Memoire de F. A. Mesmer

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A MONSIEUR

BOURDOIS DE LA MOTTE,

Président de la Commission chargée parl'Aca­démie royale de médecine, de s'occuper de l'examen du Magnétisme animal.

Monsieur leprésident et honoré collègue,

Je m'adresse à vous pour vousproposer, ainsi qu'à la commission, que vous présidez le développementd'un projet que je crois très-important, eu égard aux circonstances danslesquelles vous allez être placés, vous, et vos honorablescollègues, au sujet du ma­gnétisme animal.

Appelé à porter un jugementsuprême, peut-être irréfragable, sur une grande er­reur accréditée,ou sur une science mère, environnée de tout l'éclat de la vérité, qui portetous les caractères qui la prouvent, et qui dénonce son utilité; jecrois, sans doute comme vous, que dans ce genre d'une magis­trature exacte etsévère, s'exerçant envers l'homme directement, et faite pour rectifierou pour augmenter les lumières et les res­sources de la médecineproprement dite ; je crois, dis-je, que son premier besoin, comme son premierdevoir, dans cette nouvelle car­rière, sont de s'instruire à fonddu terrain qu'elle doit explorer, du sujet sur lequel elle est invitée àfonder et à rendre son arrêt.

Pour vous aider, si j'en suis capable,à at­teindre ce but avec sûreté, à marcher avec assurancedans un chemin devenu multiple et quelquefois obscur, pour en parcourir tousles sentiers, pour vous garantir enfin contre la facilité de prendre une fausseroute; je viens, M. le Président, offrir de porter au devant de vous, et de lacommission, un flambeau secourable, qui éclaire votre mar­che , et placer desfanaux dans les endroits difficiles qui pourraient entraver vos pas ou Vouségarer. Dans quel moment d'une vie déjà avancée aurai-je pu rencontrer et saisir uneoccasion plus honorable et plus favorable pour orner son déclin, que celle devous faire une proposition de cette nature, peut-être téméraire, maisnaïve et que je crois conve­nante !

Je n'ai point, Dieu m'en garde, laridicule prétention de vous instruire, d'être en cela même votreprofesseur. Chacun de vous, à plus juste titre, est fait pour êtrele mien à tous égards ; mais l'intérêt de l'humanité, de lavérité, celui de la science, et oserai-je le dire, celui de votre propre gloireme rend en cette occasion aussi enhardi que je suis de bonne foi. Je chercheà vous rendre le service qu'on m'a rendu à moi-même,voilà mon motif si j'avais besoin de le défendre.

Et d'abord, dans tout ce qui a été ditet soutenu contradictoirement, sur le magné­tisme animal, à l'Académieroyale de Méde­cine avec assez de solennité, dans quelques ouvrages imprimés dumoment, dans des journaux, et dans des conversations et dis­cussions   particulières , il   m'a paru qu'on prenaitle sommeil magnétique ou somnam­bulisme, comme le type de la science mesmé­rienne,et les phénomènes de cet état extraordi­naire, comme les seulsconséquences, les seuls produits, à solliciter, à rechercher,à obtenir, à observer et à exploiter en faveur de l'huma­nitésouffrante, pour la guérison de ses maux. C'est bien le cas de dire, que c'estprendre la chose à rebours, l'effet pour la cause ; et croire faussementavoir tout obtenu par la manifes­tation de ce résultat, sans être tenud'en con­naître les principes fondamentaux. Pour des médecins instruits, pourdes savans philan­thropes , n'est-ce pas cueillir des fruits avec avidité, sansvouloir examiner, étudier par degrés, et le sol qui a produit l'arbre qui leporte, les racines de cet arbre, son tronc, sa contexture, ses branches, sesramifications, enfin, ses feuilles, ses fleurs et son fruit même, commeon doit le faire dans l'étude de l'histoire naturelle ?

Cette manière légère etvulgaire d'argumen­ter et de procéder, est une grande erreur, un véritableempirisme, qui peuvent avoir dans l'application des conséquences dangereuses, et qu'ilconvient, si non de détruire, au moins de vous signaler.

Le sommeil magnétique n'est qu'uneffet très-naturel, comme les remèdes ordinaires de la médecineen produisent dans leurs sphères d'activité; mais plus fécond, plusavantageux, il est vrai, plus lumineux, mais aussi plus sujet à   faire   illusion.   C'est un événementpossible, une crise, un dévelop­pement produit par des procédés magné­tiques,bien ou mal connus, bien ou mal appliqués. Cet état est constitutif; il estiden­tique à l'individu- chez lequel il se prononce. Celui qui n'a pascette prédisposition mor­bide innée ou acquise, cherchera en vain àl'obtenir par tous les magnétiseurs instruits, et par tous les meilleursprocédés. Cependant, par le développement de la maladie et la con­tinuité del'application de cet agent magné­tique, il se démontre parce qu'il y était nonencore développé. Voilà pourquoi sur vingt magnétisés, il y en a tout auplus cinq avec des intelligences diverses qui manifestent ce sens nouveau,cette faculté nouvelle. Cespremières vérités énoncées, un narré simple que j'abrégerai le pluspossible, me paraît nécessaire pour la double fin que je me suis proposée, etva, M. le Président, je l'es­père , vous en donner les preuves, commen­cerà fixer vos idées, et à diriger votre marche dans ces travaux.

Il y a à peu prèsquarante ans, comme on peut le savoir, que M. le docteur Mesmer fitparler de lui dans toute l'Europe, en annon­çant par des mémoires , qu'unnouveau moyen de guérison, un système nouveau de médecine, une doctrinenouvelle reposant sur des bases nouvelles, étaient faits pour re­culer lesbornes de toutes les sciences, de l'art de guérir principalement. Un fluide uni­versel,âme secondaire de la nature, était l'agent principal des procédés extérieurs,et la volonté, les moyens.

Arrivé et fixé à Paris,où l'on vient toujours chercher le sceau de la gloire, sa découverte eutde grands partisans, comme aussi de grands détracteurs. Il n'a cessé d'appelerune commission de savans pour la leur démontrer. Des cours de cette doctrine furentannon­cés avec éclat, et le nombre des disciples ou auditeurs fixé. Nous, parune curiosité natu­relle à notre profession, nous partîmes quatremédecins de la ville de Lyon, messieurs Fais-sole, Orelut, Bonnefoi etmoi, voulant, s'il se pouvait, augmenter ou rectifier nos con­naissancesmédicales principalement. Nous fûmes, pendant plus de quinze jours,sévère­ment examinés sur nos connaissances physi­ques, sur notrecapacité, sur notre moralité, et admis comme élèves, ou adeptes sivous voulez, avec des conditions réciproques écrites et signées.

Nous nous trouvâmes au nombre de qua­ranteou cinquante, si je m'en rappelle, parmi lesquels il y avait des médecins,deschirurgiens, des avocats, des savans, des conseillers au parlement, desintendants, des grands sei­gneurs. J'avais la liste imprimée de tous cesmessieurs, elle m'a été dérobée ainsi que quel­ques imprimés et manuscritsprécieux ; mais ma mémoire me rappelle les suivans : Mgr le duc de Coigni,MM. de Montesquiou, de La Fayette, de Puy-Ségur, de Châtelux , Bergasse,le premier commis de la police, M. Judel, ancien dé­puté , actuellementmédecin à Versailles, le prince de Condé, défunt, le duc deBourbon, vivant, etc. etc. Le cours dura deux mois, et un traitement établidans des salons, des chambres appelées des crises, joignirent en mêmetemps la pratique à la théorie. Il ne m'est point encore parvenuqu'aucun membre de cette brillante et honorable assemblée ne soit resté bienconvaincu de la réalité d'un prin­cipe actif et de la grande utilité de ladécou­verte. Quelques médecins choisis, parmi les­quels j'avais l'honneurd'être comptés, avaient seuls la permission d'entrer dans les chambresappelées des crises, de les diriger. Cette dispo­sition exclusive ne regardaitpoint leurs altesses sérénissimes, Mgr de Condé et de Bourbon.

Là, des agitations, des sueurs,des crises par tous les émonctoires, des pleurs, des som­meils... dont, parraisons, on ne nous avait point encore instruits, excitèrent nos médi­tations.

Au milieu d'un second cours, que nous suivîmes avec encore plus d'ardeur etd'assi­duité , s'il est possible, avec une partie de la compagnie du premiercours et avec une nouvelle, de cette même composition, on demanda que cescours, cette doctrine fussent imprimés. Une opposition tranchée à cetteproposition, surtout de la part de quelques savans et seigneurs de la cour,appuyée sur les considérations suivantes, fut écoutée et admise.

« La médecine, dit-on, a perdubeaucoup de sa considération, de l'espèce de sacerdoce qui environnaitson existence et ses décrets, de l'estime et confiance publiques dont elleétait décorée, depuis que l'impression a ré­vellé toute la science, sesmaximes, ses vé­rites fondamentales, ses fautes, ses erreurs, et même sesmoyens occultes et mystérieux. Tout cela est entre les mains de tout le monde.L'ignorance, la cupidité y puisent sans cesse des maximes qu'ellestravestissent, des recettes, des remèdes soi-disant secrets; delà un charlatanisme général et épouvan­ table. Le médecin instruit acontinuellement à lutter contre les préjugés, les erreurs, lespréventions et l'entêtement des malades, par suite de cette publicitédevenue vulgaire, et qui font perdre à la science son véritable lustre etson prix ; se voyant d'ailleurs tous les jours baffouée, jouée sur tous lesthéâ­ très, et aussi par de grands écrivains! » Cette sertie futfrappante.

Il fut arrêté que, sanss'attacher à la quo­tité de la dépense, tous les élémens, prin­cipes etapplications de cette science nouvelle seraient gravés avec soin, que pour leurcon­server une dignité convenable et méritée, on n'en remettrait qu'un seulexemplaire à ceux qui collectivement seraient autorisés à établirun traitement et des cours, dans quelques villes nommées. Nous acquîmes un deses exemplaires devenu notre propriété, restant comme telle, au dernier vivant,et garantie encore contre une indiscrète publicité par la précautiond'avoir exprimé les mots essen­tiels, les mots tecniques par des figures ou signesdont on nous donna la clef; voilà les rai­sons pour lesquelles uneespèce de mystère a environné cette science et sa pratique, ce qui, sansdoute, eût toujours été très-utile dans l'exercice de la médecineordinaire, con­venez-en. Comme dernier vivant, je possède dans toute sonintégrité cet ouvrage gravé.

Sans répéter ce que je viens de vousdire, M. le Président, vous devrez savoir que de retour à Lyon, untraitement, des cours, furent aussitôt annoncés et établis. La foule ne tardapas à se présenter ; les travaux furent distri­bués ainsi : Bonnefoi futchargé des cours, moi, de la direction immédiate des traite­mens ; les autresétaient collaborateurs, et tous des écrits possibles.

Nos traitemens se composèrentde toutes les classes de la société : entre autres de mi­lady Rivers, demistriss Pitt sa fille. Il y en ! eut un spécial et gratuit pour ceux dépourvus   ! d'aisance ; sauf une multitude de mauxfrap­pés d'incurabilité radicale, toutes les mala­dies pouvant êtreamenées, chroniques ou aiguës (sauf la peste, les maladies conta­gieuses et larage ), furent avec succès sou­mises à notre traitement; et pourtous remèdes auxiliaires, l'eau magnétisée, un peu de crème detartre, de l'orangeade ou limo­nade , principalement.

De riches négocians, des éclésiastiques,sur­tout l'abbé Boul, académicien, ancien prédi­cateur des rois LouisXV et Stanislas; des avo­cats, des savans, des architectes, des artistes,des hommes titrés, des membres du Parlement de Grenoble, entre autres lecélèbre avocat général Servait; le comte d'Hœnojf, cham­bellandu roi de Prusse; Guillaume, père de celui qui règne; enfin deson altesse royale Mgr le duc de Glochester, oncle duroi d'An­gleterre régnant, furent comptés au nombre de nos disciples ; et toutainsi que dans l'his­torique développé plus haut, aucun de ces messieurs etseigneurs ne s'est retiré qu'in­struit , persuadé et convaincu de la réalité etde la grande utilité de la découverte.

Je ne dois point vous laisser ignorer,mon­sieur et très honoré collègue, une anecdote remarquable : M.le comte d'Hoenoff, cité plus haut, passait par Lyon pour conduire àNice, d'après l'avis des médecins de Berlin, Mme la comtesse, son épouse, dame d'honneurde la princesse Amélie de Prusse, et y rester quelques mois, à l'effetde la guérir d'une névrose affectant tous les organes abdomi­naux etthorachiques, pour laquelle ils avaient employé tous les moyens voulus par lascience et l'expérience, mais sans succès chez une dame de vingt-sixans, ayant un enfant de trois ans. Le hasard d'une cir­constanceparticulière détermina ces époux à rester à Lyon : lacomtesse fut confiée à mes soins magnétiques. Au bout de quatre moiselle s'en retourna à Berlin, guérie et enceinte de trois; son enfant futinoculé par moi, et d'après la permission de M. le docteur Mesmer, elleavait été très-instruite de la doctrine, comme le comte son mari. C'estque je sache la seule femme qui ait été initiée. En par­tant le comte me dit :« En arrivant à Berlin où l'on sait déjà mon histoire, etoù je suis pour cet objet principal attendu, mon premier soin sera deprésenter ma femme guérie par le magnétisme, de voir et de convaincre mesmédecins particuliers, puis de prendre le moment opportun pour en parler auroi, qui d'abordne manquera pas de m'inter­ roger à cet égard. » En effet, aubout de quelques mois sa majesté et quelques méde­cins choisis furent instruitspar le comte; il en est résulté une décision suprême, par la-quelle toutindividu qui voudrait magnétiser serait tenu d'en demander l'autorisation àune espèce de comité ou conseil médical exami­nateur, et défenseexpresse d'exercer le ma­gnétisme sans avoir obtenu cette autorisation. Il està désirer qu'en France, et il faut l'es­pérer, d'après votrecommission, il sera pris les mêmes moyens d'actions et de répressions. Onconnaît le reste ; cette science théorique et pratique s'est étendue de Prusseen Da­nemark , en Suède, en Russie, etc. M. de La Fayette en afait hommage aux États-Unis anglo-américains. C'est encore ici une nou­vellepreuve, M. le président, qu'une petite cause éloignée produit de grands effets.Certes, si avec tout ce cortège de savans, de méde­cins,d'ecclésiastiques, de jurisconsultes, de grands, de princes et de rois, on estdans Terreur, il y a quelque dédommagement dans l'honneur de s'égarer avec lui.

Un mois d'exercice de notre traitementet cours magnétiques était à peine écoulé, lors­que, sur trente ouquarante malades journa­liers, de tout âge et de tout sexe, le somnam­bulismese développa spontanément dans un jeune homme, une jeune dame mère de fa­milleet une demoiselle, âgée de plus de trente ans. Cette apparition subite, sansprovoca­tions plus particulières, nous étonna et nous aurait approchésde l'enthousiasme, si nous n'y eussions été un peu préparés d'avance. Ce genrede crise ou de développement d'un sens inconnu fut exploité et dirigé avectoute la prudence, la sagesse et le succès dont nous étions capables. Cesommeil magnétique, si fécond en vérités et en erreurs, dont on ne nous avaitparlé qu'avec discrétion et réserve obligées, s'est donc manifesté dans les com­mencemensde l'emploi des procédés magné­tiques. Ce n'est donc point une nouveauté, unenouvelle doctrine séparée du système fondamental ; cette division ouséparation est tout uniment, comme je l'ai dit, une erreur, une aberrationà la place de la vérité.

Le printemps arrivé, il fut décidé parnos élèveset nous, que le traitement serait établi en plein air, dans un jardin, sousdeux grands arbres, et par eux enrichi d'une fontaine d'eau courante et limpide,le tout renfermé dans une enceinte, avec toutes les aisances conve­nables. Cesarbres, cette eau furent magné­tisés, et devinrent la base essentielle de notretraitement. Avant la première semaine écou­lée , tous nos maladesréjouis de ce nouveau mode de traitement, ceux dont le développe­ment des mauxet de la marche de curation éprouvaient des spasmes, des agitations dou­loureuseset critiques, cessèrent d'en avoir de bruyantes. Un calme parfaitsuccéda à toutes les espèces d'orages naturels et nécessaires. Lenombre de somnambules devenus méde­cins plus ou moins intelligens, et se secou­ranttous, pour ainsi dire machinalement, mais clair-voyans, fit plus que doubler.Le mauvais tems nous ramenait à regret dans nos salons ordinaires.

Telle est la première fin queje me suis proposée, monsieur le président, dans cette lettre, celle de vousprésenter l'esquisse ra­pide et imparfaite de l'histoire magnétique qui nous concerne. Je ne vous parle pointdes résultats heureux, incroyables et extraordi­naires obtenus par lemagnétisme et le som­nambulisme; ce n'est pas ici le moment ni le lieu. Laseconde fin est renfermée dans la proposition suivante : J'ai l'honneur de vousoffrir, ainsi qu'à la commission que vous allez présider, l'ouvragegravé, dont j'ai parlé plus haut, dans toute sa pureté et son intégrité; devous le céder avec la clef. Il renferme tout le système, toute ladoctrine, les procédés et les autres élémens constitutifs de cette science.

Je propose encore dans desconférences, séances, ou conversations privées, de faire mes efforts pourrépondre à toutes les questions, objections, doutes, interrogations,discré­tionnelles, etc., si la commission juge à pro­pos de me lesproduire.

Dans cette lettre déjà troplongue, je n'ai fait cependant qu'énoncer les textes ou som­maires principaux,beaucoup d'autres expli­cations, propositions subséquentes qui en dé­riventnaturellement, et s'y rattachent avec la même nécessité, devront être faites entems et lieux, si, comme je n'en doute pas, vous me faites l'honneur d'un motde réponse. Veuillez, mon cher président et honoré collègue, recevoir,et faire accepter aux mem­bres de la commission les témoignages de maconsidération et de mon dévoûment.

Paris,

Signé Ficher Grandchamp,

Membre honoraire de l'Académie royale de Médecine, etc.,rue de Joubert, n°21.

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