3. - Le
fonctionnement automatique
des tendances
Cette conception de la suggestion et de l'hypnotisme
suppose plusieurs notions psychologiques importantes que les études des
magnétiseurs et des hypnotiseurs ont contribué à préciser. Pour qu'une
suggestion soit capable de déterminer une action, pour qu'une certaine pratique
puisse reproduire un somnambulisme, il faut, comme on vient de le voir, que le
sujet possède en lui une disposition à accomplir cette action que
l'on peut appeler une tendance. La notion de tendance sortie peu à peu
des anciennes études sur les instincts, les habitudes, les caractères,
les facultés, précisée par les observations sur les actions réflexes a pris une
grande importance dans les travaux de Ribot : elle joue aujourd'hui un
rôle considérable dans l'interprétation des phénomènes psychologiques.
La tendance est une disposition de l'organisme à produire une série de
mouvements particuliers dans un ordre déterminé à la suite d'une
certaine stimulation sur un point de la périphérie du corps. Un pincement sur
la peau du bras détermine le retrait du bras, le contact du bol alimentaire sur
le pharynx détermine la déglutition : ce sont là des tendances
élémentaires ; dans les actes plus élevés interviennent des tendances
beaucoup plus complexes mais qui restent soumises aux mêmes lois
générales.
Un certain nombre de ces tendances sont primitives et
sont inscrites dans l'organisme dès la naissance, beaucoup d'autres sont
acquises au cours de la vie, car l'exécution de toute action laisse
après elle une disposition à la reproduire, c'est-à-dire
une nouvelle tendance. Notre conduite est le résultat du fonctionnement
compliqué d'une multitude de tendances qui se construisent et se modifient
constamment.
Non seulement les tendances présentent une disposition
à effectuer une série de mouvements dans un ordre déterminé, mais encore
elles doivent posséder une force capable de produire cette série de mouvements.
Chaque tendance semble être un réservoir d'une certaine quantité de force
en rapport avec la complexité et l'importance de l'acte qu'elle détermine.
Quelques psychologues comme M. Mac Dougall ont soutenu que seules les tendances
fondamentales et primitives renferment une charge de forces. Voici bien des
années que j'accumule les observations pour montrer que toute tendance
même la plus tardive et la plus petite possède une certaine charge
sans laquelle on ne pourrait comprendre ni les suggestions de fonctionnement,
ni les agitations par arrêt de cette tendance. Sans doute cette charge a
pu être acquise au moment de la formation de la tendance secondaire en
empruntant de la force aux tendances plus primitives, mais, la tendance
nouvelle une fois constituée, cette charge lui reste attribuée d'une
manière permanente.
Lorsque la tendance a été éveillée par une stimulation
appropriée, son activation peut se faire par degrés qui donnent naissance
à différents phénomènes psychologiques. C'est ainsi
qu'apparaissent l'érection des tendances avec l'attention et l'intérêt,
le désir dont les formes sont si variées, l'effort, la consommation, le
triomphe, origine de la joie. Ces différents degrés n'apparaissent avec précision
que dans l'activation des tendances supérieures. La complication et la
perfection de ces degrés d'activation dépendent de l'élévation de la tendance.
Pour ne prendre qu'un exemple, le fonctionnement peut être explosif dans
les tendances placées au bas de cette hiérarchie psychologique qui constituent
les réflexes, il peut être suspensif dans des tendances un peu plus
élevées qui après l'éveil peuvent se décharger en plusieurs temps et
arrêter leur activation une ou plusieurs fois à différents
stades ; l'inhibition des tendances les unes par les autres et surtout
leur association, leur collaboration présentent également des degrés variés de
perfectionnement suivant les degrés de cette hiérarchie.
Ces divers degrés de perfectionnement se présentent
d'abord chez divers individus suivant leur évolution plus ou moins
avancée ; mais ils se présentent aussi chez le même individu suivant
le moment où on le considère. Les divers degrés de la tension
psychologique correspondent aux diverses formes d'activation que peuvent
prendre les tendances. L'activation d'une tendance après délibération
réfléchie est un des stades les plus élevés du fonctionnement, tandis que
l'activation après assentiment immédiat sans réflexion constitue un
degré inférieur au précédent.
La provocation d'une impulsion qui constitue
l'essentiel de la suggestion n'est en somme pas autre chose que l'activation
d'une tendance sous une forme inférieure, avec un degré moindre de perfection
à la place d'une activation de forme plus élevée. La reproduction d'une
crise d'hystérie, d'un somnambulisme, de l'attitude que l'imagination
populaire prête aux somnambules est également un phénomène du
même genre. Si d'une manière générale nous appelons automatique
l'activation d'une tendance inférieure qui échappe au contrôle des tendances
supérieures et surtout la provocation d'un assentiment immédiat à la
place d'un assentiment réfléchi on peut dire que l'essentiel de ces traitements
est la provocation d'actions automatiques à la place des actions
supérieures et réfléchies. Ce caractère de la suggestion se retrouve
dans beaucoup de méthodes thérapeutiques où il se combine avec d'autres
éléments. Il intervient dans les éducations, dans les aesthésiogénies, dans les
directions morales. Les travaux sur la suggestion ont joué un rôle dans la
découverte de lois psychologiques importantes et en outre ils ont commencé une
application précise de ces lois psychologiques au traitement des malades.
|