CHAPITRE IV THÉORIE DU PROCÉDÉ NEUROSCOPIQUE.
Nous
avons décrit le procédé par lequel on peut mettre a l'épreuve et meme
développer la suggestibilité des malades. Mais si cette description peut
suffire au point de vue technique, il est sans doute indispensable, au point de
vue scientifique, de chercher a comprendre le mode d'action de ce procédé, de
le rattacher aux données de la physiologie, en un mot d'en faire la théorie.
Nous ne nous dissimulons pas que c'est une tres difficile entreprise : aussi ne
proposons nous les considérations qui vont suivre que comme des hypotheses plus
ou moins appuyées par les faits et qui demandent a etre vérifiées plus
completement par une nouvelle série de recherches expérimentales.
L'explication
la plus simple paraît etre tout d'abord d'attribuer l'effet produit a la
suggestion. En général, lorsque nous avons employé nous-meme notre procédé,
nous nous sommes abstenus de faire connaître au sujet notre intention par la
parole, mais ne pouvait-il la deviner ? En appliquant les mains sur son
dos, l'opérateur, dira-t-on, suggere au sujet l'idée qu'il est en équilibre ;
quand les mains se retirent, le sujet se suggere a lui-meme la perte
d'équilibre et l'attraction.
Il se
peut qu'en effet cette explication suffise dans certains cas, mais il ne nous
semble pas possible qu'elle rende compte de tous les cas. Tout d'abord, il nous
est souvent arrivé d'attirer des sujets a distance sans que nos mains eussent
pris contact avec leurs omoplates. Comment, dans ces conditions, auraient-ils
pu deviner que nous voulions les attirer ? On dira peut-etre qu'ils
connaissaient, en tout cas, notre présence derriere leur dos, mais nous pouvons
certifier que nous avons plusieurs fois obtenu ce meme effet a l'insu des
personnes sur lesquelles nous agissions ainsi.
Ne
pourrait-on tirer une preuve des faits d'attraction exercés au travers
d'intermédiaires ? Soit, par exemple, deux individus, A et B. L'un, A, qui
réagit avec force sous l'influence de notre procédé; l'autre, B, qui ne réagit
pas. Nous prions A d'appliquer ses mains sur les omoplates de B, et nous
appliquons nous-meme nos mains sur les épaules de A.
Chaque
fois que nous les retirons, A reste immobile, B est attiré. L'expérience peut
ne pas toujours réussir, en ce sens que l'influence ne se transmet pas chaque
fois du premier au second individu ; mais elle réussit assez souvent pour qu'il
n'y ait pas de doute sur la réalité du phénomene.
Donc
nous croyons pouvoir conclure que la suggestion n'est pas la cause suffisante
des effets produits par ce procédé.
Quel que
soit le rôle que le cerveau du sujet peut jouer dans tous ces phénomenes, il y
a certainement une action périphérique exercée par l'opérateur.
Ici deux
problemes se posent, qu'il nous faut examiner successivement :
1° Sur
quoi s'exerce cette action ?
2° Quel
est l'agent qui l'exerce ?
La
région sur laquelle on peut, par l'application des mains, produire les effets
que nous avons décrits s'étend depuis la nuque jusqu'au bas de la colonne
vertébrale, mais les trois points principaux d'application sont situés : 1° sur
la nuque, immédiatement au-dessous du cervelet ; 2° a la hauteur de la
troisieme vertebre lombaire, et 3° sur les omoplates, a égale distance de la
deuxieme dorsale.
La main
de l'opérateur, au travers des vetements, exerce sur la peau, dans les points
indiqués, une tres légere pression et il se fait un échange de chaleur entre
les deux surfaces mises en contact. Il ne paraît pas douteux que si la peau du
sujet subit une influence, c'est grâce aux papilles nerveuses sensitives qui
viennent s'épanouir dans toutes les cellules épidermiques.
Toutes
ces ramifications nerveuses se rattachent aux nerfs rachidiens. Nous savons que
ces nerfs sont mixtes ; les racines antérieures sont motrices ou centrifuges,
les racines postérieures sont sensitives ou centripetes. Les fonctions de ces
troncs mixtes formés par l'union des deux sortes de racines ne consistent pas
seulement dans la répartition de la sensibilité et du mouvement aux diverses
parties du corps. Les fibres a conduction centripete transmettent, en plus des
sensations générales, les impressions tactiles et excito-motrices. Les fibres a
conduction centrifuge sont non seulement motrices, mais encore vasomotrices,
sécrétoires, trophiques. Mais quoique, dans ces nerfs, la conductibilité existe
dans les deux genres de fibres il n'en est pas moins certain que l'excitation
quelle qu'elle soit, produite par l'application de nos mains - la chaleur peut-etre
- provoque chez les personnes hypnotisables une action réflexe suffisante pour
l'obtention des phénomenes neuroscopiques. C'est par l'intermédiaire de ces
nerfs que l'expérimentateur développe deux sortes d'effets : 1° des sensations ;
2° des mouvements.
On
rencontre, il est vrai, quelques sujets qui prétendent n'éprouver aucune
sensation spéciale et qui ne semblent avertis de l'action exercée sur eux -
surtout quand on agit a distance - que par les mouvements involontaires qu'on
leur imprime, mais c'est la un cas exceptionnel. Il est d'ailleurs permis de
supposer que les mouvements observés s'accompagnaient chez eux de sensations
inconscientes. En regle générale, les premiers effets produits consistent
tantôt en sensations de chaleur plus ou moins intense, parfois intolérable,
plus rarement en sensations de froid glacial, etc., etc. Mais l'effet le plus
intéressant peut-etre, parce qu'il est objectif et que tout le monde peut le
constater, c'est le mouvement d'attraction, souvent irrésistible, par lequel le
sujet se porte en arriere, dans la direction des mains de l'opérateur.
Faut-il
y voir un simple réflexe, déterminé par les sensations propres du sujet, ou
serait-ce, plutôt, un effet direct de quelque force émanée des mains de
l'opérateur ? Il nous est impossible de répondre a la question tant que nous
n'aurons pas examiné le second probleme que nous énoncions tout a l'heure, a
savoir : quel est l'agent qui produit l'ensemble des effets obtenus par le
procédé neuroscopique.
Nous
touchons ici un point bien délicat.
Trois
hypotheses se présentent a nous :
1° La
cause inconnue réside dans la pression que les mains de l'opérateur exercent
sur les terminaisons nerveuses ; 2° elle réside dans la chaleur rayonnée par la
main ; 3° enfin elle réside dans l'influx nerveux qui, par une sorte
d'induction, influencerait les nerfs du sujet.
Nous ne
nierons pas que la pression ne puisse contribuer dans une certaine mesure aux
phénomenes, soit parce qu'elle suggestionne indirectement le sujet en
l'incitant a prendre un point d'appui sur les mains de l'opérateur, soit aussi
parce qu'elle produit une sorte d'énervement local dans la région touchée.
Nous
avons, en effet, remarqué qu'en malaxant et percutant légerement cette région
pendant quelques instants, on rend l'attraction plus rapide et plus forte. Mais
cette hypothese n'est plus applicable lorsqu'on agit sans contact, en
présentant simplement les mains a quelques centimetres de distance. La pression
peut donc etre une cause adjuvante ou concourante; elle n'est certainement pas
la cause principale et déterminante.
Il nous
paraît plus difficile d'apprécier l'action de la chaleur. D'une part, nous
avons cru observer que l'opérateur agissait d'autant mieux que la température
de ses mains était plus élevée. On sait aussi que la chaleur a une influence
hypnotique ; on s'endort plus facilement en été dans les journées chaudes. Un
expérimentateur allemand a pu transformer le sommeil ordinaire de certaines
personnes par la présentation, a quelques centimetres du front, de plaques
métalliques chauffées.
Mais,
d'autre part, certains expérimentateurs, nous avons pu le constater nous-memes
produisent des effets tres marqués, quoique leurs mains soient habituellement
froides. En outre, lorsque les mains n'entrent pas en contact avec le dos,
qu'elles en sont séparées par un intervalle qui peut varier de quelques
centimetres a plusieurs metres, comment la chaleur agirait-elle ? Il faudrait
supposer dans les nerfs de la région une sensibilité thermique vraiment
extraordinaire. Cette hyperesthésie serait peut-etre vraisemblable si le sujet
était en état d'hypnose, mais a cette premiere phase de l'expérimentation, il
est absolument dans son état normal. Ajoutons que si l'on fait agir sur le meme
sujet, dans les memes conditions, deux opérateurs différents, il arrive souvent
que l'un exerce une action tres forte, tandis que l'influence de l'autre est
nulle ou a peu pres nulle. Or, cette différence ne paraît point liée a une
inégalité de température. Enfin, lorsque celui de ces deux opérateurs qui est
efficace ajoute son action a celle de l'autre, le sujet se sent immédiatement
attiré par celui-ci. On ne peut guere supposer que la chaleur du premier
expérimentateur se transmet au second et de celui-ci au sujet.
Il
semble donc bien que, dans tous ces phénomenes, la chaleur, comme la pression,
ne fasse que recouvrir ou accompagner une autre force susceptible d'agir a
distance avec une extreme rapidité.
Nous
sommes ainsi amené a poser et a discuter une troisieme hypothese. Ne serait-ce
pas l'influx nerveux qui, s'échappant des extrémités digitales de l'opérateur,
envahirait les nerfs du sujet et y déterminerait, soit directement, soit plutôt
en provoquant une action réflexe, les différents phénomenes que nous avons
signalés ?
Mais
cette hypothese implique un fait que la physiologie actuelle du systeme nerveux
ne nous autorise pas, ce semble, a admettre, a savoir : que la force nerveuse
peut agir a distance d'un individu sur un autre, soit par un rayonnement
analogue a celui de la chaleur et de la lumiere, soit par une sorte d'influence
ou d'induction analogue a celle de l'électricité statique ou dynamique.
En
vérité, nous savons que l'électricité est partout, que tous les corps en sont
imprégnés ; or, le corps humain ne peut échapper a cette loi ; aussi,
pouvons-nous penser que l'énergie emmagasinée dans le corps de l'opérateur
peut, par un effort de la volonté de ce dernier, franchir les limites de son
corps et, de meme que les ondes hertziennes, aller influencer une personne
impressionnable ; ce que deux appareils de physique peuvent produire, deux
systemes nerveux peuvent le réaliser, l'éther devant tout aussi facilement
servir de véhicule a cette force qu'aux autres.
Donc, il
faut bien avoir le courage de le reconnaître, l'hypothese qui nous est suggérée
par l'analyse du procédé neuroscopique ressemble singulierement a l'hypothese
mesmérienne du magnétisme animal.
La
science a pendant longtemps écarté cette hypothese avec une sorte de mépris
systématique, et encore a l'heure présente, le mot meme de magnétisme animal
sonne désagréablement aux oreilles de la plupart des savants. Et cependant,
s'il fallait citer de grandes autorités scientifiques qui n'ont pas craint
d'admettre la possibilité ou meme la réalité du magnétisme animal, nous
pourrions invoquer ici les noms des Laplace[4],
des Cuvier, des Arago, etc. Laplace dit :
« De tous les instruments que nous pouvons
employer pour connaître les agents imperceptibles de la nature, les plus
sensibles sont les nerfs, surtout lorsque des causes particulieres exaltent
leur sensibilité. C'est par leur moyen qu'on a découvert la faible électricité
que développe le contact de deux métaux hétérogenes, ce qui a ouvert un champ
vaste aux recherches des physiciens et des chimistes. Les phénomenes singuliers
qui résultent de l'extreme sensibilité des nerfs dans quelques individus ont
donné naissance a diverses opinions sur l'existence d'un nouvel agent, que l'on
a nommé Magnétisme animal, sur
l'action du magnétisme ordinaire, sur l'influence du soleil et de la lune dans
quelques affections nerveuses ; enfin, sur les impressions que peut faire
éprouver la proximité des métaux ou d'une eau courante. Il est tres naturel de
penser que l'action de ces causes est tres faible et qu'elle peut etre
facilement troublée par des circonstances accidentelles. Ainsi, parce que dans
quelques cas elle ne s'est pas manifestée, il ne faut pas rejeter son
existence. »
« Nous
sommes si loin de connaître tous les agents de la nature et leurs divers modes
d'action qu'il serait peu philosophique de nier des phénomenes uniquement parce
qu'ils sont inexplicables dans l'état actuel de nos connaissances; seulement
nous devons les examiner avec une attention d'autant plus scrupuleuse qu'il
parait plus difficile de les admettre. »
Cuvier[5]
s'exprime ainsi :
«
Les effets obtenus sur des personnes déja sans connaissance, avant que
l'opération magnétique commençât, ceux qui ont lieu sur les autres personnes
apres que l'opération meme leur a fait perdre connaissance, et ceux que
présentent les animaux ne permettent guere de douter que la proximité des deux
corps animés, dans certaines positions et avec certains mouvements, n'ait un
effet réel, indépendant de toute participation de l'imagination. Il parait
assez clairement aussi que ces effets sont dus a une communication quelconque
qui s'établit entre deux systemes nerveux. »
« Je ne
saurais, dit Arago, approuver le mystere dont s'enveloppent les savants sérieux
qui vont assister aujourd'hui a des expériences de somnambulisme. Le doute est
une preuve de modestie, et il a rarement nui au progres des sciences. On n'en
pourrait dire autant de l'incrédulité. Celui qui, en dehors des mathématiques
pures, prononce le mot impossible manque de prudence. La réserve est surtout un
devoir quand il s'agit de l'organisation animale.»
Jusqu'ici
sans doute la physiologie a enseigné que la force nerveuse, quelle qu'en soit
d'ailleurs la nature intime, ne peut que circuler le long de ses conducteurs
naturels, qui sont les nerfs, sans pouvoir se répandre en dehors du réseau nerveux.
Mais les récentes découvertes de Golgi et de Ramon y Cajal, ainsi que les
théories histologiques déduites de ces découvertes, par notre éminent maître M.
le professeur Mathias Duval, et si magistralement exposées par M. le docteur
Charles Pupin dans sa these inaugurale le
Neurone[6], ont
profondément modifié les idées des physiologistes contemporains sur la
structure et, par conséquent, aussi sur les fonctions du systeme nerveux.
On
croyait autrefois a la continuité absolue du systeme nerveux, en ce sens qu'on
supposait les différents centres reliés les uns aux autres par des fibres
ramifiées et anastomosées sans solution de continuité. On sait aujourd'hui que
les éléments histologiques du systeme nerveux, c'est-a-dire les neurones ou
cellules nerveuses, avec l'ensemble de leurs prolongements, sont indépendants
les uns des autres, non solidaires, non continus, et qu'ils ne communiquent
entre eux qu'en établissant une contiguité temporaire et purement fonctionnelle
entre leurs ramifications terminales. Par conséquent, si, pour fixer les idées,
on compare l'influx nerveux a une sorte de courant, il n'est pas vrai que, meme
dans l'intérieur du corps d'un individu, ce courant circule d'une façon
continue a travers une partie plus ou moins considérable du réseau nerveux ;
pour passer d'un neurone a un autre, il doit forcément franchir l'intervalle
qui les sépare.
Donc, si
nous nous trompons, la nouvelle théorie de la cellule nerveuse et de l'influx
nerveux semble plutôt favoriser que contredire expressément l'hypothese du
magnétisme animal. Celle-ci n'est, en quelque sorte, que l'extension de
celle-la, puisqu'elle ne fait qu'étendre a deux cellules nerveuses, appartenant
a deux organismes distincts, la loi que la premiere établit pour deux cellules
nerveuses appartenant au meme organisme.
Il est
vrai que cette action de la force nerveuse hors d'un organisme sur un autre
demande a etre prouvée directement, car elle a contre elle, au point de vue
physiologique, cette objection que la peau est une barriere et que l'épiderme
est, comme le prouve l'expérience célebre de Dubois-Reymond, un assez mauvais
conducteur de l'électricité et par conséquent presque un isolateur. Cependant
les contractions musculaires forment un courant léger capable de dévier de
quelques degrés l'aiguille du galvanometre (Dubois-Reymond).
Il est
vrai aussi que rien ne prouve l'identité de la force nerveuse et de
l'électricité ; elles ont certainement de grandes analogies et, comme toutes
les forces de la nature, elles doivent etre des manifestations corrélatives de
l'énergie. Mais leurs différences sont trop nombreuses et trop importantes pour
qu'on ait le droit de les identifier absolument. Donc, de ce que l'épiderme
conduit mal l'électricité, il ne s'ensuit point qu'il ne puisse, sous certaines
conditions, etre perméable a la force nerveuse.
Quelles
preuves pourrait-on donner en faveur de cette hypothese ?
La
preuve décisive consisterait a produire, au moyen de la force nerveuse, des
modifications matérielles, des mouvements visibles dans un objet extérieur au
corps humain, par exemple, dans un appareil tel que la boussole ou le
galvanometre.
On a un
certain nombre d'observations qui sembleraient prouver que des individus, plus
ou moins atteints d'affection nerveuse, ont en effet produit des phénomenes de
cet ordre.
La jeune
Angélique Cottin, par exemple, si bien observée par plusieurs médecins, fut,
pendant quelque temps, une vraie bouteille de Leyde.
Cette
jeune fille, âgée de 14 ans, habitait le village de Bouvigny, pres de Perrieres
(Orne), et était, d'apres les observateurs qui l'ont étudiée, petite de taille,
robuste de corps, d'une apathie extreme.
Voici ce
qu'en dit le docteur Verger, le premier médecin qui ait observé Angélique
Cottin :
« Tout
ce que j'ai vu a été vu par un grand nombre de personnes dignes de foi, par des
notabilités du pays et plusieurs ecclésiastiques, et qui ont la conviction
profonde d'avoir bien vu. Peu de jours apres l'invasion de cette propriété
singuliere j'étais avec M. Fromage, pharmacien, M. Vacher, M. le curé de la
Perriere, quand on m'en parla. L'incrédulité fut ma premiere pensée, la
négation ma premiere réponse : je ne supposais pas de mauvaise foi aux
personnes qui me racontaient des effets aussi extraordinaires, mais je pensais
qu'elles s'étaient trompées dans leurs observations. Je me rendis donc a la Muzerie, avec une forte prévention
contre tout ce que j'entendais dire d'Angélique Cottin, que je connais
d'ailleurs depuis longtemps, ainsi que toute sa famille ; j'y trouvai beaucoup
de monde, car ces événements faisaient déja beaucoup de bruit. Les choses se
passerent, comme on vous l'a dit, en notre présence. »
« Nous
prîmes toutes les précautions possibles pour n'etre pas trompé : nous vîmes
bien, tres bien, des effets a distance, c'est-a-dire par le simple contact,
soit d'un fil de soie ou du tablier d'Angélique, soit du bas de sa jupe ; le
guéridon auquel son fil était accroché a été brusquement renversé, malgré ma
résistance. La jeune fille paraissait
entraînée irrésistiblement vers les objets qui fuyaient devant elle. Nous
expérimentâmes sur la chaise, l'effet eut lieu. Nous répétâmes deux fois l'expérience du panier avec succes. »
«
J'appris de M. de Farémont tout ce qu'il avait observé chez la fille Cottin ;
il la voit tous les jours ; son humble chaumiere est au pied de son
château. Il donna beaucoup de soins et de consolations a cette famille pauvre
et désolée, qui attribuait au sortilege la position de la jeune fille, devenue
incapable de travailler. »
« Je fis
part de tous ces phénomenes a M. Hébert, dont on ne saurait trop louer la
capacité et le zele pour la science. »
Le
docteur Lemonier, médecin a Saint-Maurice (Orne), et le docteur
Beaumont-Chardon, médecin a Mortagne, ont observé Angélique Cottin et affirment
la réalité des phénomenes. (Voir, pour plus de détails, les Mysteres de la Science, par Louis Figuier.)
Louis
Figuier dit, au sujet d'Angélique Cottin, faisant allusion au rapport de la
commission de l’Académie des sciences chargée d'examiner la jeune fille :
« Malgré
toute l'autorité des savants qui ont signé ce rapport, nous ne croyons pas que
la jeune villageoise de Bouvigny ne fut qu'une adroite faiseuse de tours
d'adresse, qui aurait sciemment trompé le public. Si les phénomenes
d'attraction et de déplacement mécanique ne se produisirent point dans les deux
séances de la commission académique tenues au Jardin des Plantes, ce résultat
négatif ne peut infirmer le témoignage de milliers de personnes qui avaient
constaté ce fait dans le département de l'Orne. Nous ne pouvons admettre que tant
d'observateurs, dont on a lu les récits consciencieux et détaillés, aient été
dupes de la rouerie d'une fille dont l'intelligence était fort bornée. Il est
plus simple d'admettre que le phénomene anormal qui s'était produit dans son
économie, apres s'etre manifesté au début avec une certaine violence, avait
perdu peu a peu de son intensité, et avait fini par disparaître. »
Le
docteur G. Pineau, médecin aux Peluies (Cher), observa, en 1857, sur une jeune
fille nommée Honorine Seguin, les memes phénomenes produits par Angélique
Cottin.
Une
autre jeune fille[7], Adolphine
Benoît, servante a Guillonville, fit assez de bruit par les phénomenes étranges
qui se produisaient a son approche, phénomenes analogues a ceux produits par la
jeune Cottin.
En 1880,
les journaux américains faisaient mention d'une nouvelle fille électrique, observée au Canada[8].
Mais des
observations sont toujours plus obscures et moins probantes que des
expériences. Nous attribuons donc une plus grande valeur aux expériences faites
par Lafontaine et de Humboldt, quoique la commission de l'Académie des sciences
n'ait pas réussi a les reproduire. Il faut sans doute, pour que le phénomene se
produise, des appareils d'une sensibilité extraordinaire. Nous savons qu'il
existe a Paris, chez M. le comte de P…, un galvanometre construit par
Rhumkorff, qui remplit cette condition. La bobine intercalée entre les deux
aiguilles astatiques est assez volumineuse pour supporter l'enroulement de 80
kilometres de fil d'argent.
Il a été
d'ailleurs décrit dans I'Encyclopédie
populaire de Cornil (librairie Poussielgue, article Magnétisme animal).
L'organisme
humain agit sur ce galvanometre comme le ferait une source d'électricité,
c'est-a-dire qu'il fait dévier l'aiguille plus ou moins rapidement a gauche ou
a droite, d'un certain nombre de degrés. Seulement il faut remarquer que ces
déviations n'ont ni le meme sens ni la meme amplitude pour les différentes
personnes, et ce qu'il y a surtout d'extraordinaire, c'est qu'on peut, par un
effort de volonté, du moins avec un certain entraînement, faire mouvoir
l'aiguille dans le sens que l'on désire, accélérer ou retarder son mouvement,
l'arreter enfin sur tel degré fixé d'avance. Il faut, pour obtenir cet effet,
s'abstenir de tout effort moteur, de toute contraction musculaire, mais
concentrer toute son attention sur la partie du corps, droite ou gauche, vers
laquelle on veut diriger l'aiguille. En tout cas, dans ces curieuses
expériences dont nous avons été témoin, l'homme agit sur l'appareil comme le
ferait une pile douée de volonté. Il serait bien désirable que des expériences
méthodiques fussent instituées pour vérifier et déterminer les propriétés du
magnétisme animal au moyen de ce galvanometre.
On
pourrait encore prouver le rayonnement de la force nerveuse par la vision des
sujets qui prétendent percevoir les effluves magnétiques dans l'obscurité la
plus complete, si les affirmations des sujets n'étaient pas toujours entachées
de suggestion et d'auto-suggestion. Il nous semble bien pourtant que, dans les
trois premieres séries d'expériences rapportées par M. de Rochas dans son livre
sur l'Extériorisation de la sensibilité,
toutes les précautions ont été prises pour éliminer cette cause d'erreur. Mais
le véritable moyen de lever tous les doutes, ce serait de photographier les
effluves. Nul ne pourrait plus douter du magnétisme animal, le jour ou l'on
pourrait en montrer le spectre sur une plaque sensible. Nous ne désespérons pas
de voir ce probleme résolu.
Dans
l'état actuel de nos expériences et de nos connaissances, nous devons nous
contenter de tirer nos preuves de l'action exercée sur les etres vivants. Or,
c'est surtout ici que l'objection de la suggestion et de l'auto-suggestion
devient redoutable.
Les
premiers magnétiseurs attribuaient indistinctement au magnétisme animal tous
les phénomenes qu'ils observaient sur leurs sujets. Or, nous savons
aujourd'hui, apres les travaux de Faria et de Braid, apres ceux de l'école de
Paris et de l'école de Nancy, que ces phénomenes peuvent etre, pour la plupart,
produits en dehors de toute influence magnétique, par l'hypnotisme ou la
suggestion.
Il ne
suffirait donc pas, pour prouver l'action a distance de la force nerveuse, de
dire qu'on a endormi des sujets soit par le regard, soit par des passes, car il
se peut que le regard n'agisse que par l'hypnotisme et que les passes doivent a
la suggestion toute leur efficacité.
Les
seules expériences probantes, au point de vue particulier ou nous nous plaçons
ici, sont donc celles d'ou toute suggestion, toute hypnotisation proprement
dites sont rigoureusement exclues, et ou le seul agent employé ne peut etre que
la force nerveuse présumée, opérant a plus ou moins grande distance. Ces
conditions ne sont-elles pas remplies dans les expériences qui ont pour sujets
les animaux, comme celles dont nous trouvons le récit dans Lafontaine[9]
?
« J'ai
fait des essais sur plusieurs animaux, et j'ai obtenu un plein succes. Le
public de Paris se rappelle sans doute le chien que je présentai, le 20 janvier
1843, dans une séance publique, salle Valentino.
« C'était
un petit lévrier qui m'avait été donné depuis huit jours ; quinze cents
personnes se trouvaient dans la salle, parmi lesquelles beaucoup d'incrédules
et de malveillants.
« Des
les premieres passes que je fis pour endormir le chien, ce fut une explosion de
railleries et de sifflets. On appelait l'animal, on cherchait a détourner son
attention et a empecher l'effet de se produire.
«Je le
tenais sur mes genoux : d'une main, je lui prenais une patte, et de l'autre je
faisais des passes de la tete au milieu du corps. Apres quelques minutes, le
silence le plus profond régnait dans la salle ; on avait vu la tete du chien
tomber de côté et s'endormir profondément. Je lui cataleptisai les pattes, je
le piquai, et le chien ne donna aucun signe de sensation. Je me levai et le
jetai sur un fauteuil ; il resta sans faire le plus petit mouvement : C'était
un chien mort pour tous. On lui tira un coup de pistolet a l'oreille : rien
n'indiqua qu'il eut entendu.
«
Plusieurs personnes vinrent lui enfoncer des épingles par tout le corps :
c'était un vrai cadavre.
« Je le
réveillai, et aussitôt il redevint vif, gai, comme il était auparavant, le nez
en l'air, tournant la tete a chaque bruit, a chaque appel.
« Ici on
ne pouvait plus douter, on ne pouvait plus croire au compérage ; il fallait
admettre le fait, le fait physique, l'action sur les animaux. »
Lafontaine
affirme avoir agi ainsi sur des lions, des chats, des lézards. Si ses dires
sont exacts, et nous n'avons pas de raison d'en douter, puisque les expériences
de Lafontaine eurent beaucoup de témoins, nous ne pouvons guere attribuer ces
faits a la suggestion.
Ces
conditions paraissent aussi suffisamment remplies dans les expériences d'action
a distance faites par le baron du Potet et rapportées par lui dans son Cours de magnétisme en douze leçons.
Nous donnerons plus loin ces preuves irréfutables.
Ces
expériences ont été reprises de nos jours avec un dispositif expérimental tres
méthodique et tres précis par M. le professeur Boirac, auquel nous emprunterons
quelques citations.
Comment
expliquer, dans les hypotheses classiques de l'hypnotisme et de la suggestion,
l'action des passes sur des personnes déja endormies du sommeil naturel, dont
voici un exemple tres significatif, emprunté aux Bulletins de la Société de
psychologie (Revue Philosophique, no
21, 1886, p. 674) :
«
Pendant l'été de 1854, a Paris, plusieurs étudiants en médecine se trouvaient
réunis dans un appartement de la rue de l'Est, habité par l'un d'eux. Les
étudiants travaillaient a une table, ne pretant nulle attention a une femme,
profondément assoupie, non loin de la, sur un fauteuil.
« A ce
moment entra T... (le docteur Tainturier, qui fut maire de Dijon, et mort il y
a quelques années).
«A cette
époque, T... avait un peu la manie de magnétiser toutes les femmes qu'il
rencontrait. Il vit celle-ci endormie, et commença a pratiquer sur elle des
passes magnétiques, d'une seule main, d'apres la méthode dite de Deleuze, ou de
Puységur.
« Au
bout d'un tres court instant, on remarqua les contractions du bras, chaque fois
que la main de T... frôlait le membre.
« La
femme parut avoir passé du sommeil naturel au sommeil magnétique.
« Les
symptômes physiologiques étaient tres nettement accusés : convulsion des
pupilles en haut, hyperesthésie, immobilité cataleptique des membres dans la
situation ou on les plaçait.
« Les
manifestations psychologiques ne furent pas moins remarquables.
«
Exaltation de la mémoire, acuité des sens augmentée ; rien n'y manqua.
« Apres
une séance assez prolongée, T... fit les passes du réveil sur la partie
supérieure du corps. La femme ouvrit les yeux et étendit les bras. Mais
lorsqu'on lui donna ordre de se lever pour partir, elle sembla paralysée des
jambes. Enfin T... la réveilla completement et elle put se lever.
« La
femme avait été bien réellement endormie inconsciemment. Elle avait perdu la
mémoire de ce qui s'était passé, et, faisant allusion aux dernieres passes
pratiquées sur les jambes, elle demandait : « Qu'est-ce qu'il me voulait
celui-la ? » Depuis cette époque, et a plusieurs reprises, la femme fut
endormie par les memes procédés. Elle ne voulait pas consentir a etre
magnétisée, se refusant de servir de jouet aux étudiants. On prenait alors le
parti de la laisser livrée a elle-meme sans lui adresser la parole. Comme elle
était fort illettrée, et n'avait aucun gout pour aucune occupation, elle
s'endormait sur son fauteuil. Lorsqu'elle était enfin plongée dans un sommeil
naturel, on pratiquait les passes, et on la faisait entrer dans un sommeil
somnambulique, parfaitement caractérisé ». (Dr Bonnassier).
On a, il
est vrai, objecté a plusieurs de ces expériences quelles prouvaient non le
magnétisme animal, mais la suggestion mentale. Il nous semble que cette
objection repose sur une étrange confusion d'idées. Que peut etre en effet la suggestion
mentale sinon un cas particulier du magnétisme animal ? Il ne faut pas nous
laisser tromper ici par le mot de suggestion, ce qu'il y a de remarquable dans
ce phénomene, ce n'est pas que l'individu réalise la suggestion, c'est qu'il la
reçoive a distance, en dehors de tous les signes habituels du langage ou de la
physionomie, par la seule vertu de la volonté ou de la pensée. Or, ceci ne peut
se comprendre qu'en supposant que le cerveau de l'opérateur agit par une sorte
de rayonnement ou d'induction sur le cerveau du sujet. Donc, a nos yeux, tout
ce qui prouve la suggestion mentale, la transmission de pensée, etc., prouve a fortiori le magnétisme animal.
Or,
malgré les dénégations systématiques des écoles de Paris et de Nancy, rien ne
nous paraît moins douteux que cette possibilité de l'action a distance d'un
cerveau sur un autre. Nous en trouverons des preuves d'abord dans les célebres
expériences de du Potet a l'Hôtel-Dieu, ensuite dans celles faites au Havre par
MM. le Dr Gibert et Pierre Janet, dont nous en citerons quelques-unes[10].
Les
premiers partisans du magnétisme animal, qui lui donnerent son nom, imbus des
idées scientifiques de leur temps, se représentaient un fluide plus ou moins
subtil, de nature spéciale, qui émanerait des mains, des yeux, du cerveau de
certains individus : c'était l'époque ou la physique admettait un grand nombre
de fluides, autant qu'il en fallait pour expliquer les différentes catégories
de phénomenes naturels : lumiere, chaleur électricité, magnétisme, etc.
Entendue en ce sens, l'hypothese du magnétisme animal est en contradiction
formelle avec toutes les théories de la science actuelle et nous n'avons
nullement l'intention de la soutenir.
La
physique contemporaine a fait bon marché de tous les fluides imaginaires admis
par la physique du siecle dernier ; elle explique tous les phénomenes naturels
en les rapportant a une seule et meme cause : l'énergie ou la force soit
actuelle, soit potentielle, dont la somme reste constante, mais qui peut
revetir un tres grand nombre de formes différentes. Ce sont ces modalités de
l'énergie, toutes convertibles entre elles, qui, se manifestant a nos sens par
des effets plus ou moins dissemblables, constituent la chaleur, la lumiere,
l'électricité, l'affinité chimique, etc.
Si donc
on tient a conserver le nom de magnétisme animal, pour désigner l'action que
des etres vivants peuvent exercer les uns sur les autres, a distance, par une
sorte de rayonnement ou d'influence réciproque de leurs organismes, il ne peut
évidemment etre lui aussi qu'un mode particulier de l'énergie, intimement lié a
tous les autres, pouvant se convertir en eux comme ils peuvent se convertir en
lui ; et il ne saurait nullement etre question ici d'un soi-disant fluide
spécial qui serait exclusivement propre aux etres humains ou meme a certains
individus exceptionnels de l'espece humaine.
Il est
vrai que, pour rendre compte de toutes les transformations et équivalences des
forces de la nature, nos physiciens contemporains se croient obligés de
supposer, outre la matiere pesante, que nos sens perçoivent plus ou moins
directement, une matiere impondérable qu'ils conçoivent a l'image des fluides
les plus subtils et qu'ils appellent l'éther. C'est le fluide éthéré qui, selon
eux, sert de récipient et de véhicule aux vibrations, ondulations et en général
aux mouvements de toutes sortes par lesquels se produisent tous les phénomenes
de la nature. A ce point de vue, la force bio-magnétique ne peut etre, elle
aussi, qu'un mode particulier des mouvements de l'éther. Or nul ne peut
prétendre que toutes les especes de mouvements dont l'éther est susceptible
soient d'ores et déja connus et déterminés a priori ni, a plus forte raison,
qu'elles aient été observées et analysées a posteriori. A côté des forces que
nous connaissons déja, il en existe certainement beaucoup d'autres qui ont
encore échappé a nos conceptions et a notre expérience et que la science de
l'avenir découvrira sans doute.
La
découverte des rayons Roentgen, celle plus récente du radium et d'autres corps
radio-actifs, montrent assez clairement combien il serait téméraire de vouloir
borner a jamais, par des négations de parti pris, le champ des explorations
scientifiques de nos arriere-neveux.
Cependant,
il faut bien l'avouer, presque tous les savants se sont montrés jusqu'ici
résolument hostiles a l'hypothese du magnétisme animal, et une résistance aussi
générale, aussi tenace, tient sans doute a des causes profondes qu'il n'est pas
sans intéret de rechercher ici.
La
premiere, sinon la plus importante de ces causes, est en somme étrangere a la
science, mais « pour etre savant on n'en est pas moins homme ».Des son
apparition, le magnétisme animal a été surtout prôné, soit par des savants plus
ou moins honorés, comme Mesmer, soit par des amateurs, soit meme, hélas ! Par
des charlatans. On l'a présenté comme une sorte de panacée universelle, ou, ce
qui est pire, comme une sorte de magie, de sorcellerie dont les secrets
violeraient toutes les lois de la nature. Au lieu de le soumettre a l'épreuve
d'une expérimentation méthodique et prolongée, on s'est hâté de le rédiger en
un corps de doctrines, et on en a tiré, sans plus ample examen, toute une
médecine nouvelle qu'on a prétendu substituer d'emblée a la médecine
traditionnelle, ouvre de plusieurs siecles de travaux.
On
comprend que les savants aient été médiocrement attirés par une hypothese qui
se présentait a eux sous de si mauvais auspices. Il a fallu un véritable
courage a ceux d'entre eux qui, comme Broussais, Husson, Bertrand, Teste,
Charpignon, etc., ont osé la regarder de pres et reconnaître qu'elle contenait
une vérité.
Nous ne
devons pas avoir moins de reconnaissance et moins d'admiration pour Charcot,
Mathias-Duval, Dumontpallier, Charles Richet, Luys, Liebeault, Bernheim, etc.,
qui, au moment ou le magnétisme animal paraissait completement discrédité, ou
le nom meme en était proscrit, ont de nouveau appelé l'attention du monde
savant sur les phénomenes étudiés par les anciens magnétiseurs, et ont
définitivement forcé le public a admettre la réalité, jusqu'alors contestée, du
somnambulisme artificiel.
Mais a
cette raison de sentiment s'ajoutent des raisons d'ordre véritablement
scientifique.
Tout
d'abord, dans toutes les sciences, c'est une regle fondamentale qu'il ne faut
supposer une nouvelle force que lorsqu'il est absolument impossible de faire
autrement ; c'est la ce qu'on a appelé « la loi d'économie ». Il est inutile de
peupler la nature d'une multitude d'entités imaginaires, comme le faisait
l'ancienne philosophie, principalement au Moyen âge. Nous avons des preuves
directes de l'existence de la chaleur, de la lumiere, de l'électricité, etc.,
car toutes ces forces tombent plus ou moins completement sous notre observation
: donc ce n'est pas faire des hypotheses gratuites que d'admettre leur réalité.
Mais il n'en est pas ainsi du magnétisme animal. Cette force ne peut se
conclure qu'indirectement d'un certain nombre d'effets qu'il serait impossible
d'expliquer par toute autre cause. Donc, avant de recourir a cette hypothese,
on doit essayer toutes les autres issues. On doit, par conséquent, rechercher
si les propriétés déja connues de la chaleur, de l'électricité, de la force
nerveuse, de l'imagination, de l'imitation, de la sympathie, etc., etc., ne
suffiraient pas a rendre compte des phénomenes qu'on attribue a tort a une
force nouvelle, non définie, non classée, telle que le magnétisme animal. Ce
raisonnement nous paraît, en effet, légitime. Si l’on peut se passer de cette
hypothese, il est inutile de la faire. Mais justement toute la question est de
savoir si l'on peut s'en passer. Or, il nous semble bien que les faits
l'imposent. Aucune des forces, actuellement connues, ne peut rendre vraiment
compte de ces phénomenes d'attraction et d'action a distance que nous
signalerons et qui se multiplieront encore, nous n'en doutons pas, a mesure
qu'ils seront étudiés par un plus grand nombre d'expérimentateurs.
Une
seconde raison fait encore hésiter les savants qui seraient tentés d'admettre
cette nouvelle force, ou plutôt cette nouvelle modalité de la force. Sans en
avoir peut-etre bien clairement conscience, ils se font, en quelque sorte, le
raisonnement que voici : supposez que le magnétisme animal existe, il doit
faire partie de la nature d'une façon normale et constante. Ainsi, chaque
organisme doit rayonner perpétuellement cette influence particuliere, et par
conséquent aussi la recevoir des organismes voisins.
Comment
alors se fait-il que le magnétisme animal se manifeste d'une façon si
irréguliere, si intermittente, dans des cas aussi peu fréquents et toujours
plus ou moins exceptionnels ?
« Vous
nous prouvez, pourrait-on dire, aux partisans de cette hypothese, l'existence
et l'action de cette force au moyen d'expériences qu'on ne peut réussir qu'avec
certains sujets particuliers, que vous avez en quelque sorte dressés pour cela,
et cependant, encore une fois, si la force est réelle, elle doit exister et
agir partout et toujours. » Voila bien en effet la principale difficulté de
l'hypothese du magnétisme animal, mais nous ne croyons pas qu'elle constitue
une objection insurmontable.
Il n'est
peut-etre pas une seule force dans la nature dont l'action ne puisse etre
contrebalancée par celle des autres forces, et qui, par conséquent, n'ait
besoin de certaines conditions spéciales pour devenir pleinement accessible a
notre observation.
Faites
agir l'aimant le plus puissant sur l'or, l’argent, le cuivre, le plomb,
l'étain, etc., vous n'aurez pas le moindre soupçon de ses propriétés
attractives. Mettez-le devant le fer, aussitôt la force magnétique se révélera.
Sans le
dispositif expérimental imaginé par le Professeur Roentgen, avec la
collaboration du hasard, les physiciens seraient passés éternellement a côté
des rayons X, sans se douter de leur existence. Avant que Pasteur eut montré le
rôle immense des microbes dans la nature, qui en connaissait seulement le nom ?
Mais c'est surtout l'électricité, qui, a notre avis, nous aidera a comprendre
comment une force peut etre a la fois absolument constante dans ses effets
réels, dans ceux qu'elle produits au sein de la nature, et absolument
inconstante dans ses effets apparents, dans ceux qu'elle laisse arriver jusqu'a
nos sens, aussi longtemps du moins que nous n'avons pas réussi a la capter et a
l'emprisonner dans nos appareils. En effet, l'ancienne physique ignorait a peu
pres entierement l'électricité : Galilée, Descartes n'en avaient pas la moindre
idée ; ils s'en passaient parfaitement pour l'explication des phénomenes
naturels, et on les aurait certainement beaucoup surpris si on leur avait dit
qu'il existait dans la nature une force aussi universellement répandue et aussi
importante par ses effets que la pesanteur ou la lumiere.
On avait
bien remarqué depuis Thales qu'un morceau d'ambre frotté acquiert momentanément
la propriété d'attirer des corps légers, mais ce phénomene paraissait un simple
jeu de la nature, une expérience curieuse, amusante, dont il n'y avait pas
grande conséquence a tirer. On peut d'ailleurs concevoir un état de choses ou
l'électricité, tout en étant partout présente et partout agissante, aurait été
éternellement dérobée a la connaissance humaine. Il suffit pour cela de
supposer que les corps mauvais conducteurs auraient pu etre sur notre planete
beaucoup plus rares qu'ils ne le sont, ou meme simplement que l'air
atmosphérique sec aussi bien qu'humide aurait pu etre un bon conducteur. Dans
cette hypothese, l'électricité a chaque instant produite par toutes sortes de
causes : frottement, action chimique, etc., aurait été a chaque instant
répandue et perdue, sans produire d'effets sensibles, dans l'ensemble de la
masse terrestre.
Voila
donc un exemple d'une force qui existe et agit partout et toujours, et dont
cependant les effets peuvent fort bien ne se manifester nulle part ni jamais.
C'est
seulement a partir du jour ou les savants ont pu construire et manier les
machines et les piles électriques qu'ils ont pu se convaincre que
l'électricité, en apparence irréguliere et capricieuse, obéit en réalité a des
lois constantes et générales. Il n'en saurait etre autrement, a notre avis, du
magnétisme animal. Un jour viendra aussi, nous en avons la ferme espérance, ou
l'on pourra montrer expérimentalement que son action s'exerce toujours, quoique
a des degrés divers, sur tous les organismes, et qu'il y provoque toujours des
réactions nécessairement proportionnées a leurs divers degrés de réceptivité.
Théorie de M. C. Achard. - Nous croyons devoir placer ici une théorie
des plus intéressantes, celle d'un jeune et déja profond philosophe, M. C.
Achard, professeur, qui se rapporte aussi bien aux phénomenes physiques du magnétisme
qu'aux manifestations psychiques. Le lecteur pourra mieux l'apprécier lorsqu'il
aura lu la 3° partie de notre travail.
«
L'univers est un laboratoire ou, selon le mot de Lavoisier, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme... Les corps
qui nous entourent, tous ceux qui occupent l'espace peuvent etre soumis aux
lois de l'analyse et de la synthese. A toute transformation correspond une
reconstitution qui ne s'opere que sous l'influence négative de la force qui a
produit le changement d'état et non sous l'action d'une force opposée sans quoi
ce dernier serait impossible. Donc, si, par une synthese universelle, l'élément
transformé revenait a son essence primitive, il n'y aurait dans la nature que
deux principes : l'un - principe actif - serait une force qui agirait sur
l'autre - essentiellement passif - et le modifierait. Les propriétés
particulieres a chaque corps seraient dues a des actions différentes de cette
force ou principe vital qui agirait meme sur les plus infimes parties de
l'élément transformable. Toutes propriétés égales seraient le résultat d'une
meme action sur des parties égales de celui-ci. On sait, d'ailleurs, que les
etres de constitution organique a peu pres semblable ont des facultés communes.
L'homme et les animaux dits « supérieurs », qui ont une étroite parenté
anatomique, se ressemblent énormément par les sens. D'autre part,
l'intelligence, qui est le propre de la forme matérielle humaine suppose
conséquemment quelque différence physiologique.
« Le
principe actif universel imprime un mouvement général a notre organisme et
donne a toutes ses parties, si petites qu'on puisse les concevoir, un pouvoir
particulier. Etant dirigés par la meme puissance, les etres humains ne
différeraient pas, dans l'étendue de leurs facultés, s'ils étaient organisés
d'une façon absolument identique. La dissemblance de leur constitution physique
ne crée pas une dissemblance dans la nature de ces facultés, mais elle modifie
leur intensité. Ainsi nous avons tous les memes
sens qui s'émeuvent sous les memes
influences, mais leur impressionnabilité comporte des degrés. Cela tient a ce
que les organes doués de ce pouvoir ne sont pas rigoureusement égaux dans leur
état pondérable ; leurs molécules, si ce mot désigne l'infiniment petit
matériel, ont le meme caractere et la meme destination, mais elles ne sont pas
en meme nombre.
« En
admettant cette hypothese, on s'explique pourquoi certaines personnes, par
exemple, ont la vue plus perçante que celle d'autres personnes, l'ouie plus
fine ou l'odorat plus subtil, etc. ; pourquoi également, a la suite d'une
maladie, d'un choc, d'une lésion qui provoquent un changement d'état
moléculaire organique, nos sens ou nos facultés s'affaiblissent, perdent tout
ou partie de leur pouvoir ; on ne s'étonne point enfin que ce pouvoir soit
restauré ou développé, par une nourriture profitable, par des remedes
convenablement administrés, par des soins opportuns donnés a notre corps,
toutes choses qui favorisent notre reconstitution ou notre accroissement
physiologiques.
« Par le
principe vital qui pénetre tout, les etres sont toujours en communication ; on
peut le considérer comme le véhicule prédestiné de toutes nos influences
réciproques.
« Le
rôle de nos sens et de nos facultés est objectif
si l'on considere leur affectation organique et subjectif par rapport au principe qui les anime. On doit tenir
compte de ce double caractere, si l'on veut expliquer l'action magnétique.
«
Lorsque le magnétiseur agit efficacement sur le magnétisé, leur état subjectif
étant commun, la prépondérance objective appartient a la plus grande masse
objectivée. En d'autres termes, le premier se trouve en supériorité moléculaire
organique sur le second. S'il y avait équilibre moléculaire entre l'opérateur
et le sujet, celui-ci ne serait nullement subordonné a celui-la. Évidemment
nous ne considérons pas, dans cette assertion, le poids effectif du corps
humain, mais seulement la partie essentielle des organes qui remplissent les
principales fonctions et nous mettent en relation avec tout ce qui nous entoure.
« Si le
magnétisé est dans un état d'infériorité moléculaire nerveuse, il se trouve
sous la dépendance sensorielle du magnétiseur ; il voit, entend, se meut, sent
et souffre au gré de l'influence qu'il subit. Pour la meme raison, la
suprématie de la volonté, des facultés intellectuelles ou morales sera le
privilege de celui qui aura la supériorité moléculaire de l'organe doué de ces
facultés. Une volonté, si ferme qu'elle soit, ne suffit donc pas pour obtenir
des résultats; il faut avant tout etre matériellement capable de magnétiser.
Ces données justifient les actions inégales des opérateurs sur des sujets
différents ou leur action nulle sur certains sujets.
« 1°
Lorsqu'un expérimentateur n'a aucune influence sur une personne, il y a entre
eux équilibre moléculaire nerveux et cérébral (nous faisons cette distinction
en considérant le cerveau comme étant le siege de la volonté, des facultés
intellectuelles et morales) ;
« 2°
L'action n'est pas la meme sur tous les sujets parce qu'ils ne présentent pas
tous le meme état moléculaire nerveux ou cérébral ;
« 3° Un
meme sujet peut ne pas avoir toujours la meme subordination, qui varie avec son
état physiologique ;
« 4° Les
sujets endormis qui n'obéissent que par les sens se trouvent dans un état
d'infériorité moléculaire nerveuse;
« 5°
Certains sujets sont en dépendance complete par les sens, la volonté et les
facultés de l'âme a cause d'une infériorité moléculaire générale, nerveuse et
cérébrale (somnambulisme) ;
« 6°
Certains sujets éveillés cedent particulierement a l'influence psychique de
l'opérateur, par suite d'une infériorité moléculaire cérébrale exclusive.
« Si
nous considérons les différentes parties de notre corps ou plus exactement
comment notre etre se manifeste vivant, nous remarquons qu'il y a une réelle
hiérarchie dans les attributions de nos organes. Ainsi, certains tissus ne nous
paraissent jouer qu'un rôle protecteur ; les os ne sont que des supports de
notre chair ; les muscles n'ont qu'une action mécanique ; mais les nerfs ont
des propriétés supérieures, ils nous permettent de voir, de sentir, d'entendre,
de gouter, de toucher, de nous mouvoir ; enfin le cerveau remplit les plus
importantes fonctions, les fonctions psychiques. Notre organisme n'étant que
l'instrument de notre volonté guidée par notre pouvoir intellectuel et moral,
on doit admettre que le principe directeur de nos actes se confond avec cette
puissance indéfinissable qui commande
l'infini, mais qu'elle est limitée
pour l'homme aux conditions vitales de son corps. Lorsque nous subissons la
grande transformation qu'on appelle la mort, la vie psychique ne s'éteint pas
et la vie matérielle se poursuit sous d'autres états et sous d'autres actions.
Les vivants sont troublés par ce changement parce qu'ils n'ont plus le
spectacle d'une vie semblable a celle qui se révele par leurs organes et leurs
sens.
« Il est
facile également, par notre hypothese de la dualité des éléments, de justifier
chez l'homme le fonds d'idéal moral qui le caractérise et sa croyance a la
perfection. Comme etre organisé, il vit par les sens qui lui procurent selon la
nature des impressions qu'ils reçoivent, le plaisir ou la douleur, et qui
constituent la vie spécifique de l'homme sur la terre. Mais par notre
personnalité morale, par l'âme qui paraît etre, pour nous, la plus haute
manifestation du principe supérieur universel, nous avons conscience d'une
existence idéale, pure, indépendante de la chair. La vie organique n'est qu'une
partie de la vie universelle et ne peut etre parfaite, étant incomplete ; elle
est une source : 1° de l'erreur qui naît de l'incapacité de nos sens pour la
découverte et l'analyse exacte des impressions qu'ils reçoivent ; un appareil
de physique mis a leur service corrige parfois leurs appréciations, ce qui
montre combien l'immuabilité des lois scientifiques est subordonnée aux progres
de la science elle-meme; 2° de la souffrance, qui est provoquée par toute
relation désagréable de notre organisme avec le monde extérieur, ou parfois par
la lutte de notre pouvoir psychologique avec les appétits de nos sens. Aussi,
la pierre de touche de la vertu n'est-elle pas, dans une certaine mesure, le
triomphe de l'âme sur le corps ? Résister a nos instincts égoistes, n'est-ce
pas, en quelque sorte, chercher a nous détacher le plus possible de notre destination
corporelle trop spéciale ? »
|