La médecine psychologique

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1. - L'insuffisance des observations

Considérons d'abord les plus primitifs et les plus simples de ces traitements, les traitements miraculeux qui existent encore de nos jours. L'enthousiasme populaire n'est pas pour le médecin une preuve suffisante de la valeur d'un traitement et celui-ci désire contrôler avec plus de précision les résultats obtenus, or cela est fort difficile. La difficulté principale de l'étude des miracles ne consiste pas dans l'interprétation, elle consiste dans la constatation des faits. Comment savoir exactement ce qui s'est passé ?

La connaissance que nous avons de ces faits nous vient uniquement du témoi­gna­ge et l'on sait combien le témoignage des hommes est une source de renseignement défectueuse. « C'est surtout quand il s'agit d'événements religieux ou politiques, disait M. Le Bon, que les déformations des témoignages sont dangereux. Pendant des siècles des milliers d'individus ont vu le Diable et si le témoignage unanime de tant d'observateurs pouvait être considéré comme prouvant quelque chose, on pourrait dire que le Diable est le personnage dont l'existence est le mieux démontrée... En matière de témoignage c'est la bonne foi des individus qui est dangereuse et non leur mauvaise foi. »

On m'a dit souvent : « Pourquoi ne faites-vous pas vous-même cette critique, pourquoi ne vérifiez-vous pas vous-même les observations miraculeuses de Lourdes dont la lecture vous a paru intéressante ? » On ne se figure pas le temps et le travail qu'il faudrait dépenser pour écarter les supercheries, pour calmer les susceptibilités, pour contrôler un à un les témoignages, quelles haines et quelles rancunes il faudrait affronter pour arriver à se faire une idée juste des motifs qui ont déterminé les prétendus certificats : ce serait une œuvre énorme pour un résultat bien minime. On comprend que beaucoup d'observateurs consciencieux se dégoûtent d'un pareil travail et se bornent à la conclusion de Dubois (de Berne) : « Dans ces pèlerinages il y a un état mental spécial du bureau des constatations, Lourdes n'est pas loin de Tarascon... On en revient avec un sentiment pénible, écœurant de superstition ».

A propos de la « Christian science » les matériaux d'étude ne manquent pas, on est véritablement submergé par un déluge d'observations de guérisons merveilleuses, il y a là de quoi satisfaire les plus difficiles, pourquoi ne sommes-nous pas convain­cus ? C'est parce que ces observations sont rédigées d'une manière inquiétante et ne contiennent rien de ce qui pourrait nous rassurer sur leur exactitude. Il s'agit toujours de pauvres malheureux qui depuis des années souffrent de tout leur corps, qui ont perdu tous les sens, dont tous les organes intérieurs sont déplacés et qui guérissent admirablement, parce que tout se remet en place. « Pour discuter des cas semblables, dit très bien un auteur anglais, il suffit de rappeler l'histoire de Mary Jolly qu'on lisait à la quatrième page des journaux : cette pauvre fille après avoir souffert le martyre pendant trente ans à la suite de la décomposition de ses sangs tournés a été guérie subitement quand elle eut mangé une excellente soupe à la Révalescière arabique ». Il s'agit là de diagnostics populaires que le malade fait lui-même d'après ses propres sensations et qu'il dicte à son guérisseur. Celui-ci admet d'autant mieux le diagnostic qu'il s'agit d'une maladie plus terrible dont la guérison lui fera plus d'honneur et le lecteur ne sait plus du tout ce que les mots employés signifient.

Ajoutez, comme l'ont montré bien des auteurs, que ces observations sont remplies de contradictions, que les médecins et les malades eux-mêmes ont bien souvent protesté contre la publication de guérisons fausses, que l'on a publié des cas où des malades déclarent avoir été traités pendant neuf ans sans parvenir à une amélioration malgré leur foi ardente et l'on comprendra qu'il est bien difficile de se faire une opinion raisonnée sur la « Christian science » avec les innombrables observations qu'elle a publiées.

La méthode de traitement des malades par la moralisation donne-t-elle beaucoup de bons résultats? voilà la seule question importante pour le médecin. Cette question semble au premier abord assez facile à résoudre. Les faits se passent au grand jour, les diagnostics médicaux ne sont plus aussi rudimentaires que dans la « Christian science ». Plusieurs auteurs publient même des statistiques qui semblent très instruc­tives.

Malheureusement cela n'est pas tout à fait exact et actuellement il ne me semble pas possible, ni de dresser des statistiques, ni de tenir le moindre compte des statistiques qui ont été publiées. Ni le nombre total des malades qui ont été traités, ni le nombre des guérisons obtenues n'ont aucune signification réelle. Le nombre total des malades n'aurait d'intérêt que si l'on comprenait dans ce nombre tous les malades qui se présentent, pourvu qu'ils appartiennent réellement à un groupe nosologique scientifiquement déterminé et qu'ils ne soient pas arbitrairement choisis. Or il s'agit là de malades atteints de psycho-névrose, c'est-à-dire de maladies dont la définition précise n'a pas été donnée.

Ces auteurs considèrent leurs malades comme des névropathes parce que dans leur maladie les faits psychologiques jouent un rôle considérable. Cette réponse ne précise rien : l'homme étant un être pensant, des phénomènes psychologiques inter­viennent à peu près dans toutes les maladies, quand ce ne serait que sous la forme de douleur, d'inquiétudes, de désespoirs : j'ai déjà essayé de montrer que la définition des névroses par l'intervention des phénomènes psychologiques était tout à fait sans valeur [9].

En réalité les moralisateurs se servent très peu de la définition précédente et ils définissent le plus souvent leurs malades par deux caractères qui sont uniquement négatifs. Pour eux les névropathes : 1° n'ont pas de lésions et 2' ne sont pas aliénés. Outre les inconvénients ordinaires des définitions purement négatives, celle-ci repose sur deux conceptions vagues et même inintelligibles. Comme je l'ai déjà expliqué plusieurs fois, je renonce à comprendre ce qu'on entend quand on parle de maladies sans lésions. D'autre part cette séparation radicale du névropathe et de l'aliéné qui est très fréquente même dans la pensée des médecins n'est pas scientifiquement admis­sible.

On pourrait d'abord s'étonner de voir refuser les bénéfices de la psychothérapie à ceux qui en ont le plus besoin et chez qui une méthode de traitement déterminée par des considérations psychologiques est le plus à sa place. Mais à mon avis il y a une considération plus importante qui domine tout le débat, c'est l'interprétation correcte du mot « aliéné ». Ce mot « aliéné » n'est pas un terme de la langue médicale ni même de la langue scientifique, c'est un terme du langage populaire ou mieux du langage de la police. Un aliéné est un individu qui est dangereux pour les autres ou pour lui-même sans être légalement responsable du danger qu'il crée. Cette définition ne porte pas sur les caractères intrinsèques de la maladie, mais sur un caractère extrinsèque et accidentel dépendant de la situation dans laquelle se trouve le malade. Il est impossible de dire que tel ou tel trouble défini par la médecine laisse toujours le malade inoffensif, et que tel autre le rend toujours légalement dangereux. Le danger créé par un malade dépend beaucoup plus des circonstances sociales dans lesquelles il est placé que de la nature de ses troubles psychologiques. Cette distinction entre l'aliéné et le non aliéné, nécessaire pour l'ordre des villes, ne change en réalité ni le diagnostic, ni le pronostic. La conception des psycho-névroses basée uniquement sur ces deux caractères reste donc des plus vagues et les malades auxquels on applique les traitements moralisateurs sont donc choisis à peu près arbitrairement.

Hélas ! au risque de passer pour bien sceptique, je dois dire qu'à mon avis il faut se défier des guérisons elles-mêmes. Beaucoup de ces malades se disent guéris pour ne plus avoir à payer la maison de santé qui est chère, pour reconquérir leur liberté et ne plus s'ennuyer derrière leurs rideaux, pour se débarrasser du médecin, ou pour lui faire plaisir ou tout simplement parce qu'ils désirent tant être guéris qu'ils finissent par le croire. « Cela importe peu, dira M. Dubois, car un névropathe qui se croit guéri est un névropathe guéri, puisque la névrose n'est que l'idée de la maladie. » Ce sont là des mots que l'on aime à répéter : il y a en réalité des névropathes qui se croient guéris et qui ne le sont pas. Ajoutons que la constatation de la guérison de tels malades ne peut jamais se faire rapidement et qu'il faut attendre un temps assez long, variable selon les cas, pour être à l'abri des oscillations fréquentes chez ces sujets et pour ne pas être exposé à une rechute qui n'est en réalité qu'une évolution de la maladie. Défiez-vous aussi des malades qui guérissent réellement, mais qui guéris­sent tout à fait indépendamment de votre traitement moralisateur, simplement parce qu'ils devraient guérir tout seuls dans un temps donné. On exagère beaucoup aujour­d'hui le concept de la psychose dite maniaque-dépressive et on l'applique à tort et à travers; mais il n'en est pas moins vrai que certaines dépressions causées par une fatigue ou une émotion semblent devoir durer un temps déterminé et qu'elles guéris­sent fatalement au bout de ce temps. Heureux le médecin qui a été consulté peu de temps avant la fin de la crise ! Mais que l'on ne fasse pas trop état de ces cas dans les statistiques favorables à un traitement. En un mot les guérisons sont difficiles à constater, parce qu'on ne les a pas mieux définies que la maladie elle-même : chaque auteur les interprète à sa façon et les compte plus ou moins nombreuses selon qu'il est lui-même plus ou moins modeste. Dans ces conditions, pouvons-nous tirer un enseignement bien précis de toutes ces statistiques ?

Nous avons pris la « Christian science » et la moralisation médicale comme exemples, mais dans les autres thérapeutiques du même genre nous aurions rencontré des difficultés analogues. Il y a malheureusement dans ces psychothérapies trop géné­rales et trop vagues un état d'enthousiasme, une disposition au prosélytisme et, il faut bien le dire, à la réclame qui altère le sens critique des observateurs. Il semble proba­ble que c'est là une des raisons principales qui a provoqué la défiance contre les traitements médicaux présentés de cette manière.

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