3. - Les
traitements des épuisements
psychologiques
Un groupe beaucoup plus considérable est constitué par
des asthéniques qui présentent un épuisement des forces psychologiques. Ces
malade-, présentent presque toujours en même temps un certain abaissement
de la tension psychologique ; mais cet abaissement n'est pas considérable
et surtout il n'est pas permanent, aussi n'est-il pas senti douloureusement et
ne réclame-t-il pas de traitement direct ; c'est la diminution des forces
disponibles qui présente le problème principal. On ne peut guère
utiliser dans ces conditions les procédés précédents : d'abord les sujets qui
conservent la réflexion et qui n'ont pas de rétrécissement bien net ne sont pas
suggestibles au moins d'une manière expérimentale, ensuite et surtout la
faiblesse des forces disponibles réduit même le fonctionnement
automatique des tendances et rend peu utilisable l'appel à l'automatisme
ou à l'éducation. Dans ces conditions les traitements
psycho-physiologiques divers qui cherchent à obtenir la désintoxication,
le rétablissement des fonctions digestives ou circulatoires, les modifications
des sécrétions glandulaires internes, les traitements qui essayent de régler
les fonctions du sympathique sont évidemment indispensables. Je les ai étudiés
ailleurs en montrant que la médecin-, psychologique devait être la plus
complète de toutes les thérapeutiques et que loin de les supprimer elle
réclame toutes les autres [33]. Récemment M.J. Laumonier dans son livre intéressant sur « la
thérapeutique des péchés capitaux », 1922, montre fort bien le rôle
important que joue la thérapeutique psycho-physiologique dans le traitement des
Passions elles-mêmes. Mais nous n'avons à nous occuper ici que de
la psychothérapie proprement dite et dans les asthénies les méthodes d'économie
psychologique sont les seules qui soient utilisables et avantageuses. Mais ces
méthodes d'économie sont différentes les unes des autres et répondent à
des situations différentes, il est nécessaire pour les appliquer correctement
de préciser le diagnostic et de se rendre compte de la cause principale qui
détermine et entretient l'épuisement.
Un premier cas est fort intéressant et permet un
traitement relativement simple, c'est celui que nous avons étudié sous le nom
de névrose par réminiscences traumatiques.
Ces individus sont amenés à la ruine parce qu'ils ont constamment
une certaine dépense à côté de leur train de vie ordinaire et que cette
dépense cachée est trop considérable pour leurs ressources. Cette dépense
supplémentaire dépend d'une affaire non liquidée que le sujet traîne
indéfiniment avec lui. Il a conservé des intérêts dans une affaire qui ne
marche pas, qui ne lui rapportera jamais rien et qui lui coûte
quotidiennement des sommes énormes. C'est ainsi que nous avons compris les
souvenirs traumatiques et un grand nombre d'idées fixes. La thérapeutique
découle de cette interprétation, il faut fermer cette fuite : toutes les
méthodes de désinfection morale n'ont pas d'autre but que de supprimer cette
dépense inutile. Comme le malade n'est pas capable de le faire tout seul, il
faut l'amener à liquider cette ancienne affaire qui le ruine et les
revenus restants seront très suffisants pour les dépenses de la vie
courante.
La véritable difficulté que présente l'emploi de ces
méthodes, c'est le diagnostic de la réminiscence traumatique et la
démonstration que l'épuisement est bien dû à un travail interne de
ce genre. Il y a d'abord une exagération évidente à rattacher toutes les
névroses à des souvenirs d'aventures sexuelles émotionnantes et mal
liquidées. Cela peut être exact dans un certain nombre de cas, personne
ne le conteste, mais il est impossible de transformer cette remarque en une
règle générale. Les troubles sexuels que l'on constate sont le plus
souvent la conséquence de la maladie nerveuse au lieu d'en être le point
de départ. Il ne faut pas oublier que les désordres de la conduite sexuelle
sont une des manifestations les plus fréquentes des névroses et il faut éviter
de supposer trop facilement que ces désordres ont été primitifs.
Il est également dangereux de placer toujours dans la
subconscience du malade des réminiscences émotionnantes dont on n'aperçoit pas
trace dans sa conscience. Il faut, à mon avis, se méfier de la
subconscience. J'ai été l'un des premiers à décrire cet aspect que
peuvent prendre certains faits psychologiques et à présenter cette notion
de subconscience : je n'ai pas toujours été flatté en voyant le
développement qu'elle a pris et sa trop belle destinée. La subconscience est
devenue dans les études des spirites et des occultistes un principe
merveilleux de connaissance et d'action bien au-dessus de notre pauvre pensée,
elle est devenue pour les psycho-analystes le principe de toutes les névroses,
le deus ex machina auquel on fait
appel pour tout expliquer. Il me semble que la subconscience ne mérite pas un
tel honneur et il suffit, je crois. d'une précaution pour la maintenir dans son
rôle. Un phénomène psychologique, qui est toujours en réalité une
certaine conduite du sujet, doit toujours pouvoir être constaté par
l'observateur. Des phénomènes séparés de la conscience normale du sujet
se manifestent encore dans des somnambulismes, des écritures, des mouvements,
des paroles automatiques, il est juste de les constater et de les utiliser
quand on les voit. Ce qu'il faut éviter c'est la subconscience que l'on ne voit
jamais et que l'on se borne à construire à sa fantaisie. Les
exagérations qui ont déparé de belles études doivent nous apprendre à
nous méfier des interprétations rapides qui cherchent à prendre trop
vite un point d'appui sur des notions psychologiques encore bien fragiles.
Si on a été entraîné à placer trop de choses
dans la subconscience, c'est parce qu'il fallait à tout prix retrouver
dans tout symptôme névropathique une réminiscence traumatique, un souvenir
plus ou moins déformé d'un événement émotionnant. La psycho-analyse n'est pas
une analyse psychologique ordinaire qui cherche à découvrir des
phénomènes quelconques et des lois de ces phénomènes ; c'est
une enquête criminelle qui doit découvrir un coupable, un événement passé
responsable des troubles actuels, qui le reconnaît et qui le poursuit sous
tous les déguisements. On retrouve souvent d'ailleurs dans les articles de
cette école ces comparaisons de l'étude psychologique avec une enquête
criminelle et du psychiatre avec un détective.
Il n'est pas du tout certain que dans toute névrose un
phénomène psychologique de ce genre joue nécessairement un rôle
essentiel. La dépression comme la ruine n'est pas causée uniquement par une
dépense excessive en dehors du budget normal. Il ne faut pourtant pas, en
présence de tout misérable qui n'a pas un sou et qui n'a jamais rien possédé,
lui dire gravement qu'il est pauvre parce qu'il entretient encore une ancienne
maîtresse, ou qu'il continue à payer en secret les frais d'une écurie de
course et qu'il n'a qu'à liquider son écurie pour sortir de la
misère. La misère, hélas ! tient souvent à bien
d'autres causes qu'à des gaspillages. Même dans les cas où
la maladie a commencé à propos d'un événement particulier et a été au
début en rapport avec lui, il peut fort bien arriver que peu à peu elle
en devienne indépendante. L'esprit s'est peu à peu épuisé dans cette
lutte stérile et même s'il renonce maintenant à lutter il n'en
reste pas moins épuisé. Pour reprendre notre comparaison financière, un
individu s'est ruiné peu à peu parce qu'il entretenait une maîtresse
à l'insu de tous, à côté de son ménage, il arrive un moment
où même si l'on supprime cette fuite la ruine n'en est pas moins
complète.
D'ailleurs on peut très bien admettre que bien
souvent l'épuisement ne dépend pas d'une réminiscence du passé mais qu'il
dépend des événements actuels qui se reproduisent tous les jours. Plus souvent
encore la dépression du sujet qui existe depuis son enfance dépend de sa
constitution héréditaire, de la période de la vie qu'il traverse, des maladies
physiques, des intoxications diverses qu'il a eu à supporter, d'un épuisement
graduel déterminé par une foule de petites fatigues répétées ou même de
petites émotions dont chacune était insignifiante en elle-même et qui
n'ont pas laissé de réminiscence distincte ni dangereuse. Les symptômes et les
idées fixes que le sujet présente dans ce cas sont déterminés par la profondeur
de la dépression, par sa localisation sur telle ou telle fonction primitivement
plus débile ou affaiblie par une suite de petits chocs oubliés. Ils sont
déterminés aussi par les réactions propres au sujet, par son tempérament, son
intelligence, son éducation, etc. Dans des cas de ce genre tel ou tel événement
de ça vie n'a pas de grande importance et toute enquête de détective sur
le passé du malade sera peu intéressante au moins au point de vue
thérapeutique.
Ces réflexions ont déterminé dès le début de
mes études des précautions toutes particulières dans l'étude et dans la
recherche des souvenirs traumatiques. La découverte de tels souvenirs étant importante
pour l'interprétation et pour le traitement de certaines névroses, il fallait
faire tous ses efforts pour les découvrir quand elles existaient ; mais,
comme il restait entendu que de tels souvenirs pouvaient fort bien être
absents il fallait également faire tous ses efforts pour ne pas découvrir de
tels souvenirs traumatiques quand ils n'existaient pas. Si on l'entend de cette
manière la réminiscence traumatique joue un rôle important dans un
certain nombre de névroses et de psychoses. Entre ceux qui ne se préoccupent
jamais de la réminiscence traumatique et qui ignorent même son existence
et ceux qui l'imaginent partout il serait juste de placer ceux qui la
constatent dans des cas déterminés. Pour ceux-là il faudrait établir
quelques règles de diagnostic ; malheureusement ces faits
psychologiques sont encore mal déterminés et il est difficile de donner des
indications précises.
Une première indication peut être donnée
par une sorte d'élimination : une dépression qui semble accidentelle, qui
n'est pas en rapport avec J'état du sujet depuis sa jeunesse. qui ne dépend pas
d'une altération visible de sa santé peut être en rapport avec des faits
de ce genre. Il me semble important d'éliminer aussi les causes d'épuisement
que peut fournir la situation du sujet, son milieu habituel et parmi celles-ci
les influences sociales sont, comme on J'a vu, les plus importantes. C'est
quand on ne trouve aucune explication dans la vie actuelle qu'il est juste de
chercher dans la vie passée du sujet.
Je ne puis m'associer complètement à
certains critiques qui craignent d'attirer ainsi l'attention du sujet sur des
détails de sa vie et sur des idées fixes. Évidemment il y a eu sur ce point des
exagérations absurdes qui ont tout à fait compromis ces études. Mais
l'exagération est aussi mauvaise dans un sens que dans l'autre. Autant dire que
le chirurgien ne doit jamais toucher une plaie de peur de la salir et de
l'infecter, tout le monde sait qu'il doit y toucher, mais y toucher proprement.
Si le médecin n'est pas convaincu d'avance qu'il va trouver un événement
responsable de toute la maladie et s'il ne s'entête pas à exiger
que cet événement soit d'ordre sexuel, il pourra faire cet examen avec tact et
sans troubler outre mesure le malade.
L'étude de la vie antérieure du malade est
indispensable et elle doit être faite avec le sujet lui-même, car
nous avons besoin de constater les souvenirs qu'il possède de telle ou
telle période, la façon dont il les exprime, le degré auquel il se les a
assimilés. Souvent le malade attire lui-même notre attention sur les
préoccupation qu'il conserve à propos de telle ou telle époque de sa
vie. D'autre part le moment auquel les symptômes ont débuté, leur apparition
rapide ou graduelle après tel ou tel événement, certains symptômes qui sont
toujours en rapport avec un fait déterminé, peuvent nous mettre sur la voie.
Des amnésies plus ou moins complètes à propos de certaines
époques ou de certains faits, des délires, des hallucinations, des phobies, des
rêveries, des émotions qui surviennent dès qu'on attire
l'attention sur ces points confirment ces soupçons. Si on découvre une
réminiscence de ce genre il faut ensuite se rendre compte du rôle qu'elle peut
jouer encore aujourd'hui. Bien des événements on* été pénibles dans la vie, ont
laissé un souvenir plus ou moins émotionnant qui en réalité ne jouent plus
aucun rôle aujourd'hui. Il ne faut considérer comme une réminiscence
traumatique que celle qui se répète fréquemment aujourd'hui, qui
détermine des efforts constants aisément constatables et capables de déterminer
l'épuisement.
Quand ce diagnostic a été bien fait, les procédés de
la mise au jour des souvenirs subconscients, leur réintégration dans la
conscience, la dissociation de certains systèmes de souvenirs soit
pendant l'hypnose soit dans d'autres états psychologiques et surtout les divers
procédés de liquidation ont souvent des résultats remarquables ; il serait
facile de compter un nombre considérable de malades de diverses espèces
qui ont été soulagés, dont les crises ont été abrégées par cette désinfection
morale. Dans beaucoup de cas, quand il s'agit de malades jeunes, quand la
liquidation arrive assez à temps pour que l'épuisement ne soit pas trop
profond et définitif, la guérison et le relèvement des forces peut être
complet et plus d'un malade n'a plus eu d'autres crises pendant des années.
Si on ne s'entête pas à ramener tous les
malades à un même type et à expliquer toutes les faiblesses
par des réminiscences traumatiques on se trouvera en face d'épuisements
psychologiques dont les causes sont différentes. Bien des malades sont épuisés,
non par le souvenir d'une aventure ancienne, mais par les difficultés de la vie
actuelle qui est trop compliquée pour leur puissance psychologique et qui
présente à chaque instant trop d'obstacles auxquels ils
« s'accrochent ».
Le premier point de leur traitement consiste à
supprimer les efforts perpétuels, déterminés par ces accrochages, il faut
« désaccrocher » les malades, c'est-à-dire solutionner autant
que possible les situations complexes dans lesquelles ils se trouvent et dans
lesquelles ils s'empêtrent. Dans certains cas, les plus simples, c'est
à nous à faire nous-mêmes les actes qui modifient les
circonstances extérieures et qui amènent la solution dont le malade a
besoin. Il faut prendre les responsabilités, formuler les décisions, faire les
efforts nécessaires et mettre le malade devant le problème solutionné.
On doit de cette manière supprimer des situations fausses et l'on ne se
figure pas combien de maladies mentales en apparence graves disparaissent
dès que l'on a pu mettre fin à une situation délicate et
difficile.
Dans d'autres cas le « désaccrochage » est
plus difficile parce que nous ne pouvons pas, nous-mêmes faire tous les
actes qui solutionnent : il est nécessaire d'en faire faire quelques-uns
par le malade lui-même. Par exemple quand il s'agit de ces jeunes gens
qu'une proposition de mariage a rendus malades et qui pendant des mois
s'épuisent en efforts surhumains pour arriver à un « oui » ou à
un « non », le médecin après examen de la situation doit non
seulement prendre la décision, mais il doit la faire accepter par le malade et
lui faire prononcer le mot décisif. Quand le mariage a été accompli le médecin
doit le conserver ou le dissoudre, mais il doit faire agir le sujet en
conséquence. Il s'agit ici d'un problème capital pour le médecin
aliéniste celui de faire faire une action importante et utile pour son malade.
Enfin l'analyse psychologique nous montre clairement
que les actes les plus compliqués sont les actions sociales, que les dépenses
exigées par l'adaptation aux individus qui nous entourent sont de beaucoup les
plus grandes. Il en résulte que ce sont surtout ces dépenses-là qu'il
faut restreindre et éviter.
Nous avons déjà remarqué dans un chapitre
précédent que les phobies des névropathes sont quelquefois des indications
à propos des précautions nécessaires. Or il est évident que chez un
grand nombre se développent des timidités et des phobies sociales tout à
fait caractéristiques. A mesure que la dépression augmente, ils manifestent de
plus en plus la crainte de vivre avec ceux qui les entourent et expriment le
désir de s'isoler, ils arrivent presque tous à formuler le rêve de
« l'île déserte ». Il y a là évidemment une manifestation
maladive, une exagération de J'aboulie sociale, mais il y a là aussi une
indication sur l'épuisement que leur cause la société et surtout une certaine
société.
La caractère essentiel d'un sanatorium c'est
qu'il doit fournir au malade un milieu social artificiel où les dépenses
psychologiques de l'adaptation sociale soient réduites au minimum. Le petit
nombre de personnes toujours les mêmes auxquelles le malade a affaire,
l'uniformité absolue de la vie, la suppression des concurrences, des commandements
inutiles, des exigences d'affection, des réclamations d'égards et de
complaisances réalisent autant que possible cette simplification de la vie
sociale. Il faut bien comprendre ce caractère des traitements par
l'isolement afin de donner aux maisons de santé leur plus grande efficacité.
On a souvent essayé de réaliser un demi isolement des
faibles psychologiques en les plaçant dans des milieux également simplifiés,
mais moins artificiels que les véritables maisons de santé. Les essais qui ont
été faits à Gheel, en Belgique, à Dun-sur-Auron, à
Aunay-le-Château, en France pour placer des malades dans des familles à
la campagne sont des plus intéressants. Malheureusement il s'agit plutôt dans
ces tentatives de malades déments que l'on se borne à garder. Ces traitements
devraient être davantage organisés pour des névropathes curables qu'il
faudrait, comme on l'a dit, « transporter loin du bruit de la cité et du
tourbillon des affaires, loin des téléphones et des tramways » et
j'ajouterais loin de leur famille, de leurs ennemis et de leurs amis. Les
couvents d'autrefois fournissaient à ces malades les retraites qui leur
convenaient ; s'il est possible que les couvents aient engendré autrefois
des cas d'aliénation, ils en ont empêché et guéri beaucoup d'autres qui
se seraient développés dans la vie au grand air. Peut-être, comme on l'a
dit, « la prochain siècle verra-t-il se développer des couvents
laïques qui serviront à nos successeurs d'asiles temporaires
où refaire leurs forces, calmer leurs nerfs, retremper leur volonté pour
les luttes de l'an qui vient ».
Bien souvent, heureusement, il n'est pas nécessaire
d'exiger des changements de milieu aussi radicaux : la connaissance exacte
des dépenses exigées par la vie sociale dans telles ou telles conditions, avec
tels et tels individus, permet dans bien des cas de conserver les avantages
essentiels de l'isolement sans sortir complètement le malade de son
milieu. La simple restriction des relations sociales, la distinction si
importante des individus coûteux et des individus bon marché permet
d'éviter cet isolement complet et de réduire les dépenses sociales aux
dimensions d'un budget exigu. A beaucoup de ces personnes il m'a semblé bon de
recommander de temps en temps la solitude. Il ne faut pas croire que l'homme et
surtout l'homme épuisé ait constamment besoin d'être surveillé, soigné,
distrait par des amis qui l'environnent : rien n'est aussi reposant, ne
procure autant de détente et de vraie distraction que quelques heures de
solitude. Beaucoup de malades sentent qu'ils ont besoin de ces quelques heures
de solitude chaque jour pour être normaux avec les autres personnes le
reste de la journée et pour faire disparaître le sentiment de vide dans la
tête. Il ne faut pas oublier ce remède si simple dont on peut user
plus souvent qu'on ne le croit.
Mais il est encore plus important de chercher à
simplifier la vie familiale des faibles, leur vie sociale de tous les jours
dans leur milieu habituel. J'ai essayé de montrer que les candidats à la
névrose s'usent dans leurs rapports journaliers avec leurs proches, soit que
ceux-ci, plus actifs, les entraînent dans une vie trop mondaine, trop
compliquée pour leurs faibles forces, soit qu'ils présentent des
caractères plus ou moins difficiles et coûteux. M. Morton Prince
montrait autrefois que le traitement par l'isolement consiste justement
à retirer les malades de leur maison, à les séparer des membres
de leur famille. Il me semble utile de préciser en disant qu'il n'est pas
indispensable de les séparer de tous les membres de leur famille, mais qu'il faut
discerner et qu'il faut plus ou moins définitivement les séparer de telle ou
telle personne particulièrement dangereuse pour eux.
Il est souvent très important de simplifier le
groupe en conseillant à certaines personnes de se retirer. Même
quand les enfants ne sont pas mariés, mais qu'ils sont devenus âgés ils ne
peuvent pas toujours rester auprès de leurs parents quand il y a dans la
famille quelque individu atteint de névropathie et capable de devenir
aboulique, autoritaire ou taquin, susceptible ou persécuté. Un certain
éloignement ravive les affections au lieu de les supprimer.
Lorsque ces séparations ne peuvent pas être
effectuées ou lorsqu'elles ne sont pas indispensables, le médecin psychiatre ne
doit pas renoncer à toute action, il doit essayer de réorganiser la vie
de ce groupe. Des études intéressantes ont été écrites sur « les
mal-ajustements de la famille ». Quelquefois la diminution du nombre des
heures passées à la maison réduit les frictions, « souvent le mal
est que l'on passe trop de temps à la maison les uns sur les
autres ». Souvent il y a bénéfice à introduire un nouveau membre
dans la famille, comme un tampon entre les divers éléments. Toutes sortes de
détails doivent être observés car ils ont une grande importance, quand on
veut essayer de réduire au minimum les efforts stériles et les causes
d'épuisement.
Il n'est pas toujours difficile de réorganiser la vie
commune quand on a pris quelque autorité sur le groupe. Mais il faut se rendre
compte d'une chose qui est ordinairement peu connue, c'est que pour traiter un
névropathe dans une famille il faut presque toujours traiter en même
temps plusieurs autres personnes. Ce n'est pas aisé, car ces personnes sont
loin de se croire malades et présentent leurs plus grandes absurdités comme des
actes légitimes rattachés à des droits sacrés ou comme des actes de
dévouement magnifiques. Lutter contre les manies autoritaires des uns et contre
les manies de dévouement des autres, cela est évidemment plus compliqué que de
faire une ordonnance de bromure, mais c'est une partie essentielle et
très fructueuse de la psychothérapie.
Enfin il y a un dernier groupe, le plus important peut-être au point de vue médical,
celui des grandes asthénies dont les causes psychologiques actuelles ne sont
pas perceptibles. L'épuisement profond dépend d'une constitution défectueuse,
de troubles physiologiques variés et peu connus, d'un travail excessif, d'une
situation fausse longtemps tolérée et de bien d'autres causes que nous
connaissons mal. L'épuisement se manifeste par des oscillations énormes de la
force et de la tension psychologiques à l'occasion de la moindre
dépense, par des impuissances momentanées de telle ou telle fonction
psychologique, par des arrêts de la marche, ou de la parole, de la
mémoire ou du sentiment : « Je ne peux pas plus aimer le bon Dieu que
je ne puis aimer les miens ». On dirait que ces malades passent en revue
toute la symptomatologie des maladies mentales : tantôt ils prennent
J'aspect de mélancoliques, tantôt d'hypomaniaques, tantôt de psychasténiques
obsédés et douteurs, tantôt d'hystériques. Dans certains cas ils ont une
certaine conscience de leur épuisement et « du vide de leur colonne
vertébrale, de leur cerveau » ; dans d'autres cas ils présentent
cette curieuse inversion du sentiment de fatigue qui a récemment été bien
décrite. Ils ont alors un singulier besoin de mouvement, d'occupation, de
travail et ils prétendent souffrir au début du repos plus que de l'agitation.
Les troubles atteignent les fonctions physiologiques, la digestion, la
respiration, la circulation surtout et semblent en rapport tantôt avec des
modifications des sécrétions glandulaires internes, tantôt avec des
altérations des fonctions du sympathique et du vague. Un grand nombre de
maladies en apparence physique et mal expliquées sont en rapport avec cet
épuisement permanent ou périodique qui souvent reste méconnu.
Le diagnostic de cette forme d'épuisement n'est pas
sans importance pour la psychothérapie, car c'est dans cette forme que les
suggestions, les éducations, les enquêtes psycho-analytiques doivent
être le plus complètement évitées, car elles sont inutiles et le
plus souvent dangereuses. Le plus grand repos physique et moral longtemps
prolongé, l'isolement le plus complet possible sont indispensables, si l'on
veut éviter les grands accidents mentaux qui, plus souvent qu'on ne le croit,
sont la conséquence de ces épuisements psychologiques quand ils sont trop
longtemps méconnus.
Il ne suffit pas dans ces traitements difficiles de
maintenir le malade au lit pendant longtemps, il faut régler minutieusement sa
vie et sa conduite dans le lit. C'est en essayant de diriger de tels malades
que l'on constate avec étonnement notre ignorance sur l'organisation du budget
psychologique. Il nous faudrait savoir exactement ce que coûte chaque
action et comment ce prix varie suivant l'état du sujet. Il faudrait savoir
prendre des précautions sur le choix des personnes qui pénètrent dans la
chambre du malade et sur le moment où elles peuvent entrer ; il
faudrait se préoccuper continuellement de la nouveauté ou de l'ancienneté des
actes que l'on fait exécuter et ne permettre que des actions très
habituelles. Le plus petit changement dans le milieu où se fait
l'action, simplement dans l'aspect de la chambre, modifie la facilité de
l'action. Il faudrait savoir préparer très longtemps d'avance toute
action un peu nouvelle et supprimer absolument tout ce qui de près ou de
loin peut ressembler à une surprise, etc. La science de la vie
psychologique commence à peine.
On ne peut énumérer les cas de toute espèce
où des traitements de ce genre ont apporté la guérison. Il est vrai
qu'il faut s'entendre sur le mot guérison : il s'agit simplement de la
suppression des troubles névropathiques en rapport avec la faillite psychologique
ou de la crise d'asthénie proprement dite. De tels malades le plus souvent
conservent longtemps, si ce n'est toujours, une notable faiblesse psychologique
et ils ne peuvent dépasser un chiffre minime de dépenses sans s'exposer
à de nouveaux accidents. Le médecin psychologue doit organiser leur vie
en rapport avec leurs ressources modiques. « Vous m'avez fait comprendre
qu'il me faut une petite vie restreinte et je finis par croire que vous avez
raison. Je ne peux pas étendre mon existence, car alors je ne peux plus me
surveiller et je perds mon contrôle : je suis obligée à une stricte
économie de mes forces. » Il faut ajouter que cette malade évite ainsi
depuis des années des crises de dépression avec délire qui se répétaient
à chaque instant et qui l'avaient déjà conduite à l'asile.
Sans doute il est triste de priver le malade des joies
de la vie, de lui interdire les triomphes, les enthousiasmes, les emballements,
mais cela est souvent très utile et cela est en général facile, car ces
malades sont des tristes qui restent presque toujours au moins au premier degré
de la dépression et qui sont habitués à une vie terne. Il faut à
l'exemple de ce malade Paul dont nous avons décrit les précautions leur éviter
les fêtes, les cérémonies, les réunions nombreuses. Quelques malades
seulement résisteront, ce sont ceux qui poursuivent désespérément, comme par
une obsession impulsive, les joies et les emballements ; il faudra sans
cesse leur en montrer le danger et les arrêter autant que possible. On
dira qu'il est impossible d'éviter les occasions de chagrin, de surprise, de
regret, ce n'est pas tout à fait vrai. On peut éviter les circonstances
qui nous exposent à des ruptures, à des déceptions, on peut
éviter de prendre les choses trop à cœur et rendre bien plus rares
les occasions qui réclament un triomphe ou une liquidation et plus rares aussi
les occasions de réminiscences traumatiques.
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