1. - Les
théories viscérales des névroses
et les traitements psychologiques indirects
Les troubles psychologiques sont des troubles de la
conduite et la conduite n'est pas autre chose que l'ensemble des réactions
externes de l'être vivant. Comment admettre que ces réactions externes
qui se passent dans les membres, dans la bouche, dans la langue, soient
complètement indépendantes des réactions internes qui se passent à
l'intérieur du même corps et dont l'étude constitue la physiologie ?
La bonne adaptation des réactions externes n'est-elle pas une partie de la vie
comme la bonne adaptation des réactions internes elle-mêmes ? Un
homme dont la conduite est dérangée est un homme qui ne vit ni correctement, ni
complètement: au fond, quoique les apparences soient quelquefois
contraires, il ne faut jamais cesser de considérer un aliéné comme un malade.
Je ne puis pas m'empêcher d'éprouver un étonnement quand je vois un
aliéné, délirant depuis l'âge de vingt ans, atteindre cependant un âge avancé
et présenter même dans la vieillesse les apparences de la santé. Il y a
là un problème complexe, embrouillé par nos ignorances sur la
longévité réelle des hommes, sur les causes qui abrègent la durée normale
de leur vie, sur l'appréciation de l'activité vitale et nous devons évidemment
nous tromper quand nous admirons la bonne santé apparente de ces aliénés.
Il semble vraisemblable que toutes les maladies
quelles qu'elles soient doivent avoir une influence sur la tension
psychologique puisque celle-ci doit dépendre du bon fonctionnement de
l'organisme tout entier et les anciens résumaient déjà cette croyance
dans l'aphorisme célèbre : Mens
sana in corpore sano. Bien souvent les médecins ont appliqué cet axiome
à l'étude des névro-psychoses en cherchant soigneusement dans
l'organisme des malades un trouble pathologique quelconque auquel on pût
rattacher les troubles apparents de la conduite. « Il faut pour guérir les
névroses, disait M. Lewellys Barker, tenir grand compte des processus locaux,
des maladies des oreilles, des yeux, des vices de réfraction, des maladies des
sinus, des maladies génito-urinaires, de la tuberculose, de l'artério-sclérose,
de la syphilis, de l'alcoolisme, des formes frustes de la maladie de Graves,
etc. » Le traitement de ces diverses affections, quand on est amené
à l'entreprendre par l'examen des troubles psychologiques, est une forme
indirecte sans doute mais très importante de la psychothérapie. Il y a
des maladies ou, si l'on préfère, des groupes de symptômes physiques qui
semblent avoir une importance particulière dans l'évolution de la
névrose et dont le traitement doit davantage préoccuper le
psycho-thérapeute : nous devons placer au premier rang les troubles
gastro-intestinaux.
Il est incontestable qu'un grand nombre de malades
atteints des diverses formes de la dépression mentale ont présenté ou
présentent en même temps des troubles de l'alimentation. Un certain
nombre de névropathes se nourrissent d'une manière insuffisante :
on les désignait presque toujours autrefois sous le nom d'anorexiques hystériques ;
aujourd'hui ce groupe fort confus s'est subdivisé et à côté des
véritables troubles hystériques on a distingué les diverses obsessions,
impulsions et délires relatifs à l'alimentation. En général il faut se
méfier dès le début des restrictions d'aliments faites par des
névropathes sous prétexte de régime ou sous prétexte de pratiques idéalistes.
Elles ne tardent pas à s'exagérer et à amener des restrictions et
des refus d'aliments de plus en plus graves. Plus fréquemment encore on observe
chez ces malades des excès d'alimentation. Nous avons bien plus souvent
affaire à des névropathes qui mangent trop qu'à des névropathes
qui mangent trop peu. Sans parler même des grands boulimiques que des
impulsions visiblement pathologiques poussent à manger toute la journée
des quantités énormes d'aliments, nous voyons sans cesse un grand nombre de ces
malades qui régulièrement absorbent à tous leurs repas des
quantités d'aliments évidemment supérieures à la moyenne et surtout
supérieures à la quantité qu'ils prenaient avant d'être malades.
Cette conduite fréquente est en rapport avec le sentiment perpétuel de
dépression et avec l'instinct qui nous pousse à rattacher la faiblesse
à la faim et à la traiter par la nourriture. Les malades qui
mangent trop sont en effet des malades inertes qui souffrent de sentiments
d'incomplétude, tandis que les anorexiques sont d'ordinaire des malades
remuants chez qui l'agitation dissimule la dépression et qui en raison de
l'agitation même éprouvent peu les sentiments d'incomplétude. On voit
souvent des sujets, suivant la phase de leur maladie, présenter successivement
les deux syndromes opposés.
La plupart de ces malades, surtout au début de leur maladie,
à la suite d'excès alimentaires ou même indépendamment de
ces désordres de l'alimentation présentent des troubles de la digestion
gastro-intestinale. On constate chez eux des douleurs, des brûlures
d'estomac, des régurgitations acides, des vomissements, des salivations
excessives qui atteignent quelquefois des proportions invraisemblables, ou bien
on observe de l'anorexie, du dégoût, des digestions lentes avec
flatuosités, gonflement, stagnation des aliments, dilatation de l'estomac,
clapotement, battements épigastriques, etc. Ces symptômes sont désignés
suivant les cas par les mots, d'hyperacidité, d'hyperchlorhydrie,
d'hypersthénie gastrique ou bien sous les noms d'insuffisance gastrique,
d'hyposthénie gastrique, de fermentations stomacales, de ptoses
gastro-intestinales, d'ailleurs ces divers symptômes se mêlent, se
succèdent, alternent les uns avec les autres. Ils amènent souvent
à leur suite des maladies graves de l'estomac.
Les troubles de la digestion stomacale, l'atonie de
l'intestin, les ptoses du colon transverse, les coudures en rapport avec la
ptose déterminent très souvent la constipation chronique. Dans une
centaine d'observations on constate des troubles de la digestion intestinale
qui sont bien connus depuis les travaux de Maurice de Langenhagen sous le nom d'entérite mucomembraneuse. Ces maladies
gastro-intestinales qui accompagnent si souvent les troubles de la dépression
mentale se développent dans les mêmes conditions que les troubles
mentaux après des fatigués et des émotions.
La guérison de ces accidents viscéraux accompagne
souvent la guérison complète de la névrose : beaucoup de nos
malades n'ont plus d'entérite comme ils n'ont plus d'obsessions. Pendant les
périodes de guérison momentanée que nous avons appelées des périodes
d'excitation, les fonctions de l'estomac et de l'intestin se rétablissent aussi
bien que celles de l'esprit.
Toutes ces observations faciles à multiplier
ont inspiré une théorie que l'on pourrait appeler la théorie gastro-intestinale des névroses. Même sans
considérer les cas extrêmes de délire de maigreur et de sitieirgie, on
peut admettre qu'une alimentation insuffisante n'est pas sans influence sur le
développement d'une maladie de faiblesse et d'hypotension. Inversement
plusieurs auteurs ont étudié les mauvais effets de cette suralimentation
très générale aujourd'hui, ils ont rattaché la neurasthénie à une
alimentation excessive et surtout à une alimentation trop carnée.
On admet communément que des intoxications d'origine
externe déterminent des troubles mentaux ; on a pu démontrer de même
depuis longtemps que des intoxications d'origine interne jouent un rôle
essentiel dans des psychoses particulières. Bien des auteurs suivant la
direction indiquée autrefois par Bouchard dans ses discussions contre Charcot
ont voulu étendre cette notion et considèrent la plupart des névroses
comme des conséquences de l'auto-intoxication en rapport avec des troubles
gastro-intestinaux.
Des conséquences thérapeutiques découlent de ces
conceptions. Régler l'alimentation est souvent le premier devoir de la
psychothérapie et il ne faut pas croire que ce soit facile, car il faut souvent
faire appel à toutes les influences morales pour obtenir que de tels
malades consentent à modifier pendant un certain temps leur alimentation
et surtout la quantité de leurs aliments. Faire suivre les régimes de
désintoxication et quelquefois imposer des jeûnes est un véritable
traitement psychothérapique. Il faut souvent dans les névroses appliquer tous
les traitements des maladies de l'estomac et de l'intestin à des malades
dont les symptômes principaux étaient en apparence des troubles psychologiques.
Les mêmes études ont été faites à propos
des fonctions circulatoires et ont donné des résultats d'un grand
intérêt. Les modifications de la vitesse du pouls sont bien connues chez
les névropathes, les accélérations sont peut-être plus fréquentes que les
ralentissements. Des modifications de la pression et surtout des modifications
des fonctions vaso-motrices sont très fréquemment observées en
même temps que des troubles psychologiques. Un grand nombre de ces
malades présentent à tout instant des rougeurs ou des pâleurs de
différentes régions de la peau et on peut constater en ces endroits des
changements notables de la température périphérique. Chez plusieurs malades
l'apparition de ces plaques et même une singulière disposition aux
ecchymoses annonce les mauvaises périodes morales. Ces congestions ou ces
anémies locales qui peuvent siéger sur différents organes peuvent déterminer
des troubles de diverses fonctions.
Le phénomène des règles chez les femmes
est à la fois en rapport avec la régulation de la circulation
périphérique et avec le fonctionnement des glandes à sécrétion interne.
Il est important de constater les troubles qu'il présente à peu
près régulièrement au cours des névroses. Il est rare de
rencontrer une femme atteinte sérieusement de névrose dépressive qui conserve
des règles absolument normales.
Tous ces troubles de la circulation peuvent être
résumées par l'expression dont se servait déjà M. Alquier : on
constate chez ces malades un ensemble de troubles vaso-moteurs avec instabilité
cardio-vasculaire. Il est même quelquefois possible de mettre ces
troubles en évidence par certaines vérifications : la recherche de la réaction
vaso-motrice après une pression sur la peau ou sur l'ongle, l'étude de
la rougeur diffuse qui suit une impression vive sur un point de la peau, la
constatation du dermographisme confirment l'importance de ce déséquilibre
vaso-moteur.
Aussi est-il naturel que ces observations aient donné
naissance à un second groupe de théories physiologiques des névroses. Le
Dr Savill en particulier, dans son livre « Clinical lectures on
neurasthenia », 1906, fait observer que de sérieuses modifications de
fonctions peuvent se présenter sans modification de la structure de l'organe
quand il y a insuffisance de la quantité de sang qui y coule et que cette quantité
est réglée par les vaso-moteurs. Dans les attaques de nerfs, dit-il, il est
probable qu'il y a anémie du cerveau en même temps que congestion de
J'aire splanchnique. La plupart des névroses dépendent de troubles
circulatoires de ce genre et peuvent être appelées justement névroses
vaso-motrices ou angio-névroses.
Les études sur les glandes à sécrétion interne
ont montré que des troubles psychologiques peuvent faire partie des symptômes
déterminés par les altérations de ces glandes. D'autre part beaucoup de
névropathes présentent des symptômes analogues à ceux qui sont observés
dans les troubles de ces sécrétions : des symptômes d'hypo ou
d'hyper-thyroïdisme accompagnent souvent les dépressions et les obsessions.
Les modifications si intéressantes des névroses au cours de la grossesse
peuvent être interprétées de la même manière par des
transformations dans les sécrétions ovariennes et thyroïdiennes.
Puisque les névroses nous paraissent être des
troubles dans l'évolution de l'individu, il est naturel de les rattacher
à des modifications d'organes qui ont précisément pour rôle de régler
l'évolution de l'organisme. MM. Léopold Lévy et de Rothschild qui ont
spécialement étudié le corps thyroïde considèrent le
neuro-arthritisme comme un déséquilibre thyroïdien. L'hérédité du
tempérament arthritique serait une hérédité thyroïdienne : « le
corps thyroïde peut être comparé à une source d'énergie
capable de mettre en mouvement le système nerveux, mais qui ne saurait
donner des qualités à ce moteur, » comme la névrose n'est pas une
défectuosité dans le moteur lui-même, mais qu'elle consiste surtout en
une diminution de tension dans l'activité du moteur, en une sorte
d'hypofonctionnement, elle semble d'après ces auteurs devoir être
considérée avant tout comme une insuffisance du corps thyroïde.
Ces dernières théories circulatoires et
glandulaires des névroses me paraissent fort importantes et il n'est pas
impossible que l'interprétation physiologique des névroses ne doive peu
à peu s'orienter dans cette direction.
Enfin les recherches récentes sur le fonctionnement du
sympathique indiquent de nouvelles directions d'étude : il n'est pas
difficile de rapprocher de nombreux symptômes névropathiques de ceux que l'on
observe tantôt chez les sujets considérés comme vagotoniques, tantôt chez les
sympathico-toniques.
Sans doute ces interprétations et les traitements qui
en dérivent sont le plus souvent déterminés par des études uniquement
physiologiques. Mais quand ils sont proposés à propos de symptômes
psychologiques et à propos des relations qui unissent les modifications
de la conduite avec tel ou tel état des viscères ils se trouvent bien
aux frontières de la psychothérapie.
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