IX. — CONCENTRATION DE LA PENSÉE
La concentration est
l'art de s'isoler des impressions extérieures pour forcer l'attention, vaincre
l'indifférence et dominer, en même temps, les forces physiques et les
forces psychiques. Se concentrer, c'est diminuer le volume de son rayonnement
en le localisant sur un sujet, non pas un sujet simple, une pensée unique, par
exemple, mais sur un ensemble de pensées se rapportant au même sujet.
Se concentrer, c'est ramener
à leur centre ses forces dispersées, rassembler son énergie, faire appel
à toute son intelligence et à toute sa volonté pour vaincre plus
sûrement les obstacle qui pourraient nous empêcher d'arriver au but
que nous voulons atteindre. C'est se donner corps et âme à ce que l'on
fait pour le faire mieux et plus vite.
La Concentration est la résultante
de l'Attention, de la Persévérance et de la Maîtrise de soi. La première
fixe l'esprit d'une façon complète sur un objet déterminé ; la seconde
maintient cette attention et la dernière ne permet pas à la
Pensée de se détourner de cet objet.
La Concentration de la Pensée joue
un rôle extrêmement important dans toutes les grandes circonstances de la
vie. C'est par elle que les fakirs de l'Inde et des Indiens de l'Amérique du
Nord résistent à la douleur et ne la perçoivent même pas. C'est
par des pensées dérivées et maintenues sur un Idéal élevé que les martyrs du
christianisme supportaient sans douleur les supplices les plus atroces, et que
nos soldats horriblement blessés sur le champ de bataille, n'ont, parfois,
même pas conscience de leurs blessures.
Elle est naturelle chez quelques
rares individus ; les autres ont besoin de la développer. Napoléon la possédait
naturellement à un degré extraordinairement élevé, car il passait, avec
la plus grande facilité, d'un travail à l'autre, sans se laisser
impressionner par l'idée de celui qu'il venait de terminer, ou de celui qu'il
devait faire après. Sa journée terminée, il s'étendait, même sur
l'affût d'un canon, et s'endormait aussitôt, pour se réveiller quelques
heures après avec la même instantanéité et parfaitement reposé.
Beethoven, devenu sourd à vingt ans, ne composa plus que des œuvres
splendides, en grande partie dues à la Concentration qu'il avait acquise
par le fait même de sa surdité.
A la prise de Syracuse par les
Romains, Archimède dessinait avec sa canne sur le sable un plan qu'il
devait exécuter pour la défense de la ville. La Concentration de sa pensée
était telle que, malgré le tumulte et les cris de détresse de ses concitoyens,
ne voyant pas que l'armée victorieuse était, à quelques pas
derrière lui, il fut tué par un ennemi sans même l'avoir aperçu.
Le Génie et même les grandes
facultés de l'esprit sont constitués par la puissance de la Concentration. Un
morceau de bois constamment, exposé au soleil le plus ardent ne s'enflamrne pas
; mais, si on interpose entre la surface du bois et le soleil, une lentille
convexe, de telle façon que son foyer corresponde à un point, de cette
surface, on voit, bientôt, ce point noircir, fumer et s'enflammer. La
Concentration nous représente la lentille localisant exclusivement notre
énergie sur le travail que nous exécutons.
Celui qui sait concentrer sa
pensée et la diriger vers le but qu'il veut atteindre sans la laisser dévier,
sans rien perdre, décuple, de ce fait seul, sa puissance et ses moyens
d'action.
L'homme, dit Atkinson, qui sait
prendre un intérêt dans son travail et trouver un plaisir véritable dans
sa lâche de chaque jour est, évidemment, celui qui produit le plus et qui vit
le plus heureux. Il ne connaît ni l'ennui, ni la lassitude, ni le dégoût,
ni l'abêtissement. L'homme qui a, sans cesse, les yeux sur la pendule ou
qui suspend constamment son pic dans l'attente de la cloche, n'est qu'une
pauvre et misérable machine à qui sont également défendues les joies de
l'action et les satisfactions du devoir.
En se livrant quotidiennement,
pendant quelques mois, à des exercices spéciaux ayant un double but. :
1° concentrer sa pensée sur une idée sans la laisser divaguer ; 2° développer
son endurance et ses forces physiques, on se dégage, de plus en plus, de la vie
extérieure, on se soustrait aux distractions qui sollicitent constamment
l'esprit, et l'on augmente, dans une très large mesure, son habileté au
travail quel qu'il soit, ses aptitudes générales et spéciales et ses moyens
d'action.
Quoique Annie Besant cherche
plutôt à préparer l'homme pour la vie future, elle tient, aussi,
à son développement dans la vie présente. Voici ce qu'elle dit à
ce sujet dans le Sentier du Disciple, p. 75, relativement à la
Concentration.
Afin de vous mettre en état de
lutter contre cette tendance moderne à gaspiller ses pensées, vous devez
contracter l'habitude journalière de penser d'une façon suivie et de
concentrer votre attention, pendant um certain temps, sur le même sujet.
En guise d'exercice pour l'éducation de votre mental, prenez l'habitude de lire
chaque jour quelques pages d'un livre traitant des côtés importants de la vie,
de ce qui est éternel plutôt que de ce qui est transitoire, et concentrez votre
mental sur ce que vous lisez. Ne lui permettez pas d'errer et de se dépenser en
pure perte ; s'il s'éloigne, rappelez-le, imposez-lui, de nouveau, la
même idée et, de cette façon, vous le fortifierez et commencerez à
vous en rendre maîtres. Vous apprendrez, par un exercice constant, à
exercer un contrôle sur lui et à lui faire suivre la voie que vous lui
avez choisie. Même pour les choses de ce monde, cette faculté
confère de grands avantages. Non seulement elle vous prépare à la
vie supérieure qui s'ouvre devant vous, mais, encore, l'homme capable de
concentrer sa pensée sur un but est celui qui réussit le mieux dans les choses
de la vie. L'homme qui est en état de penser d'une manière suivie,
claire et précise est celui qui saura se frayer son chemin, même dans le
monde matériel. Cette constante éducation du mental vous sera, donc, utile dans
ce qui est insignifiant, comme dans les choses d'un ordre plus élevé, et vous
développerez peu à peu cette puissance de contrôle qui doit être
l'une des qualités de l'Aspirant-Disciple.
Exerçant, ainsi, votre mental,
vous atteindrez peut-être un autre résultat : la méditation.
L'éducation du mental aide
certainement à la Concentration de la Pensée, mais le plus grand nombre
d'entre nous feront cette éducation avec d'autant plus de facilité qu'ils se
seront, déjà, rendus Maîtres de leurs mouvements physiques. J'estime
qu'il est même très utile de pratiquer l'Isolement avant de
commencer n'importe quelle série d'exercices. Tous les exercices de gymnastique
sont bons, car en développant la force, les forces physiques, on développe dans
une large mesure la faculté de se concentrer. S'il en est ainsi, je n'exposerai
que ceux qui suivent. Les trois premiers sont décrits par Atkinson.
— I. — Tenez-vous droit sur votre
chaise, la tête ferme, le menton développé et les épaules aussi effacées
que possible. Elevez latéralement le bras droit jusqu'à la hauteur de
l'épaule, tournez la tête à droite en regardant le bout des
doigts, et en maintenant le bras dans sa position horizontale pendant une
minute au moins. Faites la même expérience avec le bras gauche, et quand
vous serez arrivé à des mouvements aisés et précis, augmentez la durée
de jour en jour. Accroissez-en le temps de une à deux minutes, puis de
deux à trois et, ainsi, jusqu'à cinq.
— II. Prenez un verre d'eau,
tenez-le entre les doigts et tendez le bras droit bien en face de vous.
Immobilisez-le autant que possible, de manière à éviter à
votre verre toute trépidation. Augmentez la durée de l'expérience de la
même manière et dans la proportion indiquée précédemment.
— III. Prenez un crayon, et
donnez-vous tout entier à cet objet. Considérez-le, retournez-le,
pesez-le ; demandez-vous quel en est l'usage, quelle en est l'utilité, quelle
en est la matière première, quel en est le mode de préparation,
etc... Ne vous laissez distraire par rien... Imaginez-vous que vous ne sauriez
donner à votre vie un meilleur emploi ni un plus noble but que l'étude
de ce crayon. Imaginez-vous même que le monde entier se trouve résumé
dans cet objet et que l'univers ne contient que lui et vous. Attachez-vous
à cette fusion, persistez-y, immobilisez-vous à cela, et votre
expérience réussira. Mais il ne faut point croire que son extrême
simplicité soit un gage de succès. Il vous sera, au contraire, d'autant
plus malaisé de la mener à bien qu'elle est plus élémentaire. On fixe
difficilement toute sa force intellectuelle à un objet misérable et, la
vôtre cherchera sans cesse à briser les limites dans lesquelles vous
l'aurez enserrée. Mais, pour réussir, ayez de l'énergie, de la volonté, de la
persévérance, et ce succès sera pour vous une victoire plus appréciable
que vous ne le pensez.
— IV. En vous promenant, examinez
attentivement les personnes que vous rencontrez, et notez, le plus exactement
possible, la coupe et la couleur de leurs vêtements, de leurs chaussures
et de leur coiffure, le teint et la forme de leur visage, la couleur et
l'épaisseur de leur chevelure, leur attitude; leurs gestes, leurs
manières, etc... Faites-en autant pour les choses, et vous acquerrez
vite la faculté de voir rapidement, mais, aussi, celle de vous souvenir
longtemps de ce que vous avez vu.
Les résultats obtenus par la mise
en pratique de ces exercices répétés jusqu'à l'entraînement, sont
considérables pour ceux qui se donnent la peine de les pratiquer
consciencieusement. Ils peuvent, alors, maîtriser leurs pensées et leur
imprimer un mouvement déterminé selon leurs goûts, leurs désirs, leurs
tendances, leurs besoins. Ils sont beaucoup plus forts, mieux équilibrés au
physique et au moral, plus complètement maîtres de leur corps et de leur
esprit. Ils peuvent faire leur travail habituel mieux et plus vite, se reposer
quand ils veulent, aussi bien le jour que la nuit, et sentir que leur
personnalité magnétique se développe et grandit rapidement.
Deux exemples choisis parmi les
plus simples et les plus familiers vont faire comprendre l'utilité de ce
développement.
— Une ménagère qui ne peut
pas fixer sa pensée sur ce qu'elle fait, fait toujours mal son ouvrage.
Son couvert, par exemple, n'est
qu'à moitié placé ; et à chaque instant du repas, l'un s'aperçoit
qu'il lui manque un couteau, un autre une fourchette ; et tous manquent de ceci
ou de cela : on se plaint ; et la ménagère, qui n'a pas mauvaise
volonté, s'excuse en disant simplement : Ma foi ce n'est pas de ma faute ; je
l'ai encore oublié.
Rien ne sera plus oublié à
l'avenir si elle suit les prescriptions indiquées ; car, sachant ce qu'elle
doit faire, elle le fera parfaitement, sans aucun effort, étant devenue capable
de concentrer sa pensée sur la seule idée de placer son couvert, au lieu de la
laisser vagabonder. La mémoire étant, ainsi, toujours en éveil, l'oubli ne sera
plus possible.
— En se promenant pour se
distraire et se reposer, beaucoup de gens gesticulent, remuent les
lèvres comme s'ils parlaient, parlent même à demi-voix,
comme s'ils s'entrenaient avec des êtres invisibles ; et, en effet, ils
sont encore à leurs affaires, discutant et même se disputant avec
un concurrent, avec un client, avec un fournisseur. Agités, énervés, voyant
à peine ceux qui les coudoient, ils courent d'un pas automatique
après des chimères, se fatiguent encore, se fatiguent toujours ;
et, peu à peu, l'épuisement arrive.
Il n'en sera plus ainsi pour le
plus distrait qui s'astreindra à mettre en pratique les exercices
indiqués, car il acquerra rapidement le pouvoir de concentrer sa pensée sur un
seul objet, et, au point de vue où nous nous plaçons ici : sur la
promenade qui le reposera au lieu de le fatiguer.
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