Chapitre II: La psychothérapie
Toutes ces éducations, ces directions, ces divers
traitements par la suggestion ou par l'excitation ont été souvent réunis sous
un même titre, celui de la Psychothérapie, que l'on a considérée comme
une forme particulière de la médecine. Cette notion de la psychothérapie
est encore bien vague : il n'est pas facile de s'entendre sur sa
signification ni d'apprécier son importance.
Un premier groupe de définitions considère la
psychothérapie comme le traitement des troubles de l'esprit. C'est évidemment
là un des buts de la psychothérapie, mais d'abord il faut étendre la
conception des troubles de l'esprit et bien comprendre qu'il ne s'agit pas
uniquement de l'aliénation mentale proprement dite, mais de toutes les
altérations de la conduite quelles qu'elles soient et en outre il ne faut pas
oublier que beaucoup d'auteurs parlent de psychothérapie à propos de
maladies d'estomac, d'entérites, de troubles vésicaux, qui peuvent être
en rapport avec des troubles de l'esprit, mais qui à proprement parler
ne sont pas des troubles de l'esprit. Ces définitions s'appliquent plutôt au
mot « psychiatre » qu'il ne faut pas confondre avec
« psychothérapie ».
La plupart des autres définitions ne
considèrent pas l'esprit comme l'objet de la psychothérapie, mais comme
le moyen qu'elle emploie et la définissent par l'usage qu'elle fait de certains
phénomènes déterminés. Comme le disait très bien Grasset :
« L'électrothérapie, l'hydrothérapie ne sont pas des traitements de
l'électricité ou de l'eau, mais des traitements par l'électricité et par l'eau,
la psychothérapie est un traitement non de l'esprit mais par l'esprit ».
C'est à cette conception que se rattachent la plupart des définitions
les plus communément admises de la psychothérapie.
Je serais assez disposé à admettre une de ces
formules si je n'avais quelques scrupules et si je ne craignais que ces
définitions ne soient encore un peu restreintes. Elles semblent admettre que
l'action thérapeutique du médecin doit provoquer uniquement et directement des
phénomènes psychologiques ; elles semblent exclure les procédés qui
semblent en partie physiques et qui ont une action indirecte sur le moral. En
parlant des traitements psycho-physiologiques, j'ai rappelé les expériences de
Moreau (de Tours) sur le haschich, les traitements par l'alcool, par l'opium,
ou simplement par les purgatifs, les thérapeutiques qui essayent de modifier
les sécrétions internes ou les fonctions du sympathique, etc. etc., j'ai
soutenu qu'on aurait bien tort de ne pas leur donner droit d'entrée dans la
psychothérapie. Dans nos efforts pour modifier la conduite d'un homme nous ne
pouvons pas séparer radicalement ce qui est physique et ce qui est moral :
nos conseils sont donnés par des paroles qui contiennent des phénomènes
physiques de même que la conduite de l'homme contient des mouvements
aussi bien que des idées. Le médecin qui pour faire une suggestion fait avaler
des pilules de mica partis, des cachets de bleu de méthylène ou qui fait
une séance d'électrisation mêle des actions physiques avec son action
morale. Les changements de régime, les purgatifs, les substances calmantes ou
enivrantes ont une action à la fois physique et morale.
D'une manière plus générale peut-on séparer
avec précision les fonctions physiologiques et les fonctions
psychologiques ? « Les troubles névropathiques, comme je le montrais
dans mon livre sur les médications psychologiques sont l'expression de
l'activité de tout l'organisme, de sa croissance, de son évolution, de son
involution. Les organes et les fonctions qui interviennent dans ces
phénomènes nous sont mal connus, leurs troubles sont à peine
soupçonnés ; mais ils existent et doivent être étudiés de plus en
plus. La psychologie n'est pas indépendante de la physiologie, mais elle
réclame une physiologie plus délicate, plus profonde que celle de la digestion
ou de la respiration. L'étude des maladies nerveuses et mentales loin de
pouvoir se passer des connaissances physiologiques et médicales réclamera de
plus en plus une physiologie et une médecine bien plus approfondies. Le
traitement de ces maladies, loin de pouvoir être entrepris après
des études médicales sommaires, appartiendra au clinicien le plus consommé et
demandera l'usage de tous les examens et de tous les procédés les plus
délicats [34] ».
Des traitements de ce genre doivent-ils encore se
rattacher à la psychothérapie ? Ils me semblent continuer à
en faire partie à plusieurs titres. En premier lieu, l'application
même de ces traitements demandera des connaissances psychologiques et des
procédés fondés sur des lois psychologiques. Dans les maladies ordinaires qui
ne troublent pas la conduite, il suffit de donner au malade des conseils, une
ordonnance : « laissez-vous faire une telle opération... suivez tel
régime... prenez tel médicament... ». Suffirait-il de se conduire de la
même façon avec un malade névropathe, de dire à une hystérique
anorexique de manger plus et à un psychasténique qui a des impulsion
boulimiques de manger moins ? Il ne suffit pas avec ces malades de donner
un conseil ou de corriger une erreur, il faut faire comprendre, faire accepter,
faire exécuter, par des malades qui ont des troubles de l'intelligence, de la
croyance, de la volonté : c'est toute autre chose et le traitement reste
en majeure partie un problème de psychologie.
Mais il y a plus à dire, le diagnostic
même de ces troubles délicats de l'organisme, le choix des médications,
l'appréciation des effets du traitement ne pourront être faits que par
des études et grâce à des méthodes psychologiques. Il faudra toujours
pour apprécier ces troubles de l'évolution de l'organisme, reconnaître les
phénomènes et les degrés de la dépression, étudier l'excitation produite
par certaines médications, la reconnaître et la distinguer de l'agitation, ce
qui est toujours difficile, etc. et tout cela demande des recherches
psychologiques.
En réalité ce sont les sciences qui sont séparées et non
les objets la psychologie est une discipline distincte de la physiologie et les
thérapeutiques se séparent suivant qu'elles se réclament plutôt de l'une que de
l'autre. Ce qui distingue deux procédés de traitement ce sont les raisons qui
ont déterminé leur choix. Une thérapeutique est chimique parce que les
médicaments qu'elle prescrit sont choisis d'après nos connaissances
chimiques ; une thérapeutique est physique parce que les procédés qu'elle
recommande sont une application des enseignements des sciences physiques. On
fait de la psychothérapie toutes les fois qu'on applique des lois de la
psychologie. Si je donne une purge à un malade simplement parce que je
songe à l'action du purgatif sur les fibres de l'intestin je fais de la
thérapeutique physiologique, si je donne la même purge à un malade
atteint de confusion mentale parce qu'un grand nombre d'études m'ont montré une
relation régulière entre les intoxications et les troubles psychiques de
ce genre, parce que j'espère par une désintoxication rendre la pensée du
malade plus lucide, je fais de la psychothérapie.
J'arriverai ainsi à proposer la définition
suivante : la psychothérapie est un ensemble de procédés thérapeutiques
de toutes espèces aussi bien physiques que moraux, applicables à
des maladies aussi bien physiques que morales, procédés déterminés par la
considération de faits psychologiques observés antérieurement et surtout par la
considération des lois qui règlent le développement de ces faits
psychologiques et leur association soit entre eux, soit avec des faits
physiologiques. En un mot, la psychothérapie est une application de la science
psychologique au traitement des maladies.
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