2. - Les
traitements par le repos
Si les traitements médicamenteux précédents ne sont
qu'aux frontières de la psychothérapie et ne forment que des traitements
indirects des troubles psychologiques, le traitement par le repos qui sort
également des études physiologiques est au contraire une des médications les
plus importantes de la psychothérapie.
Un instinct fondamental apprend aux animaux et
à l'homme à supprimer certains troubles amenés par l'action en
faisant une autre action particulière celle de se reposer. De même
que la tendance à l'alimentation au début de son activation se présente
sous la forme de la faim, la tendance au repos, quand elle commence à
s'activer se présente comme de la fatigue et celle-ci ne tarde pas à
disparaître par le repos complet. Des études physiologiques et médicales ont
montré qu'un organe épuisé se restaure quand on arrête sa fonction et
qu'il y a grand profit à traiter certaines maladies par le repos le
plus complet possible de l'estomac ou du cœur.
Or bien des troubles névropathiques ressemblent
à ceux de la fatigue : les symptômes observés sont fort analogues
dans les deux cas. Les circonstances qui déterminent l'éclosion des névroses
sont très souvent des excès de travail et d'efforts, qu'il
s'agisse de travail physique ou de travail intellectuel. Sans doute beaucoup de
troubles névropathiques semblent déterminés par des émotions plutôt que par des
travaux excessifs. Mais l'analyse psychologique a montré qu'il y a également
dans l'émotion une dépense excessive des forces et que par bien des
caractères le phénomène de l'émotion n'est qu'une variété de la
fatigue. D'autre part enfin bien des névropathes traduisent les sentiments
qu'ils éprouvent en se déclarant épuisés de fatigue, en disant qu'ils sont nés
fatigués et que leur maladie n'a toujours été que de la fatigue. Pourquoi ne
pas les croire et ne pas leur appliquer le traitement naturel de la fatigue,
c'est-à-dire le repos.
Quelques médecins américains au milieu du
siècle dernier ont essayé de formuler la thérapeutique qui découle de
ces remarques. Samuel J. Jackson commença à organiser le traitement qui
fut repris et précisé par Weir Mitchell et par Playfar en 1875. Ce traitement
était en somme fort simple ; il consistait à mettre les malades
dans la situation où nous nous mettons d'ordinaire quand nous voulons
nous reposer : ils devaient rester couchés et garder le lit dans
l'immobilité la plus complète. Weir Michell leur interdisait même
autant que possible des mouvements élémentaires qui ont pour but
l'accomplissement des actes de la vie journalière, les repas et la
toilette. Tous les soins leur étaient donnés par des infirmiers qui les surveillaient
en leur parlant le moins possible. Ils devaient les faire manger comme des
enfants et leur donner les soins nécessaires à la propreté. Pour éviter
l'atrophie des muscles que pourrait déterminer une trop grande immobilité, les
malades étaient soumis à des massages quotidiens. En mêmes temps
que le repos physique Weir Mitchell prescrivait à ses malades la
suralimentation : son système n'était pas seulement une
« rest-cure » mais aussi une « mast-cure ». Le régime
imposé à ces malades, les repas nombreux et copieux, la quantité de lait
qu'ils absorbaient, tout cela nous étonne souvent un peu. Dans certains cas on
élevait le poids des malades de 25 à 35 kilos en six semaines. Enfin
pour pouvoir diriger mieux ces traitements on retirait le malade de son domicile
et on le plaçait dans un établissement spécialement organisé et sous la
surveillance immédiate du médecin.
Ce traitement a été rapidement célébré et popularisé
par divers écrivains qui avaient été frappés de son caractère
psychologique. Au milieu de notre vie active et inquiète, disait-on, il
est nécessaire de ménager une période de repos complet du corps et de l'esprit.
On en a vite conclu en Amérique que le meilleur moyen de guérir les névroses
était de se réfugier dans un sanatorium et d'appeler le Dr Diet et le Dr Quiet
(le Dr Régime et le Dr Repos). Des sanatoriums se sont fondés très vite
de tous les côtés pour mettre en pratique le traitement de Weir Mitchell et il
fut de mode de passer de temps en temps plusieurs mois à se reposer et
à se suralimenter afin de reprendre des forces pour la bataille de la
vie.
Ces idées ont pénétré plus lentement en Angleterre et
en France ; Charcot les a en partie adoptées et a contribué à les
répandre ; et peu à peu on construisit sur le continent des établissements
analogues à ceux qui réussissaient si bien aux États-Unis. Je ne crois
pas cependant que le traitement de Weir Mitchell y ait été souvent appliqué
dans toute sa rigueur.
Un peu plus tard un traitement analogue fut appliqué
aux troubles mentaux des aliénés. En 1897, Magnan compléta la réforme du
« no restraint: » et la suppression de l'isolement cellulaire par
l'application aux maladies mentales aiguës du traitement par le lit.
« L'alitement, dit M. Paul Sérieux dans son étude sur l'œuvre de
Magnan, donne des résultats indiscutables au point de vue de l'atténuation des
symptômes les plus pénibles, il écarte les complications physiques et
psychiques... Il a surtout un résultat dont l'importance était pour Magnan
capitale, il s'agit de la transformation complète que cette méthode
apporte à la physionomie de l'asile d'aliénés, la garderie d'aliénés
disparaît pour faire place au véritable hôpital destiné au traitement des
maladies mentales. »
Il me semble que l'on peut justement rattacher aux
traitements de Weir Mitchell une thérapeutique curieuse qui est restée peu
connue, celle qui utilise les sommeils hypnotiques prolongés. Depuis longtemps
les magnétiseurs avaient observé que le sommeil hypnotique, quand il est
prolongé quelque temps, est à lui seul calmant et réparateur. Je me suis
intéressé moi-même autrefois à ces hypnoses prolongées : j'ai
raconté en 1889 comment une paraplégie hystérique déjà ancienne qui
résistait aux autres traitements a disparu après un sommeil hypnotique
prolongé pendant quatre jours, et en 1896, à propos du traitement de
l'hystérie j'ai publié le résultat de quelques expériences intéressantes sur
ce procédé.
Mais c'est le Dr Wetterstrand (de Stockholm) qui en
1892 a tiré de ces anciennes observations un traitement systématique : il
plongeait ses malades dans un état hypnotique qui lui permettait de leur
suggérer le repos et le sommeil, puis il les laissait longtemps, souvent plus
de trois semaines, dans cet état de sommeil. Les résultats de ces traitements
auraient été souvent des plus brillants : des attaques, des contractures,
des délires et même, dit-il, de grands accès épileptiques auraient
disparu définitivement. Malgré ces publications très peu d'auteurs se
sont intéressés à cette question et ce genre de traitement ne semble pas
s'être développé.
Il suffit de constater que l'époque n'était
guère favorable à cette étude, la mode médicale avait
tourné : les médecins étaient dégoûtés de lhystérie, de
l'hypnotisme et de la suggestion parce qu'on leur avait prouvé qu'il fallait un
peu étudier la psychologie pour les comprendre et ils préféraient rejeter en
bloc tout ce qui concernait ces problèmes : les traitements par le
sommeil prolongé passèrent inaperçus.
Parmi les travaux plus récents l'œuvré la plus
intéressante qui se rattache directement à l'enseignement de Weir
Mitchell est celle de M.A. Deschamps, « les maladies de l'énergie,
thérapeutique générale ». C'est là un ouvrage très curieux
au point de vue pratique, qui nous permet par ses exagérations mêmes de
mieux comprendre la thérapeutique des névroses par le repos.
Cet auteur applique sans hésiter à tout un
groupe de malades l'interprétation que quelques-uns d'entre eux nous proposent
eux-mêmes de leur état. Ce sont des surmenés, des fatigués
constitutionnellement : le symptôme clinique essentiel est la
fatigabilité, disposition à subir promptement les effets nocifs
subjectifs et objectifs de la fatigue. Tout sujet qui ne repose pas de sa
fatigue après un temps normal et par les moyens ordinaires, nourriture
et repos nocturne, est un fatigable. L'épuisement apparaît chez ces malades
très vite après le début du travail et disparaît très
lentement non par des heures mais par des semaines de repos. Ce symptôme
fondamental n'est pas un simple fait psychologique, il est en rapport avec un
grand nombre de troubles physiologiques : tous les symptômes quels qu'ils
soient dépendent de l'asthénie primitive du système nerveux central
manifestée par l'extrême fatigabilité. Cet épuisement dépend d'un trouble
dans la production de la force nerveuse qui n'est pas produite en quantité
suffisante, ni surtout au degré de tension suffisant.
Les conclusions thérapeutiques qui découlent de cette
théorie peuvent se résumer en un mot, le repos, toujours le repos. « Rien
ne vaut le repos, c'est l'art de ménager ses forces, c'est l'art de la
vie. » L'homme levé et habillé ne peut mesurer ses mouvements et les
circonstances l'obligent à faire plus qu'il ne voudrait, seul le lit
l'oblige à se tenir coi. Il faut prendre les mêmes précautions
pour le repos cérébral car la lecture fatigue autant que la marche. Plus tard,
bien plus tard, le malade pourra se permettre quelques minutes de marche :
« Si l'on peut faire deux minutes de marche, on fera deux minutes de
marche par jour et on n'augmentera pas tant que le capital ne sera pas
meilleur. L'asthénique possède à un moment donné un certain
capital de forces. Ce capital est stable pour l'instant et donne toujours la
même somme de revenu-travail au-delà de laquelle c'est la
faillite. A mesure que les asthéniques s'améliorent, le temps de dépense
possible augmente et le temps de repos diminue. Mais il n'ira jamais bien loin,
car on ne refait pas un système nerveux. »
Il me semble qu'il est impossible de pousser plus loin
l'interprétation de la maladie nerveuse par la fatigue et le traitement par le
repos. Le livre de M. Deschamps me paraît aujourd'hui une excellente expression
de l'ancienne conception de Weir Mitchell.
La thérapeutique par le repos est certainement l'une
des plus importantes méthodes de traitement, elle vient compléter l'ensemble
des pratiques que l'on peut jusqu'à présent ranger dans la
psychothérapie. Ces méthodes de traitement appliquées à diverses
maladies ont essayé d'utiliser les influences morales les plus connues. Elles sont
sorties peu à peu des pratiques religieuses et magiques qui cherchaient
à obtenir des guérisons miraculeuses. Elles ont été transformées par
l'influence des théories du magnétisme animal, des croyances religieuses et des
connaissances scientifiques. Après avoir vu leurs principales sources
historiques il nous faut étudier les principes sur lesquels ces diverses
méthodes reposent afin de pouvoir apprécier leur véritable valeur.
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