VIII. — NE PENSER QU'A CE QUE L'ON FAIT
On demandait un jour à
Newton quels étaient les moyens qu'il avait employés pour faire tant de
découvertes extraordinaires. — « C'est en y pensant toujours », répondit
l'illustre physicien.
Comme l'ont affirmé les
stoïciens et les cartésiens, la Volonté est une puissance absolue. C'est
par elle que nous nous gouvernons et que nous devenons apte à gouverner
les autres. C'est elle qui fonde notre responsabilité. Mais il est une
puissance plus grande encore : c'est la pensée.
La Pensée est
l'unique force créatrice de la Nature. C'est le seul facteur à l'aide
duquel nous formons, nous façonnons, nous construisons notre caractère.
C'est elle qui prépare la route que l'Ame suit au cours de son évolution. Nous
sommes ce que notre Pensée nous a faits et nous deviendrons ce que notre Pensée
nous fera. Elle constitue la loi inéluctable qui nous conduit à la
Maîtrise de nous-même, et, de là, à la conquête de la
Liberté qui nous permettra d'arriver au Bonheur parfait.
La caractéristique d'une Volonté
puissante, c'est la force morale qui forme ce que l'on appelle « l'homme de
caractère », « l'homme fort », capable de surmonter toutes les
difficultés qui peuvent s'opposer à l'accomplissement de ses desseins.
L'éducation de la Pensée et le
développement de la Volonté sont, donc, les facteurs les plus indispensables au
perfectionnement physique, intellectuel et moral de l'homme. Mais, pour faire
promplement cette éducation et parvenir à ce que l'on veut, il faut
savoir penser et vouloir ; et, généralement, pour savoir, il faut apprendre. En
somme, penser et vouloir, vouloir et penser, sont les deux termes de la
proposition dans laquelle se résume la tâche que nous nous imposons.
Nous savons, déjà, par
expérience, que la Pensée est une force réelle, et que pour agir il faut
penser, mais on agit d'autant mieux que l'on ne pense qu'à ce que l'on
fait, autrement dit, il ne faut pas penser à deux choses à la
fois.
Pendant que vous
accomplissez un acte physique, dit Mulford, si vous pensez à autre
chose, vous gaspillez votre force et votre pensée. Avant de piquer une épingle
sur un coussin, vous avez projeté hors de vous en pensée, en substance, un plan
pour piquer cette épingle. Ce plan est une force. Vous dirigez cette force sur
votre corps qui en est l'instrument. Vous ne devez pas mélanger ce plan avec un
autre projet pour faire autre chose, pendant que votre main plantera cette
épingle. Si vous le faites, vous envoyez votre force — ou vous essayez de
l'envoyer — dans deux directions à la fois. Vous confondez le plan et la
force d'un acte avec le plan et la force d'un autre acte. Chaque pensée ou
chaque acte d'impatience, si petits qu'ils soient, vous coûtent une perte
de force, sans profit. Si, parfois, vous êtes fatigué de marcher, pendant
que votre cerveau a travaillé, s'est tracassé, a fait des projets, si, alors,
vous chassez toutes ces pensées et si vous mettez toute votre intelligence,
toute votre attention, toute votre force dans vos jambes, vous serez surpris de
sentir la vigueur revenir et la fatigue vous quitter. Chaque acte physique nous
coûte une pensée et chaque pensée est une dépense de force. Chaque pas
que vous faites implique un plan pour le diriger. Si vous pensez à
d'autres choses en marchant, vous expédiez de la force dans plusieurs
directions à la fois. Croyez-vous qu'un acrobate pourrait monter si
facilemeint à la corde s'il n'appliquait toute son intelligence en
même temps que sa force à cet acte ? Ou qu'un orateur pourrait
parler à son auditoire tout en faisant tourner une meule ?...
Cette loi est la même pour
tous les actes de la vie. Ne désirez-vous pas pouvoir oublier vos ennuis, vos
désappointements, vos fatigues en concentrant toute votre pensée sur quelque
chose d'autre et en vous y absorbant assez pour oublier tout le reste.
C'est là une possibilité mentale
qui est bien digne de nos efforts. Elle peut être réalisée par la
pratique de la concentration, ou, en d'autres termes, en mettant toute notre
capacité mentale dans l'accomplissement des choses dites triviales ; chaque
seconde consacrée à cette pratique nous approche du résultat. Chaque
effort, nous apporte un atome de gain, soit en général, soit pour un acte
particulier. Cet atome gagné n'est jamais perdu. Vous l'utiliserez à
chaque instant de votre travail quotidien. Vous en aurez besoin pour empêcher
votre mental de chercher autre chose au lieu de conclure une bonne affaire...
Entraînez-vous à la
concentration pour un seul acte et vous vous entraînerez à déverser la
plénitude de votre intelligence sur tous les actes. Entraînez-vous à
mettre toute votre pensée dans chaque action, empêchez cette pensée de se
dissiper sur autre chose et vous vous entraînerez à diriger la plénitude
de vos forces sur votre discours quand vous parlerez, sur votre adresse quand
vous travaillerez de vos mains, sur votre voix quand vous chanterez, sur vos
doigts quand vous leur demanderez quelque ouvrage délicat et sur tous les
organes et sur toutes les fonctions de votre être que vous aurez
l'occasion d'exercer.
Si nous cultivons ce pouvoir de
localiser nos forces sur un seul acte, mous cultivons, aussi, la faculté de
transporter toute notre intelligence d'un sujet à l'autre.
C'est-à-dire que, alors, nous pouvons transporter notre mental d'une
préoccupation ennuyeuse à un plaisir et oublier une affliction dans un
travail joyeux.
Le même auteur cite un bel
exemple de Maîtrise de soi appliqué à ne penser qu'à ce que l'on
fait et même qu'à ce que l'on doit faire. Il s'agit d'une
célèbre artiste anglaise qui, sur la scène, à l'instant
où elle devait se mettre à ourler un mouchoir, s'aperçoit que le
machiniste a oublié d'apporter le mouchoir, le fil et l'aiguille. Ne pensant
qu'à ce qu'elle devait faire, et sans la moindre hésitation, elle
s'assit à la place qu'elle devait occuper et imita les mouvements et la
manière d'une femme en train de coudre, et cela, si naturellement, si
posément, que la plupart des spectateurs ne s'aperçurent même pas de la
supercherie.
On voit quelle importance l'auteur
précédent donne à la pensée localisée sur le même sujet, au lieu
de la laisser vagabonder inutilement. Je vais indiquer comment on s'habitue
à ne penser qu'au travail que l'on fait présentement ou à la
résolution que l'on veut prendre pour l'avenir.
Pour parvenir à ne penser
qu'à ce que l'on fait, il n'y a pas d'acte insignifiant que l'on ne
puisse et même que l'on ne doive faire. Lorsqu'il est accompli
exclusivement pour cela, le plus petit acte exerce, discipline et développe la
volonté ; et je dirai même qu'il la développe d'autant plus et d'autant
mieux qu'il est plus trivial, plus ridicule et qu'il paraît nul pour tout autre
objet.
Si on donnait pour tâche à
un mécanicien intelligent et instruit l'étude d'une belle machine construite
d'après un principe récemment découverte il s'y intéresserait beaucoup,
s'instruirait facilement, mais ne ferait aucun effort pour développer son
vouloir. Il n'en serait pas de même s'il s'astreignait à
considérer un objet très simple, inutile et qui, dans tous les cas, ne
présenterait pour lui aucun intérêt. Il serait obligé de faire des
efforts d'autant plus grands que cet objet l'intéresserait moins ; et ces
efforts répétés parviendraient précisément à discipliner sa Pensée et
à développer sa Volonté.
Mais, l'objet le plus simple, le
plus rudimentaire, le plus inutile, peut encore présenter quelque intérêt
à un point de vue queconque. On peut philosopher longtemps sur un bout
de papier que l'on ramasse dans la rue et si l'on s'y intéresse quelque peu, on
ne fait guère d'efforts pour fixer sa Pensée et développer sa Volonté. A
mon avis, il vaut mieux se donner pour tâche d'accomplir un acte de nulle
valeur, un acte insignifiant, ridicule même, en se rendant bien compte
que son accomplissement va demander du temps et qu'il ne saurait être de
la moindre utilité pour tout autre objet. C'est une action physique qui n'a pas
d'autre utilité que celle de soutenir le moral pour lui permettre d'accomplir
sa tâche sans distraction. Cette action remplit le rôle du chapelet que
l'Eglise recommande aux dévots pour les aider à fixer leur attention sur
la prière.
Pour l'accomplissement de cette
tâche, il faut y mettre toute sa pensée, toute son énergie, toute son ardeur,
toute sa volonté, rien que pour se donner la satisfaction de l'accomplir, et ne
cesser que lorsqu'on y est parvenu avec une certaine facilité. En s'entraînant à
accomplir successivement plusieurs actes différents, on parvient à fixer
facilement sa pensée sur l'objet du travail présent, et l'effort nécessité pour
cela développe rapidement le pouvoir de la volonté.
En principe, lorsqu'on réussit,
à accomplir un acte quelconque qui n'est pas habituel et qui présente
des difficultés, on s'enhardit, on se donne du courage, on s'inspire confiance,
on acquiert de la force ; tandis que si l'on n'y parvient pas, on enlève
une grande partie de son assurance, on entretient le doute, on perd confiance
en soi et l'on diminue ses moyens d'action. Il faut, donc, je le répète,
prendre pour tâche de parvenir à faire convenablement, pendant cinq
à dix minutes, un certain nombre d'exercices ; et l'on y parviendra plus
ou moins facilement.
Annie Besant reconnaît, ainsi,
l'importance de la Pensée exclusivement fixée sur ce que l'on fait, quelque
trivial que puisse être le travail que l'on accomplit, :
...II suffit de nous appliquer
à faire toujours une seule chose à la fois, jusqu'à ce que
notre cerveau obéisse docilement à notre volonté ; il suffit d'accomplir
chacun de nos devoirs avec toute la force de notre intelligence concentrée sur
un point unique. Vous objecterez, sans doute, que la plupart de vos occupations
sont triviales. Peu importe. L'entraînement qui fera de vous un disciple ne
tient pas à la nature même des choses que vous faites, mais
seulement à la manière dont vous les faites. Ce qu'il faut
prendre en considération ce n'est pas le genre de travail qui vous est dévolu
dans le monde : c'est la méthode que vous apportez à ce travail, la
pensée que vous y consacrez, les forces que vous y appliquez, l'entraînement
que vous en retirez. Encore une fois, peu importe ce qu'est votre vie : vous
pouvez la faire servir, telle quelle, à votre entraînement. Quelque
triviale que puisse être à vos yeux, l'occupation du moment, vous
pouvez l'employer comme un terrain d'entraînement pour votre pensée...
Souvenez-vous qu'une fois la faculté acquise, vous serez libres de l'appliquer
comme bon vous semblera. Dès que vous aurez à tenir votre pensée
en main, vous pourrez l'orienter à volonté et choisir librement l'objet
sur lequel ses forces seront concentrées.
Pour arriver à ne penser
qu'à ce que l'on fait, les exercices sont nombreux ; on peut en imaginer
tant que l'on voudra. Je vais en indiquer quelques-uns seulement parmi ceux qui
me paraissent les plus susceptibles de développer rapidement le pouvoir de la
Volonté pour ne pas laisser divaguer la Pensée.
Avant de commencer tout exercice,
il est bon de se recueillir pour se mettre dans un état de calme aussi grand
que possible, et, ensuite, étani assis ou étendu sur une chaise-longue ou sur
un lit, de se mettre bien à son aise et de détendre ses muscles en
cherchant, à ne penser à rien.
— I. Faire une sorte de collier
avec une centaine de perles quelconques, qui ne soient pas serrées les unes
contre les autres. Ce collier étant fait, prendre pour tâche, en le tenant dans
les deux mains, de déplacer chaque perle à gauche, à droite en
les comptant. Porter sur cet acte toute son attention, toute sa volonté pour ne
pas penser à autre chose, et tâcher de déplacer le plus grand nombre
possible de perles en un temps donné. Moins on laissera errer la pensée, plus
on déplacera de perles pendant ce temps. Il est bon de compter cinq à
six cents déplacements, par exemple, de se rendre compte du temps que l'on y
met, et de chercher, à chaque fois, à en mettre le moins
possible.
Ce procédé, on ne peut plus
insignifiant pour toute autre chose, exerce puissamment la Volonté.
— II. Etant tranquillement placé
à table, les avant-bras appuyés, s'entre-croiser les doigts des deux
mains et tourner très lentement les pouces l'un autour de l'autre,
tantôt dans un sens, tantôt dans l'autre, aussi longtemps que possible. Au bout
de quelques instants, le mouvement s'arrête dès que l'on pense
à autre chose. Il faut, donc, porter toute son attention sur ce
mouvement et chercher à savoir pendant combien de temps on peut
l'exécuter sans s'arrêter. Tâcher d'augmenter progressivement la durée de
ce temps.
Comme le précédent, cet exercice,
qui n'est pas fatigant, contribue très puissamment à faire
prendre l'habitude de ne penser qu'à ce qu'on fait.
— III. Se mettre à table
comme précédemment, placer les mains sur la table, les poings fermés, la face
palmaire en dessous. Déployer très lentement le pouce en surveillant le
mouvement avec la plus grande attention ; ensuite, déployer l'index, puis le
médius, l'annulaire et, enfin, l'auriculaire. Refaire la même série de mouvements
en sens inverse, c'est-à-dire en refermant lentement les doigts les uns
après les autres. Commencer l'exercice avec une main, puis avec l'autre
et, ensuite, avec les deux à la fois, et le continuer jusqu'à ce
que l'on puisse le faire avec souplesse, aisance et rapidité. La durée des
premiers exercices doit être de quatre à cinq minutes, que l'on
prolongera peu à peu jusqu'à huit, neuf et même dix
minutes.
Cet exercice est très
fatigant au début ; mais on ne doit pas l'abandonner sous prétexte de fatigue.
La persévérance et l'esprit de méthode sont, ici, comme en toutes choses
d'ailleurs, absolument nécessaires (Atkinson).
— IV. Etant assis, placer la main
droite sur le genou droit, les doigts fermés, sauf l'index qui doit être
allongé et dirigé dans la direction de la cuisse. Remuer ce doigt de droite
à gauche et de gauche à droite en surveillant le mouvement avec
la plus grande attention (Atkinson). Faire cet exercice pendant quatre à
cinq minutes au début, puis le prolonger jusqu'à huit et même dix
minutes, en tâchant de l'exécuter sans un moment d'arrêt.
Ces quatre exercices bien dirigés
permettent de devenir maître de sa pensée dans une très large mesure et
de pouvoir l'orienter vers le but de ses désirs. S'ils étaient insuffisants, on
pourrait en imaginer d'autres.
Dès que l'on est parvenu
à les faire avec une grande facilité, on doit les abandonner, car on
parviendrait à les faire automatiquement en pensant à autre
chose, et le but serait manqué. C'est, ainsi, que les femmes qui tricotent ou
font de la dentelle depuis longtemps bavardent en travaillant, sans que cela
nuise beaucoup à leur travail.
La portée de ces exercices est
considérable. On comprend facilement que si l'on parvient à éloigner
toute Pensée quelle qu'elle soit pour se donner la satisfaction d'accomplir des
actes qui n'ont par eux-mêmes, aucune utilité, on pourra fixer sa Pensée
sur une qualité que l'on veut acquérir ou développer ; éloigner les mauvaises
pensées et en mettre des bonnes à la place, comme par exemple, de
chasser des idées de tristesse pour les remplacer par des idées de Gaîté ;
remplacer des pensées de crainte par des pensées d'Espoir et de Confiance, des
sentiments de haine par des sentiments d'Amour, etc., etc...
Dès que le plus résultat
pratique est obtenu dans ce sens, qu'une bonne pensée peut prendre la place
d'une mauvaise et s'y maintenir, en raison de la loi psychique que nous
connaissons, cette bonne pensée en attire d'autres de même nature et
repousse les mauvaises. C'est le début du développement de la personnalité magnétique
qui, pour les plus favorisés, devient appréciable au bout de quelques jours.
Une fois acquise
expérimentalement, même d'une façon incomplète, cette habitude de
ne penser qu'à ce que l'on fait, doit être appliquée pratiquement.
Ainsi, lorsqu'on remplit une tâche, lorsque l'on accomplit un acte quel qu'il
soit, noble ou trivial, on doit non seulement y mettre toute son énergie, toute
son intelligence, mais faire que sa pensée ne vagabonde pas vers un autre
sujet. L'action de ne penser qu'à ce que l'on fait. est complétée par la
concentration.
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