l'état de veille à ne se servir dessens que successivement, agissent de même, en général, dans leur sommeil.Tou­tefois étant dirigés, ils sont susceptibles de répondre à tousensemble.

Il faut remarqueraussi que l'intuition est une jouissance simultanée de fonctions semblablesà celles des cinq sens, et non les mêmes: parce que cesfonctions chez l'homme sensitif dépen­dent d'une organisation, et chez l'époptede l'âme même, mais par un simple intermédiaire du sang. Elles ont uneressemblance dans la forme des idées par les espèces, et non uneidentité dans leur mode et dans leur développe­ment.

Il faut remarquer demême que ce qu'exprime la préposition au delà, ne concerneque l'actua­lité des sens à l'atteindre, et non la possibilité. Nousavons assez répété de fois que l'intuition mixte ne se porte que sur les objetsqui sont sensibles, et que conséquemment elle ne vise que les mêmesobjets que les sens ont la possi­bilité d'atteindre.

Nous avonsdéjà expliqué ce que c'est que l'intuition sans distance de lieux, lorsquenous avons parlé de la possibilité de la présence réelle de l'âme dans toutl'espace. Nous ajoutons ici que cette expression implique aussi l'aplanis ­sèmentde toutes les entraves et de tous les obstacles. Il n'est pas difficile decomprendre en repliant l'attention sur la simplicité de l'âme, et sur lapossibilité de sa présence dans tout l'espace. Néanmoins il reste àdonner la raison pour laquelle tous les époptes, sans exception, disent et nele prouvent que trop par 1 expé­rience, qu'ils voient plus clairement et plusdis­tinctement dans l'intérieur des corps animés que dans celui des corpsinsensés. L'incrédulité n'y voit qu'une évasion de la part des époptes, tan­disque la philosophie y découvre une raison évidente et péremptoire.

Il reste demême à expliquer ce que c'est que l'intuition sans distance detemps. Ce développe­ment va jeter un jour lumineux sur beaucoup dephénomènes du sommeil lucide qui parais­sent au premier coup d'œilmystérieux et indé­chiffrables. Nous allons nous occuper de tous ces détails,en cherchant à y mettre toute la clarté dont ils sont susceptibles.

Avant que d'entreren matière, il faut ici don­ner l'idée exacte de l'intuition, autant qu'ellepeut l'être chez l'homme sensitif. L'intuition chez les époptes n'estqu'une conception, mais avec la présence des objets. C'est dire que c'est unassemblage confus d'idées sans ordre: c'est dire que ces idées ont besoin d'unedirec­tion externe pour être réglées, par défaut de liberté chez lesépoptes ; c'est dire que chez eux toute idée qui est absolument ou relativementabstraite appartient à leur raisonnement et non à leur intuition; c'est dire enfin que s'ils peuvent se tromper dans ta connaissance des objetsrela­tivement concrets, à plus forte raison ils doi­vent se tromper dansla connaissance des objets absolument et relativement abstraits.

8. — Nous avonsremarqué que tous les épop­tes disent qu'ils voient plus distinctement dans lescorps inanimés que d'autres dans les corps animés.

Tous les corps del'une et de l'autre espèces sont également diaphanes au pur esprit ;parce qu'il les pénètre par lui-même sans aucun inter­médiaire, enles circonscrivant dans tous leurs plis et replis. On doit sentir que ce genrede diaphanéité n'a point d'identité avec la diapha­néité des corps vulgaires,mais seulement une similitude. Celle-ci est un intermédiaire qui pré­sente auxsens une entrave réelle au lieu que celle-là n'est que l'expression dela présence de l'esprit qui pénètre les corps.

Mais l'âme humaine,dans son union avec l'enveloppe qu'elle informe, ne pénètre les corps etne peut les pénétrer sans intermédiaire. Elle n'y atteint rien parelle-même comme pur esprit ; il faut qu'elle agisse dans cette opérationà travers le sang, et s'en serve comme un homme de courte vue se sert delunettes. Les objets qui y reflètent ne peuvent donc être conçusque d'après la nature de cet intermédiaire.

L'âme, comme natureindividuelle, pénètre tous les plis et replis du corps qu'elle informe,et par là le rend apte à l'inspection d'une autre âme ou d'unépopte. Elle le rend même parfois plus propre à l'inspection d'uneautre âme ou d'un épopte. Elle le rend môme parfois plus propre àl'inspection d'un autre épopte qu'à la sienne propre comme il arrivelorsque plu­sieurs de ces êtres intuitifs qui guérissent d'autresmalades, ne voient pas assez pour se guérir eux-mêmes. On n'en peut pasdire autant des corps inanimés, parce que privés d'organisation et d'animation,ils ne lui offrent qu'une diapha­néité terne et obscure, qui est plutôt uneopacité réelle. L'intermédiaire du sang qui, pour ainsi dire, en reçoit leseffets, ne présente à l'âme qu'un amas confus de matières sansordre. Il est donc très naturel que ceux des époptes quipénètrent clairement l'intérieur des corps ina­nimés et bruts ; et queceux d'entre eux qui voient clairement dans ces derniers, pénètrentencore plus distinctement dans les premiers.

Il est évident que,puisque les distances n'obs­truent en rien l'intuition considérée enelle-même, les époptes qui, ayant la faculté de voir clairement etdistinctement dans l'intérieur des corps animés qui sont présents, trouvent del'obscurité à donner des consultations par des tactiles aux malades éloignés,rencontrent d'autres obstacles que ceux que le vulgaire imagine. Laconnaissance précise dès individus absents est le but que se proposentles époptes dans les tactiles, et ces moyens deviennent équivoques devant leuresprit, dès qu'imbibés de miasmes étrangers, ils leur présentent encored'autres personnes que celles qui doivent être les objets de leursconsultations.

9. — Il fautmaintenant nous occuper de développer ce que c'est que l'intuition sans dis­tancesde temps. Ce n'est rien moins que dire que les époptes dévoilent le passé etprévoient l'avenir, parce que tout est présent devant eux. Il est donc conséquent qu'ils ne déterminentjamais les époques précises des événements, à moins qu'ils n'aientdevant l'esprit l'échelle de mesure du temps. Ainsi ils peuvent fixer dans lesmalades qu'ils soignent les heures précises de leurs crises et de la gradationcroissante ou décroissante de leurs maux, parce qu'ils voient sans calcul dansles périodes de la circulation de leur sang la mesure nécessaire du temps, maisjamais dans les événements qui sont indé­pendants d'une semblable échelle.Toutes les fois donc que, dans de pareilles annonces, ils prononcent avecprécision des époques, il est certain qu'ils se trompent, entièrementfondés sur des données purement arbitraires. Le hasard seul peut en réaliserquelqu'une et non leur connaissance.

Cependant cetteprécision du temps n'est pas si supérieure à leurs forces qu'il leursoit impossible de l'atteindre, étant aidés et dirigés

par lesconcentrateurs. Mais cette tâche exige de a part de ces derniers un travail sipénible qu'on doit penser qu'ils ne parviendront jamais à la remplir.

Il y en a qui ontquelquefois réussi heureuse­ment, mais ils doivent attribuer ces succèsaux moyens suggérés par eux plutôt   fortuitement

qu'avec connaissancede cause. La seule lucidité es époptes, quelque grande qu'elle soit,est toujours insuffisante pour couronner cette espèce d'entreprise.

Il est aisémaintenant de comprendre pour­quoi les numéros de la loterie, dans lesquels desépoptes ont quelquefois réussi, sont, en général inaccessibles à leurintuition. Ils en atteignent certes toutes les séries ; mais ils en voient lessorties toujours présentes et les combinaisons toujours confuses ; de sortequ'ils sont toujours étrangers et aux époques, ce qui regarde les distances detemps, et à l'ordre, ce qui regarde les distances de lieux.

Les numéros quedonnent les époptes sortent pour le moins dans l'année. Ainsi ils ne sortentque par hasard aux époques déterminées. Ils ne sortent tous non plus ni dansles lieux nommés ni dans l'ordre indiqué ; et dans cette dernièrecirconstance les unités sont souvent comptées pour les dizaines, et lesdizaines pour les uni­tés ; et d'autres fois, de deux numéros combinés, les dizainessont comptées ensemble et les uni­tés ensemble, sans parler du renversement desunités lorsqu'elles en sont susceptibles. Ainsi 24 et 36 sont comptés comme 42et 63, et d'autres fois comme 23 et 46 de même que 9 pour 6 et viceversa. C'est que les époptes ne connaissent point de distances de lieux,réunissent en tous sens les deux extrêmes suivant le motif qui détermineleur attention.

10. — Pourcomprendre comment les distan­ces des temps se confondent devant l'intuitiondes époptes, il faut se rappeler ce que nous n'a­vons qu'effleuré en parlant dela différence qui existe entre l'esprit et la matière. Nous avons ditque rien de ce qui convient à l'esprit ne con­vient à lamatière et vice versa. Ainsi la sim­plicité, la spiritualité,l'incirconscriptibilité, et d'autres propriétés de ce genre, ne conviennentpoint à la matière, de même que la divisibilité, l'etendue,la destructibilité, la circonscriptibilité, et d'autres propriétés de ce genre,ne convien­nent point à l'esprit.

La simplicité que lesphilosophes accordent aux éléments de la matière ne coïncide avecla simplicité qui convient à l'esprit que dans l'iden­tité du mot et nondans celle de l'idée. C'est un défaut d'expression dans la langue et non unedénomination d'uniformité dans la chose. Nous avons déjà exposé amplement que le simple spirituel est telpar surabondance de substance, et que le simple élémentaire n'est tel que pardéfaut de substance. Le premier cir­conscrit l'espace, et le second, quoiqueincir­conscriptible, est toujours contenu dans l'espace. La différence entrel'un et l'autre est donc si grande qu'elle y établit une opposition diamé­trale.

Or, l'éternité oul'immortalité est une des propriétés de l'esprit ; elle ne peut donc pasconvenir à la matière. De même, le temps est une despropriétés de la matière, donc il ne

Peut pas convenirà l'esprit. L'âge naturel de esprit est dont l'éternité, de mêmeque le temps est l'âge naturel de la matière. Donc rien de ce quiconvient à l'éternité ne peut convenir au temps, et vice versa ;de même que rien de ce qui convient à l'esprit ne peut convenirà la matière» et vice versa. Mais pour l'esprit le tempsn'est que le passé et l'avenir ; donc l'éternité est le présent.

L'épopte ne formeles idées que d'une ma­nière sensible, néanmoins le développement qu'ily donne annonce en lui un pur esprit : dévoiler le passé, découvrirà distance malgré les obsta­cles les plus impénétrables, prévoirl'avenir, jouir de l'exercice des fonctions de tous les sens indépendamment deleur ministère, ce sont des propriétés qui ne conviennent qu'à unpur esprit. Donc tout épopte dans son sommeil lucide se trouve dans I éternité.Mais si l'éter­nité n'est que le présent, elle ne peut plus être soumiseaux distances des temps qui ne consistent que dans le passé et l'avenir. Doncnul épopte ne peut dans son intuition connaître les distances des temps.

11. — De ce développement naissent plusieursréflexions dignes de la plus haute attention. D'abord, ainsi que nous venons dele remar­quer, les anachronismes doivent, par des para­chronismes, êtreles époptes inséparables des annonces des époptes. Les synchronisme» n'y sontcompatibles que lorsqu'une échelle de mesure du temps ramène leurattention aux usages de la vie sensitive. Il n'est pas difficile de saisircette déduction, lorsqu'on réfléchit qu'où tout est présent nulledistance de temps ne pourra jamais être déterminée.

Ensuite c'est uneerreur de dire que la pré­vision de l'avenir contingent est une propriétéexclusive de Dieu seul. La considération de la nature de l'éternité démontreévidemment que cette propriété est aussi essentielle à tout esprit quela simplicité, la spiritualité et l'immortalité. Cependant il est indubitablequ'il doit y avoir une différence extrême entre la cause infinie et les effetsbornés entre le créateur et la créature. Elle existe, certes, sans controverse: même il doit en exister une, entre les différents ordres d'esprits,d'après l'opinion générale des théolo­giens qui pensent que la ligne dedémarcation entre un ordre et un autre n'est précisément que la différence decette connaissance.

La prévision de Dieuest sans bornes : de plus elle s'accorde avec la division du temps ; de sorteque non seulement il existe ensemble devant lui ce qui fut, ce qui est, et cequi sera ; mais tout cela existe devant lui en précisant le temps où ilfut, et celui où il sera. Ainsi. Dieu voit dans l'éternité les choses etles événements avec toutes leurs circonstances successives et graduelles, avecla mesure du temps et sans aucune distance du temps.

La prévision dansles esprits subalternes, quoique plus ou moins étendue dans les uns que dansles autres, a toujours des bornes déterminées que le génie de l'homme ne pourrajamais définir : elle a de plus le caractère d'être intrinsèquementinaccommodable à la division du temps, à moins que Dieu ne lepermette autre­ment. Ainsi ces esprits, tout en vivant dans l'éternité, nevoient pas tout ce qu'il est possible de voir, et dans ce qu'ils voient, ilsn'en voient point les circonstances successives et graduel­les : ils voient letout ensemble sans distance de temps, mais aussi sans aucune de ses mesures.

Il parait mêmeque la liberté interne dont ils jouissent amplement ne les affranchit pas desbornes de leurs conditions respectives, pour calculer le temps d'aprèsles méthodes des nom­mes. L'idée de la succession du mouvement doit leurêtre tout à fait inconnue ; et lorsque des esprits infernaux ontrendu des oracles sur la terre, ils ont fait assez voir, en se trompant sur lescirconstances et sur les époques de leurs annonces, qu'ils étaient toutà fait étrangers aux lois de l'ordre physique, comme nous le ver­ronsdans la suite.

12. — Cetteintuition, telle que nous venons de l'exposer, est incompatible avec le parfaitétat de sensations : elle ne se développe que dans le sommeil. Elle se faitreconnaître aussi, quoique bien faiblement, dans l'état de veille, lorsqu'elleest soumise à une concentration occasionnelle quelconque. C'est direque, dans les dispositions requises au sommeil, on est entraîné dans l'étatintuitif dès qu'une abstrac­tion des sens comprime l'attention sur lesobjets externes et internes. Dans l'exécution on ne provoque pas cet effetgénéralement sur tous les époptes ; mais il est intrinsèquemment com­munà tous, et se développe sensiblement sur beaucoup d'entre eux ; car il yen a qui donnent aussi des consultations dans leur parfait état de veille, sansaucune apparence de sommeil. De cette source provient un phénomène quicon­fond la raison de tous ceux qui le voient, et qui est commun à tousles époptes sans exception ; c'est de leur montrer dans le sommeil, àplu­sieurs centaines de lieues, un objet qui leur est connu, et devant euxà leur réveil, le même objet sur un autre objet analogue. Voicicom­ment on s'y prend pour provoquer cet effet. On engage l'épopte endormià voir au loin une personne qui lui est connue, ou qu'il puisse con­naîtrepar un tactile ; on le force ensuite à le voir dans une glace du lieu ousur l'un des spectateurs du même sexe, placé devant lui ; on luirecommande ou en pressant légèrement le siège de la mémoire, ousimplement sans aucun attouchement, de replier son attention sur l'ob­jet enquestion pour l'avoir devant ses yeux à son réveil, comme il l'a devantson intuition pendant son sommeil, et on le rappelle aussi à l'état deveille.

Tant que l'épopte,en ouvrant les yeux, ne détourne pas son attention et sa vue, il voit lascène de la même manière que dans son som­meil, et aussilongtemps qu'il veut s'y fixer. On ne prétend pas insinuer ici que cette visionrépond toujours avec exactitude à son objet : des raisons décisives, quenous produirons dans la suite, y mettent quelquefois des obstacles insurmonta­bles.Néanmoins vérification faite, on la trouve souvent aussi exacte qu'elle doitl'être.

Cet effet qui paraîtchimérique se lie parfaite­ment aux principes que dévoile le sommeil lucide.L'âme, par sa présence réelle dans l'es­pace, n'a besoin que de replier sonattention sur la personne connue pour l'atteindre ; et étant en raison de cela étrangèreà toute distance de lieu, elle est devant son objet comme si l'objetétait devant son individu. L'intuition et la mémoire n'existent dans l'épopte,à son réveil, qu'autant qu'il se conserve dans une concentra­tionquelconque et qu'il replie son attention sur la scène. Ainsi quoique lamémoire en reste, en raison de l'impression des traces de l'objet, l'intuitiondisparaît aussitôt que la concentration est remplacée par le libre exercice dessens.

13. — Nous avons ditque dans la provocation de ce phénomène, il faut que l'objet qu'onexpose à la vue de l'épopte éveillé soit analogue à celui de sonintuition ; parce qu'il est des époptes qui, n'étant pas éminemment disposés ausommeil lucide, ne se pénètrent pas facilement de la con­viction intimede ce qu'on leur inculque, et pen­sent à leur réveil à ce queleur offre leur vision, et non à ce que leur a offert leur intuition.Dès lors l'expérience ne réussit pas, et l'on a l'air d'avoir promisplus qu'on est en état de tenir. Voilà pourquoi nous avons dit que toutépopte est intrinsèquement disposé à être entraîné par uneconcentration quelconque à l'état intui­tif, mais qu'il ne s'yentraînait pas toujours au commandement.

Cependant il est desépoptes qui en raison de leurs dispositions éminentes, et de la convic­tionintime qui en résulte, voient à leur réveil ce qu'île ont vu dans leurintuition, non seule­ment sur tout objet quelconque de quelque nature qu'ilsoit, mais même sur parole sans la présence d'aucun objet effectif. Ainsisi c'est une femme qu'ils ont vuedans leur sommeil, ils la voient de même à leur réveil sur la pré­sentationd'un homme, et même sans aucun objet qui tombe sous les sens. Etantengagés dans cet état de sensations à en parcourir les détails, ils ydémêlent le sexe du modèle, ses traits, sa coiffure et sonhabillement, et ne s'aperçoivent de leur bévue que lorsque par un geste de lamain sur leurs yeux, on semble les rappeler à l'exercice de leursvisions naturelles.

C'est ce qui faitconnaître que cette prétendue illusion des sens n'existe point dans chaqueépopte, mais dans la vision des spectateurs. Ces époptes tout en étant rappelésà l'état de veille, se trouvent encore par la concentration dansl'intuition qu'ils avaient dans leur som­meil, et ils ne voient dans l'objetprésent qui frappe les yeux des spectateurs que le modèle sur lequel ilsont été dirigés dans l'abstraction de leurs sens. Aussi il disparaît aussitôtque leur attention se replie sur les impressions des objets externes, et ilspensent eux-mêmes être induits en erreur par l'illusion de leurvue.

Cette expériencefait connaître qu'un épopte n'est éminemment disposé au sommeil que, lorsqueaprès avoir dormi du moins une fois par la concentration occasionnelle,il éprouve au commandement du concentrateur les effets analogues sur tous lesorganes externes, sans en excepter un seul. Cette épreuve décèle en luila facilité de sa conviction intime, et conséquem­ment l'aptitude àprovoquer tous les effets dont est susceptible l'état d'un parfait épopte.Cepen­dant nous prévenons ici que c'est être un parfait épopte dans lacertitude de son intuition comme nous le verrons dans la suite. Parfoiscelui-ci est plus exact dans ses annonces que le premier.

14. — L'intuition semanifeste aussi par l'instinct, sans être nullement à laconnaissance de celui qui s'y trouve. Nous avons répété plu­sieurs fois que cedéveloppement des facultés spirituelles de l'âme n'est nullement compatibleavec la densité du sang ; il n'a lieu que dans sa liquidité extraordinaire ;ainsi toute personne qui en jouit, dépose en faveur de son aptitude au sommeillucide.

C'est de cettesource que proviennent ces pressentiments et ces pressensations dontnous avons déjà parlé. Quoique confusément, ces impulsions ne sontprésentes à l'homme que lorsque les impressions que l'âme reçoit au loinpar son intuition sont vives et énergiques. Elles passent dans lespressentiments, si l'âme ne s'en affecte que légèrement ; autrementelles se con­vertissent en pressensations; c'est-à-dire que dansle premier cas elles ne donnent que des idées vagues d'hilarité ou d'inquiétuded'après la nature du sujet, et que dans le second elles ajoutent auxidées une agitation interne qui y répond.

Il est encore uneautre espèce de pronostics qui dérivent de cette intuition d'instinct ;c'est la manifestation précoce de ce qu'on doit deve­nir un jour sur le théâtrede la vie ou par l'éclat ou par l'infamie de ses actions. Ces annoncesspontanées sont rarement claires et littérales: elles s'enveloppentordinairement de figures le plus souvent indéchiffrables. Ce sont comme dansles songes, des énigmes, des emblèmes ou des allégories. Nousexaminerons ailleurs pour­quoi le langage figuré a toujours été adopté dans laprévision de l'avenir, dans la décou­verte à distance, et dans ledévoilement du passé, plutôt que le langage littéral.

C'est aussi de cetteespèce même d'intuition qu'il arrive que parfois on parle despersonnes comme absentes, au moment même où elles se présententdevant les yeux. Le vulgaire ne pou­vant pas se rendre compte de cetterencontre synchronique d'idées crues étrangères les unes aux autres, aconsacré le proverbe trivial pour exprimer ce qu'on n'a jamais compris endisant : Quand on parle de loup on en voit la queue. Cependant il faitentendre beaucoup plus qu'il ne dit ; parce qu'il présente un sens plutôtmystique crue naturel en raison de la figure avec laquelle plus de chosessymbolisent que les paroles.

Lorsque par un grosbon sens, on a trouvé quelquefois une conformité frappante entre cetteespèce de prévision et les événements, on n'a fait que s'en étonnerstupidement, si on ne l'a pas attribuée aussi à quelque heureux hasardau lieu d'en chercher avidement la cause dans le sein de la nature, et de laconsigner dans les fastes de la philosophie. On doit voir que l'in­tuitionseule, étant envisagée sous son point de vue, explique tous ces effets, et l'onen cherchera vainement la cause ailleurs, si on la cherche hors de sasphère.

 

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