La médecine psychologique

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2. - Les progrès de la psychothérapie

Pour comprendre la valeur de ces efforts et les résultats qu'ils promettent pour l'avenir il faut peut-être changer un peu certaines de nos conceptions sur les maladies mentales et sur les sciences psychologiques.

Au début des études sur l'aliénation on a trop isolé les maladies mentales ; on les a construites sur le modèle des maladies à lésions anatomiques, on leur a attribué une existence indépendante et précise et une évolution rigoureuse. On comprend mieux aujourd'hui qu'il ne s'agit pas de maladies spéciales indépendantes des autres, mais qu'il s'agit de manifestations particulières de toutes les autres maladies de l'orga­nisme, d'une expression de l'affaiblissement et de toutes les perturbations de son évolution vitale.

Les répartitions de ces maladies dans des cadres immuables, les affirmations sur leur évolution régulière et fatale me semblent encore plus téméraires que tous les rêves des psycho-thérapeutes les plus enthousiastes. Sauf dans quelques périodes ter­minales où l'on peut voir une certaine régularité, l'observation clinique nous, montre dans les maladies de l'esprit une étonnante variabilité et une irrégularité déconcer­tante. Les troubles physiologiques et psychologiques se transforment incessamment sous toutes !es influences physiques et morales et nous avons beaucoup de peine à énumérer les innombrables phénomènes qui font osciller comme un ludion le niveau mental des malades. S'il en est ainsi comment affirmer a priori que seuls les événe­ments fortuits peuvent exercer une action favorable et que jamais nos pratiques volontaires et concertées n'auront un semblable succès ? Ce serait nier d'avance toutes les inventions, toutes les applications pratiques des sciences.

On est disposé à croire que les maladies mentales constituent des calamités terribles absolument irrémédiables qui frappent certains individus d'une manière très nette et définitive mais heureusement exceptionnelle. Le public conserve sur ce point des idées analogues à celle qu'il avait autrefois à propos de la tuberculose qui n'était connue que sous la forme de phtisie terrible mais exceptionnelle. On a fini par com­prendre qu'il y avait des tuberculoses légères, curables, mais énormément répandues. Il en sera de même pour les troubles mentaux : on reconnaîtra que sous des formes diverses, plus ou moins atténuées, ils existent aujourd'hui de tous les côtés chez une foule d'individus que l'on n'a pas l'habitude de considérer comme des malades. On arrivera de plus en plus à comprendre que les types de maladies mentales que nous distinguons comme de véritables folies ne sont que des degrés différents d'un trouble qui a subi toutes sortes d'évolutions et dont le premier germe se trouvait dans les troubles du caractère.

Il sera facile de se rendre compte qu'en modifiant ces premiers degrés de l'affai­blissement psychologique on supprimera le développement des formes plus graves. La plupart des maladies mentales sont curables dans une forte proportion pendant les premières phases de l'affection. Il faut renoncer à considérer les malades mentaux comme des malades exceptionnels distincts des autres qu'il faut se borner à garder dans des asiles spéciaux. C'est là le dernier reste des préjugés sur l'aliénation que l'on croyait avoir détruits au moment de la réforme de Pinel, d'Esquirol, de William Tuke, mais qui sont restés vivants dans notre conception des asiles spéciaux pour aliénés. Ces maladies doivent être de plus en plus traitées dans des hôpitaux et des dispen­saires ordinaires à la façon des autres maladies. Des consultations libres qui commen­cent à s'organiser dans divers pays et qui existent à peine dans le nôtre permettront de dépister les premiers symptômes et d'organiser une véritable prophylaxie mentale.

C'est aussi la conception de notre science psychologique qui se modifie peu à peu, par les tentatives de mise en pratique. Les premières tentatives de la psychothérapie ont réveillé la psychologie et l'ont brutalement rappelée à la question. L'évolution des connaissances humaines suit rarement une marche logique : les applications qui devraient dériver des théories et des sciences les précèdent et souvent les dirigent. Ce sont les nécessités des applications thérapeutiques qui forcent aujourd'hui la psycho­logie à aborder l'étude qui lui est propre, la description et l'explication scientifique de la conduite humaine. Des études précises sur des détails de cette conduite, sur le be­soin d'aimer, sur la jalousie, sur la timidité, etc. qui semblaient être autrefois des accessoires insignifiants, des compléments littéraires surajoutés à la véritable psycho­logie doivent être considérés comme l'essentiel d'une psychologie vraiment pratique et utile. La recherche des lois relatives aux variations de l'humeur, aux degrés de l'activité, aux formes de l'émotion ne doit pas être laissée aux romanciers, mais elle doit être au premier plan des préoccupations des psychologues, puisque c'est sur ces lois que doit précisément se fonder toute la psychothérapie.

Le médecin a fait tout à coup appel à la psychologie et lui a demandé de lui rendre des services auxquels elle n'était pas du tout préparée. Elle s'est montrée insuffisante à sa tâche et c'est ce qui a jeté le discrédit sur la psychothérapie elle-même. Mais cet insuccès l'a forcée d'entreprendre des études nouvelles à de tout autres points de vue, ce qui l'a entièrement régénérée.

Une étude importante que la psychologie considérait avec une certaine répu­gnance est introduite pour ainsi dire de force par les besoins de la clinique et de la thérapeutique. La psychologie qui s'était séparée de la métaphysique redoutait les spéculations sur les forces et les degrés des forces. Elle avait repoussé la doctrine des facultés de peur de paraître indulgente aux anciennes spéculations sur les puissances internes. Eh bien, la maladie nous présente immédiatement des affaiblissements, des renforcements, des oscillations de tension à propos de toutes les tendances et l'on ne peut pas traiter un névropathe si l'on ne veut pas tenir compte de ces problèmes fondamentaux.

Comme je le disais en terminant mon ouvrage sur les médications psycholo­gi­ques : « La psychologie est obligée d'aborder le problème de l'administration écono­mique des forces de l'esprit. Il est probable qu'un jour on saura établir le bilan et le budget d'un esprit comme on établit ceux d'une maison de commerce. A ce moment le médecin psychiatre sera capable de bien utiliser de faibles ressources en évitant les dépenses inutiles et en dirigeant l'effort exactement au point nécessaire ; il fera mieux, il apprendra à ses malades à augmenter leurs ressources, à enrichir leur esprit. J'espère que ces travaux n'auront pas été tout à fait inutiles à ceux qui découvriront un jour les règles de cette bonne administration de la fortune psychologique ».

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