INFLUENCE PSYCHIQUE DIRECTE
Dans cette
leçon et dans les suivantes, nous nous occuperons de la suggestion à un point
de vue particulier; nous montrerons comment on peut, par la conversation,
intéresser les autres, les gagner à ses idées, les associer à ses efforts, les
influencer en un mot.
Cette
suggestion particulière rentre nécessairement, par sa nature, dans la catégorie
des phénomènes que nous avons déjà étudiés. Mais elle a de plus des caractères
propres que nous devons dégager et que nous dégagerons dans les leçons qui vont
suivre. Pour le moment, nous nous bornerons à quelques considérations
d'ensemble, à quelques indications générales, d'ailleurs importantes, et que le
lecteur fera bien, pour ce motif, de revoir après avoir lu l'ouvrage en entier,
Nous
dirons: « Tout homme est susceptible d'exercer sur un autre une action
magnétique, et cette action peut résulter:
1°. Soit
d'un effet immédiat de la voix, des manières, de l'attitude et du regard —
effet en général volontaire mais qui peut être inconscient et spontané chez
ceux qui possèdent la puissance magnétique à un degré éminent.
2°. Soit
des émanations de pensées qui vont d'une personne à une autre sous l'action
d'un effort réfléchi et intelligent.
3°. Soit
enfin des qualités adductrices de la pensée qui sont, comme nous le savons,
toujours spontanées et toujours inconscientes et qui constituent l'un des
traits les plus particuliers et les plus caractéristiques de cette puissance
indéfinissable qu'on appelle le « Magnétisme personnel. »
Dans cette
leçon, nous nous tiendrons à la première partie de notre énumération; nous ne
parlerons que de la suggestion personnelle.
L'une des
difficultés auxquelles nous nous heurtons tout de suite; c'est de concilier le
peu de place qui nous est laissé avec l'étendue du sujet que nous avons à
traiter. Nous la résoudrons toutefois, en grande partie, en nous en tenant aux
définitions. Nous dirons: La suggestion ,est « une impression que nous recevons
consciemment ou inconsciemment de l'un quelconque de nos sens ». En fait, nous
recevons ou nous repoussons sans cesse des suggetions selon le degré de
sensibilité ou d'insensibilité de nos sens. Ici nous devrions parler de la
nature double de l'entendement et montrer ce que les Anglais nt les Américains
appellent « The Dual Mind »; mais ce côté du sujet exigerait de trop longs
développements et nous devons y renoncer. Nous recommanderons donc à nos
lecteurs les ouvrages spéciaux qui traitent de la matière. (1)
Pour donner
tout de suite à nos lecteurs une idée précise de la suggestion, nous
discernerons entre les deux fonctions de l'intelligence, entre la fonction active
et la fonction passive.
Par la
première — qui est naturellement de beaucoup la plus importante chez les
hommes actifs, de volonté impérieuse et de prompte exécution — l'homme pense,
médite, se détermine et agit.
Par la
seconde, au contraire, il subit des influences extérieures; il y obéit passivement,
instinctivement, automatiquement. C'est ce qui a fait dire, selon une image
familière, que la fonction passive est toujours la « servante » docile de
l'homme. Elle est d'ailleurs une servante aussi désintéressée que docile dont
les services discrets et le dévouement continu n'exigent ni remerciements, ni
louanges.
La fonction
active d'autre part n'agit que par secousses, par élans — quand la volonté
l'ordonne —et la force nerveuse qu'elle dépense est considérable. Sou action
prolongée épuiserait donc inévitablement l'homme. Voilà pourquoi les «
professionnels » du Magnétisme en défendent l'abus.
La fonction
passive, au contraire, n'est jamais fatiguée, et elle ne fatigue jamais.
Pareille à ces bêtes de somme dont le pas régulier et lent marque de sa cadence
les grandes routes poudreuses, elle va indéfiniment, par les grands chemins de
l'entendement, en quête d'impressions et de sensations toujours nouvelles, les
rapportant fidèlement au siège du cerveau et repartant aussitôt pour de
nouveaux voyages et de nouveaux devoirs, sans s'arrêter et se plaindre jamais.
Si
sympathique qu'elle soit pourtant, elle ne laisse pas d'avoir des
inconvénients. Elle incline l'homme à la passivité, elle le pousse peu à peu à
la paresse. Elle le transforme en ce que les Anglais appellent le « human
sheep », l'a homme-mouton ». L'être qu'elle domine n'est plus capable ni
d'initiative ni de résistance. Il fait ce qu'on lui demande, il croit ce qu'on
lui dit, il pense ce qu'on lui suggère, il va où l'on veut. Il supprime de son
vocabulaire toutes les négations. Il répète sans cesse un « Yes » humble et
lent où il semble mettre, où il semble résumer toutes ses énergies mourantes.
Pour parler
par image, ces deux fonctions sont comme deux frères jumeaux qui se sont associés
en vue d'une entreprise commerciale et dont la ressemblance physique est
frappante.
Tous deux
ont la même taille, la même figure, la même attitude, la même démarche, mais
leur caractère diffère entièrement et il se trouve, par une heureuse coïncidence,
que chacun a les qualités de son rôle. Le frère « passif » s'occupe plus
spécialement du travail intérieur; il reçoit les ordres; il les exécute, il
les livre; il veille à la bonne tenue des livres, à la propreté des magasins;
il s'assure que le personnel est exact, consciencieux et diligent.
Le frère «
actif », au contraire, se charge du travail extérieur; il visite la clientèle,
il fréquente les marchés, il fait les achats et les ventes, il suit les cours,
il en prévoit, il en escompte les fluctuations, il prend position contre les
concurrents, il engage les grosses batailles d'où doit sortir, pour la maison,
la fortune ou la ruine,
Le frère «
passif » est un bon, un doux, un simple, un crédule compagnon. Il a confiance
en son frère, et il lui abandonne l'entreprise. Son caractère l'inclinerait
naturellement vers les vieilles méthodes mais son apathie naturelle l'empêche
de les faire prévaloir. D'ailleurs, il n'y songe pas; il ne songe à rien; il
vit sans souci dans la monotonie de son travail ponctuel, dans le bercement de
sa vie immuable, Il ne propose rien, mais il ne refuse rien, Un refus, même
discret, serait un commencement de résistance et il en est tout à fait
incapable. Il a toujours peur d'ailleurs d'offenser les autres et il préfère les
obliger ou leur être agréable en accédant à tous leurs désirs.
Le frère «
actif », lui, est tout différent. Il est prudent, réservé, circonspect jusqu'à
la défiance, Il n'accepte rien sans contrôle; il ne conclut rien sans débats.
Homme d'affaire et tempérament combatif, il ne voit que son intérêt et il
n'aime que la lutte. Il la porte sur tous les terrains, sur les plus grands
aussi bien que sur les plus petits. Comme il connaît son frère, il le
surveille, il le protège. Il ne veut pas que sa crédulité l'égare ni que sa
faiblesse le perde, Il le défend contre toutes les embûches des astucieux, contre
tous les pièges des trafiquants, C'est un gardien vigilant et
même tyrannique; mais c'est un gardien fidèle et sûr.
Si quelque
spéculateur ou quelque aventurier se présente pour voir son frère et insiste
pour être reçu, il se méfie, il veut être renseigné. S'agit-il d'une affaire?
Il la discutera. S'agit-il d'une combinaison? Il veut en être juge. S'agit-il,
au contraire, d'une simple visite de curiosité ou de politesse? Il s'effacera,
Il est avare de son temps, et il ne le donne qu'à bon escient. « Mme is Money
», se dit-il, et il en use en conséquence.
Mais tel
qu'il est, l'homme actif n'est point dépourvu du sens de l'opportunité. Il
sait, quand il le faut, transiger et fléchir. La vie, même pour un homme
d'affaire, n'est pas toute droite, Elle a ses détours et même ses dédales. Elle
se divise, elle se subdivise, elle se ramifie presque êl l'infini. Il faut donc
la suivre avec circonspection; c'est encore le meilleur moyen d'aller vite.
Ceux qui se laissent emporter par leur tempérament ou qui s'élancent du haut de
leur imagination à la poursuite de leur but ont inévitablement le sort de ces
cavaliers imprudents qui ne connaissent d'autre allure que le galop. Tôt ou
tard ils tombent à quelque descente ou à quelque détour de la joute; et quand
on les relève, ils ne sont plus propres à rien; leur tête est fêlée ou leurs
genoux rompus,
Le frère «
actif » le sait et il agit en conséquence. Il sait aussi que trop de labeur et
une perpétuelle tension d'esprit ruinent la santé et qu'il faut à l'homme des
« relâches » c'est-à-dire des distractions et des plaisirs. Il en prend donc à
l'occasion et il les goûte tout comme un autre. Il les goûte même souvent davantage;
saillies, jolis mots, traits heureux abondent dans sa conversation et ceux qui
le connaissent ne le reconnaissent plus. Ils s'étonnent et parfois même se
scandalisent qu'un homme si grave se laisse aller à tant de bonne humeur et à tant
de jovialité, Ce sont des sots. S'ils l'étaient moins, ils ne s'étonneraient
pas de rencontrer chez un homme de travail quelque disposition au plaisir et
quelque goût pour la gaîté.
II n'y a
que les oisifs ou les méchants qui soient toujours tristes.
Il n'est
pas nécessaire d'ailleurs pour être énergique d'être tout d'une pièce et de ne
jamais se détendre. L'énergie n'est pas la rigidité et l'homme d'action n'est
pas nécessairement l'homme-mécanique. Il peut varier et, en fait, il varie à
l'infini. Tantôt hardi, tantôt prudent, tantôt amoureux du danger et du risque,
tantôt épris du repos et de la quiétude, il constitue l'un des types les plus
changeants et les plus divers de l'espèce humaine. L'un est inflexible comme
de l'acier, l'autre souple comme du caoutchouc. Celui-là affecte la rudesse du
travailleur manuel; celui-ci déploie toutes les subtilités et toutes les grâces
de l'homme public. Ce n'est que par une longue observation qu'on les peut bien
connaître. Chacun a son point faible, son côté vulnérable; il ne s'agit que de
le découvrir et d'en profiter. Le siège d'un homme se fait comme le siège d'une
place, à force de ruses et d'audaces combinées.
Pour avoir
raison des deux frères, il importe avant tout, ou plutôt il suffit d'avoir raison
du frère actif. Tromper sa vigilance est donc une nécessité. On pourra y
arriver de plusieurs manières; si l'une ne réussit pas, on en essaiera une
autre. La persévérance et l'audace, ici comme ailleurs, conduiront presque
toujours au succès. Le vieux proverbe anglais « Faint heart never won fair lady
», « Coeur faible ne conquit jamais une belle », n'est pas seulement vrai en
amour, il est vrai en affaire. Il contient tout un enseignement, il renferme
toute une philosophie; celle de la volonté et de l'énergie. Familièrement
parlant, il veut dire que quelles que soient les difficultés d'une tâche, il ne
faut point s'y rebuter, et qu'en affaire comme en amour il suffit de vouloir et
d'oser.
La
résistance, l'hostilité en amour sont, nous le savons, des stimulants. Plus une
femme se dérobe, plus l'homme qui en est épris la presse. Il sait que le coeur
féminin est une citadelle et qu'il faut savoir l'investir; si la porte en est
jalousement gardée.
l'attaque
avec d'autant plus de vigueur. Il sc considère comme un soldat sous le feu et
le danger l'exalte.
De même en
affaire, il faut savoir vouloir et savoir agir. Un client vous rebute-t-il?
Insistez. Dites tout ce que vous vouliez lui dire d'abord et même un peu plus.
Ne négligez aucun des avantages de votre offre, dérobez-en tous les
inconvénients. Appelez en à son intérêt, à son intelligence. Un homme, quel
qu'il soit, aime la flatterie. S'il la repousse ou la dédaigne au début, c'est
par feinte pure. Au fonds, il est charmé, et il vous sait gré de l'avoir
deviné, de l'avoir pénétré, de l'avoir reconnu. Il voit dans votre louange, non
seulement un témoignage d'équité, mais une preuve de bon goût; et sa résistance
est déjà tombée quand il croit encore vous tenir tête. Même s'il se défend, ce
n'est que pour un temps; vous l'avez convaincu à demi; il achèvera de se
convaincre lui-même et quand vous reviendrez pour finir de le persuader, vous
n'aurez plus rien à dire, plus rien à faire. La bataille sera gagnée et vous
aurez à votre actif une victoire de plus,
Elle sera
d'ailleurs double si vous avez su vous attaquer tout d'abord au « frère actif
». Le frère passif » qui ne fait rien que l'autre n'ait fait avant lui, suivra
tout naturellement son exemple et vous aurez deux adhésions au lieu d'une; votre
profit sera donc double et vous le conserverez sans difficulté. Les mêmes
moyens qui vous auront permis le succès, vous en assureront les avantages. Même
si le frère actif se reprend et vous échappe, le frère passif vous demeurera
fidèle. Vous l'avez conquis, vous n'aurez plus à le reprendre. Il vous suivra
obstinément, il vous croira aveuglément. C'est la loi de la nature; Plus un
être passif vous est soumis, plus il aime sa soumission. Il ressemble à ces
esclaves qui aiment leur chaîne et qui ne veulent pas qu'on la leur brise.
« Love
laughs at locksmiths » dit un vieil adage anglais. On pourrait aussi bien
l'appliquer à la confiance qu'à l'amour, car la confiance comme l'amour a une
foi et comme l'amour elle s'y attache. Ne cherchez pas à la briser, vous ne
feriez que l'exalter. La persécution
est la pire des armes. Elle se retourne toujours contre ceux qui s'en servent.
Nous ne
saurions donc trop dire, pour revenir à notre sujet: Faites la conquête d'abord
du « frère actif » et ne vous préoccupez pas de l'antre; il suivra tout
naturellement. Deux forces décisives vous y aideront: les vibrations de
pensées qui émanent de votre cerveau et les qualités adductrices de la pensée.
Ces deux
forces peuvent être grandement développées par les exercices que nous
expliquerons plus loin et par certains conseils pratiques que nous vous
demanderons de suivre.
Mais dès
maintenant, vous devez savoir et vous devez retenir que le sujet que nous
traitons n'est point an-dessus de vos forces et que votre intelligence peut le
saisir sons tous ses aspects. Chacun de nous — qu'on nous passe
cette comparaison — est un peu comme un enfant qui veut apprendre à nager.
C'est la défiance, la peur seule, qui paralysent celui-ci. Dès qu'il est sans
crainte, il nage. Regardez-le sur l'eau: il s'y tient sans effort; il y évolue
avec grâce, il y avance à grandes brassées; c'est un cygne pour la légèreté et
l'aisance. Interrogez-le; il vous dira qu'on nage comme on respire et qu'il
suffit de se jeter à l'eau. Jetez-vous y vous-même en effet et vous serez tout
surpris de pouvoir le suivre.
De même
pour le Magnétisme. On ne l'acquiert pas, on le possède; il suffit de
l'exercer. Ce n'est pas un art, c'est une faculté. On « magnétise » comme on
marche, comme on dort, comme on boit, comme on respire, par le libre jeu des
organes e par la seule manifestation de la volonté. ‑
Prenez donc
conscience de vous-même, lecteur qui vous ignorez, et ne vous obstinez plus à
refouler en vous la vie qui en veut jaillir. Relevez-vous, redressez-vous.
Créé pour l'effort, pour l'action, pour la lutte, pour le devoir, vous n'avez
pas le droit de vous enfermer dans un sentiment d'égoïste et lâche impuissance.
Sortez de vous-mime, répandez-vous, don--
nez-vous,
prodiguez-vous. C'est dans ce don continu de vous-même que vous trouverez la
paix du coeur et les joies de la conscience.
(1) Ceux de
nos lecteurs, qui après lecture du présent travail désireraient pénétrer plus
avant la question, devront lire le Cours de Magnétisme personnel de X. Henri
Durville (6' édition, 66 mille). C'est l'étude la plus complète, la plus
précise qui ait paru à ce jour sur les questions de développement de la
volonté, de maitrise de soi, de magnétisme expérimental et curatif,
d'hypnotisme, de télépsychie, de thérapeutique suggestive. Un magnifique volume
in-80 de 1.121 pages, orné de 250 figures.
|