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CHAPITRE IX: SUGGESTION MENTALE OU TRANSMISSON DE LA PENSÉE.

Nous touchons maintenant a la partie la plus délicate de notre sujet ; aussi, sommes-nous certain d'éveiller le scepticisme des personnes qui ne sont point au courant des phénomenes que nous allons passer en revue, ce que, d'ailleurs, nous comprenons aisément.

En effet, notre éducation, ce qu'on nous a enseigné dans les écoles est si éloigné de ce que prouvent les manifestations de forces insoupçonnées jusqu'ici que notre raison se refuse a admettre ce que nous ne pouvons nous expliquer. Mais si nous réfléchissons pourtant a ce que nos connaissances acquises valent par rapport a celles que nous réserve le progres futur, nous nous garderons de nous prononcer a priori, car toute loi scientifique énoncée aujourd'hui peut etre inadmissible demain a la suite d'une nouvelle découverte, et tout axiome évident a cette heure peut devenir une hypothese a justifier ou un probleme a résoudre.

Jetons un coup d'oil en arriere et voyons ce que le concept humain a réalisé depuis un siecle. Cette électricité, qui agitait les pattes des grenouilles de Galvani et que Volta produisait faiblement avec sa pile, traîne aujourd'hui de lourdes voitures, voire des trains entiers de chemin de fer. Les savants du temps de Galvani et de Volta étaient a cent lieues de se douter de ce que réaliserait plus tard cette force, et, certes, elle n'a pas dévoilé encore tous ses secrets merveilleux.

La découverte récente du radium nous laisse supposer encore ce que nos arriere-neveux pourront en retirer de pratique : peut-etre un jour cette énergie supplantera l'électricité, comme cette derniere tend a supplanter la vapeur.

Les savants, interrogés sur ce que sont : la vapeur, la chaleur, la lumiere, l'électricité, les rayons X, l’uranium, le radium, etc., répondent, pour chacun d'eux : c'est de l'énergie. Nous dirons, nous : ce sont des manifestations de la vie.

La vie est partout, la mort nulle part : tout se transforme, tout évolue, tout se perfectionne.

L'atome, derniere division de la matiere, a une force propre incommensurable. On admet qu'il jouit de propriétés électriques et qu'il sert de support a des particules électriques désignées sous le nom d'ions ou d'électrons ; mais l'on est disposé a croire que les ions existent sans support matériel, et que l'atome n'est qu'un agrégat de particules électriques, les unes positives, les autres négatives. L'atome serait donc simplement un composé de tourbillons électriques, et les radiations que nous connaissons, des particules provenant de la dissociation de l'atome.

De l'observation de ces phénomenes, il résulte que l'atome est un réservoir d'énergie qui, dans certaines conditions données, devient libre en amenant la destruction de l'atome.

On croyait jadis que la matiere ne restituait que l'énergie reçue du dehors, mais on sait maintenant qu'elle est une source de production d'énergie.

Libérera-t-on un jour la puissance que recelent les atomes dans leur sein ? Peut-etre...

Nous verrons plus loin que, dans certaines conditions favorables, ces phénomenes de dissociation de la matiere se sont produits en présence de savants autorisés, qui n'ont pu expliquer ce fait que par l'intervention d'intelligences n'appartenant pas a notre plan physique.

Si nous n'admettions que la matiere qui frappe nos sens, nous serions bien bornés ; soyons persuadés qu'il existe des matieres de moins en moins denses, des matieres que non seulement nos sens, mais meme les appareils de physique les plus sensibles ne peuvent enregistrer que dans certaines conditions accidentelles.

Mais, comme les savants de tous les pays étudient ces énergies, ces puissances, nous ne désespérons pas qu'ils arrivent, dans un avenir plus ou moins éloigné, a trouver le modus operandi pour pouvoir, a volonté, produire des faits supranaturels qui déconcertent le chercheur.

Le possible ne peut etre borné.

La psychologie positive est née de la méthode expérimentale, et la science ne doit reculer devant aucune investigation, lors meme que les faits avancés sont en désaccord complet avec les opinions régnantes.

Pour servir le progres, on doit scrupuleusement et consciencieusement étudier tous les phénomenes qui se présentent a l'observation, et ce serait agir anti-scientifiquement de laisser de côté les plus troublants, les plus merveilleux.

Ne renonçons jamais a notre droit de contrôle, et prenons les plus méticuleuses précautions pour ne pas etre trompé, ne pas nous tromper et ne point tromper les autres.

La suggestion mentale est le premier stade des phénomenes psychiques : le sujet vaut la peine d'etre étudié.

Nier la transmission de la pensée est aussi peu logique que de nier la chaleur, la lumiere, l'électricité, et la cause qui la produit n'est pas plus mystérieuse que celle qui fait germer un grain de blé.

Dans l'état actuel de nos connaissances, croit-on qu'on peut expliquer le pourquoi de toute chose... On trouve des mots qui ne contiennent aucune explication. Le savant, dans bien des cas, est aussi ignorant que l'enfant qui vient de naître : le fini ne pouvant concevoir et encore moins expliquer l'infini.

Cherchons et tâchons de comprendre les vérités, et cette compréhension nous amenera a des découvertes certaines qui éleveront nos idées et nous permettront d'entrevoir nos destinées futures.

Le suggestion mentale ne s'établit pas avec tous les somnambules magnétiques ou hypnotique s; mais si l'on veut bien se rappeler ce que nous avons dit dans la premiere partie de ce livre, si on a la patience et la ténacité indispensables pour provoquer un sommeil profond chez les sujets qui y sont prédisposés, ce phénomene se manifestera plus souvent. Néanmoins, on peut le rencontrer chez des personnes éveillées douées d'une impressionnabilité particuliere ; mais alors les faits sont moins patents, moins concluants.

Le professeur Ochorowicz, dans son ouvrage la Suggestion mentale, dit:

« Mais si je n'avais eu d'autres preuves que la témoignage du pere Surin, de M. Poucet et de Mme Guyon, croyez-vous que j'aurais publié un livre sur la suggestion mentale, ou meme fait une mention quelconque de l'existence de ce phénomene ? Jamais. Je ne l'aurais pas nié, non plus, assurément, parce que je nie jamais une chose que je ne connais pas ; mais de la a une déclaration scientifique d'un fait aussi étrange, il y a encore loin.

« Voici pourquoi je me suis gardé de commencer, comme c'est la coutume, par l'histoire du sujet, et par conséquent par des témoignages lointains ; mais maintenant les choses ont changé. J'ai vu, bien vu, moi-meme, je peux donc ajouter foi au témoignage de ceux qui ont vu la meme chose que moi, et il ne serait pas juste que je cache au lecteur les observations qui ne me sont pas personnelles. Au contraire, je vais les citer toutes, c'est-a-dire toutes celles qui ont un aspect véridique, qui ont été bien constatées, et qui présentent une analogie évidente avec ce que j'ai observé moi-meme. On excusera cette derniere réserve, car, sans cela, je serais obligé de citer des choses incroyables, pour le moment au moins, et il est toujours prudent d'avancer lentement sur un terrain obscur et inconnu. »

Pour donner une idée exacte du phénomene de la suggestion mentale, et pour appuyer ce que nous avons déja dit sur la façon d'endormir le sujet, nous ne saurions mieux faire qu'en empruntant au docteur Ochorowicz l'observation suivante. Cette observation est assurément un peu longue, mais nous pensons que le lecteur saura en tirer tout l'enseignement qu'elle comporte.

« Je donnais mes soins a une dame atteinte d'hystéro-épilepsie, et dont la maladie, déja ancienne, fut aggravée par des acces de manie du suicide.

« Mme M..., âgée de 27 ans, forte et bien constituée, a apparence d'une santé parfaite. (Exp. Hy : insensibilité et contracture presque instantanée du bras entier.) Attaques convulsives de la grande hystérie datant presque de l'enfance. Influences héréditaires tres fortes. Depuis quelque temps, outre les attaques classiques a plusieurs périodes, acces de folie avec congestions des lobes antérieurs et anémie des lobes postérieurs ; évanouissement nerveux paralytique et acces épileptique formes de courte durée. Contractures et amblyopie passageres, plus fortes du côté gauche. Un seul point hystérogene au-dessous de la clavicule gauche. Un point délirogene a l'occiput droit correspondant a la fosse occipitale supérieure. Pas d'anesthésie. La pression ovarienne arrete l'attaque momentanément. Sensible a l'étain, mais aussi a d'autres métaux, a des degrés différents et inconstants. Tempérament actif et gai uni a une extreme sensibilité morale, intérieure, c'est-a-dire sans signes extérieurs. Caractere véridique par excellence, bonté profonde, tendance au sacrifice. Intelligence remarquable, plusieurs talents, sens de l'observation. Par moment, manque de volonté, indécision pénible, puis une fermeté exceptionnelle. La moindre fatigue morale, une impression inattendue de peu d'importance, aussi bien agréable que pénible, se répercute sur les vaso-moteurs, quoique lentement et insensiblement, et amene une attaque, un acces ou un évanouissement nerveux.

« Un jour, on plutôt une nuit, son attaque étant terminée (y compris la phase du délire), la malade s'endort tranquillement. Subitement réveillée et nous voyant toujours aupres d'elle, son amie et moi, elle nous prie de nous en aller, de ne pas nous fatiguer pour elle inutilement. Elle insiste tellement que, pour éviter une crise nerveuse, nous partons. Je descends lentement l'escalier (elle demeurait au troisieme) et je m'arrete plusieurs fois en pretent l'oreille, troublé par un mauvais pressentiment (elle s'était blessée plusieurs fois quelques jours auparavant). Déja dans la cour, je m'arrete encore une fois, en réfléchissant si je dois partir ou non. Tout a coup, la fenetre s'ouvre avec fracas et j'aperçois le corps de la malade se pencher au dehors dans un mouvement rapide. Je me précipite vers le point ou elle pouvait tomber, et, machinalement, sans y attacher aucune importance, je concentre ma volonté dans le but de m'opposer a la chute. C'était insensé, et je ne faisais qu'imiter les joueurs de billard qui, prévoyant un carambolage, essayent d'arreter la bille par des gestes et des paroles.

« Cependant, la malade, déja penchée, s'arrete et recule lentement par saccades.

« La meme manouvre recommence cinq fois de suite, et enfin la malade, comme fatiguée, reste immobile, le dos appuyé contre le cadre de la fenetre toujours ouverte.

« Elle ne pouvait pas me voir, j'étais dans l'ombre et il faisait nuit. En ce moment Mlle X.... l'amie de la malade, accourt et l'attrape par les bras. Je les entends se débattre et je monte vite l'escalier pour venir a son secours. Je trouve la malade dans un acces de folie. Elle ne nous reconnaît pas ; elle nous prend pour des brigands. Je ne réussis a la détacher de la fenetre qu'en appliquant la pression ovarienne qui la fait tomber a genoux. A Plusieurs reprises, elle essaye de me mordre, et ce n'est qu'avec grand'peine que je réussis enfin a la remettre dans son lit. En continuant d'une main la pression ovarienne je provoque la contracture des bras et je l'endors enfin.

« Une fois en somnambulisme, son premier mot fut :

- « Merci et pardon. »

« Alors elle me raconta qu'elle voulait absolument se jeter par la fenetre mais que, chaque fois, elle se sentit « soulevée par en bas ».

- « Comment cela ?

- « Je ne sais pas...

- « Vous vous doutiez de ma présence ?

- « Non, c'est précisément parce que je vous croyais parti que je voulais accomplir mon dessein. Cependant, il m'a semblé par moments que vous étiez a côté ou derriere moi, et que vous ne vouliez pas que je tombasse. »

« Cette expérience, ou plutôt cet accident, ne suffisait pas, évidemment, pour prouver une action a distance. Mais il m'a suggéré l'idée d'une étude nouvelle de la question. Puisqu'il y avait une apparence d'action, rien n'était plus simple que de la soumettre a un examen expérimental. Mais pour rester dans les conditions nettes, je n'ai soufflé mot a personne de mes projets, et j'ai meme résolu d'attendre quelques jours pour bien préparer l'expérience.

« J'avais l'habitude d'endormir la malade tous les deux jours et de la laisser dans un sommeil profond (l'état aidéique) pendant que je prenais mes notes. Je pouvais etre certain, d'apres une expérience de deux mois, qu'elle ne bougerait pas avant que je m'approche d'elle, pour provoquer le somnambulisme proprement dit. Mais ce jour-la, apres avoir pris quelques notes et sans changer d'attitude (je me tenais a plusieurs metres de la malade, en dehors de son champ visuel, mon cahier sur les genoux et la tete appuyée sur la main gauche), je feignis d'écrire, en faisant crier la plume comme tout a l'heure, mais intérieurement, je concentrais ma volonté sur un ordre donné.

«  Le 2 décembre

1) Lever la main droite.

Je regarde la malade a travers les doigts de ma main gauche appuyée sur le front.

1re minute: action nulle.

2e minute : une agitation dans la main droite.

3e minute : agitation augmente, la malade fronce les sourcils et leve la main droite.

J’avoue que l’expérience m’émut plus qu’aucune autre. Je recommence :

2) Se lever et venir a moi.

Je la reconduis a sa place sans rien dire.

3) Retirer le bracelet de la main gauche et me le passer.

Je touche son bras droit et probablement je le pousse un peu dans la direction de son bras gauche, en concentrant ma  pensée sur l’ordre donné.

Elle fronce les sourcils, s'agite, se leve lentement et avec difficulté, vient a moi la main tendue.

Action nulle.

Elle étend sa main gauche, se leve et se dirige vers Mlle X.... puis vers le piano.

Elle s'assied, épuisée.

Elle retire son bracelet (semble réfléchir).

Elle me le donne.

4) Se lever, approcher le fauteuil de la table et s’asseoir a côté de nous.

 

J'arrete sa main qui faisait fausse route.

5) Donner la main gauche.

(Reste assise !)

(Donne la gauche !)

(Donne la gauche !)

(Pas celle-ci  l'autre !)

Elle fronce les sourcils, se leve et marche vers moi.

Je dois faire quelque chose, dit-elle.

Elle cherche... touche le tabouret, déplace un verre de thé.

Elle recule, prend le fauteuil, le pousse vers la table, avec un sourire de satisfaction, et s'assied en tombant de fatigue.

On me dit d'apporter et on ne me dit pas quoi... pourquoi parle-t-on si indistinctement ?

Elle s'agite.

Donne la main droite.

Essaye de se lever.

Elle se rassied.

Agite la main gauche, mais ne me la donne pas.

Se leve et passe sur le canapé.

Elle donne la main droite.

Elle donne la main gauche.

« Il est a remarquer que la malade se trompe souvent de côté, meme a l'état de veille.

« Pendant cette derniere expérience, le somnambulisme actif s'est déclaré, elle cause avec nous en plaisantant. Elle ne m'obéit plus. « Je vais dormir maintenant », dit-elle.

« Elle s'endort.

« Quelques traces d'une attaque dans le sommeil, enfin elle paraît se réveiller.

- « J'ai un tic-tac dans la tete qui ne me laisse pas dormir. Je ne veux plus dormir; asseyez-vous aupres de moi.

- « Etes-vous toujours en somnambulisme ?

- « Oui. (Cette malade avait le sens assez rare de se rendre compte de chaque phase de son état avec une exactitude étonnante. Je feignais souvent de ne pas reconnaître son état, pour qu'elle me le décrivit elle-meme.)

- « Et si vous vous endormez dans cet état, est-ce la meme chose qu'a l'état de veille ?

- « Oh non ! car maintenant ce sont les jambes et le corps qui s'endorment les premiers, de sorte que je peux bien savoir si j'ai bien dormi ou non, tandis qu'en m'endormant a l'état de veille, je m'endors de la tete et je ne sais plus rien. Et puis, quand je cause étant magnétisée, je me repose tout de meme, et je peux causer ainsi toute la nuit tandis que si je causais a l'état de veille, j'aurais la tete fatiguée et somnolente.

« Le 3 décembre.

« Mme M... est endormie par le regard et retombe dans un sommeil tres profond (aidéie paralytique).

6) Réponds, si tu m'entends    !

Action nulle.

« Je pose la meme question de vive voix. Elle n'entend pas. Un moment apres, elle s'agite un peu.

- « Vous ne m'avez pas entendu tout a l'heure ? Non. - Pourquoi ? - Parce que mon sommeil était trop profond. - Y aura-t-il une attaque ce soir ? Non. »

« Je laisse donc la malade a elle-meme et quelques minutes apres, je recommence les expériences.

 7) Donne la main droite !

(Donne la main !)

(N'importe laquelle !)

Froncement des sourcils.

== 0.

Elle donne la main gauche.

« Si je lui parle en ce moment en la touchant, elle me répond ; si je lui parle sans la toucher, elle n'entend que des sons incompréhensibles.

« Je lui dis que je suis obligé de m'absenter pour un quart d'heure, mais une fois, dehors j'essaye de l'appeler mentalement.

 Viens a moi !

Froncement des sourcils.

Une agitation générale.

 « En ce moment l'expérience est interrompue par un accident curieux. L'action a distance provoque chez elle une hyperesthésie générale et dans cet état « elle se sent incommodée par quelque chose a sa droite », une « odeur insupportable l'épouvante », un « bruit imaginaire, provoqué par l'irritation et la congestion cérébrale, l'empeche de m'entendre ». Il m'a semblé, dit-elle, que je devais me lever et circuler : mais cette atmosphere horrible m'étouffait. « Cela m'empechait... cela ne vous aime pas, mais cela a honte de l’avouer.»

- « Qu'est-ce donc ? - je ne sais pas, mais délivrez-moi de cela... »

«  Elle fait des gestes répulsifs a droite.

« Mais nous ne voyons rien d'extraordinaire dans cette direction.

« Enfin je remarque que, sur le guéridon des fleurs, se trouve une plante nouvelle. Je l'enleve.

- « Ah ! Enfin, dit la malade, merci, j'ai failli avoir une attaque.

« Cette plante a été apportée le jour meme par une de ses amies qu'elle aime beaucoup a l'état normal, mais qu'elle ne peut pas supporter en somnambulisme, meme a une distance de plusieurs metres. Je le savais déja, car j'ai assisté a une attaque épouvantable provoquée uniquement par la présence de cette personne, mais je ne pouvais pas m'imaginer qu'un objet lui ayant appartenu aurait la meme influence. J'ai cru d'abord a l'action de l'odeur de cette plante, mais elle n'en avait guere. Alors j'ai fait plusieurs expériences avec des objets provenant de cette personne et melés aux autres. Je plaçai par exemple a côté de la malade, mais assez loin, sur le canapé, un rouleau de musique apporté par cette, meme personne. Des qu'elle l'eut effeuré de sa main, en faisant un geste, elle s'en éloigna vivement en demandant qu'est-ce qui lui faisait tant de mal. De meme pour tous les autres objets. Elle n'a jamais deviné ce que c'était, mais elle ressentait toujours une influence antipathique. Meme une carte, provenant de cette personne et melée a plusieurs autres, fut rejetée comme « désagréable ».

« Je dois ajouter que cette jeune personne aimait beaucoup Mme M... et qu'elle était jalouse de l'influence que j'exerçais sur mon sujet.

« Le 5 décembre.

8) Un essai dans l'état de somnambulisme actif gai.

Action nulle.

(Elle est a moitié réveillée.)

 Ou est-elle, Marie ?

« Elle doit faire un travail ennuyeux. Je crois qu'elle ne pense a rien, car je ne la sens pas.

« (Notre malade, en s'éveillant, passe momentanément par un état monoidéique transitoire, et alors elle sent toujours bien l'état mental des personnes qui l'entourent. Elle dit : « Pourquoi avez-vous plus de confiance aujourd'hui ? Pourquoi est-elle si inquiete - ou contente ? » Etc. Une fois réveillée completement, elle n'a plus cette sensation.)

« En voulant m'asseoir derriere la table, je faillis tomber, a cause de la chaise, qui était plus basse que je m'y attendais. La malade pousse un cri, je lui demande :

-« Qu'y a-t-il ?

-« Il m'a semblé que quelque chose s'effondre sous moi.

« Si l'on me pince, elle s'en plaint, sans cependant savoir que c'est moi qui souffre. Je l'informe que je désire lui poser quelques questions. - « Alors, endormez-moi un peu plus », dit-elle. Je fais quelques passes devant ses yeux. Elle est en ce moment dans le somnambulisme passif c'est-a-dire qu'elle répond facilement et largement a toutes les- questions posées par moi (et seulement par moi), mais ne parle pas d'elle-meme.

- « Pouvez-vous me dire a quel degré du sommeil tres profond vous subissez l'action de mes pensées (pour la malade, chaque partie du corps peut etre endormie ou réveillée séparément) et quand je ne puis penser par moi-meme.

- « Mais alors, si je vous ordonne de vous lever, vous ne pourrez pas le faire ?

- « Toute seule, non, mais si vous le voulez fortement, quelque chose va me soulever.

- « Savez-vous par avance ce que j'exige de vous ?

- « Non, mais ça me pousse, aussi j'aime mieux quand vous divisez votre pensée... Je ne peux pas la saisir tout entiere ; je n'entends pas les mots, je crois que vous pourriez penser dans n'importe quelle langue, je sens seulement une impulsion qui m'envahit et finit par me dominer.

« En ce moment, je donne quelques explications a mlle Mar

« Avez-vous entendu ce que je viens de dire ?

- « Je vous ai entendu parler, mais je n'ai rien saisi, car vous n'avez pas en l'intention d'etre entendu par moi.

- « Si je ne vous adresse pas la parole, que faites-vous mentalement ? Pensez-vous a quelque chose ?

- « Lorsque je dors légerement comme a présent, je peux bien penser, si vous etes pres de moi ; - mais si vous vous éloignez, il se fait un revirement dans ma tete, comme si vous me laissiez dans une chambre obscure.

- « Et si je vous endormais plus fort.

« Alors je ne saurais plus rien et si vous me quittiez, je resterais comme cela, sans en souffrir.

- « Quel est dont l’état dans lequel, d'apres votre avis, l'action de la pensée est la plus facile ?

- « Il faut pour cela que le sommeil soit tres fort, mais que je vous entende tout de meme.

- « A vrai dire, je vous entends toujours, ou au moins je le crois (évidemment la somnambule ne pouvait pas savoir si elle m'entendait dans l'état complet d'aidéisme), seulement quelquefois je n'entends que des mots détachés, par exemple : vous me posez la question : « M'entendez-vous en ce moment ? » Et je n'entends, moi, que : « entendez... moment », ou bien encore j'entends tous les mots, mais chaque mot isolé, de sorte que, quand vous etes au bout d'une phrase, j'en ai déja oublié le commencement. Les premiers mots se sont enfuis (monoidéisme). Et puis aussi, quelquefois, je vous entends et vous comprends bien, mais je n'ai pas la force de répondre.

-         « Et dans l'état ou vous etes en ce moment, pourriez-vous saisir ma pensée ?

-         « Non. (Expérience.)

Réveillez-vous !

Action nulle.

« Mais, quelques minutes apres, elle me dit d'elle-meme : « Réveillez-moi » - et alors j'ai pu la réveiller a distance. (Une simple assertion ne lui a jamais suffi pour le réveil.)

« Le 7 décembre.

« La malade est dans l'état d'aidéie en partie tétanique (les bras contracturés, les jambes un peu raides).

« Se lever, aller au piano, prendre une boîte d'allumettes, me les apporter, allumer l'une d'elles, retourner a sa place.

(Va au piano !)

(Retourne !)

(encore en arriere!)

Je l'arrete par la main.

(Plus bas !)

(Plus bas !)

(Prends la boîte !)

(Prends la boîte !)

(Viens a moi !)

(Allume !)

(Allume !)

(Allume !)

(Retourne a ta place !)

11) Rapprocher la main droite de mes levres.

(Leve-la!)

(Leve-la !)

(Donne a embrasser !)

(C'est pas ça ! a ma bouche !)

(Aux levres!)

Elle se leve avec difficulté.

S'approche de moi.

Elle va au piano.

Mais passe devant.

Elle revient.

Elle s'avance vers la porte.

Elle revient au piano.

Cherche trop haut.

= 0.

Sa main s'abaisse.

Elle touche la boîte, puis recule.

Elle la touche de nouveau et la prend.

Elle vient a moi.

Elle veut me passer la boîte.

EIle retire une allumette.

Elle l'allume.

Elle retourne a sa place.

Sa main droite s'agite.

= 0.

Elle leve la main.

Elle rapproche sa main de son visage - retire sa cravate.

Elle rapproche sa main droite de ma tete.

Elle l'approche de mes levres.

« Le 9 décembre.

« La malade dort bien ! l'état aidéique avec tendances aux contractures.

12) Se coucher sur le côté droit.

Je supprime la contracture a l'aide d'un léger massage. Je tiens sa main, et a un moment donné j'essaye mentalement de :

13) Provoquer la contracture dans le bras gauche.

14) Couche-toi !

= 0.

Elle se souleve et s'arrete contracturée de tout le corps, peut-etre sous l'influence du regard, car je la regardais fixement.

Le bras gauche se raidit presque instantanément.

Action nulle.

« En ce moment il a y une hyperacousie, le moindre bruit l'irrite, puis elle retombe de nouveau dans l'immobilité générale.

- « Je n'entends pas bien vos pensées, dit-elle subitement, parce que je dors ou de trop, ou pas assez.

« L'ouverture de l'oil gauche provoque la catalepsie dans le bras droit, puis dans les deux.

« L'ouverture de l'oil droit ne provoque rien du tout.

15) Se gratter les joues.

Action nulle.

« En ce moment, une allumette, allumée vivement devant un oil ouvert expres, ne provoque aucun réflexe. La contraction de la pupille meme n'est pas aussi sensible que d'habitude, tandis que, tout a l'heure, la contraction a été presque normale et la malade disait voir « un peu de clarté ». Maintenant elle affirme ne rien voir. Je la réveille, elle parait assez bien, mais peu a peu une attaque se déclare. Je l'arrete en magnétisant de nouveau.

« Le 11décembre.

« (Expériences en présence de M. l'ingénieur Sosnowski).

« La malade se porte bien. Je l'endors en deux minutes et démontre les trois états principaux:

« 1° L'aidéide (sans pensée, sommeil le plus profond) ;

« 2° La monoidéie (une seule idée possible) ;

« 3° La polyidéie (somnambulisme proprement dit).

« Puis, a l'aide de quelques passes devant les yeux, j'approfondis le sommeil jusqu'au degré transitoire entre l'aidéie et le monoidéisme. En ce moment, elle m'entend meme sans attouchement, mais elle reste tout a fait paralysée et insensible.

16) Viens a moi !

Je change de position et je me cache aussi loin que possible.

17) Donne la main a M. S. (L'expérience proposée par M. S.)

Elle se leve et vient directement a moi.

 

 

Elle étend la main droite et la donne a M. S...

« En ce moment l'ouverture des yeux ne provoque pas la catalepsie.

« L'attouchement de M. S., comme de toute autre personne étrangere, lui est tres désagréable. Elle ne permet meme pas de s'approcher d'elle, a moins d'un demi-metre de distance. Elle a les yeux bandés. Mes mains provoquent toujours une attraction ; ayant les jambes contracturées et étant attirées par moi, elle tombe en arriere, puis se leve, également attirée a distance...

« Le 18 décembre.

 

18) Un essai dans l'état de somnambulisme actif, avant l'acces.

Action nulle.

Quelques minutes apres l'acces éclate. Alors,            je l’endors fortement pour toute la nuit.

« Elle se réveille tout a fait bien le lendemain.

« Le 27 décembre.

« En endormant la malade, je prolonge les passes plus longtemps que d'habitude, car sans les passes elle s'endormait difficilement. Le sommeil devient tres profond. Elle ne m'entend plus du tout. Le pouls est faible et inégal, 80 pulsations. La respiration courte, intermittente. Je la calme par l'imposition de la main sur le creux de l'estomac.

19) Aller a table prendre un gâteau et me le passer.

(Voyant que le sommeil est trop profond, je « réveille » les bras et les oreilles, elle m'entend alors sans que je la touche.)

Je l'arrete.

(Étends le bras !)

(Etends le bras!)

(Plus bas !)

(Prends et donne !)     

= 0.

Elle se leve.

Vient a moi.

Reste hésitante au milieu de la chambre.

Elle s'approche de la table.

 = 0.

Elle étend le bras.

Elle cherche a côté.

Elle touche les gâteaux et tressaille.

Elle prend un gâteau et me le donne.

           

« Elle est visiblement fatiguée ; ses paupieres clignotent.

- « Pourquoi avez-vous pris un gâteau et pas autre chose ?

- « Parce que tous les autres objets étaient étrangers - tandis que les gâteaux m'ont paru bien connus. Mais je ne savais pas que c'était des gâteaux ; je sentais seulement que c'était quelque chose de moins repoussant que les autres objets étrangers... Je ne dormais pas assez (somnambulisme actif), il ne faut pas me réveiller les oreilles.

« Quelques minutes apres a eu lieu une expérience d'autant plus curieuse qu'elle fut tout a fait imprévue. J'étais absorbé dans une pensée personnelle qui m'inquiétait dans la journée. Malgré son caractere intime, je suis obligé de la dévoiler ici, pour qu'on puisse comprendre l'expérience.

« Le traitement de Mme M..., absorbant mon temps, me fit négliger plusieurs affaires, de sorte que ce jour-ci j'étais fort embarrassé pour une question d'argent. Le traitement était gratuit et je ne voulais pas que Mme M... se doutât en quoi que ce soit de mon embarras. Ne pouvant pas la quitter a cause de la gravité de son état (il y avait toujours des acces de manie de suicide), ma pensée revenait tout le temps a cette affaire.

« Je cause avec la malade en plaisantant, mais probablement ma voix trahit l'inquiétude et a un moment donné, je vois qu'elle devine mes pensées. Elle s'arrete dans la conversation et devient pensive. Une longue observation me permet de deviner a mon tour l'idée qui la préoccupe.

« Apres avoir réfléchi, elle se dit intérieurement :

Il est embarrassé, il faut lui venir en aide, mais si on me réveille j'oublierai tout... Comment faire ?...

« Elle cherche et trouve le moyen. Elle s'ôte une bague du doigt (comme elle avait l'habitude de le faire quand elle voulait se rappeler quelque chose) et son visage trahit l'intention de ne pas oublier la signification de cette manouvre.

- « Il ne faut pas penser a cela, lui dis-je.

- « Si je le veux, vous ne m'en empecherez pas...» et elle simule l'indifférence pour m'échapper.

« Quelques minutes apres, j'aperçois un nouveau travail intérieur sur son visage. Le sommeil est devenu moins profond, elle revient a son idée et essaye encore une fois d'esquiver mon influence, en demandant que je la réveille le plus lentement possible « pour éviter une attaque ».

« Je la réveille tout doucement, en suggérant la gaîté au réveil.

« Une fois remise, elle devient pensive, elle se frotte le front.

- « Il me semble, dit-elle, que je devais me rappeler quelque chose mais je ne sais quoi. (Elle examine sa bague a plusieurs reprises.) Non ! Je ne me souviens de rien...

« Elle est gaie et cause librement avec nous.

« Encore deux expériences a l'état de veille.

- « 20) Qu'est-ce que je désire en ce moment ?

- « C'est vrai, vous désirez quelque chose...

« Elle cherche autour d'elle, puis me regardant dans les yeux :

- « Vous voulez un peu de vin pour votre thé. (C'était juste.)

- « 21) Et maintenant ? (Je voulais qu'elle prenne un gâteau.)

- « Non, je ne sais plus rien, je ne sens rien.

« Le  28 décembre.

« Endormie le matin, elle retrouve son souvenir d'hier, et essaie encore une fois de le graver dans sa mémoire ; elle trouve pour cela un nouveau moyen. Tout a coup, lorsque je ne m'y attendais pas, elle s'écrie en prononçant une phrase, qui ne pouvait pas etre comprise par nous, mais qui, rappelée au réveil, devait lui susciter dans la pensée le projet conçu la veille ; puis, pour éviter mon influence, elle se bouche les oreilles et se met a marmotter pour ne pas m'entendre.

« 22) Je lui ordonne mentalement d'oublier. Elle se croit victorieuse et demande a etre réveillée lentement.

« Je la réveille. On lui répete la phrase mnémotechnique

- « Qu'est-ce que cela veut dire ?

« Je n'y comprends rien...

« Et elle n'y pense plus.

« Dans la soirée, un faible acces de délire se déclare... Elle a l'hallucination d'une personne morte. L'acces se termine par une contracture générale. Je supprime la contracture. Elle retombe sur les coussins et reste inerte.

23) Leve-toi et viens a moi !

Un peu d'agitation.

 = 0.

« Elle dormait en ce moment d'un sommeil tres profond (aidéie paralytique). Elle ne m'entend pas sans attouchement.

24) Je veux que tu m'entendes !                   

25) Idem. J'excite un peu les oreilles par des mouvements des doigts qui provoquent habituellement une hyperacousie.

           

26) Faire entendre la voix de Mlle X... qu'elle n'entend jamais d'elle-meme. (Expérience de Puységur.)       

Je touche la main de Mlle X ..qui parle.

Elle entend le « bruit » de ma voix, mais ne comprend pas.

Meme effet incomplet je ne pense pas arriver a etre compris.

Enfin, apres plusieurs minutes, elle m'entend bien.

= 0.

= 0.

Elle entend la voix, comme un chuchotement ou plutôt un bruit assez fort, mais incompréhensible.

Elle l'entend sans que je touche Mlle X          Elle n'entend rien malgré l’attouchement.

« Ces expériences ont été probablement genées par l'état inconstant et pathologique de la malade. (Quelques minutes apres.)

27) Donne l'autre main !

 (Je tiens sa main gauche).

28) Demande ce que je veux

(sans attouchement).

- Qu'y a-t-il ? Que voulez-vous dire! (A haute voix.)

29) Ouvre les yeux et réveille-toi !    

Agitation dans la main droite, qui est contracturée.

Elle se souleve un peu.

Elle dirige sa main droite vers moi, avec une grande difficulté, car elle est raide.

Elle me la donne, puis retombe tres fatiguée.

= 0.

- Hum...

Quelque chose me poussait a faire une question... mais je ne sais laquelle... j'ai déja oublié... tout est embrouillé dans ma tete.

= 0.

Elle remue la tete a droite et a gauche, puis le bras droit, mais ne se réveille pas.

« Elle était en ce moment absorbée par une reverie somnambulique qui diminuait la sensibilité. J'essaye de la réveiller par ordre verbal, mais je n'obtiens qu'une somnolence fatigante, et, au bout, de plusieurs minutes, je suis obligé de recourir aux passes.

« Le 31 décembre.

« La malade se trouve bien. Je provoque facilement les états voulus, je m'arrete a une phase intermédiaire entre la léthargie aidéique et le monoidéisme. Elle m'entend, mais moi seulement, et elle est incapable de répondre autrement que par des signes ou des mots détachés.

30) Leve-toi, va a ton frere et embrasse-le !

Elle se leve.    

Elle s'avance vers moi puis recule vers son frere.

Elle tâte en l'air en cherchant sa tete.

S'arrete devant lui en hésitant.

Elle se rapproche lentement et l’embrasse sur le front, en tressaillant.

- « Pourquoi tressaillez-vous ?

- « Parce que c'est quelque chose d'étranger... (Elle aime beaucoup son frere.)

« Il y a eu un acces tres grave dans la soirée, elle s'est blessée plusieurs fois avec un couteau a la tempe. J'arrive a temps pour prévenir le suicide et je l'endors avec beaucoup de difficultés, sans qu'elle me reconnaisse. Elle me demande pardon en somnambulisme, tout en se plaignant de ce que le couteau n'ait pas été assez tranchant.

« L'état normal ne revient qu'apres deux heures de sommeil. Les attaques hystéro-épileptiques ne se renouvellent plus, mais les acces de folie et les évanouissements sont encore fréquents.

« Le 6 janvier.

« La malade reste sur le canapé et n'entend rien. Je sors tout doucement pour faire une expérience a distance.

31) Leve-toi et reste assise en attendant mon retour.

Elle fronce les sourcils, sa respiration devient haletante, mais elle ne bouge pas.

« J'agissais a peine depuis dix minutes, quand on est venu me déranger.

« Elle n'est pas tres bien ; par conséquent, j'interromps les expériences pour m'occuper de son état.

« Le 10 janvier.

« J'endors Mme M... par des passes a distance, c'est a dire sans la toucher. Puis, j'essaye de :

32) Provoquer le sommeil naturel profond dans Le somnambulisme artificiel    

Quelques secondes apres le commencement de l'action mentale, j'entends un ronflement, les levres s'ouvrent et restent ouvertes.

« Quelques minutes apres, cet état cesse. Je recommence :

           

33) Idem.

(Ouvre la bouche !)     

           

34) Ferme la bouche !

Memes signes, moins l'ouverture de la bouche.

Elle ouvre la bouche et dort bien en soufflant.

Action nulle, probablement a cause de la profondeur du sommeil.

« Elle dort bien toute la nuit.

« Le 11 janvier.

 

Etat de léthargie aidéique (avec tendance aux contractures):

 

35) Etends le bras droit.

Agitation dans le bras droit.

Meme phénomene sept fois de suite.

Un petit mouvement du bras gauche

Le corps se souleve un peu. Retombe.

Elle étend le bras droit.

« En ce moment, elle m'entend, mais elle éprouve de la difficulté a me répondre.

« Elle reconnaît un objet m'appartenant parmi quatre semblables, en le désignant comme le mieux connu. (Elle voit pour la premiere fois, mais c'est ainsi qu'elle nomme toujours ce qui m'appartient, ce que j'ai touché, ou sur quoi j'ai concentré ma pensée.) Elle rejette un objet parmi cinq semblables ; l'objet rejeté appartenait a Mlle X ..., dont la présence lui est insupportable. Trois doigts différents la touchent, elle reconnaît le mien, etc. Elle demande a boire, on lui approche un verre d'eau de ses levres, mais elle ne sent rien et demande toujours a boire; si c'est moi qui tiens ce verre, elle le reconnaît tout de suite, et boit avec plaisir. (Ce phénomene se répétait tous les jours.)

« Le 14 janvier.

« Mme M... s'endort difficilement, mais d'un sommeil excessivement profond. Elle ne m'entend pas encore une demi-heure plus tard. Il n'y a pas de contracture. La tete n'est pas tres chaude. Les membres ne sont pas froids. Le pouls est assez régulier, 80 pulsations. De temps en temps, quelques petits tremblements des doigts. L'hyperexcitabilité neuro-musculaire n'existe pas. Les membres gardent l'attitude imprimée. Par conséquent, c'est un état d'aidéie cataleptique.

36) Je veux que tu m'entendes.

Action nulle. Une minute apres, plusieurs évanouissements se déclarent.

                       

« A cause de l'état pathologique, on ne doit tirer aucune conclusion de cet échec dans l'état d'aidéie cataleptique. Peu a peu, elle passe d'elle-meme dans le délire somnambulique. Une heure apres, agissant plus fort j'obtiens un somnambulisme calme.

37) Dors bien toute la nuit !

Elle dort bien toute la nuit.

« Elle se réveille tout a fait bien, sauf une amblyopie passagere.

« Le 18 janvier.

L'amélioration de la santé de Mme M... me permet de faire quelques nouvelles expériences. Je l'endors comme d'habitude. Ensuite, j'endors son frere, qui reste immobile dans un fauteuil au milieu de la chambre. Il est dans un état d'aidéie paralytique légere, facile a dissiper, mais d'ou il ne peut sortir par lui-meme. Mme M... reste sur le canapé au fond de la chambre, en somnambulisme passif. A l'aide de quelques passes, je rends le sommeil plus profond (un peu trop profond meme) et je m'éloigne pour commencer les expériences.

38) Se lever et puis se mettre a genoux au milieu de la chambre.

Je la prends par la main,

Mets toi a genoux !

= 0

Elle s'agite. (Elle a constaté qu'elle dormait tres bien, lorsque quelque chose 1a réveilla.)

Elle se leve et marche vers le milieu de la chambre, ou elle rencontre son frere endormi. Cette fois-ci, elle ne tressaille point, au contraire, elle le tâte avec une certaine satisfaction et un peu d'étonnement.

Puis elle retourne sur le canapé et s'assied.

Apres deux minutes d'hésitation, elle s'agenouille.

« Elle raconte ensuite que c'est son frere endormi qui l'avait dépistée.

« Je ne savais que faire, je vous sentais la et la. Ça m'a troublée... Il y avait « un autre vous » au milieu de la chambre.

- « Comment, un autre moi ?

- « Quelque chose qui était vous... Je ne sais pas... mais ça m'a troublée.

« Le 24janvier.

« Elle est endormie sur le fauteuil (aidéie puis monoidéisme),

39) Souffler une bougie sur le piano.

Elle se tient si pres de la bougie que je la souffle moi-meme de peur que sa robe ne prenne feu.

(Donne la bougie !)

40) Donne la main gauche!

(Je la tiens par la main droite.)

41) Viens a moi !

Cette expérience a été faite avec beaucoup de précaution ; la somnambule ne savait pas que j'étais parti et j'agissais a distance de plusieurs metres, du fond du couloir.

Elle se leve. Se dirige vers moi, puis vers le piano.

Touche la musique en tâtant.

Retire la bobeche.

Retire la bougie et me l'apporte.

Elle leve la main gauche et me la donne.

 

Froncement des sourcils.

Elle se leve.

Etend le bras droit, s'avance, ouvre la porte et va directement dans le couloir, ou je me précipite a sa rencontre.

« Elle manifeste une satisfaction en rencontrant ma main, puis retourne lentement au salon.

« J'ai fait ce soir encore deux expériences, pour vérifier l'action magnétique personnelle. J'ai déja mentionné que, chaque fois que la malade touchait un objet ou une personne « étrangere », c'est-a-dire en dehors de mon influence, il y avait un tressaillement et une répulsion instinctive. C'est ce que j'ai voulu vérifier. J'ai invité son frere a s'asseoir insensiblement non loin d'elle et un peu en arriere ; puis, en exerçant une action attractive sur un bras de la malade, je l'ai dirigé de façon a toucher par hasard le bras de son frere. Il y eut un tressaillement répulsif, et cette expérience répétée a donné toujours le meme résultat. Ensuite j'ai endormi le frere a la meme place, a l'insu du sujet, et j'ai recommencé l'attraction. Elle était forcée de toucher son frere plusieurs fois, mais la répulsion ne se manifesta plus.

« Le 4 février.

« En se réveillant, elle manifeste, comme d'habitude, sa sensibilité vis-a-vis les états psychiques des assistants.

- « Je suis toute colere contre Marie.

- « Pourquoi cela ?

« Parce que tout le temps elle a cherché un moyen de m'arreter encore, et il faut absolument que je parte. (C'était exact.)

« Le 5 février.

« Le point hystérogene sous la clavicule gauche n'existe plus. Mais elle ne sent pas encore la chaleur de ma main derriere la tete (point délirogene). Cependant, en somnambulisme, la sensibilité est déja normale. La magnétisation arrete un commencement d'acces de délire. Aidéie, 82 pulsations. Apres trente minutes de cet état, la tete se refroidit. Quelques minutes apres, le somnambulisme passif se déclare, puis le somnambulisme actif. Alors elle demande que je lui réveille « tout le corps, sauf le devant de la tete ». Dans cet état, elle manifeste une sensibilité tres grande. Elle sent tout, mais éprouve une difficulté a réfléchir.

« Si on me pince ou frappe, cela lui fait mal. Elle décrit parfaitement mon état mental, ou plutôt mes sensations. L'attouchement d'une personne étrangere est encore désagréable. Je me pince moi-meme.

- « Je n'aime pas cela, dit-elle.

« En général, elle n'est pas obéissante dans cet état; malgré la transmission des sensations, elle est pour cela trop irascible. Elle subit l'influence de mes sensations, mais non de ma volonté. Le souvenir persiste ou a peu pres.

« Une heure apres, cet état se dissipe, et elle s'endort de son sommeil normal.

« Je m'arrete la. L'histoire de cette malade a été des plus instructives pour moi. J'ai sur elle un volume entier de notes, prises sur le vif, et ayant trait a plusieurs autres questions, parmi lesquelles la question thérapeutique occupe le premier rang.

« Puis vient celle de la suggestion mentale, celle de l'action physique, celle des phases hypnotiques et quelques autres de moindre importance.

« J'ai omis a dessein tout ce qui n'avait pas de rapport direct avec la transmission psychique, pour ne pas compliquer la tâche du lecteur, qui en aura assez s'il veut bien examiner les détails donnés, avec l'attention nécessaire.

« Je n'ai rien omis, au contraire, de ce qui avait trait a notre sujet principal. J'ai cité toutes les expériences, meme celles qui devaient manquer forcément ou qui ne pouvaient réussir qu'en partie, a cause des circonstances accidentelles. Aussi l'aspect général de ce récit sera moins concluant pour le lecteur qu'il ne l'est pour moi - « J'ai enfin eu l'impression personnelle, si longtemps recherchée, d'une action vraie, directe, indubitable. J'étais bien sur qu'il n'y avait la ni coincidence fortuite, ni suggestion par attitude, ni autre cause d'erreur possible. La ou ces influences s'ajoutaient momentanément, je les ai indiquées, et le lecteur saura les apprécier lui-meme, d'apres les principes exposés ci-dessus. Mais ce qui a pu échapper au lecteur, précisément a cause de la façon toute objective de cet exposé, c'est qu'a partir de la deuxieme semaine, j'étais déja maître du phénomene, et que si, parmi les expériences postérieures, il y a encore eu des échecs, c'est uniquement parce que j'ai voulu vérifier l'impossibilité ou la difficulté de réussir dans certaines phases hypnotiques. Des que j'avais provoqué par avance la phase du sommeil, favorable a ces essais, ils réussissaient toujours. Le lecteur ne sera pas étonné de la satisfaction profonde que me procura cette découverte. Pour moi un phénomene n'est pas un fait scientifique si on est obligé de l'accepter purement et simplement comme un accident, bien vu, bien contrôlé, mais qui est venu on ne sait comment, et qui ne se renouvelle pas, on ne sait pourquoi. »

« Le vrai moment de la suggestion mentale, dit Ochorowicz, c'est la limite entre l'état aidéique et le monoidéisme passif. »

Voici ce que cet auteur entend par ces mots :

Etat aidéique : sommeil profond durant lequel le sujet se trouve dans une sorte d'inertie psychique, c'est-a-dire sans aucune idée.

Monoidéisme passif : sommeil moins profond dans lequel l'activité psychique n'est caractérisée que par une seule idée suggérée.

En 1869, le docteur Dusart, ancien interne des hôpitaux de Paris, fit, sur une de ses clientes, des expériences curieuses, publiées dans la Tribune médicale (nos des 16 et 30 mai 1875).

« Il s'agit d'une jeune fille de quatorze ans, a laquelle M. Dusart fut appelé, en 1869, a donner des soins pour des troubles hystériques graves ; paralysie de la vue et de l'odorat, perversion du gout, abolition des mouvements et de la sensibilité dans le bras droit et dans les deux jambes, osophagisme, rachialgie, tendance au suicide. Voici comment M. Dusart eut l'idée d'endormir sa malade : « Le spasme de osophage était tel qu'il fallait la nourrir a la sonde ; mais dominée par des idées de suicide, elle engage, chaque fois avec nous, une lutte acharnée pour s'opposer a l'introduction de tout aliment. Nous devons etre trois, souvent quatre, pour triompher de sa résistance. Les aliments introduits, la malade fait des haut-le-corps, des efforts de vomissements, crache d'une façon continue et pousse des hurlements pendant plusieurs heures. Les parents, dont l'intelligence est au-dessous de la moyenne et qui sont imbus de préjugés, s'opposent a l'emploi des stupéfiants et de tout agent susceptible d'apporter du calme. Dans de telles conditions, la malade dépérit rapidement et, nous donne de vives inquiétudes. Cette lutte pour l'alimentation dure depuis les premiers jours de juin jusqu'a la fin d'octobre. C'est alors que je proposai a la famille un moyen, auquel je songeais depuis quelque temps, le sommeil magnétique. Toutes mes notions sur le magnétisme se bornaient aux quelques souvenirs que j'avais conservés lors de mon passage comme interne dans le service d'Azan. J'avais souvent vu ce médecin endormir une hystérique et je me disais que j'améliorerais sans doute beaucoup la situation de Mle J. si je pouvais assurer sa digestion en provoquant apres chaque repas un état de sommeil, ou, tout au moins, de calme suffisant. » M. Dusart essaya donc de l'endormir au moyen de passes, comme il avait vu faire Azan il réussit et put facilement alimenter sa malade. C'est en se demandant comment se produisait ce sommeil qu'il fut amené a observer les phénomenes suivants : « J'ai observé que quand, en faisant des passes, je me laissais distraire par la conversation des parents, je ne parvenais jamais a produire un sommeil suffisant, meme apres un long espace de temps. Il fallut donc faire une large part a l'intervention de ma volonté » (et de la distraction du sujet). « Mais celle-ci suffisait-elle sans le secours d'aucune manifestation extérieure ? Voila ce que je voulus savoir. A cet effet, j'arrive un jour avant l'heure fixée la veille pour le réveil et, sans regarder la malade, sans faire un geste, je lui donne mentalement l'ordre de s'éveiller : je suis aussitôt obéi. A ma volonté, le délire et les cris commencent. Je m'assieds alors devant le feu, le dos au lit de la malade, laquelle avait la face tournée vers la porte de la chambre, je cause avec les personnes présentes, sans paraître m'occuper des cris de Mlle J., puis, a un moment donné, sans que personne se fut aperçu de ce qui se passait en moi, je donne l'ordre mental du sommeil, et celui-ci se produit. Plus de cent fois l'expérience fut faite et variée de diverses façons : l'ordre mental était donné sur un signe que me faisait le DrX... et toujours l'effet se produisait. Un jour j'arrive lorsque la malade était éveillée et en plein délire ; elle continue, malgré ma présence, a crier et a s'agiter, je m'assieds et j'attends que le Dr X... me donne le signal. Aussitôt celui-ci donné et l'ordre mental formulé, la malade se tait et s'endort. « Vous saviez que j'étais la depuis quelque temps ? Non, Monsieur, je ne me suis aperçue de votre présence qu'en sentant le sommeil me gagner ; j'ai eu alors conscience que vous étiez devant le feu. »

« Je donnais chaque jour, avant de partir, l'ordre de dormir jusqu'au lendemain a une heure déterminée. Un jour, je pars, oubliant cette précaution, j'étais a 700 metres quand je m'en aperçus. Ne pouvant retourner sur mes pas, je me dis que peut-etre mon ordre serait entendu malgré la distance, puisque, a un ou 2 metres, un ordre mental était exécuté. En conséquence, je formule l'ordre de dormir jusqu'au lendemain huit heures, et je poursuis mon chemin. Le lendemain, j'arrive a 7 heures et demie, la malade dormait. « Comment se fait-il que vous dormiez encore ? - Mais, Monsieur, je vous obéis. - Vous vous trompez ; je suis parti sans vous donner aucun ordre. C'est vrai ; mais, cinq minutes apres, je vous ai parfaitement entendu me dire de dormir jusqu'a 8 heures. Or, il n'est pas encore 8 heures. Cette derniere heure était celle que j'indiquais ordinairement. Il était possible que l'habitude fut la cause d'une illusion et qu'il n'y eut ici qu'une simple coincidence. Pour en avoir le cour net et ne laisser prise a aucun doute, je commandai a la malade de dormir jusqu'a ce qu'elle reçut l'ordre de s'éveiller. Dans la journée, ayant trouvé un intervalle libre, je résolus de compléter l'expérience. Je pars de chez moi (7 kilometres de distance) en donnant l'ordre du réveil. Je constate qu'il est deux heures. J'arrive et trouve la malade éveillée ; les parents, sur ma recommandation, avaient noté l'heure exacte du réveil. C'était rigoureusement celle a laquelle j'avais donné l'ordre. Cette expérience, plusieurs fois renouvelée, a des heures différentes, eut toujours le meme résultat. »

« Le ler janvier, je suspendis mes visites et cessai toute relation avec la famille. Je n'en avais plus entendu parler, lorsque, le 12, faisant des courses dans une direction opposée et me trouvant a 10 kilometres de la malade, je me demandai si, malgré la distance, la cessation de tous rapports et l'intervention d'une tierce personne (le pere magnétisant désormais sa fille), il me serait encore possible de me faire obéir.

Je défends a la malade de se laisser endormir; puis, une demi-heure apres, réfléchissant que si, par extraordinaire, j'étais obéi, cela pourrait causer préjudice a cette malheureuse fille, je leve la défense et cesse d'y penser. Je fus fort surpris lorsque, le lendemain, a 6 heures du matin, je vis arriver chez moi un expres portant une lettre du pere de Mlle J... Celui-ci me disait que la veille, 12 a 10 heures du matin, il n'était arrivé a endormir sa fille qu'apres une lutte prolongée et tres douloureuse. La malade, une fois endormie, avait, déclaré que, si elle avait résisté, c'était sur mon ordre et qu'elle ne s'était endormie que quand je l'avais permis. Ces déclarations avaient été faites vis-a-vis des témoins auxquels le pere avait fait signer les notes qui les contenaient. J'ai conservé cette lettre, dont M... me confirma plus tard le contenu, en ajoutant quelques détails circonstanciés.

Voila de remarquables expériences.

Le professeur Ch. Richet, pendant qu'il était interne a l'hôpital Beaujon, eut l'occasion d'expérimenter un sujet apte a ces phénomenes.

« Un jour, raconte M. Richet, étant avec mes collegues a la salle de garde, a déjeuner, notre confrere M. Landouzy, alors interne comme moi a l'hôpital Beaujon, était présent ; j'assurai que je pouvais endormir une malade a distance et que je la ferais venir a la salle de garde ou nous étions, rien que par un acte de ma volonté ! Mais, au bout de dix minutes, personne n'étant venu, l'expérience fut considérée comme ayant échoué. En réalité, l'expérience n'avait pas échoué, car, quelque temps apres, on vint me prévenir que la malade se promenait dans les couloirs endormie, cherchant a me parler et ne me trouvant pas ; et en effet, il en était ainsi, sans que je puisse de sa part obtenir d'autre réponse pour expliquer son sommeil et cette promenade vagabonde, sinon qu'elle désirait me parler.

« Une autre fois, dit encore le meme auteur, j'ai répété cette expérience en la variant de la maniere suivante : je priai deux de mes collegues de se rendre dans la salle, sous le prétexte d'examiner une malade quelconque ; en réalité, afin d'observer comment se comporterait le no11, que j'aurais, a ce moment l'intention d'endormir. Quelque temps apres, ils vinrent me dire que l'expérience avait échoué. Cependant, cette fois encore, elle avait réussi, car on s'était trompé en désignant a la place du no11 la malade voisine, qui naturellement était restée éveillée, tandis que le n°11 s'était effectivement endormi. »

Le docteur Héricourt cite les faits ci-dessous :

« L'observation que je rapporte ici (c'est M. le Dr Héricourt qui parle) date de l'année 1878, époque a laquelle je l'ai communiquée a mon ami M. Charles Richet, qui l'a gardée fidelement et prudemment dans ses cartons, pour des raisons faciles a comprendre. Il s'agit d'une jeune femme de vingt-quatre ans, d'origine espagnole, veuve et mere d'une petite fille de cinq ans. Mme D... est petite, maigre, tres brune, a le systeme pileux tres développé. L'examen le plus minutieux n'a pu faire découvrir chez elle aucune trace hystérique personnelle ou héréditaire. Quand j'essayai de produire l'hypnotisme (il s'agit du magnétisme) chez Mme D..., elle n'avait été soumise auparavant a aucune expérience de cette nature. La premiere tentative réussit d'ailleurs pleinement, apres une dizaine de minutes passées a la regarder fixement et a lui tenir fortement les pouces a pleine main. Par la suite, le meme résultat était obtenu, mais seulement en la regardant ou en lui touchant la tete ou la main pendant quelques secondes a peine, et puis, enfin, en faisant moins encore, comme on va voir tout a l'heure. L'état de Mme D... était alors d'emblée celui du somnambulisme lucide ; la conversation était facile, l'intelligence du sujet était vive, sa sensibilité paraissait exaltée, et sa mémoire remarquable, toute image évoquée provoquait une hallucination, mais ce phénomene n'apparaissait jamais spontanément. » (C'était donc un état polyidéique, avec tendance au monoidéisme passif.) « En meme temps, il y avait une insensibilité complete a la douleur, et les membres, qui étaient le siege d'une hyperexcitabilité musculaire tres nette, étaient mis en catalepsie par le simple attouchement sans que l'état psychique fut en rien modifié. »

(C'est la un phénomene tres commun en magnétisme et qui prouve : 1° qu'il n'est pas nécessaire d'ouvrir les yeux du sujet pour provoquer la catalepsie, et 2° que la catalepsie peut exister en somnambulisme, et que, par conséquent, il est impropre de considérer ces deux états comme deux phases distinctes. En général, toutes les classifications basées uniquement sur les caracteres extérieurs doivent etre nécessairement défectueuses, car tous les caracteres extérieurs peuvent etre provoqués dans tous les états hypnotiques et meme a l'état de veille. Il n'y a que les caracteres psychiques, qui peuvent servir de base pour une classification sérieuse. Le somnambulisme est avant tout un phénomene cérébral et, par conséquent, il n'y a pas lieu de chercher ailleurs les caracteres différentiels de ses phases. On peut seulement dire par exemple : aidéie ou polyidéie cataleptique ou simplement paralytique, suivant les deux cas ou les membres restent flasques ou conservent l'attitude imprimée.)

« Au réveil, que je provoquais en promenant les doigts sur les paupieres supérieures, la mémoire de ce qui venait de se passer était completement perdue ; mais, dans l'état second, elle faisait une chaîne ininterrompue des faits de son état de veille et de ceux de son état de sommeil. J'ai dit que j'endormais Mme D... avec une facilité chaque jour plus grande. En effet, apres quinze jours environ de cet entraînement spécial, je n'avais plus besoin, pour obtenir ce résultat, ni du contact, ni du regard ; il me suffisait de vouloir, tout en m'abstenant de toute espece de gestes qui put trahir mon intention. Etait-elle en conversation animée au milieu de plusieurs personnes, tandis que je me tenais dans quelque coin, dans l'attitude de la plus complete indifférence, que je la voyais bientôt a mon gré, lutter contre le sommeil qui l'envahissait, et le subir définitivement; ou reprendre le cours de ses idées, selon que moi-meme je continuais ou cessais d'appliquer ma pensée au résultat a obtenir. Et meme je pouvais regarder fixement mon sujet, lui serrer les pouces ou les poignets, et faire toutes les passes imaginables des magnétiseurs de profession, si ma volonté n'était pas de l'endormir, il restait parfaitement éveillé, et convaincu de mon impuissance. »

« Bientôt ce ne fut plus seulement d'une extrémité a l'autre d'une chambre que je songeai a exercer mon action ; d'une piece a une autre, d'une maison a une autre maison, située dans une rue plus ou moins éloignée, le meme résultat fut encore obtenu. Les circonstances dans lesquelles j'exerçai ainsi pour la premiere fois cette action a longue distance méritent d'etre rapportées avec quelques détails. Étant un jour dans mon cabinet (j'habitais alors Perpignan) l'idée me vint d'essayer d'endormir Mme D... , que j'avais tout lieu de croire chez elle, et qui habitait dans une rue distante environ de 300 metres de la mienne. J'étais d'ailleurs bien éloigné de croire au succes d'une pareille expérience. Il était trois heures de l'apres-midi, je me mis a me promener de long en large, en pensant tres vivement au résultat que je voulais obtenir ; et j'étais absorbé par cet exercice, quand on vint me chercher pour voir des malades. Le cas étant pressant, j'oubliai momentanément Mme D..., que je devais d'ailleurs rencontrer vers quatre heures et demie sur une promenade publique. M'y étant rendu a cette heure, je fus tres étonné de ne l'y point voir, mais je pensai qu'apres tout mon expérience avait bien pu réussir ; aussi vers cinq heures, pour ne rien compromettre et rétablir les choses en leur état normal, dans le cas ou cet état eut été effectivement troublé, par acquit de conscience, je songeai a réveiller mon sujet, aussi vigoureusement que tout a l'heure j'avais songé a l'endormir. Or, ayant eu l'occasion de voir Mme D... dans la soirée, voici ce qu'elle me raconta, d'une maniere absolument spontanée, et sans que j'eusse fait la moindre allusion a son absence de la promenade. Vers trois heures, comme elle était dans sa chambre a coucher, elle avait été prise subitement d'une envie invincible de dormir, ses paupieres se faisaient de plomb, et ses jambes se dérobaient - jamais elle ne dormait dans la journée - au point qu'elle avait eu a peine la force de passer dans son salon pour s’y laisser tomber sur un canapé. Sa domestique, étant alors entrée pour lui parler, l'avait trouvée, comme elle le lui raconta plus tard, pâle la peau froide, sans mouvement, comme morte, selon ses expressions. Justement effrayée, elle s'était mise a la secouer vigoureusement, mais sans parvenir cependant a autre chose qu'a lui faire ouvrir les yeux. A ce moment, Mme D... me dit qu'elle n’avait eu conscience que d'éprouver un violent mal de tete qui, parait-il, avait subitement disparu vers cinq heures. »

« C'était précisément le moment ou j'avais pensé a la réveiller. Ce récit ayant été spontané, je le répete, il n'y avait plus de doute a conserver ; ma tentative avait certainement réussi. Afin de pouvoir la renouveler dans des conditions aussi probantes que possible, je ne mis pas Mme D... au courant de ce que j'avais fait, et j'entrepris toute une série d'expériences dont je rendis témoins nombre de personnes, qui voulurent bien fixer les conditions et contrôler les résultats. Parmi ces personnes je citerai le médecin-major et un capitaine de bataillon des chasseurs dont j'étais alors l'aide-major. Toutes ces expériences se ramenent en somme au type suivant. Etant au salon avec Mme D...., .je lui disais que j'allais essayer de l'endormir d'une piece voisine, les portes étant fermées. Je passais alors dans cette piece, ou je restais quelques minutes avec la pensée bien nette de la laisser éveillée. Quand je revenais je trouvais en effet Mne D... dans son état normal, et se moquant de mon insucces. Un instant plus tard, ou un autre jour, je passais dans la meme piece voisine sous un prétexte quelconque, mais cette fois avec l'intention bien arretée de produire le sommeil et, apres une minute a peine, le résultat le plus complet était obtenu. On n'invoquera ici, aucune suggestion autre que la suggestion mentale puisque l'attention expectante, mise en jeu dans toute sa force, lors de l'expérience précédente, avait été absolument sans action. Les conditions de ces expériences, qui se contrôlent réciproquement, sont d'une simplicité et d'une valeur sur lesquelles j'attire l'attention, parce qu'elles constituent une sorte de schéma a suivre pour la démonstration. »

Les expériences du Dr Gibert, du Havre, et de Pierre Janet, faites dans cette ville,     appuient nos affirmations sur l'action de la volonté de l'opérateur et prouvent encore la réalité de la suggestion mentale.

Nous extrayons du travail du Dr Janet, paru en 1885, dans le Bulletin de la Soc. psych. phys. et dans la Revue scientifique du 8 mai 1886, ce qui suit :

« M. Gibert tenait un jour la main de Mme B... pour l'endormir ; mais il était visiblement préoccupé et songeait a autre chose qu'a ce qu'il faisait : le sommeil ne se produisit pas du tout. Cette expérience, répétée par moi de diverses manieres, nous a prouvé que, pour endormir Mme B..., il fallait concentrer fortement sa pensée sur l'ordre du sommeil qu'on lui donnait, et que plus la pensée de l'opérateur était distraite, plus le sommeil était difficile a provoquer. Cette influence de la pensée de l'opérateur, quelque extraordinaire que cela paraisse, est ici tout a fait prépondérante, a un tel point qu'elle peut remplacer toutes les autres. Si on presse la main de Mme B... sans songer a l'endormir, on n'arrive pas a provoquer le sommeil; au contraire, si l'on songe a l'endormir sans lui presser la main, on y réussit parfaitement. En effet nous laissâmes Mme B ... assise au bout de la chambre, puis, sans la toucher et sans rien dire, M. Gibert, placé a l'autre bout, pensa qu'il voudrait la faire dormir; apres trois minutes le sommeil léthargique se produisit. J'ai répété la meme expérience plusieurs fois avec la plus grande facilité ; il me suffisait, en me tenant, il est vrai, dans la meme chambre, de penser fortement que je voulais l'endormir, un jour, malgré elle et quoiqu'elle fut dans une grande agitation, mais il me fallut cinq minutes d'efforts.

« Il m'est arrivé plusieurs fois, en attendant M. Gibert, de rester pres de Mme B... dans la meme attitude méditative, dans le meme silence, sans penser a l'endormir, et le sommeil ne commençait pas du tout. Au contraire, des que, sans changer d'attitude, je songeais au commandement du sommeil, les yeux du sujet devenaient fixes, et la léthargie commençait bientôt. En second lieu, si l'attitude des personnes présentes eut suggéré le sommeil, je ne m'expliquerais pas pourquoi la personne seule qui avait provoqué le sommeil par la pensée pouvait provoquer, pendant la léthargie, les phénomenes caractéristiques de la contracture et de l'attraction. »

M. le professeur Ch. Richet[11] cite un phénomene curieux, que d'autres opérateurs avaient et ont produit depuis : il réveillait mentalement un sujet endormi hypnotiquement, alors qu'il était interne dans le service de M. Le Fort, a l'hôpital Beaujon (1873). M. le professeur Boirac a produit maintes fois, en notre présence et en présence d'un assez grand nombre d'autres personnes, le sommeil et le réveil chez son sujet Gustave P..., par le seul effet de sa pensée et de sa volonté. Nous-meme avons produit assez souvent ce phénomene sur deux sujets.

Les expériences suivantes, faites a distance sur Mme B.... fortifient notre opinion. Écoutons encore M. Pierre Janet.

a) « Sans la prévenir de son intention, M. Gibert s'enferme dans une piece voisine, a une distance de six ou sept metres, et la, essaie de lui donner mentalement l'ordre du sommeil. J'étais resté, dit M. Janet, aupres du sujet et je constatai qu'au bout de quelques instants les yeux se fermerent et le sommeil commença mais ce qui me semble particulierement curieux, c'est que, dans la léthargie, elle n'est pas du tout sous mon influence. Je ne pus provoquer sur elle ni contraction ni attraction, quoique je fusse resté aupres d'elle pendant qu'elle s'endormait. Au contraire, elle obéissait entierement a M. Gibert, qui n'avait pas été présent; enfin, ce fut M. Gibert qui dut la réveiller, et cela prouve qu'il l'avait endormie. Cependant, ici encore, un doute peut subsister, Mme B... n'ignorait certainement pas la présence de M. Gibert dans la maison ; elle savait également qu'il était venu pour l'endormir ; aussi, quoique cela me paraisse bien peu vraisemblable, on peut supposer qu'elle s'est endormie elle-meme par suggestion, au moment précis ou M. Gibert le lui commandait de la salle voisine.

b) « Le 3 octobre 1885, je suis entré chez M. Gibert a onze heures et demie du matin et je l'ai prié d'endormir Mme B... par un commandement mental sans se déranger de son cabinet. Cette femme n'était alors prévenue en aucune façon, car nous ne l'avions jamais endormie a cette heure-la; elle se trouvait dans une autre maison, a 500 metres au moins de distance. Je me rendis aussitôt apres aupres d'elle pour voir le résultat de ce singulier commandement. Comme je m'y attendais bien, elle ne dormait pas du tout ; je l'endormis alors moi-meme en la touchant, et, des qu'elle fut entrée en somnambulisme, avant que je lui aie fait aucune question, elle se mit a parler ainsi : « Je sais bien que M.. Gibert a voulu m'endormir …Mais, quand je l'ai senti, j'ai cherché de l’eau et j'ai mis mes mains dans l'eau froide... Je ne veux pas que l'on m'endorme ainsi... je puis etre a causer... cela me dérange et me donne l'air bete. » Vérification faite, elle avait réellement mis ses mains dans de l'eau froide avant mon arrivée. J'ai rapporté cette expérience, quoiqu'elle ait échoué, parce qu'elle me semble curieuse a différents points de vue. Mme B... semble donc avoir conscience, meme a l'état de veille, de cette influence qui s'empare d'elle : elle peut résister au sommeil en mettant ses mains dans l'eau froide ; enfin, elle ne se pretait pas complaisamment a ces expériences, ce qui peut etre considéré comme une garantie de sa sincérité.

c) « Le 9 octobre, je passai encore chez M. Gibert et le priai d'endormir Mme B..., non pas immédiatement, mais a midi moins vingt. Je me rendis immédiatement aupres d'elle, et sans M. Gibert, qui ne peut, j'en suis sur, avoir en aucune communication avec elle. Je comptais l'empecher de mettre ses mains dans l'eau froide si elle l'essayait encore. Je ne pus la surveiller comme j'en avais l'intention, car elle était enfermée dans sa chambre depuis un quart d'heure et je jugeai inutile de l'avertir en la faisant descendre. A midi moins un quart, je montai chez elle avec quelques autres personnes qui m'accompagnaient : Mme B... était renversée sur une chaise, dans une position fort pénible, et profondément endormie. Le sommeil n'était pas un sommeil naturel ; car elle était completement insensible et on ne pouvait absolument pas la réveiller. Remarquons encore que ni moi ni aucune des personnes présentes nous n'avions d'influence sur elle et que nous ne pouvions nullement provoquer la contracture. Voici les premieres paroles qu'elle prononça des que le somnambulisme se déclara spontanément : « Pourquoi les avoir envoyés ainsi ? Je vous défends de me faire des betises pareilles…

« Ai-je l'air bete !... Pourquoi m'endort-il de chez lui, M. Gibert? Je n'ai pas eu le temps de mettre mes mains dans ma cuvette. Je ne veux pas. » Comme je n'avais aucune influence sur elle, il me fut impossible de la réveiller et comme on ne pouvait la laisser ainsi, il fallut aller chercher M. Gibert. Des qu'il fut arrivé, il provoqua tous les phénomenes que je ne pouvais provoquer ce jour-la, et enfin il la réveilla tres facilement. Peut-on croire que, dans cette circonstance, ma présence dans la maison et la connaissance que j'avais de l'heure choisie par moi ou le sommeil devait se produire ait pu avoir quelque influence sur elle et l'endormir ? Je ne le pense pas, mais enfin la supposition était encore possible. Nous résolumes de faire l'expérience d'une autre maniere.

d) « Le 14 octobre, M. Gibert me promit d'endormir Mme B... a distance, a une heure quelconque de la journée qu'il choisirait lui-meme ou qui lui serait désignée par une tierce personne, mais que je devais ignorer. Je n'arrivai au pavillon ou se trouvait Mme B... que vers 4 heures 1 ; elle dormait déja depuis un quart d'heure et par conséquent je n'étais pour rien dans ce sommeil, que je ne fis que constater. Meme insensibilité et memes caracteres que précédemment, si ce n'est que la léthargie paraissait encore plus profonde, car il n'y eut pas du tout d'acces de somnambulisme. Il se produisit cependant ce jour-la d'autres phénomenes, mais ils se rattachent a un autre ordre d'idées dont je parlerai tout a l'heure. M. Gibert n'arriva qu'a cinq heures 1 ; il me raconta alors que, sur la proposition de M. B..., il avait songé a l'endormir vers 4 heures 1/4 et qu'il était alors a Graville, c'est-a-dire a deux kilometres au moins de Mme B... D'ailleurs il lui fut facile de provoquer la contracture et de réveiller le sujet. Il aurait été bon de répéter cette expérience plusieurs fois, et il est fâcheux que le départ de Mme B... nous ait empechés de recommencer. Cependant, elle me paraît décisive, si l'on songe qu'elle ne fait que compléter les expériences précédentes et qu'elle se rattache a d'autres faits du meme genre qu'il nous reste a exposer.

e) « Le 14 octobre, ce meme jour ou Mme B... avait été endormie depuis Graville, j'observais pendant son sommeil, les phénomenes suivants : a 5 heures précises, Mme B.... tout en dormant, se met a gémir et a trembler, puis murmure ces mots : « Assez... assez... ne faites pas cela... vous etes méchant. » Elle se leve sur son séant et, tout en gémissant, se met debout et fait quelques pas, puis, en éclatant de rire, elle se rejette en arriere sur le fauteuil et se rendort profondément. A 5 h. 5, la meme scene se reproduit exactement ; elle commence de nouveau a etre troublée, tremble et gémit ; elle se souleve, se met debout et semble vouloir marcher; au bout de quelques instants, elle rit encore en disant : « Vous ne pouvez pas... si peu, si peu que vous soyez distrait je me rattrape » et de fait elle se recouche et se rendort. Meme scene encore a 5 h. 10. Quand M. Gibert arriva, a 5 h. 1/2, il me montra une carte qui lui avait été remise par une tierce personne, M. D... ; il n'avait pu avoir aucune communication avec Mme B... depuis l'instant ou on lui avait remis la carte. On lui proposait de commander a Mme B... différents actes assez compliqués de cinq en cinq minutes depuis 5 heures. Ces actes, évidemment trop compliqués, n'avaient pas été exécutés ; mais, au moment meme ou M. Gibert les ordonnait de Graville, j'avais vu sous mes yeux, a deux kilometres de distance, l'effet que ces commandements produisaient, et un véritable commencement d'exécution. Il semble réellement que Mme B... ait senti ces ordres, qu'elle y ait résisté et qu'elle n'ait pu désobéir que par une sorte de distraction de M. Gibert. Nous avons recommencé cette expérience en nous mettant alors pres d'elle pendant le sommeil léthargique. Il est singulier de remarquer que le résultat n'a pas été plus considérable, comme on aurait pu s'y attendre. Par un commandement mental, la personne qui a endormi Mme B... ne tarde pas, comme elle le dit, « a se rattraper » et a tomber en arriere. L'ordre donné mentalement a une influence qui paraît immédiate ; mais, autant que nous avons pu le voir, cette influence ne semble pas plus considérable de pres que de loin.

« Depuis, dans une nouvelle série d'expériences, apres une assez longue éducation du sujet, je suis parvenu a reproduire moi-meme, a volonté, ce curieux phénomene. Huit fois de suite, j'ai essayé d'endormir Mme B... de chez moi, en prenant toutes les précautions possibles, pour que personne ne fut averti de mon intention, et en variant chaque fois l'heure de l'expérience, et toutes les fois Mme B... s'est endormie du sommeil hypnotique quelques minutes apres l'heure ou j'avais commencé a y penser. »

Voici des expériences plus anciennes, faites le 4 novembre 1820, a l'Hôtel-Dieu de Paris, par le baron du Potet :

« Nous étions tous rendus dans la salle ordinaire des séances, la malade exceptée. M. Husson, médecin de cet hospice, me dit : « Vous endormirez la malade sans la toucher, et cela tres promptement. Je voudrais que vous essayiez d'obtenir le sommeil sans qu'elle vous vit et sans qu'elle fut prévenue de votre arrivée ici. » Je répondis que je voulais bien essayer, mais que je ne garantissais pas le succes de l'expérience, parce que l'action a distance, a travers des corps intermédiaires, dépendait de la susceptibilité particuliere de l'individu. »

 « Nous convînmes d'un signal que je pourrais entendre. M. Husson, qui tenait alors des ciseaux a la main, choisit le moment ou il les jetterait sur la table. On m'offrit d'entrer dans un cabinet séparé de la piece par une forte cloison et dont la porte fermait solidement a clef. Je ne refusai pas de m'y enfermer, ne voulant éluder nulle difficulté et ne laisser aucun doute aux hommes de bonne foi, ni aucun prétexte a la malveillance.

« On fit venir la malade, on la plaça le dos tourné a l'endroit qui me recélait, et a trois ou quatre pieds environ. On s'étonna avec elle de ce que je n'étais pas encore venu. On conclut de ce retard que je ne viendrais peut-etre pas ; que c'était mal a moi de me faire ainsi attendre ; enfin, on donna a mon absence prétendue toutes les apparences de la vérité.

« Au signal convenu, quoique je ne susse pas ou et a quelle distance était placée Mlle Sanson, je commençai a magnétiser en observant le plus profond silence, et évitant de faire le moindre mouvement qui put l'avertir de ma présence. Il était alors neuf heures trente-cinq minutes ; trois minutes apres, elle était endormie, et, des le commencement de la direction de ma volonté agissante, on vit la malade se frotter les yeux, éprouver les symptômes du sommeil et finir par tomber dans son somnambulisme ordinaire.

« Je répétai cette expérience le 7 novembre suivant devant M. le professeur Récamier. Celui-ci prit toutes les précautions possibles, et le résultat fut en tout conforme a notre premier essai. »

« Voici les détails de cette expérience : lors de mon arrivée, a neuf heures un quart, dans le lieu de nos séances, M. Husson vint me prévenir que M. Récamier désirait etre présent et me voir endormir la malade a travers la cloison. Je m'empressai de consentir a ce qu'un témoin aussi recommandable fut admis sur-le-champ. M. Récamier entra et m'entretint en particulier de sa conviction touchant les phénomenes magnétiques. Nous convînmes d'un signal : je passai dans le cabinet ou l'on m'enferma. On fait venir la demoiselle Sanson ; M. Récamier la place a plus de six pieds de distance du cabinet, ce que je ne savais pas, et y tournant le dos. Il cause avec elle et la trouve mieux ; on dit que je ne viendrai pas, elle veut absolument se retirer.

« Au moment ou M. Récamier lui demande si elle digere la viande (c'était le mot du signal convenu entre M. Récamier et moi), je commence de la magnétiser. Il est neuf heures trente-deux minutes; trois minutes apres, M. Récamier la touche, lui leve les paupieres, la secoue par les mains, la questionne, la pince, et nous acquérons la preuve qu'elle est completement endormie. »

Ces expériences étranges furent répétées plusieurs fois, en changeant les heures et les circonstances accoutumées, afin de ne laisser aucun doute dans l'esprit de ces éminents observateurs. Mais écoutons encore Du Potet :

« Pour détruire toute espece d'incertitude sur le résultat de cette action prodigieuse, voici ce qu'on m'ordonna de faire:

« M. Bertrand, docteur en médecine de la Faculté de Paris, avait assisté aux séances. Il avait dit qu'il ne trouvait pas extraordinaire que la magnétisée s'endormit, le magnétiseur étant placé dans le cabinet ; qu'il croyait que le concours particulier des memes circonstances environnantes amenerait, sans ma présence, un semblable résultat ; que, du reste, la malade pouvait y etre prédisposée naturellement. Il proposa donc l'expérience que je vais décrire.

« Il s'agissait de faire venir la malade dans le meme lieu, de la faire asseoir sur le meme siege et a l'endroit habituel, de tenir les memes discours a son égard et avec elle ; il lui semblait certain que le sommeil devait s'en suivre. Je convins, en conséquence, de n'arriver qu'une demi-heure plus tard qu'a l'ordinaire. A neuf heures trois quarts, on commença a exécuter vis-a-vis de la demoiselle Sanson ce que l'on s'était promis. On l'avait fait asseoir sur le meme fauteuil ou elle se plaçait ordinairement et dans la meme position ; on lui fit diverses questions; puis on la laissa tranquille ; on simula les signaux employés précédemment, comme de jeter des ciseaux sur la table, et l'on fit enfin une répétition exacte de ce qui se pratiquait ordinairement. Mais on attendit vainement l'état magnétique qu'on espérait voir se produire chez la malade ; celle-ci se plaignit de son côté, s'agita, se frotta le côté, changea de place et ne donna aucun signe de besoin de sommeil, ni naturel, ni magnétique.

« Le délai expiré, je me rends a l'Hôtel Dieu ; j'y entre a dix heures cinq minutes. La malade déclare n'avoir aucune envie de dormir, elle remue la tete, et se trouve endormie dans l'espace d'une minute et demie, mais ne répond qu'une minute apres. »

Nous-meme, nous avons, sur deux sujets, Casimir M.... d'Avignon, et Mme A.... de Vichy, répété les expériences de Du Potet, de MM Gibert et Janet, de M. d'Héricourt, etc., avec le plus grand succes. Nous avons nombre de témoins, lesquels ordonnaient les expériences, en indiquant le jour et l'heure et, toujours, nous le répétons, nous avons obtenu plein succes. Nous devons ajouter que ces deux sujets avaient été souvent endormis par nous et que, comme M. P. Janet, nous pensons qu'un long entraînement est nécessaire pour obtenir ces phénomenes.

Les deux cas qui suivent ont été pourtant produits en dehors meme de ces conditions.

Chez Mme la comtesse D ... dans son château de Rochegude (Drôme), nous avons fait venir, d'une piece dans l'autre, Mlle D..., alors qu'elle y pensait le moins. Il est vrai que Mlle D... était un sujet hypnotique remarquable ; douée d'une grande sensibilité, nous l'avions mis en somnambulisme souvent. Mais il n'en est pas moins certain que nous agissions toujours a son insu et que le phénomene ne mettait que de quelques secondes a une minute a se produire.

Le fait suivant, comme le précédent, paraît plutôt etre du a la suggestion mentale, le sujet ayant été endormi souvent.

Nous étions en villégiature a Nyons (Drôme) M. B., négociant bien connu, grand partisan du magnétisme animal, nous pria de vouloir bien, afin de convaincre quelques incrédules, donner une séance chez lui. Nous accédâmes a son désir et voici le fait étrange que nous produisîmes ce soir-la sur Mlle E..., une de ses voisines.

Le sommeil nerveux se produisit rapidement chez cette jeune fille - jusque-la rien de surprenant - mais, apres avoir fait diverses expériences sur elle et l'ayant réveillée, elle quitta furtivement la maison pour rentrer chez elle. Mme E.... une des invitées et tante de la jeune fille, l'ayant vue s'enfuir, car elle s'enfuyait réellement, lui demanda pourquoi elle quittait ainsi la société.

- « Ce monsieur me fait peur, lui dit-elle, et je ne veux plus qu'il m'endorme. »

Pendant ce temps, la conversation roulait sur les expériences que nous venions de faire et, sauf Mme E..., personne ne s'était aperçu du départ du sujet ; ce n'est qu'apres une vingtaine de minutes environ qu'on constata son absence.

La tante de la jeune fille, qui avait sans doute lu Alexandre Dumas pere, nous demanda si nous ne pourrions pas la forcer a revenir chez M. B... Curieux de tenter l'épreuve, nous l'appelâmes mentalement pendant quelques minutes, pensant bien ne pas réussir. Mais, stupéfaction générale ! Une dizaine de minutes environ apres, Mlle E... arriva en courant dans le salon ou nous étions et, se précipitant vers nous, elle nous demanda ce que nous voulions ! Elle n'était pas endormie, mais elle paraissait etre dans une sorte d'état hypnotique, l'état second peut-etre de l'Ecole de Nancy.

Cette expérience avait produit une certaine émotion dans l'assistance, aussi nous nous empressâmes de dégager le sujet : Mlle E.... interrogée, nous dit que, a peine rentrée chez elle, - la distance qui sépare sa maison de celle de M. B... est d'environ 300 metres - elle était rentrée dans sa chambre avec l'intention de se coucher, mais qu'au moment ou elle allait commencer a se déshabiller, elle avait éprouvé comme une sensation de chaleur lui monter a la tete, sensation remplacée presque immédiatement par un « quelque chose » qui lui disait de venir vers nous et que malgré son ferme désir de rester chez elle, elle avait été forcée de venir a nous.

Nous pourrions aisément multiplier les faits qui sont en faveur de la suggestion mentale, mais nous pensons que notre énumération est suffisante pour éclairer et intéresser le lecteur.

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