LA PUISSANCE DU REGARD
De tous les
moyens dont dispose l'homme pour influencer les autres, le regard est
certainement le plus puissant. Il ne sert pas seulement à retenir l'attention
de 'a personne avec qui l'on converse et, par conséquent, à faciliter
l'influence que l'on peut exercer sur elle; il est aussi une puissance propre
qui peut, quand elle est bien comprise et bien dirigée, agir directement sur
l'interlocuteur. Il attire, il fascine, il subjugue ceux-là même qui sont les
plus capables de résistance et de lutte.
Le
regard, quand il a atteint toute la force de pénétration et d'influence dont
il est susceptible, est une arme redoutable. C'est lui surtout qui transporte,
qui communique aux autres les vibrations de pensées et le fluide vital dont le
cerveau est comme un réservoir; et cette transmission est presque toujours instantanée.
Appliquée aux bêtes sauvages, aux bêtes féroces, cette force du regard est
souveraine. Elle arrête, elle refoule, elle accable, elle anéantit la bête
meurtrière. Elle n'a pas moins d'action, ni moins d'effet sur les hommes, mais
elle doit être bien développée et bien dirigée. Voilà pourquoi nous nous
proposons de lui consacrer ce chapitre. Nous indiquerons, notamment, comment
on peut l'acquérir et comment on peut l'exercer. Le « Magnetic .gaze », le regard
magnétique, n'est point naturel aux hommes; il ne s'acquiert que par l'habitude
et l'effort. ll est le développement progressif de la puissance d'influence et de
suggestion que tout homme possède. Concenlré sur la personne que l'on veut
influencer, il exerce une action analogue à la fascination ou à l'attraction
hypnotique. Il est comme le fil ténu et brillant sur lequel passent presque
instantanément, de l'opérateur au patient, les vibrations de pensées et le
fluide vital.
Les règles
qui le gouvernent ne sont pas invariables; elles dépendent des circonstances,
elles varient avec chaque personnalité. On ne peut donc donner, en ce qui les
concerne, que des indications générales.
Chaque
fois, par exemple, que l'on veut influencer quelqu'un, qu'on veut le pénétrer
de sa pensée et de sa volonté, l'on doit se placer bien en face de lui et le
regarder droit dans les yeux. Cela ne veut pas dire que l'on doive le fixer
avec dûreté mais d'une manière énergique et pénétrante, comme pour voir dans
son for intérieur, comme pour lire dans sa propre pensée. Si la conversation se
poursuit, rien n'empêche l'opérateur de donner à son regard de la mobilité et
du mouvement, mais il importe chaque fois qu'il veut exercer une action précise
ou produire une impression forte qu'il ramène son regard à sa position première
qu'il l'y maintienne. Cette précaution est d'une importance capitale; on
risquerait de compromettre l'expérience toute entière si on ne l'observait pas
rigoureusement.
Soit qu'on
veuille parler affaire, soit qu'on veuille parler sentiments il faut toujours
fixer l'interlocuteur. Ce n'est qu'à ce prix qu'on retiendra son attention et
qu'on pourra l'influencer. Souvent il essaiera de se dérober au regard et
d'échapper à l'étreinte magnétique. Il appartiendra alors à l'opérateur de le
rame- , ner au point et en l'état où il a besoin qu'il se trouve. Les petites
habiletés — qu'on peut appeler les ruses de l'opération — ne lui seront point
interdites l'ail-leurs. ll pourra par exemple détacher son regard de
l'interlocuteur et affecter de la distraction. Mais cette distraction ne devra
être qu'apparente. Si l'interlocuteur, trompé par cette manoeuvre, ramène sur
lui son regard, l'opérateur devra vivement le saisir et le re‑tenir. ll y
réussira avec un peu de volonté et d'énergie. Du moment qu'il aura concentré
au fond de son oeil toute l'intensité de vie dont il est capable il aura
centuplé sa force. Ramassée en un seul point et concentrée sur un seul objet
elle aura une puissance infinie. Elle brisera les obstacles, elle forcera les
résistances, elle arrêtera les élans, elle refoulera les inimitiés; elle
subjuguera l'être tout entier. L'interlocuteur, brisé et vaincu, abdiquera
toute son individualité. Il ne sera plus qu'une chose inerte aux mains de l'opérateur.
Il pourra
cependant arriver exceptionnellement que l'interlocuteur résiste. En ce cas
l'expérimentateur devra user d'un autre stratagème. S'il est par exemple dans
les affaires et si sa visite est intéressée il tirera de sa poche ou de son sac
quelque objet intéressant: échantillon, gravure, etc. Il le placera sous les
yeux de son interlocuteur, il en fera une rapide description ou, une brève
analyse; il en mettra en lumière les points les plus saillants, les traits les
plus caractéristiques; l'effet sera presque toujours invariable:
l'interlocuteur regardera l'objet, puis l'opérateur, pour revenir à l'objet et
retourner à l'opérateur; et ainsi de suite, jusqu'à ce que son regard reste
comme accroché et suspendu à celui de l'opérateur. C'est alors que celui-ci
pourra agir, le pénétrer, l'envahir de toutes ses forces de volonté et
d'énergie et l'amener à cet état d'esprit particulier qu'on nomme la passivité
et qui se prête si admirablement au phénomène de la suggestion.
Que si
votre interlocuteur s'aperçoit de l'influence que vous exercez sur lui et
cherche à s'y soustraire en abrégeant votre entretien ou même en y coupant
court, vous ne devez point y consentir.
Toujours
vous devrez le ramener à l'objet de la discussion et l'y maintenir en
employant tous les moyens de persuasion toutes les ressources de volonté et de
séduction que vous possédez. Vous ne lui rendrez la liberté que quand vous
aurez obtenu de lui tout ce que vous en pourrez tirer.
Mais si
dans cette expérience vous jouez le rôle passif au lieu de jouer le rôle actif
et si l'on cherche à vous influencer, vous devrez mettre autant d'énergie et
de volonté à vous défendre contre cette influence que vous en auriez mis à la
faire réussir si vous aviez joué le rôle contraire. Vous vous direz que vous
êtes un homme, que vous en avez l'énergie, la force, la dignité, et qu'il ne
dépend de personne de vous assujettir à sa volonté de vous subordonner à ses
desseins. Vous ne dédaignerez point d'ailleurs la circonspection et la
prudence. Si la personne que vous avez en face de vous est réellement douée
d'une force magnétique exceptionnelle vous éviterez son regard qui ne
manquerait pas de vous subjuguer et vous proménerez le vôtre sur tous les
objets qui vous entourent. Par cette tranquillité affectée vous déconcerterez
votre interlocuteur. ll s'irritera et, en s'irritant, il gaspillera une partie
des énergies qu'il vous destinait.
S'il vous
fait une proposition précise, affectez de la prendre en considération; pesez-en
chaque terme; entrez-y en apparence. Vous croyant convaincu, il ne jugera pas à
propos d'insister davantage et vous serez ainsi hors de tout danger. S'il
parvient à surprendre votre regard et si vous sentez que sa volonté vous
pénètre, gardez-vous bien de prendre une décision alors. Elle serait presque
toujours contraire à vos intérêts; elle servirait les siens, elle vous lierait
à lui. Répondez évasivement; dites que sa proposition vous touche trop
gravement pour que vous puissiez lui donner une réponse immédiate et exigez quelque
délai. S'il vous le refuse c'est qu'il est résolu à vous tromper, c'est qu'il
veut abuser de votre faiblesse. Et dans ce cas n'hésitez point: regardez-le
droit dans les yeux et répondez-lui par un « non » catégorique et tranchant.
Le plus souvent cette opposition imprévue le déconcertera et il renoncera à ses
desseins. S'il s'y obstine, c'est qu'il veut vous livrer bataille et dans ce
cas faites appel à toute votre énergie; repoussez son attaque, demeurez maitre
du terrain.
Des deux
interlocuteurs, c'est évidemment celui qui parle le
plus qui a l'avantage parce qu'en parlant, il se stimule, il s'exalte, il avive
le flot de ses énergies intérieures. Tout son être se trouve comme sous l'empire
d'une fièvre et ses dispositions combatives s'en trouvent d'autant augmentées.
Evitez donc, dans cette rencontre, le silence absolu; ne soyez jamais complètement
passif; la passivité est le commencement de l'abdication.
Si vous
intervenez dans l'expérience, non pas pour subir mais pour exercer l'influence,
ne manquez jamais d'affermir votre voix, d'en élever le ton, de donner
l'impression de l'assurance et de la force. La confiance qu'on affecte en soi
attire la confiance des autres; les résistances ambiantes s'évanouissent
d'autant plus vite qu'elles se heurtent 4 plus d'énergie et à plus de
résolution. L'audace est la grande vertu du succès; montrez-en; vous n'aurez
jamais lieu de le regretter. La plupart des défaites qu'essuient les
expérimentateurs du magnétisme sont dues à l'incertitude de leur caractère ou
à la mollesse de leur tempérament. Les énergies créatrices sont les énergies
agissantes.
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