1. - La
« Christian science »
Les États-Unis d'Amérique semblent offrir un terrain
favorable au développement de ces thérapeutiques plus magiques que
scientifiques qui ressemblent au magnétisme animal. On pourrait entre beaucoup
d'autres étudier les pratiques de l'Ostéopathie qui dans toutes les maladies
recommande le massage, le pétrissage des muscles de la colonne vertébrale parce
que le déplacement léger d'une vertèbre détermine tous les troubles
possibles. Le prestige de la science anatomique joue ici le même rôle que
le prestige de l'astronomie dans les premières pratiques de Mesmer ou le
prestige de la science physique de l'électricité dans les traitements
magnétiques. Mais il s'agit là d'un enseignement assez restreint et il
est plus juste de signaler comme l'une des plus importantes conséquences de la
pénétration du magnétisme animal en Amérique le développement extraordinaire de
la « Christian science ». J'ai raconté ailleurs avec détails la vie
étrange de Mrs Eddy, la fondatrice de cette secte, car cette histoire nous
fournit des renseignements très intéressants pour la psychologie et pour
la psychothérapie [2]. je ne puis rappeler ici qu'un seul point important, la maladie nerveuse
de Mrs Eddy qui fut le point de départ de toute sa carrière. Née en 1821
dans une pauvre ferme du New Hampshire, celle qui devrait être un jour le
chef riche et puissant d'une grande religion présentait depuis son enfance de
graves accidents de la névrose hystérique. Elle avait fréquemment de violentes
attaques convulsives, remplacées tantôt par de longues périodes de léthargie,
tantôt par des fugues ou par des somnambulismes délirants. Vers l'âge de 35
ans, elle glissa un jour d'hiver sur la glace et tomba par terre évanouie.
Naturellement, chez une hystérique semblable, cet accident laissa à sa
suite une contracture de la jambe et bientôt une paraplégie complète. La
malade essaya en vain tous les traitements et resta des années sur son lit,
invalide et désespérée.
En 1861, quand Mrs Eddy avait 40 ans, se place un incident
qui modifia complètement l'orientation de son esprit : elle fut
soignée par le guérisseur P.-P. Quimby qui guérit rapidement sa paraplégie
névropathique par un traitement simplement moral. C'est cette guérison que plus
tard on considérera comme la révélation mystérieuse de la « Christian
science ». P.-P. Quimby était un ancien ouvrier horloger, habile et
observateur, qui, après avoir assisté à des séances publiques de
magnétisme animal organisées à Portland par un magnétiseur français,
s'était voué lui-même à la pratique du magnétisme. Mais il avait
observé que les consultations du somnambule extralucide ne servaient
qu'à implanter dans l'esprit du malade la conviction de la guérison et
que les médicaments étaient inutiles. Il modifia quelque peu la pratique des
traitements magnétiques et chercha surtout à donner confiance aux
malades, à leur enlever la peur de la maladie: ce fut le point de départ
des conceptions du « Mind cure ».
Ces idées qui avaient déterminé sa guérison
excitèrent chez Mrs Eddy un grand enthousiasme : elle voulut rester
la secrétaire de P.-P. Quimby et se plongea dans l'étude des manuscrits
inachevés qu'il avait écrits sur la religion et la médecine spirituelle.
Après la mort subite de ce personnage elle emporta ses manuscrits, continua
à les recopier et à les commenter et se présenta partout comme
ayant une ,grande mission à accomplir. N'ayant pu réussir à
pratiquer elle-même les traitements qu'elle recommandait, elle résolut
d'enseigner seulement la doctrine de Quimby et de la faire mettre en pratique
par d'autres. Après bien des misères et des déboires causés
surtout par son orgueil et sa jalousie, elle arriva à organiser une
sorte d'école médicale d'abord à Lynn, puis à Boston (Mass.) Elle
se faisait payer un prix élevé pour cet enseignement qui devait donner à
ses élèves un pouvoir thérapeutique extraordinaire, puis elle s'assurait
une redevance sur tous les gains qu'ils pourraient faire pendant leur vie.
Cette école de Boston, les livres et les journaux qui furent publiés par les
soins des élèves, les traitements des malades et même les
traitements à distance, simplement en pensant aux malades, devinrent la
source de revenus considérables et l'installation de la grande directrice
devint tout à fait luxueuse.
Malgré des accidents très graves, des
scandales, des procès, des divisions de son école qui devinrent le
principe du mouvement de la « New thought », la fondatrice de la
« Christian science » fit face à toutes les difficultés. Elle
édicta des règlements draconiens contre les hérétiques ; à
force d'énergie, d'orgueil et de fois inébranlable elle surmonta tous les
obstacles et parvint à l'apothéose.
La doctrine qui a eu une si étonnante destinée est
contenue dans un livre « Science and health » publié pour la
première fois en 1875 et qui doit avoir maintenant près de 200
éditions : « Le livre que j'écris sur « Christian
science », dit Mrs Eddy, est la vérité absolue, c'est l'âme de la divine
philosophie il n'y a pas d'autre philosophie, quand Dieu parle, j'écoute. Ce livre
difficile à lire à cause d'un style fort étrange ne contient
qu'un petit nombre d'idées philosophiques assez connues et très simples,
incessamment répétées au milieu d'une foule de métaphores. La plus grande
partie de l'ouvrage est consacrée à l'affirmation d'une sorte de
philosophie simplement, violemment idéaliste et spiritualiste qui peut
être résumée en trois maximes fondamentales : « Dieu est tout
dans tout, Dieu est le bien, le Bien est Esprit, le Dieu Esprit étant tout, la
matière n'est rien ».
La partie négative de cette philosophie est plus
importante et plus développée que cette première partie positive. Mrs
Eddy a en horreur le concept de la matière et perpétuellement elle
répète que la matière n'existe pas ; elle ne cherche pas
à l'expliquer, à la transformer, elle est radicale et la
supprime tout simplement. Bien d'autres choses ont le même sort : le
péché, la pauvreté, la maladie, la mort déplaisent également à notre
réformatrice et sans plus d'embarras elle les supprime : c'est le 4e principe
fondamental.
Malheureusement de telles négations ne suffisent
pas : comment se fait-il que les hommes continuent à croire
à la réalité de la souffrance et de la mort? La réponse est encore bien
simple : cela provient d'une erreur absurde, d'une illusion fondamentale
qui fausse l'esprit humain. « Vous dites qu'un abcès est
douloureux, mais cela est impossible car la matière sans l'esprit n'est
pas douloureuse. L'abcès manifeste seulement par l'inflammation et
l'enflure une croyance à la
douleur et c'est cette croyance qui est appelée un abcès ; que
cette croyance soit atténuée et l'abcès guérira... c'est l'esprit malade
et non la matière qui contient l'infection... La croyance universelle
à la mort ne sert à rien, la mort sera trouvée à la longue
n'être qu'un rêve mortel qui vient dans les ténèbres et qui
disparaît dans la lumière ».
Dans ces conditions la thérapeutique se simplifie
énormément : bien entendu il n'est jamais question de diagnostic car le
même traitement s'applique sans exception à toutes les maladies.
Cette thérapeutique consiste d'abord à supprimer tous les traitements
chirurgicaux ou médicaux qui sont aussi inutiles et absurdes les uns que les
autres. Il faut aussi supprimer toute précaution hygiénique. « Les
dyspeptiques pourront manger et boire ce qu'ils voudront, car Dieu a donné
à l'homme la domination non seulement sur le poisson qui est dans la
mer, mais aussi sur le poisson qui est dans son estomac. « Pour rassurer
complètement le malade et le médecin il faut supprimer la croyance
à la maladie : « La médecine enseigne bien le néant des hallucinations...
on dit aux enfants qu'il ne faut pas croire aux fantômes, pourquoi croire
davantage à la maladie qui existe encore moins ». Remplacez
maintenant toutes ces pratiques médicales si ridiculement inutiles, toutes ces
craintes et ces croyances erronées par des croyances puissantes et salutaires,
« par la conviction que l'esprit gouverne le corps non pas partiellement,
mais entièrement et sachez que cette conviction est l'agent le plus
efficace de la pratique médicale ».
Sans doute ni les médecins « scientists » ni
leurs pauvres diables de malades ne comprennent un mot à ce qu'ils
disent. Ce sont de part et d'autre de vagues bégaiements sur Dieu, l'esprit,
la matière, le péché, la maladie, la santé, l'harmonie, la négation de
l'erreur, etc. Mais il ne faut pas oublier que ces vagues et absurdes déclamations
ont réussi à fonder des cathédrales et à soulager des millions
d'hommes. Il ne faut pas oublier que la « Christian science » est
avant tout une méthode médicale, un système thérapeutique et que c'est
toujours et uniquement la préoccupation du traitement des malades qui dirige
toutes les conceptions de l'auteur. Or la conception fondamentale de cette
thérapeutique est l'idée de l'influence essentielle que peut avoir sur
l'évolution de la maladie l'idée que le malade a de son propre mal. Si le
malade se croit perdu, la maladie devient par là même beaucoup
plus grave, s'il a confiance dans sa guérison, le rétablissement est beaucoup
plus facile. C'est cette remarque banale, démesurément agrandie qui est au fond
toute l'inspiration de Mrs Eddy. Tout le système de Mrs Eddy me paraît
simplement destiné à donner à cette idée fondamentale une sorte
de justification logique et à développer ce sentiment de la confiance en
soi et du mépris du mal.
Quelle est l'origine de cette conception
fondamentale ? La réponse est aujourd'hui facile grâce aux études précises
de plusieurs auteurs. Cette conception est celle du P.-P. Quimby qui soigna et
guérit en 1861 la paraplégie de Mrs Eddy, qui lui expliqua son enseignement et
lui confia ses manuscrits. « Maintenant, disait-il, je me borne à
nier la maladie comme une vérité, je ne l'admets que comme une erreur, comme
les autres histoires sans fondement que l'on se transmet de génération en
génération et qui deviennent une part de la vie des peuples. » Pour
arriver à nier ainsi l'existence de la maladie Quimby insistait aussi
sur la supériorité de l'esprit, sur la non réalité de ce qui est inférieur et
matériel et développait lui aussi un vague système idéaliste tout
à fait analogue à celui que nous avons vu chez son élève.
Peu importent les protestations puériles de Mrs
Eddy : tout ce que l'on peut dire de mieux pour l'excuser c'est qu'en sa
qualité d'hystérique délirante elle avait plus que d'autres le pouvoir de
transformer en croyance sincère ses propres désirs. Il reste acquis pour
l'histoire de la psychothérapie que cette doctrine curieuse est celle de P.-P.
Quimby. Cela est intéressant pour comprendre la filiation des idées, car Quimby
est avant tout un élève du magnétiseur français Ch. Poyen qui avait
introduit en Amérique les doctrines de Deleuze. On retrouve d'ailleurs encore
dans la « Christian science » la trace du magnétisme dans les théories
sur l'inconscience, sur le rapport entre le médecin et le malade, sur le
pouvoir de la volonté, sur la communication des pensées sur le diagnostic
à distance dans « absent treatment ». Les attaques
grossières contre le magnétisme n'ont pas d'importance, ce sont des
querelles de frères ennemis et il est intéressant de constater qu'en
Amérique la « Christian science » est sortie du magnétisme animal.
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