1. - Les
diagnostics psychothérapiques
Trop souvent on peut répéter à propos de la
plupart de ces traitements ce que j'ai remarqué à propos des miracles ou
de la moralisation médicale. D'une manière générale ces traitements
semblent efficaces : si on considère un grand nombre de cas il y a
un certain nombre de guérisons qui peuvent légitimement leur être
attribuées. Mais à propos d'un cas particulier on ne peut rien affirmer
d'avance et on ne peut rien enseigner avec précision. On se trouve en présence
d'une application de la loi des grands nombres et l'efficacité de ces
traitements paraît dépendre du hasard. Cela tient d'un côté à ce que la
plupart de ces procédés sont définis d'une manière très vague et
de l'autre à ce que leur application est faite d'une manière trop
arbitraire.
L'efficacité d'une thérapeutique dépend du
diagnostic : la quinine ou l'arséno-benzol présenteraient dans leurs
effets les mêmes lois du hasard si on les donnait de la même
manière que l'on applique les psychothérapies. Chaque psycho-thérapeute
vante son procédé qu'il prétend original et veut l'appliquer à tout, puisqu'il
guérit tout. L'un moralise, l'autre hypnotise tout le monde, celui-ci repose et
engraisse, celui-là psycho-analyse à tort et à travers.
Que penserait-on d'un médecin qui se vanterait de donner de la digitale
à tous ses malades, tandis que son confrère aurait la spécialité
de donner de l'arsenic.
Pendant la période triomphale de l'hypnotisme, il y a
quelques années, on se vantait d'hypnotiser 97 p. 100 des malades et de
suggestionner tous ceux qui se présentaient. Quand on considère
aujourd'hui ces amusantes statistiques on voit très bien que leurs
auteurs n'ont jamais voulu se faire une idée précise du phénomène qu'ils
recherchaient et qu'ils comptaient dans leur calculs n'importe quoi. Les uns
confondaient la suggestion avec l'émotion ou avec l'erreur, les autres avec la
docilité ou la complaisance volontaire, la plupart avec l'évocation des
tendances ou l'association des idées et leurs statistiques n'ont aucune
signification. C'est justement parce qu'on a essayé d'hypnotiser tout le monde
et de guérir n'importe quoi par suggestion que l'on a rencontré tous ces
insuccès qui ont découragé les malades et les médecins et qui ont amené
la décadence de l'hypnotisme. Si les traitements par excitation étaient mieux
connus on se hâterait également de les appliquer à tort et à
travers et on aurait de véritables désastres. Toute action pratique exige une
certaine précision et une thérapeutique psychologique n'est possible que s'il y
a un diagnostic psychologique.
Une classification n'a jamais rien d'absolu : les
maladies, comme les êtres vivants, forment une série continue dans
laquelle nous établissons des coupes en rapport avec nos besoins. Toute
classification répond à des besoins pratiques : elle forme des groupes
d'objets à propos desquels nous devons avoir la même conduite et
sépare des objets à propos desquels nous devons avoir des conduites
différentes : les classifications varient suivant le genre de conduites
que nous considérons.
Les classifications des malades ont été faites le plus
souvent à des points de vue scientifiques, c'est-à-dire au point
de vue de l'exposition à des élèves, car les procédés
pédagogiques ont joué un rôle considérable dans l'organisation des
systèmes scientifiques qui sont originellement des procédés
d'enseignement. Puis les classifications furent faites ait point de vue
anatomique : tel groupe de symptômes indiquait que l'on trouverait telle
lésion à l'autopsie. Ensuite les classifications ont été faites au point
de vue microbiologique : chez ces malades du même groupe on trouvera
et on cultivera le même microbe. Ces diverses classifications ont rendu
des services aux thérapeutiques chirurgicale et microbiologique. Mais elles ne
donnent aucun résultat pratique quand on essaye de les appliquer aux maladies
nerveuses et mentales et que l'on cherche à appliquer des traitements
psychologiques.
Il y a cependant un germe de classification
psychothérapique qui joue un certain rôle sans qu'on s'en rende bien
compte : c'est la division singulière des maladies nerveuses en
organiques et en fonctionnelles. Au point de vue scientifique cette distinction
n'a aucun sens et j'ai déjà eu l'occasion de montrer plusieurs fois
qu'elle est inadmissible. Il n'y a pas de maladie sans modification organique
grande ou petite, connue ou inconnue, durable ou passagère. Mais cependant
cette distinction subsiste et elle a un sens important : c'est qu'elle a
une signification au point de vue de la thérapeutique psychologique.
La psychologie est la science de la conduite et une
thérapeutique psychologique est une thérapeutique qui utilise des conduites,
c'est-à-dire des actions, des fonctionnements d'organes. Il s'agit
toujours en psychothérapie ou de changer des actions, ou de les diminuer, ou de
les augmenter : une thérapeutique psychologique est toujours une
thérapeutique fonctionnelle. Dire qu'une maladie est fonctionnelle, c'est dire
que des modifications du fonctionnement peuvent la guérir et que la lésion
organique qui existe toujours est telle qu'elle peut être guérie par la
transformation du fonctionnement. Dire qu'une maladie est organique, c'est au
contraire affirmer que la lésion de l'organe ne sera pas influencée par les
modifications du fonctionnement et que par conséquent toute psychothérapie est
inutile. Il y a là le premier diagnostic psycho-thérapique.
Mais après ce premier effort, l'analyse
médicale s'arrête d'ordinaire, car aller plus loin demanderait une étude
psychologique, et on se borne à appliquer une psychothérapie
quelconque, comme si tous les troubles fonctionnels étaient les mêmes et
comme si toutes les influences psychologiques étaient identiques. N'est-il pas
juste de penser qu'un diagnostic plus précis permettrait des applications
beaucoup plus certaines.
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