De la Cause du Sommeil Lucide

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SÉANCE III

SUITE DE LA   PRÉCÉDENTE

1. — Maintenant nouspouvons expliquer comment l'homme, sans s'en douter, influe quel­quefois surses actions, et croit qu'elles appar­tiennent à l'influence d'un autre.L'homme ne connaît que ce qui est entré dans son esprit par l'intermédiaire dessens, et ignore tout à fait ce qui dérive entièrement de l'étatintuitif de l'âme, où elle dirige le mouvement qu'il regarde commenécessaire ; il ne peut donc attribuer qu'à un autre ce dont il est lacause lui-même ; c'est-à-dire, à l'âme intuitive quirègle ses actions nécessaires.

Cette âme intuitiveest la nature individuelle même qui agit par habitude et par instinct, etnon par choix et par réflexion. Ainsi les époptes attribuent toujours àl'influence d'un autre ce dont ils sont la cause eux-mêmes et s'il en estquelqu'un qui dans les cas singuliers, se recon­naisse être l'auteur dequelques actions, il ne se reconnait jamais comme l'auteur de toutes pen­danttout le cours de son existence intuitive.

Toutefois, cette âmeintuitive est plus suscep­tible de réflexions dans l'état où l'homme ades dispositions au sommeil lucide, que dans l'étatoù, par la densité du sang, il en est tout à fait privé. Quelquesoit la raison pour laquelle l'âme se trouve essentiellement assujettie, dansson union avec le corps, à l'influence de ce fluide vital, l'observationet l'expérience prouvent tou­jours jusqu'à l'évidence qu'elle y estassujettie d'une manière péremptoire et décisive.

On remarque que,dans la densité du sang, l'âme est tout à fait engourdie et absorbée,pour s'occuper d'autres objets que de celui de son travail d'habitude ; etcependant elle s'en occupe aussi parfois, mais d'une manière irréfléchieet si négligée, qu'elle a l'air d'y porter son atten­tion malgré elle. Ainsirésulte-t-il que tous les songes, qui ne sont que l'expression de l'ordre deses idées, sont toujours dans cet état une réunion d'éléments décousus,chimériques et absurdes. Dans la liquidité du sang, l'âme, quoique toujoursrestreinte dans l'usage de sa liberté interne, a encore beaucoup de momentsd'une lucidité spontanée. Ainsi, ses songes sont plus réguliers et exprimentsouvent des vérités occultes, tantôt, clairement et tantôt sous des figuresindéchiffrables.

C'est toujours danscet état que l'homme attri­bue ses actions extraordinaires à uneinfluence étrangère, tout en y contribuant lui-même par l'in­fluencede son principe intuitif. L'âme humaine puise souvent dans les idées sensitivesdes motifs de s'affecter, et exprime ses dispositions par des sensationsinternes. Elle peut de même en puiser aussi dans les objets externes, enraison de la possibilité qu'elle a de circonscrire tout l'espace, et d'yconnaître ce qui a des rap­ports à l'individu dont la conservation estla principale de toutes ses occupations. Telle est la cause de beaucoup decrispations naturelles des nerfs, de vapeurs chez les    femmes, ainsi que des pressensations, des pressentimentset des songes.

2. — Cette conciseexplication peut faire voir pourquoi, avec toute la volonté sensitive, ne sontpas époptes occasionnels ou naturels tous ceux qui ont des dispositionsrequises. C'est que le sommeil, en général, est de la catégorie des effets dumouvement nécessaire et non libre. La seule volonté sensitive ne suffit doncpas pour le provoquer; il faut aussi une volonté intuitive qui en est la seulecause immédiate. Ainsi nul individu de l'espèce humaine ne connaît lemoment précis du passage de l'état de veille à celui du sommeil. Leshommes s'y disposent par la concentration libre : et dès que la volontéintuitive se développe, ils deviennent tout à fait étrangers au mode deson pouvoir. Je n'ai plus besoin de prévenir que cette manière de parlersuppose toujours l'absence de toute entrave.

Il ne suffît doncpas que les personnes qui ont des dispositions requises aient seulement unebonne volonté sensitive de dormir ; il faut aussi que cette faculté soitd'accord avec la faculté intuitive. C'est ce qui n'est pas commun. Cespersonnes ont d'ordinaire des craintes pani­ques dont elles ne peuvent pas serendre compte; et quelques-unes aussi d'autres préventions qu'el­les ne peuventpas maîtriser. En général elles en ignorent la nature, et peut-êtremême l'existence ; parce que ces causes appartiennent rigoureuse­mentà la modification intuitive de l’âme.

Ainsi il arrivesouvent que des époptes natu­rels, au simple mot dormez, exempt de toutautre accessoire, de gestes ou d'attouchements, tombent dans les pâmoisons,éprouvent des transpirations abondantes, ressentent des suf­focations et despalpitations au cœur ; et s'ils arrivent au sommeil ce n'est qu'au milieudes spasmes et des convulsions, et sans intervention de toute intuition.

De ceux mêmequi ont l'apparence de dormir la première fois avec calme ettranquillité, il y en a beaucoup qui, dans les sommeils suivants, éprouventpendant quelque temps des malaises, des maux de tête et desengourdissements ; et ils ne se tranquillisent tout à fait sur leur étatque lorsque leur volonté sensitive se trouve par­faitement d'accord avec leurvolonté intuitive ; c'est-à-dire lorsque l'expérience propre leur donnela conviction que l'état de leur sommeil n'a rien de pénible m de dangereux.Dès lors pour dormir ils n'ont besoin que de s'entendre dire simplement: dormez, parce qu'en raison de leurs dispositions, ils rendent parl'exercice intuitif leur état sensitif.

Cette conviction quiseule règle et dirige la volonté intuitive, manque en général, dans lesépoptes naturels qui veulent devenir des époptes occasionnels, tout en étantaptes à l'avoir mieux que personne, en raison de leur complexion dumoment. Nous verrons dans la suite qu'elle doit être intime pourjouir du pouvoir de régler et de diriger la nature individuelle.

3. — Des accessoiresqui accompagnent le sommeil lucide, et qui parfois le précèdent aussi,d'après les dispositions physiques, et d'après la force etl'intensité de la conviction intime des époptes, les uns regardent purementleurs corps, et les autres purement les connaissances de leurs âmes. Nous enallons faire une analyse succincte, en prévenant que, dépendant tous de chaqueépopte, ils ne se développent pas tous dans tout épopte. Notre intention netend d'ail­leurs qu'à faire voir au lecteur, sous un seul coupd'œil, tout ce qu'étale de merveilleux, dans le sommeil lucide surtout, lanature individuelle de l'homme.

Il faut croire qu'ensortant des mains du suprême ouvrier, l'homme primitif a joui, par ledroit de nature, d'autres prérogatives que de celles qu'il étale maintenant, etque par un désordre irréparable il en a perdu la jouissance libre etarbitraire. Du moins l'homme tel qu'il est, ou l'homme actuel montre que, danscer­taines dispositions physiques, il en développe encore quelques esquisses,et ne pense pas que ce n'est qu'un misérable reste d'une autorité pleinementpossédée, et en grande partie perdue.

Il s'enflamme devantun objet d'amour ou de haine; il frissonne d'effroi ou d'horreur ; il s'agitede chagrin ou d'inquiétude; il palpite de crainte ou de surprise; et néanmoins,démenti par le fait, il pense encore s'en pouvoir se dis­suader de son opinion,qu'il existe chez lui un mouvement nécessaire, indépendant de son pou­voir.Est-ce que toutes ses affections ne sont pas des modifications du mouvementappelé nécessaire, et provoquées par sa volonté pro­pre qui ne lui est pasinconnue ?

Ce qu'il y ad'évident, c'est que dans certai­nes dispositions du corps et surtout dans lesommeil lucide, les époptes méprisent au gré du concentrateur le mouvementlibre et néces­saire; et ils le maîtrisent avec une telle facilité qu'ilssemblent ne faire qu'une action sainte, commune et ordinaire. Ils pensenteux-mêmes que ce pouvoir n'existe que dans la volonté de ce directeur etne se corrigent pas de leur erreur, lorsqu'ils s'aperçoivent que, s'ils n'ontpas toutes les dispositions requises, nulle force externe n'a sur eux lemoindre exercice d'au­torité.

Mais commentpeuvent-ils penser autrement, s'ils n'ont rien vu, ni lu, m entendu dire del'existence de cette faculté merveilleuse ? Si l'on a de la peine à leurinculquer, dans le sommeil lucide même, où tous les ressorts deleur esprit sont pleinement développés, que cet exercice n'appartientexclusivement qu'à la seule auto­rite privée, comment pourra-t-on lesinduire à le penser dans le pur état de sensations, où ilspartagent avec toute l'espèce humaine, le pré­jugé de croire que l'hommen'a jamais été autre chose que ce qu'il est? Puis-je espérer qu'un savantmême puisse en penser autrement devant un raisonnement péremptoire?

4. — Les époptesdisposent à l'ordre des con­centrateurs de tous les organes externes ouinter­nes au gré de leurs désirs ; de sorte que ceux-ci les assujettissentà recevoir les impressions vou­lues, indépendamment de toute actionsensible des objets analogues, et à exciter dans l'âme les idéescorrespondantes. Ainsi sans la présence des objets propres les époptes voient,flairent entendent, palpent, goûtent ce qui n'est que nommé, mais sous lacondition de la liquidité du sang sans laquelle ces organes ne sont point

susceptiblesd'exercer ces fonctions respectives. L'ouïe» par exemple, ne peut pasécouter ce qui ne se dit pas ; mais elle écoute dans les épop­tes, ce qui a étédit une fois et ce qui se dira un jour. Cependant il est aussi des occasionsoù ils écoutent ce qui n'a jamais été dit, et ce qui ne se dira jamais.De même on ne goûte pas sans un comestible ou sans un potable ;mais dans tout comestible et tout potable les époptes trouvent la saveurdéterminée qui n'existe pas dans ce qu'on leur présente. De même ils nepalpent pas un corps qui n'est pas dans la nature, mais ils pal­pent un corpsqui n'est pas devant eux, et ils sont palpés de même, sans êtretouchés, de la manière qu'on le leur annonce. Pour la vue et pour l'odo­rat,ils voient et flairent tout ce qui leur est connu, quoiqu'ils n'en aient pasles objets devant eux. Il ne faut pas croire que tous ces effets ne soientqu'illusoires : ils sont si réels qu'ils répondent dans leurs corps àtous ceux qui appartiennent à leurs causes naturelles. Ainsi un verre d'eauavalé dans l'idée d'eau-de-vie enivre complète­ment; dans l'idée d'unpurgatif, évacue autant qu'exige la nature ; dans l'idée d'un émétique,provoque le vomissement sans efforts et sans souffrances. De même del'eau présentée aux narines comme une odeur dissolutive d'un dépôt dans latête produit l'effet annoncé. Il en faut dire autant des autres sens ence qui les con­cerne. Il en résulte qu'une poudre indifférente, étantadministrée comme un curatif des plaies internes, ou comme un vermifuge,atteint son but d'une manière aussi prompte qu'efficace; et voilàce qui concerne l'empire des époptes sur leurs organes internes, d'aprèsl'énonciation de leurs concentrateurs. D'après cela, il n'est plusbesoin d'accéder qu'aux ordres de ces derniers, les premiers se paralysent dansle nombre nommé, éprouvent les douleurs annoncées, et se soulagent sur-le-champmôme de leurs souf­frances chroniques. Ce dernier effet ne peut êtrecomplet dans sa guérison radicale qu'avec la répétition des actes successifs.

Ce qu'on doit plus particulièrementy remar­quer, c'est que tous ces effets se développent non seulement pendant lesommeil lucide, mais même aussi dans l'état de veille des époptes,lorsqu'ils ont été du moins une fois endormis occasionnellement. Ils sontcommuns à tous les époptes, toutes les fois que la conviction chez euxest la même. Néanmoins ils ne se dévelop­pent pas toujours dans certainsmembres indé­terminés chez quelques-uns d'entre eux, par la raison connue de ladensité du sang qui y séjourne. Aussitôt qu'une saignée ou des sang­sues les endégagent, ils y éprouvent les mêmes effets que dans les autres parties deleur corps.

5. — Si l'âme,dégagée des sens comme elle est dans le sommeil lucide, pendant lequel l'ac­tionde son commerce avec le corps est moins énergique, et plus faible, exerce surlui un pou­voir aussi absolu, il semble que dans l'état de sensations oùelle montre avoir avec lui une union plus solide, elle devrait le maîtriseravec moins de difficulté et plus de liberté. Cependant l'expérience nous démontreque, hors la sphère du mouvement appelé libre, elle n'a qu'une autoritétrès restreinte sur son enveloppe.

Il faut convenir debonne foi que cette impuissance provient chez l'homme d'une impos­sibilitéphysique, plutôt que d'une négligenceirréfléchie. Il est certain que si l'on élevait au maillot un enfantjusqu'à l’âge de dix ans, il se trouverait, étant dégagé de sa prison aubout de ce terme, gêné dans l'usage de ses mem­bres, mais il estégalement certain aussi que sans autres leçons que l'exemple de ses sem­blables,il se suffirait dans la suite pour en connaître l'usage et l'utilité.

Toutefois je suisconvaincu que, si dès le ber­ceau, on apprenait à un enfantà maîtriser la pal­pitation de son cœur, la circulation de sonsang, la pulsation de ses artères, la respiration, la digestion, on n'enobtiendrait dans un âge adulte aucun fruit proportionné aux soins de son ins­truction.Parvenu à l'âge de la réflexion, il se moquerait mêmepeut-être d'une doctrine dont il ne verrait nulle part la pratique etl'obser­vance. Ceux qui exercent par une disposition naturelle une portion decette autorité sur quel­ques branches du mouvement nécessaire sont exceptés dela règle générale qui concerne la masse entière del'espèce humaine, parce qu'ils ont les dispositions requises pourêtre des épop­tes occasionnels et se trouvent dans leur caté­gorie.

Cependant il estconstant que l'amour et la haine, l'effroi et l'horreur, les chagrins et lesinquiétudes, la, crainte et la surprise sans maî­triser le mouvement nécessaireau gré des désirs, influent toujours sur lui pour le déranger de sa marcherégulière dans tous les individus de l'es­pèce humaine.

Souvent mêmecette influence altère aussi l'ac­tion naturelle des sens externes. Unepréven­tion contre une couleur agréable, contre une odeur suave, contre unesaveur délicieuse, contre une mélodie harmonieuse, contre les impres­sions d'unattouchement flatteur, fait éprouver des sensations tout à fait opposéesà celles qu'en éprouve le commun de l'espèce humaine. N'ar­rive-t-ilpas quelquefois que des personnes sont frappées d'une répugnance insurmontablepour un mets déterminé, si elles entendent dire, môme par plaisanterie, qu'il aété apprêté avec une coupable négligence de propreté ou qu'il est composéde viandes que réprouve l'usage des aliments adoptés, ou qu'il a été souillépar quelque insecte qui inspire de l'horreur? Il existe donc chez l'homme unepuissance par­tielle sur le mouvement nécessaire, mais non tel qu'il endéveloppe dans le sommeil lucide en raison de ses dispositions physiques.

6. — Il faut doncétablir d'abord que ces effets qui paraissent illusoires, même àceux qui étu­dient ce phénomène, ne peuvent pas répugner à l'étatdes époptes ; puisque, dans certaines occasions, on en remarque des esquissestrès frappantes dans tous les hommes, et qu'ensuite leur supériorité surceux qui sont communs à tout individu, ne provient dans les époptes qued'une certaine complexion déterminée, mais accompagnée de la conviction intime: en effet tous ceux qui en sont doués ne donnent pas toujours ces merveilleuxet incroyables résul­tats.

Mais il faut aussiremarquer que la différence de ces effets qui influent sur le mouvementnécessaire est extrêmement sensible. Ceux qui sont communs à toutel'espèce humaine exigent un motif précis et déterminé ; au lieu que ceuxqui ne sont propres qu'aux seulsépoptes se développent toujours aussitôt qu'ils sont nom­més. Ils tiennentà la volonté des époptes, lors seulement qu'elle est engagée par le con­centrateur,comme le mouvement libre tient à la volonté habituelle de tout homme.

C'est qu'ils nedépendent d'aucune étude, ni d'aucun exercice, mais d'un certain état del'homme qui approche de l'équilibre de ses fluides et de ses solides, équilibreà jamais banni de la nature. L'homme actuel, par sa désorganisa­tionconstitutionnelle, l'a perdu pour toujours, sans aucun espoir de le recouvrerun jour. La conviction intime qu'ont faussement les époptes d'un pouvoirexterne, est le pivot de tous ces étonnants effets ; elle dépend absolumentd'une certaine liquidité du sang, et cette conviction disparait dès quesa densité remplace sa liqui­dité.

Toute convictionn'est qu'une modification de l'âme ; toutefois la conviction intime qui, chezles époptes, influe sur toute l'étendue du mouvement nécessaire, n'agit surd'autres parties du corps que sur celles où le sang a une liquiditésupérieure à la liquidité ordinaire. C'est un mystère inex­plicable,mais il dévoile une vérité pratique. Nul épopte, tout en dominant au gré du concentra­teur,sur ces fluides internes, ne dispose de même de ceux qui sont entravéspar la densité du sang. Aussi ceux de ces êtres intuitifs qui ne dormentpas profondément en raison de cet obstacle, n'éprouvent, à l'ordre duconcentrateur, aucun effet dans les parties où le sang n'est pasliquide.

Ces réflexionsfournissent une remarque aussi digne d'attention qu'elle est négligée dansl'étude de la physiologie ; c'est que les personnes dont le sang se trouve dansun état de liquidité extra­ordinaire n'agissent ni ne pensent comme le communde l'espèce humaine, qui ne leur ressem­ble pas. On ne les désabuse pasfacilement de ce qui influe sur leur esprit ; et leur corps, en obéissantaveuglément à son empire, exerce ses fonctions libres comme une machinequi fléchit sous l'impulsion qui en règle le mouvement. Ce que cesindividus exécutent se lie, en général, avec leur conviction intime, tellequ'elle convient aux époptes ; et la rigueur les y attache au lieu de les fairerevenir de leurs idées, lorsqu'ils s'écartent de la règle de laconduite. On ne doit les corriger que par une conviction intime contraire,fondée sur la douceur et sur un rai­sonnement concluant, de la part de celuiqui seul jouit de leur confiance.

7. — Nous avons ditque l'état de l'homme où la fluidité extraordinaire de son sang fait lefond de sa complexion, approche de l'équili­bre de ses parties constituantesà jamais banni de sa nature. Pour bien comprendre cet état d'équilibre,devenu désormais fantastique à notre conception, il faut considérerl'homme dans trois états bien distincts les uns des autres : L'un est celui d'équilibre,l'autre celui d'engor­gement et le troisième celui de faiblesse.Les deux derniers ont leur degré et leur nuance.

Par les effluencescontinuelles, l'homme éprouve journellement une déperdition de sucs vitaux, demême qu'il en regagne par l'usage des aliments salubres. Ces sucs connussous le non d'esprits vitaux, de fluide nerveux ou spiritueux,d'esprits animaux, et entremêlés avec le sang, entretiennent lecommerce de l'âme avec le corps, et par leur circulation vivifient toutes sesmoindres parties, toutes les fois que des entraves n'empêchent pas lepassage du sang qui les entraîne. L'homme ne peut pas mourir tant qu'il enexiste chez lui une dose requise, et par là nulle mort subite n'estjamais sur le coup même une mort absolue ; parce que la déperditiontotale qui seule la provoque, en est toujours successive et non instantanée,comme nous le verrons dans la suite.

Il n'y a d'équilibreque lorsque l'évapora­tion de ces sucs est égale à leur distillation.L'homme, en venant au monde, porte avec lui le germe de sa destruction, germequi dérange l'harmonie requise pour l'équilibre. Cet état, non seulementn'existe donc pas chez l'homme ; mais il ne peut même pas exister, étantcertain qu'il n'est pas espérable que l'homme vive sans ce vice radical dans saconstitution. Pro­venant d'une cause corrompue, l'effet doit néces­sairement enpartager la corruption. Ces sucs sont de leur nature subordonnés àl'empire de sa volonté, dûment dirigée par la conviction opportune : ilsle mèneraient aussi à l'immorta­lité corporelle s'ils nerésistaient pas à ses ordres dans beaucoup d'impulsions. Cet état neconvenait qu'à l'homme primitif, tige de l'es­pèce humaine.

L'engorgement est le résultat de la supério­rité de la distillation des sucs vitaux surleur évaporation.C'est l'état de tous ceux qui trans­pirent peu ou pas du tout,et ont le sang épais dans la plus grande partie de sa masse. La surabondance deces sucs d'ordinaire engraisse les personnes et leur donne des couleurs vives :mais n'ayant pas de jeu, par   le défaut de libertéde la circulation, elle occasionne sou­vent des accidents imprévus, fâcheux etparfois aussi mortels. Toutefois il est des personnes maigres et pâles qui netranspirent pas du tout, et d'autres grasses et colorées qui trans­pirentbeaucoup et se trouvent hors de l'état d'engorgement.

La faiblesse dérivede la supériorité de l'éva­poration des sucs vitaux sur leur distillation.C'est l'état de tous ceux qui transpirent beau­coup et facilement sans fatigue,et ont le sang liquide dans la plus grande partie de sa masse. Ils dormenttrès promptement, et leur som­meil est toujours lucide. C'est qu'ilssont déjà des époptes naturels, et qu'il ne leur manque qu'undéveloppement pour être des époptes occasionnels. Ces personnes sontd'ordinaire maigres et pâles et s'anéantissent progressi­vement ; mais avec lacertitude de parvenir au terme de leur carrière dans la parfaite con­naissancede leur dissolution.

8. — C'est donc uneloi intransgressible que toute l'espèce humaine, pour être censéedans son état naturel, se trouve immanquablement ou dans l'engorgement oudans la faiblesse ; c'est-à-dire, dans un état permanent demaladie. Il ne devient contraire à la nature que dès qu'ildérange les fonctions ordinaires commu­nes à la partie saine, cruetelle, de l'espèce humaine.

Ceux qui, par l'engorgement,sont censés jouir d'une bonne santé, sont plus près de la mort queceux mêmes qui sont jugés réelle­ment malades. Un coup de sang, uneapoplexie, et même une paralysie, sont plus souvent leur partage quecelui des autres qui sont hors du domaine de cet état. Ceux qui sont maladespar faiblesse sont toujours exempts d'une mort subite. Ils se roulent aussivers la tombe, mais successivement et par gradation, et portent toujours sureux les moyens de leur rétablisse­ment, s'ils sont dûment etopportunément soi­gnés.

Il faut doncconclure que dans cet état mala­dif, naturel à l'homme, la portion del'espèce humaine, faible par la liquéfaction extraordi­naire du sang esttoujours préférable à l'autre. Exempte de mort subite et douée deplusieurs autres privilèges que nous allons détailler inces­samment,elle donne de très grands aperçus sur la condition de l'homme primitif,et s en appro­che autant qu'il est permis à sa nature pervertie etdégradée. Le sommeil lucide n'est donc qu'un état naturel de l'homme et portel'initiative de son indestructibilité.

Toute autre maladiequi s'oppose à l'exercice des fonctions habituelles de l'homme est con­traireau cours de la nature et déplace l'homme de sa condition commune. Elles exigentdès lors des soins extraordinaires qui aident les efforts de la nature,devenus impuissants, quoi­que tendant toujours à la conservation de sonouvrage ; parce qu'elle place l'homme, en quel­que façon, hors de sajuridiction, et rend peu propices ses secours réguliers.

Toutefois il esthors de doute que si une maladie, quelque grave qu'elle fût, était accom­pagnéedu sommeil lucide, elle aurait toujours toutes les facilités qui conviennentà cet état bienfaisant pour être guérie sans aucun secoursexterne, Par ce moyen, la nature   conserve encore sur le malade tous ses droits maternels pour le soigner,si elle est aidée par un guide habile dans une marche qui doit obvier audérangement des fonctions communes à l'es­pèce humaine. Dans cecas, le malade n'est pas tout à fait rebelle à sa juridictionsous laquelle il vint au monde.

9. — Les accessoiresdu sommeil lucide qui concernent l'esprit sont encore plus étonnants que ceuxqui concernent son enveloppe. Ce principe intelligent y décèle unemodification non seulement différente de celle qu'il a dans l'état de veille del'homme, mais aussi de celle qu'il a dans l'état de sommeil ordinaire. Il yjouit d'une science infuse et universelle seule­ment de tout l'ordre physique ;parce qu'il n'ap­partient pas à d'autres ordres, tant qu'il fait un seulindividu avec le corps, quoiqu'il soit essen­tiellement simple et spirituel. Ily sort de toute mesure du temps, et se place dans l'immorta­lité, durée naturellede sa vie. Il est, par sa constitution, doué du don de prévision d'aprèsla susceptibilité de sa nature, parce que dans cette éternité tout est présent,sans avenir ni passé, sans distances et sans obstacles.

Ces aperçus nousmènent à conclure péremptoirement, qu'étant simple il est exemptd'être circonscrit par l'espace ; qu'il ne peut pas avoir un siègeprécis dans le corps qu'il informe ; que d'après la nature de sa penséeil montre qu'il est apte à circonscrire tout l'espace; qu'il peut parconséquent, sans déranger son union avec le corps, être présent partout,malgré toute espèce d'obstacles ; et qu'enfin cette simplicité qui faitsa nature, n'est point en lui un manque de substance, comme dansles éléments de la matière ou dans les points géométriques, mais unesurabondance qui excède la capacité de l'espace.

Ces vérités qui,pour être méconnues, semblent être étrangères àl'ordre physique, découvrent que l'homme se flatte plus de ce qui le con­duitaux aberrations que de ce qui le conduit à la vérité. Elles sont sinaturelles et tiennent si étroitement aux connaissances humaines les pluscommunes, que tout en paraissant mysté­rieuses et incroyables, elles se rangentdans la classe des vérités philosophiques, comme l'in­compréhensible existencede la première cause. Ce que les sens atteignent dans l'ordre physi­queau milieu encore d'un mélange d'erreurs est la moindre partie de ce qui leurest inacces­sible dans une roule de vérités lumineuses.

Il n'est plus besoinde dire que les époptes pénètrent les corps, y découvrent les maladies,y appliquent les médicaments opportuns ; et si parfois ils ne les guérissentpas toutes, du moins ils les soulagent sensiblement. Ils répon­dent dans lalangue maternelle aux langues étrangères, et quelquefois même ilsles parlent avec facilité. Ils lisent la pensée d'autrui, mais une penséestable et constante, et non volage et fugitive.

10. — Dans lesommeil, le corps perd autant que l'âme gagne, et l'âme, tout en y gagnantbeaucoup, est encore bien inférieure à elle-même. Nous avons dit,à la vérité, que le corps aussi y gagnait beaucoup ; mais ce n'est qu'enraison des lumières de l'âme ; autrement il n'of­fre à l'œilqu'une masse inerte et un bloc stupide.

L'âme développe,dans le sommeil lucide, sa destination originelle ; mais, en raison d'unedépendance nécessaire de la direction d'autrui, elle y décèle unesituation humiliante ; parce que sans guide elle ne connaît pas la dignité desa noblesse. Par le souverain empire qu'elle a sur tous les ressorts de sonenveloppe, elle fait voir que l'existence des corps, qui semble aux savants dujour une certitude admissible dans la recherche des vérités occultes, ne réunitpas tous les caractères qui constituent un principe, et c'est unedéplorable déviation de leur esprit de prétendre que ce qui n'a point letémoignage de l'approbation des sens ne peut être rangé sur la ligne devérités démontrées.

Les notions quecette substance pensante donne de sa spiritualité dans l'état de ce mer­veilleuxrepos sont si sublimes et si supérieures à toutes celles qu'on croyaitavoir jusqu'à pré­sent, qu'elle semble réveiller dans la raison humainela connaissance d'un être nouveau, qui lui était auparavant tout àfait inconnu. Quoi­que doué de lumières si étendues, en recon­naissantnéanmoins sa dépendance d'une autre cause inaccessible à sa conception,elle rappelle à l'homme sa perfidie dans l'invention d'un aveugle hasardsupposé présider à l'harmonie de l'univers. Définie en elle-même,mais indé­finie dans l'espace, elle montre que sa nature est en oppositiondiamétrale avec celle de la matière.

L'athée est obligé,à la vue de ce spectacle, de fléchir le genou devant une premièrecause nécessaire à l'ordre mais inconcevable, et de reconnaître que laconception humaine ne peut pas être la mesure de l’existence dessubstances ; parce que si tout ce qui est concevable n'existe pas toujours, ilne répugne pas que ce qui est inconcevable puisse exister de même.

Le matérialiste doitaussi se couvrir de honte par la folle prétention de croire que lamatière peut penser, lorsqu'il aperçoit que ce qui a la propriété del'intelligence a aussi celles d'être incirconscriptible dans l'espace,d'avoir une science infuse et universelle, et de voir présent ce qui estdéjà passé, ce qui est possible, ce qui est à de grandesdistances et ce qui est inter­cepté par les obstacles les plus impénétrables.

11. —Le sommeil lucide et ses accessoires étaientconnus aux anciens, mais à ceux seule­ment qui cultivaient la médecineà épidaure dans le temple d'Esculape, et à ceux aussi quis'initiaient aux mystères d'Isis, d'Osiris, de Samotrace, d'Orphée, deCérès Eleusine. Leur sagesse dans l'usage qu'ils en faisaient pourl'utilité sociale les rendait si vénérables à 1 opi­nion publique que lepetit nombre de personnes qui desiraient y être admises se soumettaientavec résignation aux pénibles épreuves qu'on en exigeait. Le vulgaire n'yapercevait que ce qui était à la vue de tout le monde ; et les initiésqui, sous le nom d'époptes, y voyaient tout, étaient astreints, sous le liend'un serment solennel, à un silence inviolable sur tout ce qui étaitpratiqué dans l'intérieur des temples.

Il est trèsprésumable que cette connaissance ne fut pas chez eux aussi exacte qu'elle peutl'être de nos jours. La spiritualité d'où dérivent les notions surla lucidité et sur ses ramifications dans le sommeil ne leur était pas aussiconnue qu'elle l'est maintenant par la sublimité des dogmes de l'évangile.Même du temps de saint Augustin, l'idée de cette prérogative de l'ordreintellectuel n'était pas aussi pure qu'elle le fut

Far la suitedans les siècles postérieurs de Eglise.

Tout en connaissantle sommeil lucide, les anciens ne pouvaient donc pas y attacher tout le prixqu'il mérite, parce qu'ils n'avaient pas les notions de la science despropriétés qui con­viennent à l'âme humaine, et qui dans l’épopte, sedétériorent en raison de son enveloppe. Du moins on ne trouve aucune trace decette con­naissance dans leurs écrits. Tout démontre, au contraire, que leursidées à ce sujet étaient fort rétrécies et mêmes erronées. Platon,le seul qui, d'après Cicéron, ait parlé de la spiritualité de Dieu, nes'en formait pas une autre idée que les Pères grecs, comme nous le verronsdans la suite ; et ce célèbre philosophe parut encore extravagantà l'orateur romain.

C'est ce qui me faitpenser que beaucoup de vérités que la philosophie nous donne commeconquête de ses efforts, ne sont réellement que des larcins faitsà la révélation primitive ; à cette révélation qui éclaira leberceau du. genre humain, et qui, plus ou moins altérée, se conserva dans lesfamilles chez toutes les nations du globe jusqu'à nos jours. Cetterévélation, qui était d'un tout autre genre que celle faite aux apôtres et auxprophètes, sera plus particulière­ment éclaircie lorsqu'il seraquestion de l'homme primitif.

La raison a connupar ses efforts les rapports de cette source avec les vérités acquises, et lesa rangés dans la catégorie des vérités naturel­les ; parce que toutes lesvérités se touchent dans un point quelconque, quoique au premier coupd'œil elles paraissent s'entrechoquer. De ce nom­bre sont celles quiconcernent la nature de Dieu et de ses attributs, la nature de l'esprit et deses propriétés, l'éternité, l'immortalité et d'autres semblables.

12. — Connaîtresimplement par la seule raison l'existence de la première cause, c'estparvenir, d'après la marche naturelle de l'esprit humain, du connuà l'inconnu ; c'est-à-dire, au connu obscur, comme nous leverrons dans la suite. Mais connaître par la seule raison une nature quiprésente une antithèse constante avec les idées reçues, c'est combineravec le connu le rapport occulte des données positive*, fon­dées seulement surla véracité de celui qui les annonce. On ne cherche pas par cette étude desvérités nouvelles, mais leur conformité avec les vérités démontrées quisemblent les repousser de leur sein.

La raison qui neconnaît des substances qu'a­vec l'extension, formerait-elle l'idée des subs­tancesinétendues ; c'est-à-dire, simples, spiri­tuelles etincirconscriptibles, à l'espace ? La raison, qui ne connaît la penséeque par la suc­cession des idées, aurait-elle par ses seules forces les notionsd'une pensée permanente, invariable et toujours la même ? La raison, quine connaît de durée que par la mesure du temps, par une mesure qui marque lepassé et l'avenir, annoncerait-elle par ses seules lumières une éternitéqui n'admet que le présent ?

Je pourrais pousserces questions jusqu'à l'infini, si celles qui sont mises en avant nesuffi­saient pas pour établir que laphilosophie qui nous démontre que lesperfections de la nature de Dieu et de celle des esprits, ainsi que d'au­tresdogmes semblables, reçus par toutes les nations comme naturels, se conformentavec les vérités connues, n'y est parvenue que parce qu'étant assuréed'ailleurs que ce sont des vérités positives, elle en a cherche et trouvé laliaison avec les vérités démontrées.

Aussi ce genred'étude était tout à fait inconnu à l'ancienne philosophie dupaganisme, ou si par incidence il en faisait partie il s'y mêlait aussiun amas d'erreurs qui dénaturaient la réalité. Il n'était réservé qu'àla révélation d'éclai­rer à ce sujet l'ignorance de l'espècehumaine. Le son de sa voix annonça, sous la. foi de son auteur infailliblementvéridique, ce qu'on ne soupçonnait même pas ; et l'homme studieux appritque sa raison en s élevant à sa hauteur, y trouvait aussi son compte.

Ce que l'âme n'ycomprend, ni ne pourra jamais comprendre, est précisément ce qui dépasse lesbornes de la susceptibilité de sa nature humaine et purement spirituelle. Lesavoir est toujours proportionné à l'intelligence; et une intelligencebornée ne peut rien embras­ser par sa raison de ce qui concerne l'infini. C'estdéjà trop que d'en atteindre l'existence.

13. — C'est sansdoute à ce but que visait la question de prix proposée par l'académiedes sciences de Londres, il y a plusieurs années, à peu près ences termes : Pourquoi les peuples chrétiens sont-ils plus éclairés que lesnations infidèles dans les sciences humaines ?

Je pense que lessciences concrètes ne peuvent pas être l'objet de cettedemande. Si l'on est de bonne foi, on ne peutpas disconvenir que les anciens, considérés comme infidèles, n'égalas­sentles chrétiens dans cette branche de connais­sances humaines, pour ne pas direqu'ils les surpassent et même de beaucoup. Leurs monu­ments qui sontparvenus jusqu'à nous font voir que ce qu'ils savaient était toujoursporté à la plus haute perfection ; et nous pouvons en inférer parinduction qu'ils savaient aussi beau­coup plus que nous ne le pensons. C'estraison­ner contre le bon-sens que de conclure qu'ils ignoraient tout ce qui nenous a pas été transmis par l'histoire. On doit même présumer, au con­traire,que ce qu'ils ignoraient n'était que ce dont ils n'avaient pas senti l'utilité.

S'il ne s'agit quede ces infidèles qui ont résisté à l'appel du christianisme, ilest aisé de se convaincre que les chrétiens ne l'emportent sur eux que parceque les peuples éclairés du paganisme ont les premiers fléchi le genou devantles vérités révélées, et que sous la protection de leurs princes ils n'ont pascessé de cultiver les connaissances qui leur avaient été transmises par leursancêtres.

Les chrétiens l'emportent,sans contredit, sur les infidèles anciens et contemporains dans lessciences abstraites. Cette supériorité dérive exclusivement de larévélation qu'ils possèdent. Elle ne peut leur être disputée paraucune autre nation qui vit ou a vécu dans les ténèbres de lasuperstition. Aussi les idées qu'ils ont de Dieu, de sa nature et de sesperfections, ainsi que de la spiritualité de l'âme humaine, sont tellesqu'avant eux aucune nation éclairée du paga­nisme n'en a de pareilles nid'aussi justes.

Les discussions desdogmes évangéliques en ont môme fourni d'aussi neuves et d'aussi pré­cises quel'ontologie, la pneumatologie, et la théologie naturelle, et peuvent êtreconsidérées comme des sciences dégagées des erreurs par les chrétiens. Le peuque nous avons déjà dit plus haut sur les anciens philosophes et sur lesPères de l'Eglise des premiers siècles, démontre évi­demment queces sciences métaphysiques sont plus exactes de nos jours qu'elles ne l'étaientdu temps des premiers chrétiens.

Il est indubitable quebeaucoup de vérités que la philosophie réclame au nombre de ses conquê­tesne sont telles, en raison de leur sublime source, que parce qu'ayant étéprésentées comme positives elles ont fourni à l'esprit humain les moyensde découvrir leur rapport, au premier abord inaccessible à laperspicacité, avec les vérités connues et démontrées. Il est donc clair que lesanciens, qui tiraient un grand parti du sommeil lucide, et pour la conduite dela vie, et pour l'utilité de l'humanité souffrante, ne pouvaient pas leconnaître encore assez par le défaut des lumières nécessaires sur laspiri­tualité de l'âme humaine.

14. — Aussi, toujours sages dans leurs actions, ils ne virent dans cet état declairvoyance qu'un effet naturel, indépendant de toute influence externe, et secontentèrent de ne l'appeler que du simple nom de songe. Il estcertain qu'en considérant cet état de vision sous son juste point devue, on ne pouvait pas le caractériser d'une dénomination plus analogueà la nature. Dans la réalité, le songe ne présente à l'hommequ'un mélange de vérités et d'erreurs, de même que ce que nous avonsappelé le sommeil lucide. Nous verrons dans la suite que le songe qui, dansl'opinion commune, n'est que le dévelop­pement d'une scène chimériqueest aussi parfois une manifestation de vérités exactes.

C'est de cetteconnaissance de la nature des sens que tira ensuite son origine l'onirocritie,ou l'art de les interpréter, art qui, basé sur des principes moins justesqu'arbitraires, n'atteignit que par hasard son but que par la difficulté dedémêler la chimère de la réalité et de développer l'allégorie,l'emblème et l'énigme qui leur don­nent une tout autre apparence.Toutefois ceux qui sous le nom de mages, s'en occupèrent acqui­rentune telle réputation, que le vulgaire, tou­jours excessif dans sonenthousiasme, ne les considéra plus qu'avec une espèce de culte etd'admiration. Il leur suffit que le hasard eût quelquefois présidéà la conformité de leurs interprétations avec les événements, pourqu'ils fussent réputés les possesseurs exclusifs de tous les secrets de lanature.

On ne sait pasprécisément de quels moyens se servaient les anciens pour provoquer le som­meillucide au gré des besoins et des circons­tances. A regarder la fable ducentaure Chiron comme une allégorie qui trace ingénieusement la méthoded'endormir, il paraît que tous les procé­dés se bornaient à la seuleprésentation de la main. L'expérience démontre que cette action suffit seule audéveloppement de cet état de repos. toutes les fois qu'il existe dans lesujet les con­ditions requises dont les anciens n'ignoraient certes pas leconcours, la nature et la nécessité.

Leur conduite avecles malades étrangers qui n'étaient pas initiés aux mystères, fait voirqu'ils ne tiraient parti du sommeil lucide que la nuit pendant leur sommeilnaturel. Il paraît qu'ils les inspectaient d'avance pour s'assurer de leursdispositions internes, et ne s'adressaient la nuit pour les consultationsqu'à ceux chez qui ils avaient reconnu l'aptitude au sommeil lucide. Lesautres malades qui n'avaient pas cette pro­priété étaient traités, sans doute,pendant leur sommeil naturel par les époptes du temple uni­quement dévouésà ces fonctions ; et ces infirmes passaient pour avoir été soignés parla divinité tutélaire du lieu.

 

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