CHAPITRE V: L'HYPNOPTISME ET LA SUGGESTION.
Braid
James, chirurgien anglais, né a Rylaw-House (Ecosse) en 1795, mort a Manchester
en 1860.
En 1841,
notre compatriote Charles Lafontaine faisait des démonstrations magnétiques a
Manchester. Ses séances étaient suivies par la bonne société de cette ville et
avaient le plus grand succes.
Le
docteur Braid, apres avoir suivi, avec grande attention, les expériences de
Lafontaine, voulut démontrer que le fluide
vital de l'expérimentateur n'existait pas et il produisit une sorte de
sommeil nerveux - par d'autres procédés - identique, pour lui, a celui obtenu
par les procédés des magnétiseurs.
Il attribua
d'abord les phénomenes magnétiques a l'innervation ou a l'imagination des
sujets, mais un fait l'avait cependant frappé : il avait remarqué qu'un sujet
endormi ne parvenait pas, malgré de grands efforts, a ouvrir les yeux, et il en
conclut qu'il y avait la quelque chose de réel, mais que cet effet était
certainement du a une cause autre que le magnétisme animal ou a l'action d'un
fluide quelconque émanant de l'opérateur pour pénétrer dans l'opéré.
Il
reconnut le premier qu'en plaçant un objet brillant a une distance de 0 m. 25 a
0 m. 45 des yeux d'un sujet, celui-ci s'endormait au bout d'un quart d'heure
environ, mais a la condition qu'il le voulut fermement et fut parfaitement
docile aux injonctions de l'expérimentateur. Il créa ainsi la neurypnologie ou l'hypnotisme.
Braid a
publié plusieurs ouvrages sur ces questions : Neurypnologie ou le sommeil nerveux considéré dans ses rapports avec le
magnétisme animal ; magie, sorcellerie, magnétisme animal, hypnotisme et
électrobiologie, observations sur l'extase.
Au début
de ses expériences, ce médecin attachait un bouton en métal sur le front du
sujet et lui recommandait de le fixer attentivement ; mais il ne tarda pas a
s'apercevoir que son procédé fatiguait énormément ceux qui s'y soumettaient :
ces derniers se trouvaient au bout d'un instant incapables de continuer a fixer
le bouton. Le seul résultat obtenu était une fatigue excessive dans les yeux,
accompagnée de maux de tete.
Pour
obvier a cet inconvénient, il changea sa méthode et plaça un objet brillant
au-dessus du front du patient a la distance que nous avons indiquée plus haut,
de maniere que ce dernier fut obliger de faire des efforts assez grands pour
fixer l'objet.
« Il
faut faire entendre au patient, dit Braid, qu'il doit tenir constamment les yeux
fixés sur l'objet, et l'esprit uniquement attaché a l'idée de ce seul objet. »
Cet
expérimentateur rapporte dans ses écrits une foule d'expériences en tout
semblables a celles obtenues par les magnétiseurs, mais il avoue qu'avec sa
méthode il n'a jamais pu produire certains phénomenes avancés par ces derniers.
Il dit encore qu'il a essayé les procédés des mesmériens et que ces procédés ne
lui ont pas donné d'autres résultats que ceux qu'il a l'habitude d'obtenir avec
les siens.
«
Pendant longtemps, dit-il, je crus a l'identité des phénomenes produits par ma
façon d'opérer et par celle des partisans du mesmérisme ; d'apres les
constatations encore actuelles, je crois tout au moins a l'analogie des actions
exercées sur le systeme nerveux. Toutefois, et a en juger par ce que les
magnétiseurs déclarent produire dans certains cas, il semble y avoir assez de
différence pour considérer l'hypnotisme
et le mesmérisme comme deux agents
distincts. »
Si M.
Bottey et d'autres médecins hynoptiseurs avaient lu attentivement la
Neurypnologie de Braid, ils n'auraient pas avancé et soutenu de graves erreurs ;
car le créateur de l'hypnotisme n'a nullement porté un coup décisif au
mesmérisme et au fluidisme et, quoique
tués, ils ne s'en portent pas plus mal, comme nous le verrons dans la
suite.
Braid
était un ardent partisan du systeme de Gall, et on voit, par ses écrits,
combien était grande sa passion pour la Phrénologie. Il revient fréquemment sur
ce sujet et il est a la fois enthousiasmé et embarrassé par l'étrangeté de ces phénomenes,
phénomenes que la plupart des mesmériseurs admettaient et que le Dr P. Sollier,
dans les Phénomenes d'Autoscopie,
définit d'une autre façon et semble justifier.
Nous
pensons pouvoir démontrer, dans le cours de notre ouvrage, aux esprits non prévenus
tout au moins, que Braid se trompait en disant :
« Quant
a la prétention qu'ont certains opérateurs d'influencer les sujets de pres ou
de loin, par la seule force de la volonté, j'affirme que je n'ai jamais réussi
a exercer la moindre influence sur les patients par ma seule volonté, mais les
patients semblaient comprendre rapidement et subtilement les manieres, la voix,
le regard, les gestes meme de l'opérateur, et devenaient affectés dans le sens
qu'ils leur pretaient. L'opérateur,
cependant, pouvait avoir voulu absolument le contraire.
« Je
soutiens que l'opérateur agit comme un mécanicien qui mettrait en action les
forces dans l'organisme meme du patient, les dirigeant, les contrôlant d'apres
des lois qui gouvernent le commerce de l'esprit et de la matiere pendant notre
existence actuelle. »
Que veut
dire Braid par le commerce de l'esprit et
de la matiere pendant notre existence actuelle ? C'est assez confus.
Et il
ajoute : « La vraie cause de ces phénomenes de veille-illusions et
hallucinations n'est pas une influence extérieure : c'est une illusion interne
et intellectuelle, qui survient souvent a la suite d'affirmations positives que
fait une autre personne. » Ce n'est pas aussi vrai que le dit l'auteur de la
Neurypnologie.
La
méthode du chirurgien de Manchester resta dans l'oubli jusqu'en 1860. Le
professeur Azam, de Bordeaux, qui avait lu une analyse élogieuse du livre de
Braid, par le physiologiste Carpenter, dans l'Encyclopédie anglaise de Tuod,
eut l'occasion de l'expérimenter sur une de ses malades, qui présentait des
analogies avec les cas publiés par Braid, et voici l'observation d'Azam publiée
en 1860, dans les Archives générales de médecine.
« Marie
X..., âgée de 23 ans, ouvriere en orfevrerie, est grande et bien constituée,
d'un tempérament nerveux, mais n'a jamais eu d'attaques de nerfs ; sa santé a
toujours été bonne ; elle porte sur le visage les traces peu apparentes d'une
ancienne paralysie faciale. Assise sur une chaise ordinaire, je la prie de
regarder une clef, un lancetier, un objet brillant quelconque placé a 15 ou 20
centimetres au-dessus de ses yeux. Apres un temps qui varie d'une minute et
demie a trois minutes, jamais plus, ses pupilles ont des mouvements
oscillatoires, son pouls s'abaisse, ses yeux se ferment, son visage exprime le
repos; immédiatement apres ses membres gardent la position donnée, et cela avec
une extreme facilité, pendant un temps que j'ai fait durer jusqu'a 20 minutes,
sans la moindre fatigue. Elle a gardé plusieurs fois les bras en avant, les
pieds élevés au-dessus du sol, assise seulement sur le bord de la chaise, et je
ne cessais l'expérience que lorsque j'y étais engagé par l'extreme
accroissement du pouls. Chez elle l'anesthésie dura de quatre a cinq minutes ;
j'ai rarement vu, chez les autres, cette période aussi courte. »
« Voici
les moyens que j'ai employés pour m'assurer de l'insensibilité : pincements
violents, ammoniaque sous le nez, barbes de plume dans les narines,
chatouillement de la plante des pieds, transpersion d'un pli de la peau avec
une aiguille, piqure subite dans les épaules, etc. Pendant cette période
d'anesthésie, survient celle d'hyperesthésie (exaltation de la: sensibilité).
Je m'aperçois de son invasion par ceci : Mlle X... se rejette la tete en
arriere, son visage exprime la douleur. Interrogée, elle répond, que l'odeur du
tabac que je porte sur moi lui est insupportable. Le bruit de ma voix ou de
celle des assistants, celui de la rue, le moindre son enfin paraît affecter
cruellement la sensibilité de l'ouie un contact ordinaire amene une certaine
douleur, puis deux doigts placés l'un sur la tete, l'autre sur la main, amenent
comme une forte commotion tres douloureuse ; ma montre est entendue a une
distance de huit a neuf metres, ainsi qu'une conversation a voix tres basse.
« Quelquefois,
la parole est impossible ; une simple friction sur le larynx la rappelle
immédiatement, et MIle X... parle, mais seulement quand elle est interrogée, et
d'une voix plus faible qu'a l'état naturel et comme voilée. Une main nue
est-elle placée a quarante centimetres derriere son dos, Mlle X... se penche en
avant et se plaint de la chaleur qu'elle éprouve ; de meme pour un objet froid
et a la meme distance, et tout cela sans
que je ne lui eusse jamais parlé de ces phénomenes décrits par Braid. »
Dans ces
expériences de chaleur et de froid a distance, la suggestion
était-elle enjeu ?
Il est
vrai qu'a cette époque on ignorait les phénomenes d'extériorisation de la sensibilité décrits par le colonel de
Rochas.
« Un
souffle d'air, une friction font cesser la catalepsie sur un membre, sur un
doigt ; cet état revient en replaçant doucement le membre a sa place. Si,
pendant la résolution, je l'invite a me serrer la main, et, si en meme temps,
je malaxe les muscles de l'avant bras, ceux-ci se contractent, se durcissent,
et la force développée est au moins d'un tiers plus considérable qu'a l'état
ordinaire.
« Mlle
X... enfile rapidement une aiguille tres fine, et écrit tres correctement, un
gros livre étant placé entre ses yeux fermés et l'objet. Elle marche dans sa
chambre sans se heurter. En un mot, le sens d'activité musculaire est
hyperesthésié (?). »
Ah !
C’est joli... Les sens hyperesthésies
pour expliquer que Mlle X... enfile une
aiguille, qu'elle écrit, qu'elle voit les yeux fermés !...
« Si
pendant la période de catalepsie, je place les bras de Mlle X... dans la
position de la priere et les y laisse pendant un certain temps, elle répond
qu'elle ne pense qu'a prier, qu'elle se croit dans une cérémonie religieuse ;
la tete penchée en avant, les bras fléchis, elle sent son esprit envahi par
toute une série d'idées d'humilité, de contrition ; la tete haute, ce sont des
idées d'orgueil ; en un mot, je suis témoin des principaux phénomenes de
suggestion racontés par Braid, et attestés par l'éminent physiologiste Carpenter. »
« Ces
expériences, répétées un grand nombre de fois et sur d'autres personnes,
arrivent ordinairement au meme résultat. »
Nous
avons donné cette observation d'Azam pour montrer que la plupart des phénomenes
hypnotiques sont identiques a ceux du mesmérisme, ce qui a certainement fait
penser aux partisans de Braid que tout était absolument semblable et que
certains faits affirmés par les magnétiseurs, non rencontrés et surtout non
cherchés par les hypnotiseurs, n'existaient pas.
L'anesthésie
obtenue par les deux procédés est la meme. Cloquet pratiqua une amputation sur
un magnétisé du baron du Potet. Broca, assisté de Follin, fit la meme opération
a une hypnotisée. Velpeau présenta a l'Académie des sciences une note d'Azam
intitulée : De l'Anesthésie chirurgicale
hypnotique, ce qui n'étendit pas le mouvement essayé.
D'autres
expérimentateurs, comme les docteurs Giraud-Teulon et Demarquai, pour éviter la
suggestion éventuelle et toujours possible, modifierent les procédés de Braid.
Ils construisirent une sorte de diademe, sur lequel était fixée une boule
brillante en acier, qu'on plaçait sur la tete du patient. GigotSicard supprima
l'objet brillant, qu'il ne trouvait pas nécessaire, et il imita les
omphalo-psychiens, moines du Mont-Athos, qui rentraient dans l'état extatique
en fixant leur nombril. Cet opérateur engageait le sujet a regarder fixement le
bout de son nez. On le voit, tout
chemin mene a Rome... et avec des procédés différents on peut obtenir les memes
résultats.
Il
paraît pourtant, d'apres le docteur J.-S. Morand, qu'avant Braid il n'existait
aucun procédé pour produire le sommeil nerveux. Voici la perle que nous
cueillons a la page 101 de son livre : Etude
historique et critique du magnétisme animal, paru en 1889.
« La
tentative d'Azan eut, du moins, ce résultat que la question du magnétisme,
proscrite par l'Académie de Médecine en 1835, se trouva remise a l'ordre du
jour ; on ne niait plus la réalité du sommeil nerveux et l'on savait les moyens de le produire. » Il serait sage, ce nous
semble, avant de critiquer une chose quelconque, de l'étudier. L'auteur que
nous citons a tres mal lu le rapport de 1835, s'il l'a lu, ce qui n'est pas
probable, car il aurait vu que la commission nommée pour étudier ce pseudo-magnétisme animal concluait a la
réalité des phénomenes magnétiques. Et si le meme auteur s'était donné la peine
de parcourir seulement les ouvrages parus avant la Neurypnologie, il aurait
connu les procédés employés pour l'obtention d'un sommeil nerveux plus profond,
plus complet que celui prôné par les partisans du Braidisme.
De 1860
jusqu'a 1879, époque ou M. le Professeur Charcot commença ses conférences a la
Salpetriere, l'hypnotisme avait été délaissé.
Cet
illustre neurologiste a magistralement décrit les trois états principaux de
l'hypnotisme : catalepsie, léthargie et
somnambulisme. Il est hors de doute que ce maître a consciencieusement
étudié ces divers états de l'hypnose, mais, n'expérimentant que sur les malades
de son service, il a cru devoir classer tous les etres susceptibles
d'hypnotisme dans la catégorie des hystériques, ce qui n'est certes pas exact,
puisque nous avons rencontré de nombreuses personnes indemnes d'affections nerveuses,
de tempérament tout a fait lymphatique, et facilement endormables. D'autres
expérimentateurs affirment également ce que nous avançons. Mais nous
reconnaissons volontiers que les effets hypnotiques s'observent plus
fréquemment chez les névropathes. Nous avons pourtant rencontré souvent des
nerveux, des hystériques - d'apres Charcot, toutes les personnes atteintes de
désordres nerveux, sans lésion, sont des hystériques - qui n'éprouvaient aucune
sensation aux divers modes d'excitations hypnotiques.
Charcot
ne dédaignait pas d'employer parfois les procédés des anciens magnétiseurs et
de les conseiller meme. «Toutes les fois, disait-il dans ses conférences de la
Salpetriere, qu'en regardant fixement une personne pendant quelques instants,
vous voyez celle-ci se troubler visiblement, ouvrir et fermer convulsivement les yeux, battre, en un mot,
des paupieres, vous pouvez etre assuré que vous avez affaire a un sujet
hypnotisable. »
Le
professeur, comme le dit un de ses admirateurs, ne s'égara point dans la
poursuite des faits extraordinaires et dépassant la raison humaine : il
s'attacha a déterminer les signes physiques et facilement appréciables des
diverses phases de l'hypnose.
Le
médecin auquel nous faisons allusion, quoique systématiquement opposé aux dires
des magnétiseurs, reconnaîtrait-il par hasard des faits extraordinaires ? Dans ses leçons, M. Charcot a
méticuleusement décrit tous les phénomenes manifestés par ses sujets dans les
trois degrés ou les trois états hypnotiques, phénomenes que les magnétiseurs
avaient signalés bien avant lui.
Tous les
faits observés a la Salpetriere pendant la catalepsie, la léthargie, sont
identiques a ceux indiqués par les partisans du Mesmérisme, mais quelques-uns
seulement du somnambulisme sont semblables ; les plus importants, ceux sans
doute qui dépassent la raison humaine,
n'ont pas été étudiés, ce qui n'empeche pas les hypnotiseurs de nier ces faits,
affirmés par les magnétiseurs.
Ces
faits, que nous étudierons plus loin, - somnambulisme lucide, prévision, vue a
distance sans le secours des yeux, etc., - sont présentés par certains
hypnotiseurs, qui se rapprochent de la vérité, d'une si bizarre façon, pour
éviter de tomber dans les aberrations des
magnétiseurs, que ces chercheurs de bonne foi nous voulons bien le croire -
se torturent l'esprit pour trouver des interprétations
scientifiques, afin d'expliquer ce qui est on ne peut plus simple. Il est
vrai aussi que, comme les autres, ils ne veulent admettre la cause réelle de
ces phénomenes, la matiere la plus grossiere bornant leurs conceptions.
La
catalepsie, disent les éleves de Charcot, est la premiere manifestation de
l'hypnotisme ; elle s'obtient par la fixation d'un objet brillant, par les
vibrations d'un fort diapason, par un coup de tam-tam, par un jet de lumiere
électrique, ou par un appareil a projections optiques dirigé sur les yeux d'un
sujet hypnotisable placé dans l'obscurité. Ce dernier sera illico
cataleptisé... Croient-ils vraiment qu'il en sera ainsi, si le patient n'a pas
été éduqué ? Nous en doutons fort. Donc, voila un etre pétrifié, immobile, les
yeux grands ouverts, ses membres d'une légereté extraordinaire conservent indéfiniment, la position qu'on leur
donne (indéfiniment c'est beaucoup ; assez longtemps aussi ; trop longtemps,
une crise nerveuse pourrait se produire).
Dans cet
état, le sujet n'éprouve aucune fatigue et on peut le placer sur deux chaises :
l'une supportant les pieds, l'autre la tete ; l'opérateur peut meme s'asseoir
sur le corps du sujet, et le laisser dans cette position une demi-heure sans
inconvénient, mais pas indéfiniment.
On
pourra lui faire prendre les poses les plus fatigantes, sans qu'il manifeste la
moindre gene. On pourra le piquer, le bruler, lui tenir un flacon d'ammoniaque
sous le nez, sans qu'il en soit impressionné. Si on donne par exemple un
mouvement de rotation a un bras, ce membre continuera automatiquement a
tourner, etc. Cette rotation automatique n'est plus de la catalepsie, puisque,
dans cet état, les membres doivent conserver la position donnée.
Les
cataleptiques présentent l'anesthésie la plus complete. On peut les bruler
profondément, enfoncer de longues aiguilles dans leur chair, leur chatouiller
les narines, le blanc des yeux avec les barbes d'une plume, sans qu'ils
manifestent la moindre sensation. On peut leur suggérer toutes sortes
d'hallucinations, car ils sont d'une passivité absolue.
Entre les
mains d'un opérateur, le cataleptique est un véritable automate.
Pour le
réveiller, il suffit de lui souffler légerement sur les yeux. M. Dumontpallier
réveille ses sujets avec un vulgaire soufflet de cuisine, ce qui, a notre point
de vue, manque un peu d'esthétique.
Le
docteur Morand dit, en parlant des expériences de Dumontpallier : « Nous avons
vu naguere cet habile expérimentateur (ou diable a-t-il vu que le docteur
Dumontpallier était un habile expérimentateur ?) réveiller ainsi une de ses
malades cataleptisée, et remettre cette femme en catalepsie, rien qu'en
laissant tomber brusquement l'instrument qui avait produit le réveil : preuve
singuliere du détraquement absolu auquel aboutissent fatalement les personnes
vouées aux fréquentes pratiques du magnétisme (de l'hypnotisme, devrait-il
dire). C'est parmi ces dernieres qu'on retrouve ces déséquilibrés qu'un bruit
inattendu, un coup de gong ou de tam-tam, la simple vibration d'un diapason,
l'apparition soudaine d'un éclair d'orage ou celle d'un flambeau qu'on allume a
l'improviste suffisent a jeter en catalepsie. »
Nous
reconnaissons volontiers, que certaine méthode de fascination, de meme que les
pratiques hypnotiques, détraquent aisément les personnes qui se livrent aux
opérateurs qui les emploient inconsidérément. Ces opérateurs, quoi qu'on en
dise, sont des plus inexpérimentés.
Nous
affirmons, par contre, qu'un magnétiseur, meme novice, s'il applique
strictement les procédés de Deleuze, de Du Potet ou de Lafontaine, s'il suit
exactement les données de ces Maîtres du Magnétisme, il ne détraquera jamais
ses sujets, jamais meme il ne les fatiguera et que, au contraire, ces derniers
se trouveront fort bien des magnétisations souvent répétées.
La léthargie
au deuxieme état de l'école de la Salpetriere differe totalement du
premier, de la catalepsie. Voici ce qui la caractérise :
Le
léthargique parait dormir d'un sommeil profond, ses yeux sont fermés ou
demi-clos, les globes convulsés en haut et en dedans. Les membres du patient
sont inertes et flasques, la résolution musculaire est donc complete. La
douleur n’est point perçue, et on peut impunément pincer fortement, bruler et
piquer profondément le sujet.
D'apres
les hypnotiseurs, ce qui caractérise surtout la léthargie, c'est
l'hyperexcitabilité neuro-musculaire bien étudiée jadis a la Salpetriere, qui
se traduit par une tres grande impressionnabilité des nerfs moteurs et par la
tendance des muscles a se contracturer.
Voici la
description qu'en fait M. le Professeur Dieulafoy dans son Manuel de Pathologie interne, tome II.
Apres
avoir indiqué les prodromes que nous donnons, il ajoute : ... « Il suffit de
toucher avec un crayon les points cutanés correspondant au trajet des nerfs
(cubital, facial), pour voir tous les muscles innervés par ces nerfs se
contracter, comme on l'observe sous l'influence du passage d'un courant
électrique. En continuant cette excitation, on détermine des contractures qui
persistent alors meme que le sujet a été réveillé. Il suffit alors de frotter
légerement la peau sur le trajet des muscles antagonistes pour les faire
cesser. Ch. Richet et Brissaut ont montré que, dans les membres anémiés a
l'aide de la compression par la bande d'Esmark, l'hyperexcitabilité musculaire
disparaît. Certains excitants peuvent, au contraire, agir pour ainsi dire a
distance ; ainsi l'application d'un courant électrique sur un des côtés du
crâne détermine parfois des secousses musculaires dans le côté opposé du corps,
ce qui n'a pas lieu a l'état de veille. La lumiere vient-elle a frapper l'un
des globes oculaires, on peut voir tout le côté correspondant entrer en
catalepsie ; de telle sorte que le sujet est a la fois hémiléthargique et
hémicataleptique. Si c'est l'oil qui a été ouvert, on peut constater de
l'aphasie. Aussitôt la paupiere baissée, la flaccidité des membres reparaît. »
Pour
faire passer un cataleptique dans l'état léthargique, rien n'est plus facile :
il suffit de fermer les yeux du sujet, habituellement ouverts dans la
catalepsie, et de maintenir les paupieres closes plus ou moins longtemps. On peut
aussi d'emblée obtenir la léthargie en prolongeant la fixation du regard ou
l'action d'un objet brillant, ou encore la pression des doigts sur le vertex,
sommet de la tete.
Le
réveil s'obtient en soufflant sur les yeux.
Les
memes manouvres, plus ou moins prolongées, font également passer le sujet
léthargique au somnambulisme.
Le
phénomene du transfert se produit en
approchant un aimant d'un membre non contracturé. Par exemple, la jambe gauche
étant contracturée, si l'on agit avec l'aimant sur la jambe droite, c'est sur
celle-ci que se porte la contracture, et vice versa.
Somnambulisme. - Le somnambulisme est celui des trois états
hypnotiques qui, d'apres l'école de la Salpetriere, remplit les meilleures
conditions d'expérience et ou le sujet est plus completement en rapport avec
l'expérimentateur.
Le
somnambulisme peut se produire d'emblée, mais il est ordinairement consécutif a
la catalepsie et a la léthargie. Un sujet en léthargie passe assez aisément en
somnambulisme.
Pour
produire cet état, il suffit de répéter les manouvres déja indiquées : action
du regard, d'un objet brillant, pression sur le vertex, passes, etc. On peut
aussi l'obtenir par suggestion. « Dormez,
dit-on au sujet, vous allez dormir, vos
paupieres se ferment, vous ne pouvez les ouvrir, vous dormez !... » Et
le sujet hypnotisable s'endort.
Ce
sommeil est ordinairement précédé et annoncé par une inspiration plus ou moins
profonde. Le sujet entraîné, habitué aux hypnotisations, entre en somnambulisme
a la moindre injonction. Il est facile donc de lui suggérer une foule de choses
auxquelles il obéit automatiquement. Il offre a peu pres les, memes phénomenes
physiques que dans les états précédents.
Le
professeur Charcot a différencié ces trois états en donnant a chacun ses
caracteres propres.
Notre
expérience personnelle nous permet d'avancer que ces trois états ne sont, en
somme, que des degrés du sommeil magnétique. D'autres expérimentateurs ont
décrit des états intermédiaires meme assez nombreux, ce qui appuie notre these.
Nous
savons parfaitement qu'en actionnant longtemps une personne hypnotisable nous
la faisons passer progressivement d'un sommeil léger dans un sommeil profond,
et que, pour faire cesser ce sommeil, un simple souffle sur les yeux ne suffit
pas, alors meme qu'il est accompagné de l'injonction de se réveiller.
Il faut
dégager longtemps aussi, en malaxant les bras et les jambes, les jambes
surtout, en frictionnant légerement les paupieres et en soufflant fréquemment
sur le front, pour remettre la personne dans son état normal. Et si parfois de
petits accidents se produisent, ils sont dus a l'inexpérience de l'hypnotiseur,
mais surtout a la défectuosité de sa méthode.
En
somnambulisme, la force musculaire du sujet est considérablement accrue : un
etre faible peut renverser un homme vigoureux qui tenterait de s'opposer a
l'exécution d'un ordre donné.
Les sens
de la vue, de l'ouie et de l'odorat, disent les éleves de Charcot, acquierent
une acuité extraordinaire.
« Il
suffit au somnambule, dit le docteur Morand, d'un écartement imperceptible des
paupieres pour lire les caracteres les plus fins et distinguer des objets qui
échappent aux regards de tout l'entourage. »
A ce sujet, le Dr Bottey, dans le
Magnétisme animal,
etc..., rapporte l'expérience suivante :
« On
prépare plusieurs petits carrés de papier blanc, huit ou dix, par exemple, et
l'on marque l'un d'eux d'un signe imperceptible, seul reconnaissable pour
l'expérimentateur. On donne ce carré au sujet, en lui suggérant que c'est une
photographie, et on le mélange avec les autres morceaux de papier; malgré tout
ce qu'on pourra faire pour dérouter le somnambule, celui-ci saura toujours
distinguer le premier, ou portrait imaginaire, des autres. Ce fait ne peut
s'expliquer que par une excitabilité de la vue telle que le sujet reconnaîtra
certains défauts du papier absolument inappréciables pour l'oil normal et qui,
pour lui, deviendraient des points de repaire facilement reconnaissables. »
Le meme
médecin a fait reconnaître a certains sujets divers parfums, en leur faisant
flairer une feuille de papier passée seulement au-dessus du flacon contenant le
parfum.
Le
docteur Bremond avait un sujet qui, placé dans son cabinet, portes et fenetres
fermées, entendait un dialogue a voix basse qui avait lieu de l'autre côté de
la rue, entre un ouvrier et une femme.
Une
expérience tres curieuse du docteur Bottey est la suivante :
« On
met, sous les yeux du sujet en somnambulisme, une série de feuilles de papier
superposées, et on lui commande d'écrire sous la dictée. Lorsqu'il a écrit
quelques lignes sur la premiere
feuille, on la retire subitement ; celui-ci continue sur la seconde feuille,
puis la troisieme et la quatrieme lorsqu'une série de lignes a été écrite sur
chacune de ces feuilles, a chaque fois le sujet reprenant son écriture au point
exact ou il en est resté sur la feuille précédente. Enfin, la quatrieme feuille
étant épuisée, on lui remet la cinquieme entre les mains, en lui disant de
relire a haute voix tout ce qu'il a écrit, et de ponctuer aux endroits
nécessaires : c'est ce qu'il fait avec une exactitude et une régularité
vraiment surprenantes, aucun mot n'étant omis, et chaque correction
correspondant exactement aux points divers des quatre feuilles nécessaires
enlevées. »
Les
faits qui précedent sont tres simplement expliqués par messieurs les
hypnotiseurs : acuité des organes des sens, hyperacuité de la mémoire. Ils
avouent bien que ces faits sont extraordinaires, mais leur conception s'arrete
la et ils se gardent bien de faire un pas dans la psychologie.
Nous
prouverons par A+ B, dans le cours de ce travail, qu'ils sont dans l'erreur la
plus entiere. Les documents ne nous manquent pas.
En
passant, disons que le mot magnétisme ne sonne pas trop mal aux oreilles du
docteur Morand. Voici ce qu'il dit a la page 151 de son livre le Magnétisme animal, etc., etc. :
« On
remarquera que le mot sommeil et le
nom d'hypnotisme, qui signifie
également sommeil, sont, au fond, absolument impropres, puisque l'état qu'ils
représentent differe sensiblement du sommeil tel qu'on l'entend généralement. »
« Le mot
sommeil nerveux et meme celui de sommeil
magnétique - magnétisme, en somme, signifiant attraction - répondent mieux a la réalité des faits. »
Le meme
médecin dit que Durnontpallier assure que tout le monde peut hypnotiser
(assurément, nous sommes du meme avis : nous avons toujours affirmé, et nous
l'avons écrit il y a longtemps, que tout le monde pouvait magnétiser), mais ce
maître de l'hypnotisme indique quelques conditions pour la bonne réussite des
opérations : certaines qualités de
conviction, de volonté, de persévérance et de patience qui sont assez
rares. (Nous avons dit, dans le Nouvel
Hypnotisme, que, de meme que tout le monde pouvait chanter mal ou bien,
tout le monde pouvait magnétiser, mais qu'avec de l'entraînement et de la
patience on arrive a d'excellents résultats.) Mais le noud de la question,
d'apres les hypnotiseurs, c'est l'aptitude du sujet a etre influencé. Les
magnétiseurs n'ont jamais avancé autre chose : on ne peut, par un procédé ou
par un autre, changer le tempérament d'un individu.
Tous les
hypnotiseurs n'admettent pas les trois états classiques de Charcot. L'école de
Nancy tout entiere ne reconnaît que des degrés divers dans l'hypnotisme ; bien
plus, elle fait peu de cas de l'hypnotisme proprement dit ; elle n'admet que la
seule suggestion.
Pierre
Janet établit la classification ci-dessous :
« l°
Catalepsie ; 2° catalepsie léthargique ; 3° catalepsie somnambulique ; 4°
léthargie cataleptique ; 5° somnambulisme léthargique. »
On voit
combien cet auteur complique une question fort simple en elle-meme.
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