1. - Les maisons
d'isolement
L'isolement de la société des hommes semble être
un grand mal et bien des descriptions littéraires en ont exprimé les
souffrances. Cependant il doit y avoir dans l'isolement quelques raisons
d'être, et même quelque charme, puisque nous le voyons pratiqué
sous plusieurs formes par diverses religions. Dans les religions hindoues ou
égyptiennes, et surtout dans la religion chrétienne, nous voyons des hommes qui
se retirent de la société de leurs semblables pour vivre dans le désert, dans
les forêts, dans des cavernes, à l'état d'isolement plus ou moins
absolu : on leur donne le nom de moine, qui vit seul. Quelques-uns, les
ermites, les reclus, les anachorètes, vivaient tout à fait isolés
dans des grottes ou des cellules, mais le plus souvent l'isolement fut limité
de manière à conserver ses avantages sans avoir ses
inconvénients. Les hommes qui voulaient s'isoler se réunissaient entre eux pour
conserver les avantages de la division du travail et pour ne supprimer de la
société que ce qu'ils voulaient lui enlever. Ce fut malgré la contradiction des
termes, une société de gens vivant seuls. Ainsi se formèrent les
couvents qui furent innombrables dans l'Inde ancienne : des couvents
entiers furent percés dans la montagne et décorés d'innombrables sculptures
faites dans le roc même. Au IIIe siècle de l'ère
chrétienne, l'amour de la solitude grandit comme une épidémie, et de grands
ordres monastiques ont été fondés de tous les côtés.
La première raison de ces pratiques était une
raison religieuse : les hommes croyaient se priver de plaisirs nombreux,
et s'imposer des souffrances méritoires en se retirant du monde. En même
temps ils espéraient être moins distraits par les agitations mondaines
et pouvoir plus efficacement se consacrer à la méditation et à la
prière. Il est probable que bien des personnes ont apprécié et ont fait
connaître d'autres satisfactions et d'autres bienfaits de cette vie retirée et
méditative, car nous voyons bientôt la vie monastique attirer bien des
personnes, surtout les faibles, les vaincus de la vie par un attrait qui n'est
pas uniquement celui de l'ascétisme.
Plus tard, les laïques eux-mêmes
cherchèrent à profiter des bienfaits de cet isolement religieux
et nous voyons au XVIle siècle les Solitaires de Port-Royal quitter le
monde et pratiquer un isolement relatif dont plusieurs d'entre eux ont célébré
les charmes.
La médecine avait également organisé des maisons
où on isolait certains malades : les léproseries et les maisons
d'aliénés existaient depuis longtemps, mais on imposait cet isolement aux
malades pour se protéger contre eux et on ne songeait pas à
l'intérêt des aliénés quand on les mettait dans des maisons fermées.
C'est de cette première organisation des garderies d'aliénés qu'est né
le préjugé encore tenace aujourd'hui contre les établissements d'isolement
médical.
Ce ne fut qu'à une époque relativement récente
que les médecins instruits plus ou moins consciemment par l'exemple des
couvents, apprécièrent le calme et la satisfaction que procure la vie
isolée et commencèrent à utiliser ce procédé de traitement pour
quelques-uns de leurs malades. Jean Weyer, 1579, Paulin, Zimmermann, 1788,
Cullen et Willis, 1772-1840, conseillèrent des cures par l'isolement.
Philippe Pinel, 1745-1826, organisa ce traitement dans sa célèbre
réforme des maisons où on enfermait les aliénés. « Il faut,
disait-il, isoler le malade de sa famille, de ses amis, écarter de lui tous
ceux dont l'affection imprudente peut entretenir un état d'agitation perpétuelle
ou même aggraver le danger ; en d'autres termes, il faut changer
l'atmosphère morale dans laquelle l'aliéné doit vivre. A l'époque
où Pinel inaugurait la réforme du traitement des aliénés, une réforme
analogue se préparait en Angleterre par la création d'une maison de santé
nommée « la Retraite d'York » qui, sous la direction de William Tuke,
devint le point de départ et le modèle de tous les asiles anglais.
Esquirol, 1772-1840, continua en France l'œuvre de Pinel ; dans son
mémoire de 1822, il recommande l'isolement pour tous les aliénés en remarquant
qu'on leur évite ainsi toutes sortes de souffrances et que l'on peut réaliser
un traitement qui serait impossible dans leur famille. C'est à cette
époque que se fondèrent en France de tous les côtés ces belles maisons
de santé dans de grands parcs qui ont conquis une juste célébrité.
Au début, ce traitement par l'isolement n'était
appliqué qu'aux aliénés proprement dits, quoique Briquet préconisait
déjà le changement de milieu dans le traitement de l'hystérie. Weir
Mitchell et Playfair en Amérique, Charcot en France, Burkart en Allemagne,
enseignèrent qu'il était utile de faire profiter d'autres malades des
bénéfices de ce traitement et l'appliquèrent à diverses
névroses, à l'hystérie, à la neurasthénie. Ainsi
s'organisèrent à ce moment dans les divers pays des maisons de
santé d'un autre genre, adaptées non plus aux aliénés proprement dits, mais
à ces demi-aliénés que l'on traitait sous le nom de névropathes.
Une variété assez curieuse de ce traitement de Charcot
fut organisée à la Salpêtrière par Déjerine, 1895, qui
imagina d'isoler encore mieux les malades en les séparant complètement
les uns des autres et en les forçant à rester indéfiniment immobiles
dans des lits entourés de rideaux baissés. En général, cependant, l'isolement
des malades dans les Sanatoriums n'est guère sévère : le
malade est simplement séparé de sa famille qu'il continue cependant à
voir de temps en temps, il fréquente plus ou moins les autres malades et les
personnes de la maison. Il s'agit surtout d'un changement de milieu et du
placement dans un milieu artificiel. Quoi qu'il en soit de ces différentes
formes, le traitement par l'isolement est appliqué de plus en plus aux
névropathes comme aux aliénés.
|