La médecine psychologique

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Chapitre I: Les miracles, le magnétisme animal

La médecine, comme toutes les autres sciences d'ailleurs, a pris son point de départ dans les anciennes pratiques religieuses et magiques. Les hommes qui souf­fraient criaient et appelaient à l'aide ; ceux qui les entouraient, poussés par des ten­dances sociales qui existaient déjà chez les animaux, cherchaient à leur donner des soins. L'intelligence primitive distingua rapidement des cas où le secours était facile et efficace quand il suffisait de donner à manger ou à boire à ceux qui souffraient de la faim ou de la soif et les cas où les souffrances et les cris continuaient malgré les secours, comme cela arrivait dans les blessures et les maladies. Cet insuccès détermi­na des efforts et de l'agitation par dérivation et on se mit à pratiquer sur les malades ou autour d'eux toutes espèces d'opérations bizarres. A cette époque du développe­ment de l'esprit que j'ai désigné sous le nom de stade appétitif ou pithiatique, quand commencèrent à se former par l'affirmation les premières volontés et les premières croyances sans réflexion, ces pratiques devinrent rituelles sous la forme religieuse ou sous la forme magique.

Les traitements religieux des maladies les plus diverses, les guérisons miraculeu­ses attribuées à l'intervention des Dieux ont existé dans toutes les civilisations et dans toutes les religions : on les retrouve encore dans les religions les plus récentes et les plus élevées. On peut prendre comme exemple les traitements et les miracles qui ont rendu célèbre dans l'antiquité grecque le temple de l'Asclepieion à Epidaure et qui ont été bien décrits par Paul Girard dans on livre sur l'Asclepieion, 1887. Cette descrip­tion a été mise en lumière par l'usage qu'en a fait Charcot dans son article sur « la foi qui guérit » [1]. Dans le fond du temple se trouvait la statue qui avait le pouvoir d'opé­rer les guérisons miraculeuses. Autour d'elle et dans les diverses parties du temple étaient rangés des serviteurs de toute espèce et des prêtres chargés de diverses fonctions. Les uns devaient porter ou conduire les malades, les autres étaient méde­cins et devaient constater la maladie à l'entrée et s'il y avait lieu la guérison à la sortie ; ceux-ci étaient des intercesseurs faisant métier de remplacer le malade auprès du Dieu et d'implorer sa protection aux lieu et place de leurs clients, ceux-là étaient des interprètes chargés d'expliquer le traitement que demandait le Dieu et de le faire appliquer ; d'autres enfin tenaient simplement la comptabilité et recevaient les cadeaux nombreux des malades reconnaissants.

Ceux-ci en effet arrivaient en foule des plus lointains pays après un long et péni­ble voyage : dès leur arrivée, afin, de se rendre le Dieu favorable, ils déposaient à l'entrée du temple de riches présents et se plongeaient dans la fontaine purificatrice. Après ces préliminaires ils étaient admis à passer une ou plusieurs nuits sous les portiques du temple sans avoir encore le droit de pénétrer plus loin. Ce n'est qu'après cette attente anxieuse occupée par des prières publiques et des exhortations éloquen­tes que le malade pénétrait enfin dans le temple et qu'il recevait des conseils sous la forme d'oracles ou de songes prophétiques.

Des inscriptions nous rapportent le détail des guérisons remarquables ; ceux qui trouvaient la guérison dans l'Asclepieion ornaient les murs d'inscriptions votives qui conservaient le souvenir du miracle et en même temps rendaient célèbre le nom du miraculé. Le Brave Valerius Aper est encore cité aujourd'hui pour sa guérison comme s'il avait accompli des actions héroïques. Les miraculés ajoutaient aussi sur les murs de petits objets en matière plus ou moins précieuse représentant la partie du corps qui avait été guérie. Aussi retrouve-t-on dans les anciens sanctuaires de l'Égypte, de la Grèce, de Rome, des bras, des jambes, des cous, des seins en pierre, en marbre, en argent ou en or.

Au Moyen Age, quoique le nom du Dieu ait été changé, les guérisons par des miracles restent exactement les mêmes. Plus tard la foi aux miracles ne disparut pas : les miracles opérés sur la tombe du diacre Paris au cimetière Saint-Médard vers 1736 sont parmi les plus remarquables. Les miracles se produisent encore de nos jours, simplement parce que la science médicale n'a pas fait encore assez de progrès pour les rendre inutiles. Ils existent encore dans tous les pays: Le livre de NI. Percival Lowell sur « the occult Japan or the way of the Gods » publié en 1894 nous montre au Japon des procédés de guérison miraculeuse exactement semblables à ceux que nous avons vus dans lÉgypte ou dans la Grèce ancienne et à ceux qui existent encore aujourd'hui en France. Des guérisons remarquables racontées d'une manière plus ou moins impressionnante sont réellement fréquentes dans les Annales de Lourdes et nous pouvons constater avec satisfaction que nous ne sommes pas au XXe siècle trop au-dessous des miracles qui s'accomplissaient à l'Asclépieion plusieurs siècles avant J.-C.

Les traitements religieux ne sont pas les seuls qui méritent le nom de traitements miraculeux. Ce qui est essentiel dans le miracle, c'est que l'homme désire ardemment un certain phénomène mais qu'il n'en connaît pas assez bien les conditions détermi­nantes pour le reproduire avec régularité et certitude. Les forces qu'il appelle à son secours ont d'abord été les Dieux, puis par une évolution naturelle elles sont devenues des forces naturelles ; mais des forces très mystérieuses agissant suivant des lois inconnues et en somme analogues à des caprices divins. Beaucoup de traitements magiques sont encore très près des pratiques religieuses : ils utilisent d'anciens pactes plus ou moins oubliés qui évoquaient un Dieu ou un démon.

Un des traitements qui au début surtout se rapprochait beaucoup de ces traite­ments magiques mérite une étude particulière. Le magnétisme animal me semble avoir joué le rôle d'intermédiaire entre les traitements religieux et magiques et les thé­ra­peutiques psychologiques ; les études qu'il a provoquées ont préparé les analyses de la psychologie pathologique et ont donné une orientation particulière à une grande partie de la science psychologique. Un jour on rendra justice à ces vail­lants travail­leurs de la première heure et on écrira de longues histoires sur toutes leurs œuvres. Je ne puis ici que chercher à faire comprendre quel a été leur place dans J'évolution de la psychothérapie.

Mesmer, 1734-1815, né à Vienne ou à Mersebourg, a donné son nom à la doctrine qui fut d'abord le mesmérisme et il est considéré comme son fondateur, mais il est peut-être le moins intéressant de ces écrivains. Il eut l'intelligence de parler de forces encore bien inconnues, des forces du magnétisme, de l'électricité, des forces nerveu­ses : « L'influence des planètes, disait-il, s'exerce sur le corps humain au moyen d'un fluide universel dans lequel tous les corps sont plongés ». La maladie n'est qu'une aberration dans la répartition harmonieuse de ces fluides, le traitement consiste à rétablir cette harmonie par une application du magnétisme qui sort de l'être vivant.

La deuxième période du magnétisme animal que l'on peut faire commencer en 1786 ou 1787 avec les publications du marquis de Puységur et du Dr Pétetin de Lyon, mais qui ne fut en réalité brillante qu'à partir de 1813, époque des premiers livres de Deleuze, a pour point (le départ l'étude d'un fait remarquable observé pour la pre­mière fois par Puységur dans sa terre de Buzancy où il magnétisait tous les malades qui s'adressaient à lui en imitant les procédés de Mesmer. Il les appliquait un jour à un jeune berger nommé Victor et il cherchait à produire la crise salutaire. Au lieu de commencer des contorsions, le jeune homme parut s'endormir paisiblement et entra dans un état bizarre ou il pouvait remuer et parler, où il exécutait sans résistance tout ce qu'on lui indiquait mais dont il ne conserva aucun souvenir après le réveil. On appela cet état un somnambulisme par analogie avec les somnambulismes naturels dont on connaissait bien des exemples et ces auteurs entreprirent l'étude de ce som­nambulisme provoqué artificiellement.

Les magnétiseurs crurent que dans cet état l'esprit humain était transformé : une pensée différente de la pensée normale ne pouvait être qu'une pensée toute puissante débarrassée de toutes les délimitations qu'imposent à notre esprit les dures nécessités de nos sens, les lois du temps et de l'espace. Le somnambule faisait penser aux pro­phètes inspirés, aux pythonisses, aux pythtes. Ce n'était pas la peine de changer de pensée, de voir avec les yeux fermés, d'agir en dormant si l'on n'était pas capable de voir au travers des obstacles, de voir à toutes les distances, de connaître le passé et l'avenir. Ce fut une révélation, le somnambulisme artificiel devint énormément intéressant et ne s'occupa plus que de lui. Transformer un esprit humain, le rendre capable de tout voir, de tout comprendre, de tout savoir, quelle œuvre magnifique et divine ! Quels services un pareil esprit ne pourra-t-il pas rendre à l'humanité ! Il faut à tout prix étudier les moyens de produire de pareilles transformations de l'esprit, cultiver ces dispositions, apprendre à se servir de ces instruments admirables qu'on aura créés, en un mot il faut travailler à faire des somnambules extralucides. Tel a été le but poursuivi avec acharnement pendant un demi-siècle par une foule de bons esprits. Ils ont dépensé dans ce travail des trésors d'intelligence, de patience et de dévouement et c'est leur œuvre à la recherche de cette pierre philosophale, la « som­nambule extralucide » qui constitue véritablement le magnétisme animal français.

C'est un problème bien singulier dont il est facile de voir toute la difficulté et tout l'intérêt. Il s'agit de déterminer sur une personne une modification psychologique très profonde et très nette d'une manière tout à fait expérimentale, au moment où on le désire, et de ramener ensuite cette personne à son état normal sans grands troubles. Cette modification ne doit pas être obtenue par des poisons capables de faire naître diverses ivresses ; il faut, d'après les principes, l'obtenir au moyen d'un fluide invisible, c'est-à-dire d'une manière immatérielle sans aucune violence extérieure et sans aucun poison. Les chercheurs qui avec une témérité invraisemblable se posent un problème pareil vont être forcés d'étudier l'état mental de leur sujet pour recon­naître la modification somnambulique quand elle se produira. Il va falloir noter scrupuleusement les actions, les paroles de ce sujet, déterminer son caractère, ses souvenirs, ses sensations. Les magnétiseurs vont prendre l'habitude d'écrire perpé­tuellement tout ce qu'ils observent pendant les séances, les moindres mots que prononce le sujet, les paroles que l'on dit devant lui.

Ce sont de minutieuses observations médicales et surtout des observations psychologiques prises sur une personne étudiée isolément. Les magnétiseurs vont être obligés également de chercher tous les moyens possibles pour transformer un état mental ; ils seront forcés d'étudier le rôle de l'émotion, de l'attention, de la fatigue. Quand on s'occupe perpétuellement du somnambulisme et de ses variations, on aura à se préoccuper de tous les accidents nerveux et mentaux qui avoisinent le somnam­bulisme, Les magnétiseurs ont été les premiers à bien connaître tous les accidents névropathiques et toutes les formes des crises nerveuses. Il y eut là pendant un demi-siècle tout un ensemble d'études qui ont amené la psychologie contemporaine. Ces deux recherches psychologiques et thérapeutiques déterminèrent un enthousiasme incroyable et le magnétisme animal eut vers 1840 une période de floraison et de succès qu'il ne faut pas oublier pour apprécier plus tard des mouvements d'enthou­siasme analogues mais bien plus restreints.

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