3. - Les trois
principes de l'excitation
Nous avons étudié précédemment la dépense amenée par
une action, il nous faut comprendre maintenant le bénéfice qu'elle peut
rapporter. Dans l'étude plus complète que j'ai faite sur ce sujet j'ai
montré que certains actes sont utiles par la liquidation et la décharge qu'ils
déterminent, que d'autres permettent l'organisation de tendances avantageuses
et économiques dans l'avenir. Mais le bénéfice immédiat qui apparaît dans
l'excitation dépend d'un autre mécanisme.
Nous pourrions désigner le premier principe de
l'excitation sous le nom de principe de
la mobilisation des forces [25]et placer cette conception sous le patronage de William James parce
qu'elle est inspirée par son livre plein d'aperçus intéressants. « The
energies of man ». Non seulement l'homme normal, mais même le malade
le plus déprimé est capable de déployer sous la pression d'événements graves
une activité tout à fait inattendue et très disproportionnée avec
la minime quantité de forces dont il paraissait disposer l'instant précédent.
Cela montre que l'homme n'a pas constamment à sa disposition toutes les
forces qu'il possède et qu'il garde en réserve quelque part une grande
quantité de forces. La grandeur de ces réserves doit être variable :
il est probable que certains ne gardent pas assez de forces en réserve et que
d'autres en gardent trop ; mais tous en conservent une quantité beaucoup
plus grande qu'on ne le croirait d'après leur conduite ordinaire.
Où sont placées ces réserves ? On ne peut répondre au point de vue
anatomique, car on sait fort peu de chose sur l'origine des forces dépensées
dans l'action. Au point de vue psychologique on peut dire que les réserves sont
placées dans les tendances latentes, qui sont prêtes à fonctionner
avec une force déterminée au moment de la stimulation.
Une tendance n'est pas seulement une disposition
à produire une série de mouvements déterminés à propos d'une
stimulation déterminée. C'est encore une réserve d'une quantité déterminée de
force capable de produire dans de bonnes conditions cette série de mouvements.
Au moment où une tendance est formée, il ne faut pas seulement organiser
la série des mouvements, il faut encore déposer en réserve la quantité de force
qui constitue la dotation de la tendance. C'est là une des raisons de la
difficulté et de la dépense que présente l'organisation d'une tendance
nouvelle. La grandeur de cette dotation est variable suivant la tendance
considérée : elle semble évidemment être beaucoup plus considérable
pour les tendances primitives et fondamentales et beaucoup plus réduite pour
les tendances supérieures et récemment formées. La douleur, tendance à
l'écartement, la peur, tendance à la fuite, la colère, tendance
à l'attaque, la tendance à l'alimentation, la tendance sexuelle
ont évidemment une forte charge. Au contraire, les tendances rationnelles et
morales ont reçu malheureusement une très petite dotation.
L'activité actuelle d'un individu, la quantité de
force dont il peut disposer dans son action ne dépend pas de l'énergie totale
déposée dans ses réserves, mais de l'énergie actuellement disponible, de celle
qui est actuellement mobilisée suivant la tendance qui est éveillée. Les
réserves de notre instinct vital, ou de notre instinct sexuel ne bougent pas
quand nous nous efforçons de faire attention à un raisonnement mathématique,
et nous pouvons nous montrer à ce moment très pauvres tout en
étant riches par ailleurs. On pourrait encore à ce propos reprendre
notre comparaison : le travail d'une entreprise industrielle ne dépend pas
uniquement de son capital total, mais de son capital circulant, de son fond de
roulement. Cette entreprise peut avoir de grandes richesses en réserves
immobilisées dans des bâtiments, des machines, dans des placements financiers,
dans des créances difficiles à recouvrer, et elle ne peut disposer
à un moment donné que de peu d'argent liquide ; elle peut
même pendant de longues périodes se trouver gênée, obligée de se
restreindre et incapable de faire les grandes dépenses qui seraient utiles. Il
se peut et c'est l'idée qu'exprime W. James que l'esprit des névropathes soit
souvent dans la même situation : qu'il ait en réserve des richesses
considérables mais difficiles à atteindre et qu'il se trouve
actuellement réduit à une quantité d'énergie disponible insuffisante,
tout en ayant des énergies considérables en réserve immobilisées.
Dans des cas de ce genre il est très important
que les réserves puissent être mobilisées et un événement grave qui les
force à sortir de leur cachette peut rendre les plus grands services.
Dans l'usine, un accident comme un incendie ou un déplacement nécessaire peut
forcer à faire appel aux assurances, à ouvrir des caisses
spéciales, à rappeler des créances. Il est bien probable que les
réserves d'argent ainsi mobilisées dépasseront les besoins immédiats dépendant
de l'accident lui-même.
L'argent ainsi mis au jour ne servira pas uniquement
à réparer les effets de l'accident, il circulera dans tous les services
et ramènera partout la prospérité. Le sentiment d'un grand danger, ce
qu'on appelle une grosse émotion, peut avoir le même effet sur
l'esprit : il nous force à faire des actes énergiques qui ne
peuvent se produire sans faire appel au capital de réserve, qui mobilisent de
grandes forces. Par suite de ce chargement dans la répartition des forces toute
l'activité se trouve immédiatement transformée.
Cet appel aux réserves aura d'autant plus de succès
qu'il s'adressera à des tendances plus riches, plus fortement chargées,
et comme on l'a vu, plus élémentaires. Les malades remarquent eux-mêmes
qu'une petite contrariété les trouble et les épuise beaucoup, tandis qu'un gros
malheur leur rend toute leur énergie. C'est que la petite contrariété n'éveille
que des tendances supérieures à la résignation ou à la réflexion
et que le grand malheur vient réveiller des tendances profondes, à la
défense de l'honneur social, à la conservation de la famille, de la
fortune, de la vie. La mobilisation était petite et insuffisante dans le
premier cas, elle est énorme et surabondante dans le second.
On peut expliquer de la même manière
l'action des substances enivrantes. L'introduction d'un poison dans
l'organisme éveille l'instinct vital, met toutes les fonctions en garde et
détermine comme le début d'une guerre une mobilisation de toutes les forces de
l'organisme. Cela relève toute l'activité et si en réalité la dose de
poison n'est pas très grande, cela détermine une surabondance de forces,
plus ou moins bien utilisée suivant les cas. Mais, si l'ingestion du poison
continue à doses croissantes, si la guerre se prolonge pendant trop
longtemps, les réserves de l'organisme s'épuisent, l'intoxication et l'ennemi
s'installent et la dépression devient telle que rien ne peut plus la supprimer.
Souvent en effet l'augmentation des 'forces à
la suite d'une mobilisation de ce genre n'est que momentanée et elle est suivie
d'un épuisement plus considérable, c'est ce que l'on observe communément chez
les asthéniques qui, dans un danger, se haussent au-dessus d'eux-mêmes et
qui retombent ensuite fort bas pendant longtemps. Je ne crois pas cependant
qu'il en soit toujours ainsi ; j'ai rapporté beaucoup d'observations dans
lesquelles ce relèvement des forces n'était pas suivi par un épuisement
et déterminait une modification permanente. Le fait est certain, même
s'il ne peut guère être expliqué. L'organisme semble construit de
telle manière que certains réservoirs de forces doivent toujours
être remplis. Nous avons des tendances qui doivent normalement rester
chargées pour notre défense. L'instinct maternel, l'instinct vital, même
quand ils viennent de fonctionner, se rechargent immédiatement pour être
rapidement prêts à faire face à un nouveau danger.
L'organisme est donc obligé de fournir rapidement des forces nouvelles pour
combler le vide fait dans ses réserves. La dépense des réserves amène
probablement une excitation de toutes les fonctions et, si elle n'est pas trop
répétée, elle peut déterminer un fonctionnement vital plus intense qui fait
disparaître l'état d'asthénie. C'est pourquoi cette mobilisation des réserves,
qui présente évidemment des dangers, a quelquefois des effets avantageux et
durables.
Cependant cette conception de la mobilisation des
forces mises en réserve dans les tendances inférieures ne suffit pas pour
résoudre le problème de l'excitation, il est nécessaire de lui ajouter
le second principe de l'équilibre
psychologique.
Chez un malade déprimé l'augmentation des forces ne
suffit pas toujours pour rétablir l'activité normale. Quand cette affluence de
forces se produit seule, on observe un autre phénomène, celui de
l'agitation, on constate les troubles que nous venons de voir dans l'ivresse,
une surabondance de conduites inférieures, exagérées et inutiles sans
organisation, ni perfection. Il n'est pas toujours exact que les névropathes
et les aliénés fassent immédiatement des progrès moraux quand ils ont
été reposés et fortifiés, Moreau (de Tours) remarquait déjà autrefois
que certains malades ont des délires furieux après une bonne nuit de
sommeil et qu'ils restent calmes s'ils n'ont pas dormi. J'ai eu l'occasion dans
mon dernier livre sur « Les médications psychologiques » de décrire
bien des cas de ce genre [26]. Au cours de certains traitements reconstituants par des toniques
divers on observe une augmentation de poids, une amélioration visible des
forces qui permettent des actions plus puissantes, plus longues, plus rapides
et en même temps une augmentation des souffrances, des obsessions, des
délires.
Le phénomène inverse est encore plus
intéressant : il s'agit de l'amélioration apparente de la névrose par les
affaiblissements profonds de l'organisme qui diminuent les forces. La
dernière observation que je viens de recueillir peut être considérée
comme le type d'un grand nombre d'autres. Un jeune homme de 35 ans était depuis
plusieurs mois en pleine crise, incapable de toute action, tourmenté par les
doutes, les sentiments de déchéance et de honte, et surtout par l'obsession de
la mort et l'obsession de la folie, en un mot il était dans une grande
agitation anxieuse. Il est atteint d'une angine non diphtérique mais cependant
très grave avec abcès du pharynx, température de 39 et 41 pendant
plusieurs jours, suppression à peu près complète de
l'alimentation et il doit supporter fréquemment des petites opérations
très douloureuses. Pendant ces semaines et pendant les suivantes il est
extrêmement affaibli et peut à peine se tenir debout, mais il
présente en même temps un changement radical et merveilleux. Il n'a
aucune, anxiété et, quoiqu'il ait été réellement en danger, il ne pense ni
à la mort, ni à la folie ; il accepte les traitements avec
la plus grande confiance sans émettre aucun doute, il supporte courageusement
les petites opérations très pénibles : « ces souffrances
physiques, dit-il, ne sont rien à côté de mes anciennes souffrances
morales », il prend facilement des résolutions importantes, en un mot tous
les symptômes de la névrose semblent disparus. Les troubles psychologiques ne
réapparaissent que trois semaines après la guérison de la gorge au
moment où le malade semble reprendre ses forces.
On observe des faits analogues chez beaucoup de
malades : une grippe, une fièvre typhoïde, un érysipèle
déterminent une sédation étonnante des troubles nerveux. On connaît beaucoup
d'observations de mélancoliques momentanément guéris par une fièvre
typhoïde, d'obsédés anxieux tout à fait calmés par des maladies
fébriles, d'épileptiques même très nombreux qui n'ont plus aucun
accès pendant une pneumonie, ni pendant la convalescence. Après
avoir constaté des faits de ce genre dans une de mes anciennes observations,
j'avais supposé que dans quelques cas l'amélioration était due à la fièvre,
à une excitation en rapport avec l'intoxication [27]. Cette explication ne convient pas à tous les cas, car
l'amélioration est manifeste dans la période de convalescence quand les
malades n'ont plus de fièvre et ne sont plus intoxiqués, mais quand ils
sont encore affaiblis. Dans tous ces cas l'affaiblissement semble être
une condition de l'amélioration morale [28].
C'est là ce qui explique le phénomène si
curieux de la décharge bien des troubles nerveux, les crises convulsives, les
crises de pleurs, les grandes agitations semblent être de grandes
dépenses de forces. Comment se fait-il que souvent, à la suite de ces
phénomènes critiques, on observe une certaine amélioration au moins
apparente ? Combien de fois ne voit-on pas des malades agités, anxieux, plus
ou moins délirants qui tombent dans des crises convulsives, qui hurlent et se
débattent pendant des heures, puis qui se relèvent sans doute avec une
certaine fatigue, mais avec un sentiment de calme délicieux, plus heureux et
en réalité plus normaux qu'avant la crise. Bien des femmes à la suite
d'une émotion, d'un tracas quelconque sentent qu'elles ont besoin de remuer, de
crier, de faire un exercice violent et déclarent qu'elles se porteraient bien
mieux si elle pouvaient casser quelque chose. Elles n'ont pas absolument tort, car
des exercices violents, qu'ils soient ou non recherchés volontairement, peuvent
avoir des résultats identiques à ceux de l'attaque et dans plusieurs
observations des malades savent calmer leurs doutes et leurs angoisses par
quelque grande dépense de forces.
Quelques auteurs en petit nombre, comme Ch. Féré, se
sont déjà préoccupés de ces faits et ont essayé de leur donner une
explication physiologique en disant que le système nerveux ne peut
supporter une grande tension et qu'il se décharge aussitôt que cette tension
monte. Il me semble inutile et dangereux de traduire immédiatement ces faits
psychologiques en un langage physiologique actuellement tout à fait
arbitraire et j'ai essayé moi-même depuis bien des années de donner
à ces faits une expression psychologique correcte en prenant pour point
de départ des définitions nettes de la tension et de la force psychologiques,
c'est ce qui m'a conduit à mes longues études sur la hiérarchie des
tendances et sur les degrés d'activation.
La force psychologique, c'est-à-dire la
puissance, le nombre, la durée des mouvements ne doit pas être confondue
avec la tension psychologique caractérisée par le degré d'activation et le
degré hiérarchique des actes. Il est probable que dans la conduite normale,
chez des individus bien équilibrés une certaine relation doit être
maintenue entre la force disponible et la tension et qu'il n'est pas bon de
conserver une grande force quand la tension a baissé, il en résulte de
J'agitation et du désordre. Une comparaison permet d'illustrer cette loi peu
connue : des individus qui n'ont pas l'habitude de l'ordre et de
l'économie ne savent pas se conduire et font des actes dangereux s'ils ont
entre les mains tout d'un coup une grosse somme d'argent. « Si je me suis
abominablement enivrée, me dit une pauvre femme, c'est la faute de mon patron
qui m'a remis à la fois 70 francs, je ne peux tolérer à la fois
que 25 francs, que voulez-vous, 70 francs je ne sais pas qu'en faire, alors je
les bois. » La tension psychologique, grâce à l'exécution des actes
élevés qui sont coûteux et avantageux, grâce à la mise en réserve
qui résulte des derniers degrés de l'activation permet d'utiliser de grandes
forces disponibles. Mais quand cette tension est faible. il vaut mieux ne
disposer que de petites forces et par conséquent il est dans certains cas
avantageux de les dissiper d'une manière quelconque, de manière
à rétablir la proportion entre la force et la tension qui permettra une
activité inférieure sans doute, mais plus correcte et moins dangereuse.
Telle est l'idée générale de la décharge qui doit
jouer un rôle important dans l'interprétation de beaucoup de phénomènes
pathologiques.
Dans les traitements on ne s'intéresse guère
qu'à l'acquisition de la force entendue comme puissance, rapidité, durée
des mouvements sans se préoccuper de la tension, c'est-à-dire du degré
d'activation des tendances supérieures. Or c'est là une erreur, car les
maladies nerveuses ou mentales, bien qu'elles soient souvent accompagnées de
faiblesse, sont autre chose qu'un simple affaiblissement organique ou
musculaire. La simple faiblesse, l'anémie complète, l'état cachectique
des tuberculeux ou des cancéreux ne sont pas de la psychasténie ou de la
mélancolie. Sans doute on espère, on suppose par sous-entendu, que la
tension se relèvera toute seule à la suite de l'augmentation des
forces. Cela arrive quelquefois, mais ce n'est ni général, ni nécessaire et,
quand le relèvement des forces se fait seul, on ne prépare que
l'agitation et le désordre. Il faudra de plus en plus se préoccuper également
de l'élévation de la tension pour rétablir l'équilibre psychologique.
Le rétablissement de l'état normal n'admet pas un
relèvement inégal et partiel des fonctions. Il suppose que toutes les
fonctions se relèvent en même temps : c'est ce que l'on peut
indiquer par le troisième principe, le principe de l'irradiation ou de la syntonisation
psychologique.
L'esprit possède des mécanismes qui accordent
les diverses actions les unes avec les autres, qui donne à la conduite
une certaine unité de ton. Non seulement un acte énergétique met à notre
disposition une quantité plus grande de forces mais encore, de diverses façons,
il doit amener tout l'esprit à fonctionner avec une tension plus élevée.
Il y a en nous des mécanismes, des tendances qui ont pour rôle d'élever ou
d'abaisser la tension suivant les circonstances. Des modifications du
système nerveux sympathique, des changements dans les sécrétions des
glandes endocrines doivent jouer ici un rôle important, mais il faut d'abord bien
connaître le phénomène psychologique, le changement de la conduite
avant de pouvoir découvrir ses conditions physiologiques. Dès le début
de la vie, l'être vivant sait faire l'acte de s'endormir et l'acte de se
réveiller, et ces actes entre autres modifications déterminent de grands
changements de la tension psychologique. Plus tard il sait également se
détendre dans le repos, dans le jeu, dans la confiance et il sait se tendre,
mettre toutes ses tendances dans un état d'érection, quand il y a difficulté,
danger ou attente. Quand nous nous reposons, quand nous nous détendons au
milieu d'amis, quand nous nous endormons, nous baissons la tension ; au
contraire, quand nous commençons un acte, quand nous sommes en public, quand
nous nous préparons à la lutte ou simplement quand nous nous réveillons,
nous nous tendons davantage. Un acte important et surtout un acte réussi
éveille justement ces tendances à prendre une attitude générale de haute
tension. Le langage populaire connaît mieux que la psychologie, l'existence de
ces phénomènes, quand il parle de « se la couler douce, de se
mettre en veilleuse, d'être prêt à tout, d'être au
cran d'arrêt ». A l'extrémité de ces phénomènes d'excitation
se placent l'échauffement de la composition et l'enthousiasme créateur. Uri artiste
me disait encore récemment qu'il a besoin de se mettre dans un état spécial
pour composer, qu'il ne peut rien faire au début, puis que peu à peu il
s'échauffe « qu'il a alors une vie triple de l'ordinaire » et qu'il
est ensuite épuisé pendant plusieurs jours.
Dans toutes les observations précédentes nous voyons
bien des faits qui peuvent se ranger sous cette conception. Les gens qui ont
réussi un vol, l'homme qui a offert une libation au cabaret, ceux qui ont
réussi à se faire obéir, ou simplement à faire souffrir, ceux qui
on obtenu un compliment prennent une attitude de vainqueurs et la conservent
pendant quelque temps même en accomplissant d'autres actes. Cette
remarque est si évidente que je la trouve faite souvent par les malades eux-mêmes.
« Un compliment du général, dit Bf., h. 27, je me relève comme un
cheval qu'on fouette, je reste plus énergique pendant plusieurs jours car je
reste un homme que le général félicite. » « Il faut, dit Zob., f. 50,
que ma fille me dise tout le temps : vous êtes la plus adorable des
femmes et tout le monde vous adore. Cela me fait tenir relevée comme une femme
qu'on adore au lieu d'être affaissée comme une femme écrasée par le
mépris. » Le vol est un succès pour Lov., f. 38, qui a lu beaucoup
de romans policiers et qui se félicite d'être si adroite :
« Oh ! La peur d'être vue, la lutte contre le danger, ma
conscience qui me dit : Qu'est-ce que tu fais ! et le triomphe !
tout cela me fait relever la tête, me donne les yeux brillants et je
reste sous cette impression ». Dans toutes ces observations la tension
nécessitée par l'acte a déterminé une attitude générale de tension qui a
persisté pendant un temps plus ou moins long. Il y a un phénomène que
l'on pourrait appeler une irradiation
psychologique et il serait juste de l'opposer au phénomène de la
dérivation que nous avons étudié dans la dépression.
La mise en circulation des forces peut donc amener
dans certaines conditions favorables que nous aurons à rechercher une
nouvelle répartition des forces. Quand il y a de grosses dépenses il peut y
avoir en même temps des placements avantageux : un acte d'un niveau
plus élevé peut être obtenu et il détermine une modification du niveau de
tout l'esprit. C'est l'ensemble de ces modifications de la conduite qui
constitue l'excitation et qu'il ne
faut pas confondre avec l'agitation. L'excitation consiste essentiellement en
une élévation rapide de la tension psychologique au-dessus du degré qui est
resté le même pendant un certain temps. Cette élévation doit évidemment
se présenter de deux manières différentes : ou bien il s'agit d'une
élévation réelle au-dessus du niveau moyen qui caractérise les esprits que nous
considérons comme normaux. Cette excitation doit correspondre alors aux
phénomènes que l'on désigne sous le nom d'enthousiasme,
d'inspiration ; elle doit jouer un rôle dans les œuvres du génie,
dans les inventions et dans le progrès de la pensée, mais elle est peu
connue et ne joue guère de rôle dans ces études de thérapeutique. Une
autre excitation a été plus étudiée, c'est celle qui se présente chez les
malades et qui relève simplement la tension préalablement abaissée
jusqu'au niveau moyen considéré comme normal. Les augmentations des forces, les
grandes lois de la mobilisation, de l'équilibre, de l'irradiation psychologique
rendent cette transformation possible.
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