CHAPITRE IX: SUGGESTION MENTALE OU TRANSMISSON DE LA PENSÉE.
Nous
touchons maintenant a la partie la plus délicate de notre sujet ; aussi,
sommes-nous certain d'éveiller le scepticisme des personnes qui ne sont point
au courant des phénomenes que nous allons passer en revue, ce que, d'ailleurs,
nous comprenons aisément.
En
effet, notre éducation, ce qu'on nous a enseigné dans les écoles est si éloigné
de ce que prouvent les manifestations de forces insoupçonnées jusqu'ici que
notre raison se refuse a admettre ce que nous ne pouvons nous expliquer. Mais
si nous réfléchissons pourtant a ce que nos connaissances acquises valent par
rapport a celles que nous réserve le progres futur, nous nous garderons de nous
prononcer a priori, car toute loi
scientifique énoncée aujourd'hui peut etre inadmissible demain a la suite d'une
nouvelle découverte, et tout axiome évident a cette heure peut devenir une
hypothese a justifier ou un probleme a résoudre.
Jetons
un coup d'oil en arriere et voyons ce que le concept humain a réalisé depuis un
siecle. Cette électricité, qui agitait les pattes des grenouilles de Galvani et
que Volta produisait faiblement avec sa pile, traîne aujourd'hui de lourdes
voitures, voire des trains entiers de chemin de fer. Les savants du temps de
Galvani et de Volta étaient a cent lieues de se douter de ce que réaliserait
plus tard cette force, et, certes, elle n'a pas dévoilé encore tous ses secrets
merveilleux.
La
découverte récente du radium nous laisse supposer encore ce que nos
arriere-neveux pourront en retirer de pratique : peut-etre un jour cette
énergie supplantera l'électricité, comme cette derniere tend a supplanter la
vapeur.
Les
savants, interrogés sur ce que sont : la vapeur, la chaleur, la lumiere,
l'électricité, les rayons X, l’uranium, le radium, etc., répondent, pour chacun
d'eux : c'est de l'énergie. Nous
dirons, nous : ce sont des manifestations
de la vie.
La vie
est partout, la mort nulle part : tout se transforme, tout évolue, tout se
perfectionne.
L'atome,
derniere division de la matiere, a une force propre incommensurable. On admet
qu'il jouit de propriétés électriques et qu'il sert de support a des particules
électriques désignées sous le nom d'ions ou d'électrons ; mais l'on est disposé
a croire que les ions existent sans support matériel, et que l'atome n'est
qu'un agrégat de particules électriques, les unes positives, les autres
négatives. L'atome serait donc simplement un composé de tourbillons
électriques, et les radiations que nous connaissons, des particules provenant
de la dissociation de l'atome.
De
l'observation de ces phénomenes, il résulte que l'atome est un réservoir
d'énergie qui, dans certaines conditions données, devient libre en amenant la
destruction de l'atome.
On
croyait jadis que la matiere ne restituait que l'énergie reçue du dehors, mais
on sait maintenant qu'elle est une source de production d'énergie.
Libérera-t-on
un jour la puissance que recelent les atomes dans leur sein ? Peut-etre...
Nous
verrons plus loin que, dans certaines conditions favorables, ces phénomenes de
dissociation de la matiere se sont produits en présence de savants autorisés,
qui n'ont pu expliquer ce fait que par l'intervention d'intelligences
n'appartenant pas a notre plan physique.
Si nous
n'admettions que la matiere qui frappe nos sens, nous serions bien bornés ;
soyons persuadés qu'il existe des matieres de moins en moins denses, des
matieres que non seulement nos sens, mais meme les appareils de physique les
plus sensibles ne peuvent enregistrer que dans certaines conditions
accidentelles.
Mais,
comme les savants de tous les pays étudient ces énergies, ces puissances, nous
ne désespérons pas qu'ils arrivent, dans un avenir plus ou moins éloigné, a
trouver le modus operandi pour
pouvoir, a volonté, produire des faits supranaturels qui déconcertent le
chercheur.
Le
possible ne peut etre borné.
La
psychologie positive est née de la méthode expérimentale, et la science ne doit
reculer devant aucune investigation, lors meme que les faits avancés sont en
désaccord complet avec les opinions régnantes.
Pour
servir le progres, on doit scrupuleusement et consciencieusement étudier tous
les phénomenes qui se présentent a l'observation, et ce serait agir
anti-scientifiquement de laisser de côté les plus troublants, les plus
merveilleux.
Ne
renonçons jamais a notre droit de contrôle, et prenons les plus méticuleuses
précautions pour ne pas etre trompé, ne pas nous tromper et ne point tromper
les autres.
La
suggestion mentale est le premier stade des phénomenes psychiques : le sujet
vaut la peine d'etre étudié.
Nier la
transmission de la pensée est aussi peu logique que de nier la chaleur, la
lumiere, l'électricité, et la cause qui la produit n'est pas plus mystérieuse
que celle qui fait germer un grain de blé.
Dans
l'état actuel de nos connaissances, croit-on qu'on peut expliquer le pourquoi
de toute chose... On trouve des mots qui ne contiennent aucune explication. Le
savant, dans bien des cas, est aussi ignorant que l'enfant qui vient de naître :
le fini ne pouvant concevoir et
encore moins expliquer l'infini.
Cherchons
et tâchons de comprendre les vérités, et cette compréhension nous amenera a des
découvertes certaines qui éleveront nos idées et nous permettront d'entrevoir
nos destinées futures.
Le
suggestion mentale ne s'établit pas avec tous les somnambules magnétiques ou
hypnotique s; mais si l'on veut bien se rappeler ce que nous avons dit dans la
premiere partie de ce livre, si on a la patience et la ténacité indispensables
pour provoquer un sommeil profond chez les sujets qui y sont prédisposés, ce
phénomene se manifestera plus souvent. Néanmoins, on peut le rencontrer chez des
personnes éveillées douées d'une impressionnabilité particuliere ; mais alors
les faits sont moins patents, moins concluants.
Le
professeur Ochorowicz, dans son ouvrage la
Suggestion mentale, dit:
« Mais
si je n'avais eu d'autres preuves que la témoignage du pere Surin, de M. Poucet
et de Mme Guyon, croyez-vous que j'aurais publié un livre sur la suggestion
mentale, ou meme fait une mention quelconque de l'existence de ce phénomene ?
Jamais. Je ne l'aurais pas nié, non plus, assurément, parce que je nie jamais
une chose que je ne connais pas ; mais de la a une déclaration scientifique
d'un fait aussi étrange, il y a encore loin.
« Voici
pourquoi je me suis gardé de commencer, comme c'est la coutume, par l'histoire
du sujet, et par conséquent par des témoignages lointains ; mais maintenant les
choses ont changé. J'ai vu, bien vu,
moi-meme, je peux donc ajouter foi au témoignage de ceux qui ont vu la meme
chose que moi, et il ne serait pas juste que je cache au lecteur les
observations qui ne me sont pas personnelles. Au contraire, je vais les citer
toutes, c'est-a-dire toutes celles qui ont un aspect véridique, qui ont été bien constatées, et qui présentent une
analogie évidente avec ce que j'ai observé moi-meme. On excusera cette
derniere réserve, car, sans cela, je serais obligé de citer des choses
incroyables, pour le moment au moins, et il est toujours prudent d'avancer
lentement sur un terrain obscur et inconnu. »
Pour
donner une idée exacte du phénomene de la suggestion mentale, et pour appuyer
ce que nous avons déja dit sur la façon d'endormir le sujet, nous ne saurions
mieux faire qu'en empruntant au docteur Ochorowicz l'observation suivante.
Cette observation est assurément un peu longue, mais nous pensons que le
lecteur saura en tirer tout l'enseignement qu'elle comporte.
« Je
donnais mes soins a une dame atteinte d'hystéro-épilepsie, et dont la maladie,
déja ancienne, fut aggravée par des acces de manie du suicide.
« Mme
M..., âgée de 27 ans, forte et bien constituée, a apparence d'une santé
parfaite. (Exp. Hy : insensibilité et contracture presque instantanée du bras
entier.) Attaques convulsives de la grande hystérie datant presque de
l'enfance. Influences héréditaires tres fortes. Depuis quelque temps, outre les
attaques classiques a plusieurs périodes, acces de folie avec congestions des
lobes antérieurs et anémie des lobes postérieurs ; évanouissement nerveux
paralytique et acces épileptique formes de courte durée. Contractures et
amblyopie passageres, plus fortes du côté gauche. Un seul point hystérogene au-dessous de la clavicule
gauche. Un point délirogene a
l'occiput droit correspondant a la fosse occipitale supérieure. Pas
d'anesthésie. La pression ovarienne arrete l'attaque momentanément. Sensible a
l'étain, mais aussi a d'autres métaux, a des degrés différents et inconstants.
Tempérament actif et gai uni a une extreme sensibilité morale, intérieure, c'est-a-dire sans signes
extérieurs. Caractere véridique par excellence, bonté profonde, tendance au
sacrifice. Intelligence remarquable, plusieurs talents, sens de l'observation.
Par moment, manque de volonté, indécision pénible, puis une fermeté
exceptionnelle. La moindre fatigue morale, une impression inattendue de peu
d'importance, aussi bien agréable que pénible, se répercute sur les vaso-moteurs,
quoique lentement et insensiblement, et amene une attaque, un acces ou un
évanouissement nerveux.
« Un
jour, on plutôt une nuit, son attaque étant terminée (y compris la phase du
délire), la malade s'endort tranquillement. Subitement réveillée et nous voyant
toujours aupres d'elle, son amie et moi, elle nous prie de nous en aller, de ne
pas nous fatiguer pour elle inutilement. Elle insiste tellement que, pour
éviter une crise nerveuse, nous partons. Je descends lentement l'escalier (elle
demeurait au troisieme) et je m'arrete plusieurs fois en pretent l'oreille,
troublé par un mauvais pressentiment (elle s'était blessée plusieurs fois
quelques jours auparavant). Déja dans la cour, je m'arrete encore une fois, en
réfléchissant si je dois partir ou non. Tout a coup, la fenetre s'ouvre avec
fracas et j'aperçois le corps de la malade se pencher au dehors dans un
mouvement rapide. Je me précipite vers le point ou elle pouvait tomber, et,
machinalement, sans y attacher aucune importance, je concentre ma volonté dans
le but de m'opposer a la chute. C'était insensé, et je ne faisais qu'imiter les
joueurs de billard qui, prévoyant un carambolage, essayent d'arreter la bille
par des gestes et des paroles.
«
Cependant, la malade, déja penchée, s'arrete et recule lentement par saccades.
« La
meme manouvre recommence cinq fois de suite, et enfin la malade, comme
fatiguée, reste immobile, le dos appuyé contre le cadre de la fenetre toujours
ouverte.
« Elle
ne pouvait pas me voir, j'étais dans l'ombre et il faisait nuit. En ce moment
Mlle X.... l'amie de la malade, accourt et l'attrape par les bras. Je les
entends se débattre et je monte vite l'escalier pour venir a son secours. Je
trouve la malade dans un acces de folie. Elle ne nous reconnaît pas ; elle nous
prend pour des brigands. Je ne réussis a la détacher de la fenetre qu'en
appliquant la pression ovarienne qui la fait tomber a genoux. A Plusieurs
reprises, elle essaye de me mordre, et ce n'est qu'avec grand'peine que je
réussis enfin a la remettre dans son lit. En continuant d'une main la pression
ovarienne je provoque la contracture des bras et je l'endors enfin.
« Une
fois en somnambulisme, son premier mot fut :
- «
Merci et pardon. »
« Alors
elle me raconta qu'elle voulait absolument se jeter par la fenetre mais que,
chaque fois, elle se sentit « soulevée par en bas ».
- «
Comment cela ?
- « Je
ne sais pas...
- « Vous
vous doutiez de ma présence ?
- « Non,
c'est précisément parce que je vous croyais parti que je voulais accomplir mon
dessein. Cependant, il m'a semblé par moments que vous étiez a côté ou derriere
moi, et que vous ne vouliez pas que je tombasse. »
« Cette
expérience, ou plutôt cet accident, ne suffisait pas, évidemment, pour prouver
une action a distance. Mais il m'a suggéré l'idée d'une étude nouvelle de la
question. Puisqu'il y avait une apparence d'action, rien n'était plus simple
que de la soumettre a un examen expérimental. Mais pour rester dans les
conditions nettes, je n'ai soufflé mot a personne de mes projets, et j'ai meme
résolu d'attendre quelques jours pour bien préparer l'expérience.
«
J'avais l'habitude d'endormir la malade tous les deux jours et de la laisser
dans un sommeil profond (l'état aidéique) pendant que je prenais mes notes. Je
pouvais etre certain, d'apres une expérience de deux mois, qu'elle ne bougerait
pas avant que je m'approche d'elle, pour provoquer le somnambulisme proprement
dit. Mais ce jour-la, apres avoir pris quelques notes et sans changer
d'attitude (je me tenais a plusieurs metres de la malade, en dehors de son champ
visuel, mon cahier sur les genoux et la tete appuyée sur la main gauche), je
feignis d'écrire, en faisant crier la plume comme tout a l'heure, mais
intérieurement, je concentrais ma volonté sur un ordre donné.
« Le 2 décembre
1) Lever
la main droite.
Je regarde la malade a travers les doigts de ma
main gauche appuyée sur le front.
|
1re minute: action nulle.
2e minute : une agitation dans la main droite.
3e minute : agitation
augmente, la malade fronce les sourcils et leve la main droite.
|
J’avoue
que l’expérience m’émut plus qu’aucune autre. Je recommence :
2) Se
lever et venir a moi.
Je la reconduis a sa place sans rien dire.
3) Retirer
le bracelet de la main gauche et me le passer.
Je touche son bras droit et probablement je le
pousse un peu dans la direction de son bras gauche, en concentrant ma pensée sur l’ordre donné.
|
Elle fronce les sourcils, s'agite, se leve lentement et avec difficulté, vient a moi la
main tendue.
Action nulle.
Elle étend sa main gauche, se leve et se dirige
vers Mlle X.... puis vers le piano.
Elle s'assied, épuisée.
Elle retire
son bracelet (semble réfléchir).
Elle me le donne.
|
4) Se
lever, approcher le fauteuil de la table et s’asseoir a côté de nous.
J'arrete sa main qui faisait fausse route.
5) Donner
la main gauche.
(Reste assise !)
(Donne la gauche !)
(Donne la gauche !)
(Pas celle-ci
l'autre !)
|
Elle fronce les sourcils, se leve et marche vers moi.
Je dois faire quelque chose, dit-elle.
Elle cherche... touche le tabouret, déplace un
verre de thé.
Elle recule,
prend le fauteuil, le pousse vers la table, avec un sourire de
satisfaction, et s'assied en
tombant de fatigue.
On me dit d'apporter et on ne me dit pas quoi...
pourquoi parle-t-on si
indistinctement ?
Elle s'agite.
Donne la main droite.
Essaye de se lever.
Elle se rassied.
Agite la main gauche, mais ne me la donne pas.
Se leve et passe sur le canapé.
Elle donne la main
droite.
Elle donne la main gauche.
|
« Il est
a remarquer que la malade se trompe souvent de côté, meme a l'état de veille.
« Pendant
cette derniere expérience, le somnambulisme
actif s'est déclaré, elle cause avec nous en plaisantant. Elle ne m'obéit
plus. « Je vais dormir maintenant », dit-elle.
« Elle
s'endort.
« Quelques
traces d'une attaque dans le sommeil, enfin elle paraît se réveiller.
- « J'ai
un tic-tac dans la tete qui ne me laisse pas dormir. Je ne veux plus dormir;
asseyez-vous aupres de moi.
- «
Etes-vous toujours en somnambulisme ?
- « Oui.
(Cette malade avait le sens assez rare de se rendre compte de chaque phase de
son état avec une exactitude étonnante. Je feignais souvent de ne pas
reconnaître son état, pour qu'elle me le décrivit elle-meme.)
- « Et
si vous vous endormez dans cet état, est-ce la meme chose qu'a l'état de veille
?
- « Oh
non ! car maintenant ce sont les jambes et le corps qui s'endorment les
premiers, de sorte que je peux bien savoir si j'ai bien dormi ou non, tandis
qu'en m'endormant a l'état de veille, je m'endors de la tete et je ne sais plus
rien. Et puis, quand je cause étant magnétisée, je me repose tout de meme, et
je peux causer ainsi toute la nuit tandis que si je causais a l'état de veille,
j'aurais la tete fatiguée et somnolente.
« Le 3 décembre.
« Mme
M... est endormie par le regard et retombe dans un sommeil tres profond (aidéie
paralytique).
6) Réponds,
si tu m'entends !
|
Action nulle.
|
« Je
pose la meme question de vive voix. Elle n'entend pas. Un moment apres, elle
s'agite un peu.
- « Vous
ne m'avez pas entendu tout a l'heure ? Non. - Pourquoi ? - Parce que mon
sommeil était trop profond. - Y aura-t-il une attaque ce soir ? Non. »
« Je
laisse donc la malade a elle-meme et quelques minutes apres, je recommence les
expériences.
7) Donne la main
droite !
(Donne la main !)
(N'importe laquelle !)
|
Froncement des sourcils.
== 0.
Elle donne la main gauche.
|
« Si je
lui parle en ce moment en la touchant, elle me répond ; si je lui parle sans la
toucher, elle n'entend que des sons incompréhensibles.
« Je lui
dis que je suis obligé de m'absenter pour un quart d'heure, mais une fois,
dehors j'essaye de l'appeler mentalement.
Viens a moi !
|
Froncement des sourcils.
Une agitation générale.
|
« En ce moment l'expérience est interrompue
par un accident curieux. L'action a distance provoque chez elle une
hyperesthésie générale et dans cet état « elle se sent incommodée par quelque
chose a sa droite », une « odeur insupportable l'épouvante », un « bruit
imaginaire, provoqué par l'irritation et la congestion cérébrale, l'empeche de
m'entendre ». Il m'a semblé, dit-elle, que je devais me lever et circuler :
mais cette atmosphere horrible m'étouffait. « Cela m'empechait... cela
ne vous aime pas, mais cela a honte
de l’avouer.»
- «
Qu'est-ce donc ? - je ne sais pas, mais délivrez-moi de cela... »
«
Elle fait des gestes répulsifs a
droite.
« Mais
nous ne voyons rien d'extraordinaire dans cette direction.
« Enfin
je remarque que, sur le guéridon des fleurs, se trouve une plante nouvelle. Je
l'enleve.
- «
Ah ! Enfin, dit la malade, merci, j'ai failli avoir une attaque.
« Cette
plante a été apportée le jour meme par une de ses amies qu'elle aime beaucoup a
l'état normal, mais qu'elle ne peut pas supporter en somnambulisme, meme a une
distance de plusieurs metres. Je le savais déja, car j'ai assisté a une attaque
épouvantable provoquée uniquement par la présence de cette personne, mais je ne
pouvais pas m'imaginer qu'un objet lui
ayant appartenu aurait la meme influence. J'ai cru d'abord a l'action de
l'odeur de cette plante, mais elle n'en avait guere. Alors j'ai fait plusieurs
expériences avec des objets provenant de cette personne et melés aux autres. Je
plaçai par exemple a côté de la malade, mais assez loin, sur le canapé, un
rouleau de musique apporté par cette, meme personne. Des qu'elle l'eut effeuré
de sa main, en faisant un geste, elle s'en éloigna vivement en demandant
qu'est-ce qui lui faisait tant de mal. De meme pour tous les autres objets.
Elle n'a jamais deviné ce que c'était, mais elle ressentait toujours une
influence antipathique. Meme une carte, provenant de cette personne et melée a
plusieurs autres, fut rejetée comme « désagréable
».
« Je
dois ajouter que cette jeune personne aimait beaucoup Mme M... et qu'elle était
jalouse de l'influence que j'exerçais sur mon sujet.
« Le 5 décembre.
8) Un essai dans l'état de somnambulisme actif gai.
|
Action nulle.
(Elle est a moitié réveillée.)
Ou
est-elle, Marie ?
|
« Elle
doit faire un travail ennuyeux. Je crois qu'elle ne pense a rien, car je ne la sens pas.
« (Notre
malade, en s'éveillant, passe momentanément par un état monoidéique
transitoire, et alors elle sent toujours bien l'état mental des personnes qui
l'entourent. Elle dit : « Pourquoi avez-vous plus de confiance aujourd'hui ?
Pourquoi est-elle si inquiete - ou contente ? » Etc. Une fois réveillée
completement, elle n'a plus cette sensation.)
« En
voulant m'asseoir derriere la table, je faillis tomber, a cause de la chaise,
qui était plus basse que je m'y attendais. La malade pousse un cri, je lui
demande :
-« Qu'y
a-t-il ?
-« Il
m'a semblé que quelque chose s'effondre
sous moi.
« Si
l'on me pince, elle s'en plaint, sans cependant savoir que c'est moi qui
souffre. Je l'informe que je désire lui poser quelques questions. - « Alors,
endormez-moi un peu plus », dit-elle. Je fais quelques passes devant ses yeux.
Elle est en ce moment dans le somnambulisme
passif c'est-a-dire qu'elle répond facilement et largement a toutes les-
questions posées par moi (et seulement par moi), mais ne parle pas d'elle-meme.
- «
Pouvez-vous me dire a quel degré du sommeil tres profond vous subissez l'action
de mes pensées (pour la malade, chaque partie du corps peut etre endormie ou
réveillée séparément) et quand je ne puis penser par moi-meme.
- « Mais
alors, si je vous ordonne de vous lever, vous ne pourrez pas le faire ?
- «
Toute seule, non, mais si vous le voulez fortement, quelque chose va me
soulever.
- «
Savez-vous par avance ce que j'exige de vous ?
- « Non,
mais ça me pousse, aussi j'aime mieux quand vous divisez votre pensée... Je ne
peux pas la saisir tout entiere ; je n'entends pas les mots, je crois que vous
pourriez penser dans n'importe quelle langue, je sens seulement une impulsion
qui m'envahit et finit par me dominer.
« En ce
moment, je donne quelques explications a mlle Mar
«
Avez-vous entendu ce que je viens de dire ?
- « Je
vous ai entendu parler, mais je n'ai rien saisi, car vous n'avez pas en
l'intention d'etre entendu par moi.
-
« Si je ne vous adresse pas la parole, que faites-vous mentalement ?
Pensez-vous a quelque chose ?
-
« Lorsque je dors légerement comme a présent, je peux bien penser, si vous etes pres de moi ; - mais si
vous vous éloignez, il se fait un revirement dans ma tete, comme si vous me
laissiez dans une chambre obscure.
- « Et
si je vous endormais plus fort.
« Alors
je ne saurais plus rien et si vous me quittiez, je resterais comme cela, sans
en souffrir.
- « Quel
est dont l’état dans lequel, d'apres votre avis, l'action de la pensée est la
plus facile ?
- « Il
faut pour cela que le sommeil soit tres
fort, mais que je vous entende tout de meme.
- « A
vrai dire, je vous entends toujours, ou au moins je le crois (évidemment la
somnambule ne pouvait pas savoir si elle m'entendait dans l'état complet
d'aidéisme), seulement quelquefois je n'entends que des mots détachés, par
exemple : vous me posez la question : « M'entendez-vous en ce moment ? » Et je
n'entends, moi, que : « entendez... moment », ou bien encore j'entends tous les
mots, mais chaque mot isolé, de sorte
que, quand vous etes au bout d'une phrase, j'en
ai déja oublié le commencement. Les premiers mots se sont enfuis (monoidéisme).
Et puis aussi, quelquefois, je vous entends et vous comprends bien, mais je
n'ai pas la force de répondre.
-
« Et dans
l'état ou vous etes en ce moment, pourriez-vous saisir ma pensée ?
-
« Non.
(Expérience.)
Réveillez-vous !
|
Action nulle.
|
« Mais,
quelques minutes apres, elle me dit d'elle-meme : « Réveillez-moi » - et alors
j'ai pu la réveiller a distance. (Une simple assertion ne lui a jamais suffi
pour le réveil.)
« Le 7 décembre.
« La
malade est dans l'état d'aidéie en
partie tétanique (les bras
contracturés, les jambes un peu raides).
« Se lever, aller au
piano, prendre une boîte d'allumettes, me les apporter, allumer l'une
d'elles, retourner a sa place.
(Va au piano !)
(Retourne !)
(encore en arriere!)
Je l'arrete par la main.
(Plus bas !)
(Plus bas !)
(Prends la boîte !)
(Prends la boîte !)
(Viens a moi !)
(Allume !)
(Allume !)
(Allume !)
(Retourne a ta place !)
11) Rapprocher la main droite de mes levres.
(Leve-la!)
(Leve-la !)
(Donne a embrasser !)
(C'est pas ça ! a ma bouche !)
(Aux levres!)
|
Elle se leve
avec difficulté.
S'approche de moi.
Elle va au piano.
Mais passe devant.
Elle revient.
Elle s'avance vers la porte.
Elle revient au piano.
Cherche trop haut.
= 0.
Sa main s'abaisse.
Elle touche la boîte, puis recule.
Elle la touche de nouveau et la prend.
Elle vient a moi.
Elle veut me passer la boîte.
EIle retire une allumette.
Elle l'allume.
Elle retourne a sa place.
Sa main droite s'agite.
= 0.
Elle leve la main.
Elle rapproche sa main de son visage - retire
sa cravate.
Elle rapproche
sa main droite de ma tete.
Elle l'approche de mes
levres.
|
« Le 9 décembre.
« La
malade dort bien ! l'état aidéique
avec tendances aux contractures.
12) Se coucher sur le côté droit.
Je supprime la contracture a l'aide d'un léger
massage. Je tiens sa main, et a un moment donné j'essaye mentalement de :
13) Provoquer
la contracture dans le bras gauche.
14) Couche-toi !
|
= 0.
Elle se souleve et s'arrete contracturée de
tout le corps, peut-etre sous l'influence du regard, car je la regardais fixement.
Le bras gauche se raidit
presque instantanément.
Action nulle.
|
« En ce moment il a y une hyperacousie, le moindre bruit l'irrite,
puis elle retombe de nouveau dans l'immobilité générale.
-
« Je n'entends pas bien vos pensées, dit-elle subitement, parce que je dors ou de trop, ou pas
assez.
«
L'ouverture de l'oil gauche provoque la catalepsie dans le bras droit, puis
dans les deux.
«
L'ouverture de l'oil droit ne provoque rien du tout.
15) Se gratter les joues.
|
Action nulle.
|
« En ce
moment, une allumette, allumée vivement devant un oil ouvert expres, ne
provoque aucun réflexe. La contraction de la pupille meme n'est pas aussi
sensible que d'habitude, tandis que, tout a l'heure, la contraction a été
presque normale et la malade disait voir « un peu de clarté ». Maintenant elle
affirme ne rien voir. Je la réveille, elle parait assez bien, mais peu a peu
une attaque se déclare. Je l'arrete en magnétisant de nouveau.
« Le 11décembre.
«
(Expériences en présence de M. l'ingénieur Sosnowski).
« La malade
se porte bien. Je l'endors en deux minutes et démontre les trois états
principaux:
« 1°
L'aidéide (sans pensée, sommeil le plus profond) ;
« 2° La
monoidéie (une seule idée possible) ;
« 3°
La polyidéie (somnambulisme proprement dit).
« Puis,
a l'aide de quelques passes devant les yeux, j'approfondis le sommeil jusqu'au
degré transitoire entre l'aidéie et le monoidéisme. En ce moment, elle m'entend
meme sans attouchement, mais elle reste tout a fait paralysée et insensible.
16) Viens
a moi !
Je change de position et je me cache aussi loin
que possible.
17) Donne
la main a M. S. (L'expérience proposée par M. S.)
|
Elle se leve et vient
directement a moi.
Elle étend la main droite
et la donne a M. S...
|
« En ce
moment l'ouverture des yeux ne provoque pas la catalepsie.
«
L'attouchement de M. S., comme de toute autre personne étrangere, lui est tres
désagréable. Elle ne permet meme pas de s'approcher d'elle, a moins d'un
demi-metre de distance. Elle a les yeux bandés. Mes mains provoquent toujours
une attraction ; ayant les jambes contracturées et étant attirées par moi, elle
tombe en arriere, puis se leve, également attirée a distance...
«
Le
18 décembre.
18) Un essai dans l'état de somnambulisme actif, avant l'acces.
|
Action nulle.
Quelques minutes apres l'acces éclate.
Alors, je l’endors
fortement pour toute la nuit.
|
« Elle
se réveille tout a fait bien le lendemain.
« Le 27
décembre.
« En
endormant la malade, je prolonge les
passes plus longtemps que d'habitude, car sans les passes elle s'endormait
difficilement. Le sommeil devient tres profond. Elle ne m'entend plus du tout.
Le pouls est faible et inégal, 80 pulsations. La respiration courte,
intermittente. Je la calme par l'imposition de la main sur le creux de
l'estomac.
19) Aller
a table prendre un gâteau et me le passer.
(Voyant que le sommeil est trop profond, je «
réveille » les bras et les oreilles,
elle m'entend alors sans que je la touche.)
Je l'arrete.
(Étends le bras !)
(Etends le bras!)
(Plus bas !)
(Prends et donne !)
|
= 0.
Elle se leve.
Vient a moi.
Reste hésitante au milieu de la chambre.
Elle s'approche de la
table.
= 0.
Elle étend le bras.
Elle cherche a côté.
Elle touche les gâteaux
et tressaille.
Elle prend un gâteau et me le donne.
|
« Elle
est visiblement fatiguée ; ses paupieres clignotent.
- «
Pourquoi avez-vous pris un gâteau et pas autre chose ?
- «
Parce que tous les autres objets étaient étrangers
- tandis que les gâteaux m'ont paru bien connus. Mais je ne savais pas que
c'était des gâteaux ; je sentais seulement que c'était quelque chose de moins
repoussant que les autres objets étrangers...
Je ne dormais pas assez (somnambulisme
actif), il ne faut pas me réveiller les oreilles.
«
Quelques minutes apres a eu lieu une expérience d'autant plus curieuse qu'elle
fut tout a fait imprévue. J'étais absorbé dans une pensée personnelle qui
m'inquiétait dans la journée. Malgré son caractere intime, je suis obligé de la
dévoiler ici, pour qu'on puisse comprendre l'expérience.
« Le
traitement de Mme M..., absorbant mon temps, me fit négliger plusieurs
affaires, de sorte que ce jour-ci j'étais fort embarrassé pour une question
d'argent. Le traitement était gratuit et je ne voulais pas que Mme M... se
doutât en quoi que ce soit de mon embarras. Ne pouvant pas la quitter a cause
de la gravité de son état (il y avait toujours des acces de manie de suicide),
ma pensée revenait tout le temps a cette affaire.
« Je
cause avec la malade en plaisantant, mais probablement ma voix trahit
l'inquiétude et a un moment donné, je vois qu'elle devine mes pensées. Elle
s'arrete dans la conversation et devient pensive. Une longue observation me
permet de deviner a mon tour l'idée qui la préoccupe.
« Apres
avoir réfléchi, elle se dit intérieurement :
Il est
embarrassé, il faut lui venir en aide, mais si on me réveille j'oublierai
tout... Comment faire ?...
« Elle
cherche et trouve le moyen. Elle s'ôte une bague du doigt (comme elle avait
l'habitude de le faire quand elle voulait se rappeler quelque chose) et son
visage trahit l'intention de ne pas oublier la signification de cette manouvre.
- « Il
ne faut pas penser a cela, lui dis-je.
- « Si
je le veux, vous ne m'en empecherez pas...» et elle simule l'indifférence pour
m'échapper.
«
Quelques minutes apres, j'aperçois un nouveau travail intérieur sur son visage.
Le sommeil est devenu moins profond, elle revient a son idée et essaye encore
une fois d'esquiver mon influence, en demandant que je la réveille le plus
lentement possible « pour éviter une attaque ».
« Je la
réveille tout doucement, en suggérant la gaîté au réveil.
« Une
fois remise, elle devient pensive, elle se frotte le front.
- « Il
me semble, dit-elle, que je devais me rappeler quelque chose mais je ne sais
quoi. (Elle examine sa bague a plusieurs reprises.) Non ! Je ne me souviens
de rien...
« Elle
est gaie et cause librement avec nous.
« Encore
deux expériences a l'état de veille.
- « 20)
Qu'est-ce que je désire en ce moment ?
- «
C'est vrai, vous désirez quelque chose...
« Elle
cherche autour d'elle, puis me regardant dans les yeux :
- « Vous
voulez un peu de vin pour votre thé. (C'était juste.)
- « 21)
Et maintenant ? (Je voulais qu'elle prenne un gâteau.)
- « Non,
je ne sais plus rien, je ne sens rien.
«
Le 28 décembre.
«
Endormie le matin, elle retrouve son souvenir d'hier, et essaie encore une fois
de le graver dans sa mémoire ; elle trouve pour cela un nouveau moyen. Tout a
coup, lorsque je ne m'y attendais pas, elle s'écrie en prononçant une phrase,
qui ne pouvait pas etre comprise par nous, mais qui, rappelée au réveil, devait
lui susciter dans la pensée le projet conçu la veille ; puis, pour éviter mon
influence, elle se bouche les oreilles et se met a marmotter pour ne pas
m'entendre.
« 22) Je lui ordonne mentalement
d'oublier. Elle se croit victorieuse et demande a etre réveillée lentement.
« Je la
réveille. On lui répete la phrase mnémotechnique
- «
Qu'est-ce que cela veut dire ?
« Je
n'y comprends rien...
« Et
elle n'y pense plus.
« Dans la soirée, un faible acces de
délire se déclare... Elle a l'hallucination d'une personne morte. L'acces se
termine par une contracture générale. Je supprime la contracture. Elle retombe
sur les coussins et reste inerte.
23) Leve-toi
et viens a moi !
|
Un peu d'agitation.
= 0.
|
« Elle
dormait en ce moment d'un sommeil tres profond (aidéie paralytique). Elle ne m'entend pas sans attouchement.
24) Je
veux que tu m'entendes !
25) Idem. J'excite un peu les oreilles par des
mouvements des doigts qui provoquent habituellement une hyperacousie.
26) Faire
entendre la voix de Mlle X... qu'elle n'entend jamais d'elle-meme.
(Expérience de Puységur.)
Je touche la main de Mlle X ..qui parle.
|
Elle entend le « bruit » de ma voix, mais
ne comprend pas.
Meme effet incomplet je ne pense pas arriver a
etre compris.
Enfin, apres plusieurs minutes, elle m'entend bien.
= 0.
= 0.
Elle entend la voix, comme un chuchotement ou plutôt un
bruit assez fort, mais incompréhensible.
Elle l'entend sans que je touche Mlle X Elle n'entend rien malgré l’attouchement.
|
« Ces
expériences ont été probablement genées par l'état inconstant et pathologique
de la malade. (Quelques minutes apres.)
27) Donne
l'autre main !
(Je
tiens sa main gauche).
28) Demande ce que je veux
(sans attouchement).
- Qu'y a-t-il ? Que voulez-vous dire! (A haute
voix.)
29) Ouvre
les yeux et réveille-toi !
|
Agitation dans la main
droite, qui est contracturée.
Elle se souleve un peu.
Elle dirige sa main
droite vers moi, avec
une grande difficulté, car elle est raide.
Elle me la donne, puis retombe tres fatiguée.
= 0.
- Hum...
Quelque chose me poussait a faire une
question... mais je ne sais laquelle... j'ai déja oublié... tout est
embrouillé dans ma tete.
= 0.
Elle remue la tete a droite et a gauche, puis
le bras droit, mais ne se réveille pas.
|
« Elle
était en ce moment absorbée par une reverie
somnambulique qui diminuait la sensibilité. J'essaye de la réveiller par
ordre verbal, mais je n'obtiens qu'une somnolence fatigante, et, au bout, de
plusieurs minutes, je suis obligé de recourir aux passes.
«
Le 31 décembre.
« La
malade se trouve bien. Je provoque facilement les états voulus, je m'arrete a
une phase intermédiaire entre la léthargie aidéique et le monoidéisme. Elle
m'entend, mais moi seulement, et elle est incapable de répondre autrement que
par des signes ou des mots détachés.
30) Leve-toi,
va a ton frere et embrasse-le !
|
Elle se leve.
Elle s'avance vers moi
puis recule vers son frere.
Elle tâte en l'air en
cherchant sa tete.
S'arrete devant lui en
hésitant.
Elle se rapproche
lentement et l’embrasse sur le front,
en tressaillant.
|
- «
Pourquoi tressaillez-vous ?
- «
Parce que c'est quelque chose d'étranger... (Elle aime beaucoup son frere.)
« Il y a
eu un acces tres grave dans la soirée, elle s'est blessée plusieurs fois avec
un couteau a la tempe. J'arrive a temps pour prévenir le suicide et je l'endors
avec beaucoup de difficultés, sans qu'elle me reconnaisse. Elle me demande
pardon en somnambulisme, tout en se plaignant de ce que le couteau n'ait pas
été assez tranchant.
« L'état
normal ne revient qu'apres deux heures de sommeil. Les attaques
hystéro-épileptiques ne se renouvellent plus, mais les acces de folie et les
évanouissements sont encore fréquents.
« Le 6
janvier.
« La
malade reste sur le canapé et n'entend rien. Je sors tout doucement pour faire
une expérience a distance.
31) Leve-toi
et reste assise en attendant mon retour.
|
Elle fronce les sourcils, sa respiration
devient haletante, mais elle ne bouge pas.
|
«
J'agissais a peine depuis dix minutes, quand on est venu me déranger.
« Elle
n'est pas tres bien ; par conséquent, j'interromps les expériences pour
m'occuper de son état.
« Le 10
janvier.
«
J'endors Mme M... par des passes a distance, c'est a dire sans la toucher.
Puis, j'essaye de :
32) Provoquer
le sommeil naturel profond dans Le somnambulisme artificiel
|
Quelques secondes apres le commencement de
l'action mentale, j'entends un
ronflement, les levres s'ouvrent et restent ouvertes.
|
«
Quelques minutes apres, cet état cesse. Je recommence :
33) Idem.
(Ouvre la bouche !)
34) Ferme la bouche !
|
Memes signes, moins l'ouverture de la bouche.
Elle ouvre la bouche et dort bien en soufflant.
Action nulle, probablement a cause de la
profondeur du sommeil.
|
« Elle
dort bien toute la nuit.
« Le 11
janvier.
Etat de léthargie aidéique (avec tendance aux
contractures):
35) Etends le bras droit.
|
Agitation dans le bras
droit.
Meme phénomene sept fois
de suite.
Un petit mouvement du bras gauche
Le corps se souleve un peu. Retombe.
Elle étend le bras droit.
|
« En ce
moment, elle m'entend, mais elle éprouve de la difficulté a me répondre.
« Elle
reconnaît un objet m'appartenant parmi quatre semblables, en le désignant comme
le mieux connu. (Elle voit pour la premiere fois, mais c'est ainsi qu'elle
nomme toujours ce qui m'appartient, ce que j'ai touché, ou sur quoi j'ai
concentré ma pensée.) Elle rejette un objet parmi cinq semblables ; l'objet
rejeté appartenait a Mlle X ..., dont la présence lui est insupportable. Trois
doigts différents la touchent, elle reconnaît le mien, etc. Elle demande a
boire, on lui approche un verre d'eau de ses levres, mais elle ne sent rien et
demande toujours a boire; si c'est moi qui tiens ce verre, elle le reconnaît
tout de suite, et boit avec plaisir. (Ce phénomene se répétait tous les jours.)
«
Le 14 janvier.
« Mme
M... s'endort difficilement, mais d'un sommeil excessivement profond. Elle ne
m'entend pas encore une demi-heure plus tard. Il n'y a pas de contracture. La
tete n'est pas tres chaude. Les membres ne sont pas froids. Le pouls est assez
régulier, 80 pulsations. De temps en temps, quelques petits tremblements des
doigts. L'hyperexcitabilité neuro-musculaire n'existe pas. Les membres gardent
l'attitude imprimée. Par conséquent, c'est un état d'aidéie cataleptique.
36) Je
veux que tu m'entendes.
|
Action nulle. Une minute apres, plusieurs
évanouissements se déclarent.
|
« A
cause de l'état pathologique, on ne doit tirer aucune conclusion de cet échec
dans l'état d'aidéie cataleptique. Peu a peu, elle passe d'elle-meme dans le
délire somnambulique. Une heure apres, agissant plus fort j'obtiens un
somnambulisme calme.
37) Dors bien toute la
nuit !
|
Elle dort bien toute la nuit.
|
« Elle
se réveille tout a fait bien, sauf une amblyopie passagere.
«
Le 18 janvier.
L'amélioration
de la santé de Mme M... me permet de faire quelques nouvelles expériences. Je
l'endors comme d'habitude. Ensuite, j'endors son frere, qui reste immobile dans
un fauteuil au milieu de la chambre. Il est dans un état d'aidéie paralytique
légere, facile a dissiper, mais d'ou il ne peut sortir par lui-meme. Mme M...
reste sur le canapé au fond de la chambre, en somnambulisme passif. A l'aide de
quelques passes, je rends le sommeil plus profond (un peu trop profond meme) et
je m'éloigne pour commencer les expériences.
38) Se
lever et puis se mettre a genoux au milieu de la chambre.
Je la prends par la main,
Mets toi a genoux !
|
= 0
Elle s'agite. (Elle a constaté qu'elle dormait tres
bien, lorsque quelque chose 1a réveilla.)
Elle se leve et marche
vers le milieu de la chambre, ou elle rencontre son frere endormi. Cette fois-ci, elle ne tressaille point, au
contraire, elle le tâte avec une certaine satisfaction et un peu
d'étonnement.
Puis elle retourne sur le canapé et s'assied.
Apres deux minutes d'hésitation, elle s'agenouille.
|
« Elle
raconte ensuite que c'est son frere endormi qui l'avait dépistée.
« Je ne
savais que faire, je vous sentais la et la. Ça m'a troublée... Il y avait « un
autre vous » au milieu de la chambre.
- «
Comment, un autre moi ?
- « Quelque chose qui était vous... Je ne sais
pas... mais ça m'a troublée.
«
Le 24janvier.
« Elle
est endormie sur le fauteuil (aidéie
puis monoidéisme),
39) Souffler
une bougie sur le piano.
Elle se tient si pres de la bougie que je la
souffle moi-meme de peur que sa robe ne prenne feu.
(Donne la bougie !)
40) Donne la main gauche!
(Je la tiens par la main droite.)
41) Viens a moi !
Cette expérience a été faite avec beaucoup de
précaution ; la somnambule ne savait pas que j'étais parti et j'agissais a
distance de plusieurs metres, du fond du couloir.
|
Elle se leve. Se dirige
vers moi, puis vers le piano.
Touche la musique en tâtant.
Retire la bobeche.
Retire la bougie et me
l'apporte.
Elle leve la main gauche
et me la donne.
Froncement des sourcils.
Elle se leve.
Etend le bras droit,
s'avance, ouvre la porte et va directement dans le couloir, ou je me précipite a sa rencontre.
|
« Elle
manifeste une satisfaction en rencontrant ma main, puis retourne lentement au
salon.
« J'ai
fait ce soir encore deux expériences, pour vérifier l'action magnétique
personnelle. J'ai déja mentionné que, chaque fois que la malade touchait un
objet ou une personne « étrangere », c'est-a-dire en dehors de mon influence,
il y avait un tressaillement et une répulsion instinctive. C'est ce que j'ai voulu
vérifier. J'ai invité son frere a s'asseoir insensiblement non loin d'elle et
un peu en arriere ; puis, en exerçant une action attractive sur un bras de la
malade, je l'ai dirigé de façon a toucher par hasard le bras de son frere. Il y
eut un tressaillement répulsif, et cette expérience répétée a donné toujours le
meme résultat. Ensuite j'ai endormi le frere a la meme place, a l'insu du
sujet, et j'ai recommencé l'attraction. Elle était forcée de toucher son frere
plusieurs fois, mais la répulsion ne se
manifesta plus.
«
Le 4 février.
« En se
réveillant, elle manifeste, comme d'habitude, sa sensibilité vis-a-vis les
états psychiques des assistants.
- « Je
suis toute colere contre Marie.
- «
Pourquoi cela ?
« Parce
que tout le temps elle a cherché un moyen de m'arreter encore, et il faut
absolument que je parte. (C'était exact.)
«
Le 5 février.
« Le
point hystérogene sous la clavicule gauche n'existe plus. Mais elle ne sent pas
encore la chaleur de ma main derriere la tete (point délirogene). Cependant, en
somnambulisme, la sensibilité est déja normale. La magnétisation arrete un
commencement d'acces de délire. Aidéie, 82 pulsations. Apres trente minutes de
cet état, la tete se refroidit. Quelques minutes apres, le somnambulisme passif
se déclare, puis le somnambulisme actif. Alors elle demande que je lui réveille
« tout le corps, sauf le devant de la tete ». Dans cet état, elle manifeste une
sensibilité tres grande. Elle sent tout, mais éprouve une difficulté a
réfléchir.
« Si on me pince ou frappe, cela lui fait mal.
Elle décrit parfaitement mon état mental, ou plutôt mes sensations.
L'attouchement d'une personne étrangere est encore désagréable. Je me pince
moi-meme.
- « Je
n'aime pas cela, dit-elle.
« En
général, elle n'est pas obéissante dans cet état; malgré la transmission des
sensations, elle est pour cela trop irascible. Elle subit l'influence de mes
sensations, mais non de ma volonté. Le souvenir persiste ou a peu pres.
« Une
heure apres, cet état se dissipe, et elle s'endort de son sommeil normal.
« Je
m'arrete la. L'histoire de cette malade a été des plus instructives pour moi.
J'ai sur elle un volume entier de notes, prises sur le vif, et ayant trait a
plusieurs autres questions, parmi lesquelles la question thérapeutique occupe
le premier rang.
« Puis
vient celle de la suggestion mentale, celle de l'action physique, celle des
phases hypnotiques et quelques autres de moindre importance.
« J'ai
omis a dessein tout ce qui n'avait pas de rapport direct avec la transmission
psychique, pour ne pas compliquer la tâche du lecteur, qui en aura assez s'il
veut bien examiner les détails donnés, avec l'attention nécessaire.
« Je
n'ai rien omis, au contraire, de ce qui avait trait a notre sujet principal.
J'ai cité toutes les expériences,
meme celles qui devaient manquer forcément ou qui ne pouvaient réussir qu'en
partie, a cause des circonstances accidentelles. Aussi l'aspect général de ce
récit sera moins concluant pour le lecteur qu'il ne l'est pour moi - « J'ai
enfin eu l'impression personnelle, si
longtemps recherchée, d'une action vraie, directe, indubitable. J'étais bien
sur qu'il n'y avait la ni coincidence fortuite, ni suggestion par attitude, ni
autre cause d'erreur possible. La ou ces influences s'ajoutaient momentanément,
je les ai indiquées, et le lecteur saura les apprécier lui-meme, d'apres les
principes exposés ci-dessus. Mais ce qui a pu échapper au lecteur, précisément
a cause de la façon toute objective de cet exposé, c'est qu'a partir de la
deuxieme semaine, j'étais déja maître du phénomene, et que si, parmi les
expériences postérieures, il y a encore eu des échecs, c'est uniquement parce
que j'ai voulu vérifier l'impossibilité ou la difficulté de réussir dans
certaines phases hypnotiques. Des que j'avais provoqué par avance la phase du sommeil,
favorable a ces essais, ils réussissaient toujours. Le lecteur ne sera pas
étonné de la satisfaction profonde que me procura cette découverte. Pour moi un
phénomene n'est pas un fait scientifique si on est obligé de l'accepter
purement et simplement comme un accident, bien vu, bien contrôlé, mais qui est
venu on ne sait comment, et qui ne se renouvelle pas, on ne sait pourquoi. »
« Le
vrai moment de la suggestion mentale, dit Ochorowicz, c'est la limite entre l'état aidéique et le monoidéisme passif. »
Voici ce
que cet auteur entend par ces mots :
Etat aidéique : sommeil profond durant lequel le sujet se
trouve dans une sorte d'inertie psychique, c'est-a-dire sans aucune idée.
Monoidéisme passif : sommeil moins profond dans lequel l'activité
psychique n'est caractérisée que par une seule
idée suggérée.
En 1869,
le docteur Dusart, ancien interne des hôpitaux de Paris, fit, sur une de ses
clientes, des expériences curieuses, publiées dans la Tribune médicale (nos des 16 et 30 mai 1875).
« Il
s'agit d'une jeune fille de quatorze ans, a laquelle M. Dusart fut appelé, en
1869, a donner des soins pour des troubles hystériques graves ; paralysie de la
vue et de l'odorat, perversion du gout, abolition des mouvements et de la
sensibilité dans le bras droit et dans les deux jambes, osophagisme,
rachialgie, tendance au suicide. Voici comment M. Dusart eut l'idée d'endormir
sa malade : « Le spasme de osophage était tel qu'il fallait la nourrir a la
sonde ; mais dominée par des idées de suicide, elle engage, chaque fois avec
nous, une lutte acharnée pour s'opposer a l'introduction de tout aliment. Nous
devons etre trois, souvent quatre, pour triompher de sa résistance. Les
aliments introduits, la malade fait des haut-le-corps, des efforts de
vomissements, crache d'une façon continue et pousse des hurlements pendant
plusieurs heures. Les parents, dont l'intelligence est au-dessous de la moyenne
et qui sont imbus de préjugés, s'opposent a l'emploi des stupéfiants et de tout
agent susceptible d'apporter du calme. Dans de telles conditions, la malade
dépérit rapidement et, nous donne de vives inquiétudes. Cette lutte pour
l'alimentation dure depuis les premiers jours de juin jusqu'a la fin d'octobre.
C'est alors que je proposai a la famille un moyen, auquel je songeais depuis
quelque temps, le sommeil magnétique.
Toutes mes notions sur le magnétisme se bornaient aux quelques souvenirs que
j'avais conservés lors de mon passage comme interne dans le service d'Azan.
J'avais souvent vu ce médecin endormir une hystérique et je me disais que
j'améliorerais sans doute beaucoup la situation de Mle J. si je pouvais assurer
sa digestion en provoquant apres chaque repas un état de sommeil, ou, tout au
moins, de calme suffisant. » M. Dusart essaya donc de l'endormir au moyen de
passes, comme il avait vu faire Azan il réussit et put facilement alimenter sa
malade. C'est en se demandant comment se produisait ce sommeil qu'il fut amené
a observer les phénomenes suivants : « J'ai observé que quand, en faisant des
passes, je me laissais distraire par la conversation des parents, je ne
parvenais jamais a produire un sommeil suffisant, meme apres un long espace de
temps. Il fallut donc faire une large part a l'intervention de ma volonté » (et
de la distraction du sujet). « Mais celle-ci suffisait-elle sans le secours
d'aucune manifestation extérieure ? Voila ce que je voulus savoir. A cet effet,
j'arrive un jour avant l'heure fixée la veille pour le réveil et, sans regarder
la malade, sans faire un geste, je lui donne mentalement l'ordre de s'éveiller : je suis aussitôt obéi. A ma volonté, le
délire et les cris commencent. Je m'assieds alors devant le feu, le dos au lit
de la malade, laquelle avait la face tournée vers la porte de la chambre, je
cause avec les personnes présentes, sans paraître m'occuper des cris de Mlle
J., puis, a un moment donné, sans que personne se fut aperçu de ce qui se
passait en moi, je donne l'ordre mental du sommeil, et celui-ci se produit.
Plus de cent fois l'expérience fut faite et variée de diverses façons : l'ordre
mental était donné sur un signe que me faisait le DrX... et toujours l'effet se
produisait. Un jour j'arrive lorsque la malade était éveillée et en plein
délire ; elle continue, malgré ma présence, a crier et a s'agiter, je m'assieds
et j'attends que le Dr X... me donne le signal. Aussitôt celui-ci donné et
l'ordre mental formulé, la malade se tait et s'endort. « Vous saviez que
j'étais la depuis quelque temps ? Non, Monsieur, je ne me suis aperçue de votre
présence qu'en sentant le sommeil me gagner ; j'ai eu alors conscience que vous étiez devant le feu. »
« Je
donnais chaque jour, avant de partir, l'ordre de dormir jusqu'au lendemain a
une heure déterminée. Un jour, je pars, oubliant cette précaution, j'étais a
700 metres quand je m'en aperçus. Ne pouvant retourner sur mes pas, je me dis
que peut-etre mon ordre serait entendu malgré la distance, puisque, a un ou 2
metres, un ordre mental était exécuté. En conséquence, je formule l'ordre de
dormir jusqu'au lendemain huit heures, et je poursuis mon chemin. Le lendemain,
j'arrive a 7 heures et demie, la malade dormait. « Comment se fait-il que vous
dormiez encore ? - Mais, Monsieur, je vous obéis. - Vous vous trompez ; je suis
parti sans vous donner aucun ordre. C'est vrai ; mais, cinq minutes apres, je
vous ai parfaitement entendu me dire de dormir jusqu'a 8 heures. Or, il n'est
pas encore 8 heures. Cette derniere heure était celle que j'indiquais
ordinairement. Il était possible que l'habitude fut la cause d'une illusion et
qu'il n'y eut ici qu'une simple coincidence. Pour en avoir le cour net et ne
laisser prise a aucun doute, je commandai a la malade de dormir jusqu'a ce
qu'elle reçut l'ordre de s'éveiller. Dans la journée, ayant trouvé un
intervalle libre, je résolus de compléter l'expérience. Je pars de chez moi (7
kilometres de distance) en donnant l'ordre du réveil. Je constate qu'il est
deux heures. J'arrive et trouve la malade éveillée ; les parents, sur ma
recommandation, avaient noté l'heure exacte du réveil. C'était rigoureusement
celle a laquelle j'avais donné l'ordre. Cette expérience, plusieurs fois
renouvelée, a des heures différentes, eut toujours le meme résultat. »
« Le ler
janvier, je suspendis mes visites et cessai toute relation avec la famille. Je
n'en avais plus entendu parler, lorsque, le 12, faisant des courses dans une
direction opposée et me trouvant a 10 kilometres de la malade, je me demandai
si, malgré la distance, la cessation de tous rapports et l'intervention d'une
tierce personne (le pere magnétisant désormais sa fille), il me serait encore
possible de me faire obéir.
Je défends a la malade de se laisser endormir; puis, une demi-heure apres,
réfléchissant que si, par extraordinaire, j'étais obéi, cela pourrait causer
préjudice a cette malheureuse fille, je leve la défense et cesse d'y penser. Je
fus fort surpris lorsque, le lendemain, a 6 heures du matin, je vis arriver
chez moi un expres portant une lettre du pere de Mlle J... Celui-ci me disait
que la veille, 12 a 10 heures du matin, il n'était arrivé a endormir sa fille
qu'apres une lutte prolongée et tres douloureuse. La malade, une fois endormie,
avait, déclaré que, si elle avait résisté, c'était sur mon ordre et qu'elle ne
s'était endormie que quand je l'avais permis. Ces déclarations avaient été
faites vis-a-vis des témoins auxquels le pere avait fait signer les notes qui
les contenaient. J'ai conservé cette lettre, dont M... me confirma plus tard le
contenu, en ajoutant quelques détails circonstanciés.
Voila de
remarquables expériences.
Le
professeur Ch. Richet, pendant qu'il était interne a l'hôpital Beaujon, eut
l'occasion d'expérimenter un sujet apte a ces phénomenes.
« Un
jour, raconte M. Richet, étant avec mes collegues a la salle de garde, a
déjeuner, notre confrere M. Landouzy, alors interne comme moi a l'hôpital
Beaujon, était présent ; j'assurai que je pouvais endormir une malade a
distance et que je la ferais venir a la salle de garde ou nous étions, rien que
par un acte de ma volonté ! Mais, au bout de dix minutes, personne n'étant
venu, l'expérience fut considérée comme ayant échoué. En réalité, l'expérience
n'avait pas échoué, car, quelque temps apres, on vint me prévenir que la malade
se promenait dans les couloirs endormie,
cherchant a me parler et ne me trouvant pas ; et en effet, il en était ainsi,
sans que je puisse de sa part obtenir d'autre réponse pour expliquer son
sommeil et cette promenade vagabonde, sinon qu'elle désirait me parler.
« Une
autre fois, dit encore le meme auteur, j'ai répété cette expérience en la
variant de la maniere suivante : je priai deux de mes collegues de se rendre
dans la salle, sous le prétexte d'examiner une malade quelconque ; en réalité,
afin d'observer comment se comporterait le no11, que j'aurais, a ce
moment l'intention d'endormir. Quelque temps apres, ils vinrent me dire que l'expérience
avait échoué. Cependant, cette fois encore, elle avait réussi, car on s'était
trompé en désignant a la place du no11 la malade voisine, qui
naturellement était restée éveillée, tandis que le n°11 s'était effectivement
endormi. »
Le
docteur Héricourt cite les faits ci-dessous :
«
L'observation que je rapporte ici (c'est M. le Dr Héricourt qui parle) date de
l'année 1878, époque a laquelle je l'ai communiquée a mon ami M. Charles
Richet, qui l'a gardée fidelement et prudemment dans ses cartons, pour des
raisons faciles a comprendre. Il s'agit d'une jeune femme de vingt-quatre ans,
d'origine espagnole, veuve et mere d'une petite fille de cinq ans. Mme D... est
petite, maigre, tres brune, a le systeme pileux tres développé. L'examen le
plus minutieux n'a pu faire découvrir chez elle aucune trace hystérique personnelle ou héréditaire. Quand j'essayai
de produire l'hypnotisme (il s'agit
du magnétisme) chez Mme D..., elle n'avait été soumise auparavant a aucune
expérience de cette nature. La premiere tentative réussit d'ailleurs
pleinement, apres une dizaine de minutes passées a la regarder fixement et a
lui tenir fortement les pouces a pleine main. Par la suite, le meme résultat
était obtenu, mais seulement en la regardant ou en lui touchant la tete ou la
main pendant quelques secondes a peine, et puis, enfin, en faisant moins
encore, comme on va voir tout a l'heure. L'état de Mme D... était alors
d'emblée celui du somnambulisme lucide ; la conversation était facile,
l'intelligence du sujet était vive, sa sensibilité paraissait exaltée, et sa
mémoire remarquable, toute image évoquée provoquait une hallucination, mais ce
phénomene n'apparaissait jamais spontanément. » (C'était donc un état polyidéique, avec tendance au monoidéisme passif.) « En meme temps, il
y avait une insensibilité complete a la douleur, et les membres, qui étaient le
siege d'une hyperexcitabilité musculaire tres nette, étaient mis en catalepsie
par le simple attouchement sans que l'état psychique fut en rien modifié. »
(C'est
la un phénomene tres commun en magnétisme et qui prouve : 1° qu'il n'est pas
nécessaire d'ouvrir les yeux du sujet pour provoquer la catalepsie, et 2° que
la catalepsie peut exister en somnambulisme, et que, par conséquent, il est
impropre de considérer ces deux états comme deux phases distinctes. En général,
toutes les classifications basées uniquement sur les caracteres extérieurs
doivent etre nécessairement défectueuses, car tous les caracteres extérieurs peuvent etre provoqués dans tous les
états hypnotiques et meme a l'état de veille. Il n'y a que les caracteres
psychiques, qui peuvent servir de base pour une classification sérieuse. Le
somnambulisme est avant tout un phénomene cérébral
et, par conséquent, il n'y a pas lieu de chercher ailleurs les caracteres différentiels
de ses phases. On peut seulement dire par exemple : aidéie ou polyidéie
cataleptique ou simplement paralytique, suivant les deux cas ou les membres
restent flasques ou conservent l'attitude imprimée.)
« Au
réveil, que je provoquais en promenant les doigts sur les paupieres
supérieures, la mémoire de ce qui venait de se passer était completement perdue
; mais, dans l'état second, elle faisait une chaîne ininterrompue des faits de
son état de veille et de ceux de son état de sommeil. J'ai dit que j'endormais
Mme D... avec une facilité chaque jour plus grande. En effet, apres quinze
jours environ de cet entraînement spécial, je n'avais plus besoin, pour obtenir
ce résultat, ni du contact, ni du regard ; il me suffisait de vouloir, tout en
m'abstenant de toute espece de gestes qui put trahir mon intention. Etait-elle
en conversation animée au milieu de plusieurs personnes, tandis que je me
tenais dans quelque coin, dans l'attitude de la plus complete indifférence, que
je la voyais bientôt a mon gré, lutter contre le sommeil qui l'envahissait, et
le subir définitivement; ou reprendre le cours de ses idées, selon que moi-meme
je continuais ou cessais d'appliquer ma pensée au résultat a obtenir. Et meme je pouvais regarder fixement mon sujet, lui
serrer les pouces ou les poignets, et faire toutes les passes imaginables des
magnétiseurs de profession, si ma volonté n'était pas de l'endormir, il restait
parfaitement éveillé, et convaincu de mon impuissance. »
«
Bientôt ce ne fut plus seulement d'une extrémité a l'autre d'une chambre que je
songeai a exercer mon action ; d'une piece a une autre, d'une maison a une
autre maison, située dans une rue plus ou moins éloignée, le meme résultat fut
encore obtenu. Les circonstances dans lesquelles j'exerçai ainsi pour la
premiere fois cette action a longue distance méritent d'etre rapportées avec
quelques détails. Étant un jour dans mon cabinet (j'habitais alors Perpignan)
l'idée me vint d'essayer d'endormir Mme D... , que j'avais tout lieu de croire
chez elle, et qui habitait dans une rue distante environ de 300 metres de la mienne. J'étais
d'ailleurs bien éloigné de croire au succes d'une pareille expérience. Il était
trois heures de l'apres-midi, je me mis a me promener de long en large, en
pensant tres vivement au résultat que je voulais obtenir ; et j'étais absorbé
par cet exercice, quand on vint me chercher pour voir des malades. Le cas étant
pressant, j'oubliai momentanément Mme D..., que je devais d'ailleurs rencontrer
vers quatre heures et demie sur une promenade publique. M'y étant rendu a cette
heure, je fus tres étonné de ne l'y point voir, mais je pensai qu'apres tout
mon expérience avait bien pu réussir ; aussi vers cinq heures, pour ne rien
compromettre et rétablir les choses en leur état normal, dans le cas ou cet
état eut été effectivement troublé, par acquit de conscience, je songeai a
réveiller mon sujet, aussi vigoureusement que tout a l'heure j'avais songé a
l'endormir. Or, ayant eu l'occasion de voir Mme D... dans la soirée, voici ce
qu'elle me raconta, d'une maniere absolument spontanée, et sans que j'eusse
fait la moindre allusion a son absence de la promenade. Vers trois heures,
comme elle était dans sa chambre a coucher, elle avait été prise subitement
d'une envie invincible de dormir, ses paupieres se faisaient de plomb, et ses
jambes se dérobaient - jamais elle ne dormait dans la journée - au point
qu'elle avait eu a peine la force de passer dans son salon pour s’y laisser
tomber sur un canapé. Sa domestique, étant alors entrée pour lui parler, l'avait
trouvée, comme elle le lui raconta plus tard, pâle la peau froide, sans
mouvement, comme morte, selon ses
expressions. Justement effrayée, elle s'était mise a la secouer vigoureusement,
mais sans parvenir cependant a autre chose qu'a lui faire ouvrir les yeux. A ce
moment, Mme D... me dit qu'elle n’avait eu conscience que d'éprouver un violent
mal de tete qui, parait-il, avait subitement disparu vers cinq heures. »
« C'était
précisément le moment ou j'avais pensé a la réveiller. Ce récit ayant été spontané,
je le répete, il n'y avait plus de doute a conserver ; ma tentative avait
certainement réussi. Afin de pouvoir la renouveler dans des conditions aussi
probantes que possible, je ne mis pas Mme D... au courant de ce que j'avais
fait, et j'entrepris toute une série d'expériences dont je rendis témoins
nombre de personnes, qui voulurent bien fixer les conditions et contrôler les
résultats. Parmi ces personnes je citerai le médecin-major et un capitaine de
bataillon des chasseurs dont j'étais alors l'aide-major. Toutes ces expériences
se ramenent en somme au type suivant. Etant au salon avec Mme D...., .je lui
disais que j'allais essayer de l'endormir d'une piece voisine, les portes étant
fermées. Je passais alors dans cette piece, ou je restais quelques minutes avec
la pensée bien nette de la laisser éveillée. Quand je revenais je trouvais en
effet Mne D... dans son état normal, et se moquant de mon insucces. Un instant
plus tard, ou un autre jour, je passais dans la meme piece voisine sous un
prétexte quelconque, mais cette fois avec l'intention bien arretée de produire
le sommeil et, apres une minute a peine, le résultat le plus complet était
obtenu. On n'invoquera ici, aucune suggestion autre que la suggestion mentale
puisque l'attention expectante, mise
en jeu dans toute sa force, lors de l'expérience précédente, avait été
absolument sans action. Les conditions de ces expériences, qui se contrôlent
réciproquement, sont d'une simplicité et d'une valeur sur lesquelles j'attire
l'attention, parce qu'elles constituent une sorte de schéma a suivre pour la
démonstration. »
Les
expériences du Dr Gibert, du Havre, et de Pierre Janet, faites dans cette
ville, appuient nos affirmations sur
l'action de la volonté de l'opérateur et prouvent encore la réalité de la
suggestion mentale.
Nous
extrayons du travail du Dr Janet, paru en 1885, dans le Bulletin de la Soc. psych. phys.
et dans la Revue scientifique du 8
mai 1886, ce qui suit :
« M.
Gibert tenait un jour la main de Mme B... pour l'endormir ; mais il était visiblement
préoccupé et songeait a autre chose qu'a ce qu'il faisait : le sommeil ne se
produisit pas du tout. Cette expérience, répétée par moi de diverses manieres,
nous a prouvé que, pour endormir Mme B..., il
fallait concentrer fortement sa pensée sur l'ordre du sommeil qu'on lui
donnait, et que plus la pensée de
l'opérateur était distraite, plus le sommeil était difficile a provoquer.
Cette influence de la pensée de l'opérateur, quelque extraordinaire que cela
paraisse, est ici tout a fait prépondérante, a un tel point qu'elle peut remplacer toutes les autres. Si on presse la
main de Mme B... sans songer a l'endormir, on n'arrive pas a provoquer le
sommeil; au contraire, si l'on songe a l'endormir sans lui presser la main, on
y réussit parfaitement. En effet nous laissâmes Mme B ... assise au bout de la
chambre, puis, sans la toucher et sans rien dire, M. Gibert, placé a l'autre
bout, pensa qu'il voudrait la faire dormir; apres trois minutes le sommeil
léthargique se produisit. J'ai répété la meme expérience plusieurs fois avec la
plus grande facilité ; il me suffisait, en me tenant, il est vrai, dans la meme
chambre, de penser fortement que je voulais l'endormir, un jour, malgré elle et
quoiqu'elle fut dans une grande agitation, mais il me fallut cinq minutes
d'efforts.
« Il
m'est arrivé plusieurs fois, en attendant M. Gibert, de rester pres de Mme B...
dans la meme attitude méditative, dans le meme silence, sans penser a
l'endormir, et le sommeil ne commençait pas du tout. Au contraire, des que,
sans changer d'attitude, je songeais au commandement du sommeil, les yeux du
sujet devenaient fixes, et la léthargie commençait bientôt. En second lieu, si
l'attitude des personnes présentes eut suggéré le sommeil, je ne m'expliquerais
pas pourquoi la personne seule qui avait provoqué le sommeil par la pensée
pouvait provoquer, pendant la léthargie, les phénomenes caractéristiques de la
contracture et de l'attraction. »
M. le
professeur Ch. Richet[11]
cite un phénomene curieux, que d'autres opérateurs avaient et ont produit
depuis : il réveillait mentalement un sujet endormi hypnotiquement, alors qu'il
était interne dans le service de M. Le Fort, a l'hôpital Beaujon (1873). M. le
professeur Boirac a produit maintes fois, en notre présence et en présence d'un
assez grand nombre d'autres personnes, le sommeil et le réveil chez son sujet
Gustave P..., par le seul effet de sa pensée et de sa volonté. Nous-meme avons
produit assez souvent ce phénomene sur deux sujets.
Les
expériences suivantes, faites a distance sur Mme B.... fortifient notre
opinion. Écoutons encore M. Pierre Janet.
a) «
Sans la prévenir de son intention, M. Gibert s'enferme dans une piece voisine,
a une distance de six ou sept metres, et la, essaie de lui donner mentalement
l'ordre du sommeil. J'étais resté, dit M. Janet, aupres du sujet et je
constatai qu'au bout de quelques instants les yeux se fermerent et le sommeil
commença mais ce qui me semble particulierement curieux, c'est que, dans la
léthargie, elle n'est pas du tout sous mon influence. Je ne pus provoquer sur
elle ni contraction ni attraction, quoique je fusse resté aupres d'elle pendant
qu'elle s'endormait. Au contraire, elle obéissait entierement a M. Gibert, qui
n'avait pas été présent; enfin, ce fut M. Gibert qui dut la réveiller, et cela
prouve qu'il l'avait endormie. Cependant, ici encore, un doute peut subsister,
Mme B... n'ignorait certainement pas la présence de M. Gibert dans la maison ;
elle savait également qu'il était venu pour l'endormir ; aussi, quoique cela me
paraisse bien peu vraisemblable, on peut supposer qu'elle s'est endormie
elle-meme par suggestion, au moment précis ou M. Gibert le lui commandait de la
salle voisine.
b) « Le
3 octobre 1885, je suis entré chez M. Gibert a onze heures et demie du matin et
je l'ai prié d'endormir Mme B... par un commandement mental sans se déranger de
son cabinet. Cette femme n'était alors prévenue en aucune façon, car nous ne
l'avions jamais endormie a cette heure-la; elle se trouvait dans une autre
maison, a 500 metres au moins de
distance. Je me rendis aussitôt apres
aupres d'elle pour voir le résultat de ce singulier commandement. Comme je m'y
attendais bien, elle ne dormait pas du tout ; je l'endormis alors moi-meme en
la touchant, et, des qu'elle fut entrée en somnambulisme, avant que je lui aie
fait aucune question, elle se mit a parler ainsi : « Je sais bien que M..
Gibert a voulu m'endormir …Mais, quand je l'ai senti, j'ai cherché de l’eau et j'ai mis mes mains dans l'eau froide...
Je ne veux pas que l'on m'endorme ainsi... je puis etre a causer... cela me
dérange et me donne l'air bete. » Vérification faite, elle avait réellement mis
ses mains dans de l'eau froide avant mon arrivée. J'ai rapporté cette
expérience, quoiqu'elle ait échoué, parce qu'elle me semble curieuse a
différents points de vue. Mme B... semble donc avoir conscience, meme a l'état
de veille, de cette influence qui s'empare d'elle : elle peut résister au sommeil en mettant ses mains dans l'eau froide ;
enfin, elle ne se pretait pas complaisamment a ces expériences, ce qui peut
etre considéré comme une garantie de sa sincérité.
c) « Le
9 octobre, je passai encore chez M. Gibert et le priai d'endormir Mme B..., non
pas immédiatement, mais a midi moins vingt. Je me rendis immédiatement aupres d'elle, et sans M. Gibert, qui ne peut, j'en
suis sur, avoir en aucune communication avec elle. Je comptais l'empecher de
mettre ses mains dans l'eau froide si elle l'essayait encore. Je ne pus la
surveiller comme j'en avais l'intention, car elle était enfermée dans sa
chambre depuis un quart d'heure et je jugeai inutile de l'avertir en la faisant
descendre. A midi moins un quart, je montai chez elle avec quelques autres
personnes qui m'accompagnaient : Mme B... était renversée sur une chaise, dans
une position fort pénible, et profondément endormie. Le sommeil n'était pas un
sommeil naturel ; car elle était completement insensible et on ne pouvait
absolument pas la réveiller. Remarquons encore que ni moi ni aucune des
personnes présentes nous n'avions d'influence sur elle et que nous ne pouvions
nullement provoquer la contracture. Voici les premieres paroles qu'elle
prononça des que le somnambulisme se déclara spontanément : « Pourquoi les
avoir envoyés ainsi ? Je vous défends de me faire des betises pareilles…
« Ai-je
l'air bete !... Pourquoi m'endort-il de chez lui, M. Gibert? Je n'ai pas
eu le temps de mettre mes mains dans ma cuvette. Je ne veux pas. » Comme je
n'avais aucune influence sur elle, il me fut impossible de la réveiller et
comme on ne pouvait la laisser ainsi, il fallut aller chercher M. Gibert. Des
qu'il fut arrivé, il provoqua tous les phénomenes que je ne pouvais provoquer
ce jour-la, et enfin il la réveilla tres facilement. Peut-on croire que, dans
cette circonstance, ma présence dans la maison et la connaissance que j'avais
de l'heure choisie par moi ou le sommeil devait se produire ait pu avoir
quelque influence sur elle et l'endormir ? Je ne le pense pas, mais enfin la
supposition était encore possible. Nous résolumes de faire l'expérience d'une
autre maniere.
d) « Le
14 octobre, M. Gibert me promit d'endormir Mme B... a distance, a une heure
quelconque de la journée qu'il choisirait lui-meme ou qui lui serait désignée
par une tierce personne, mais que je devais ignorer. Je n'arrivai au pavillon
ou se trouvait Mme B... que vers 4 heures 1 ; elle dormait déja depuis un quart
d'heure et par conséquent je n'étais pour rien dans ce sommeil, que je ne fis
que constater. Meme insensibilité et memes caracteres que précédemment, si ce
n'est que la léthargie paraissait encore plus profonde, car il n'y eut pas du
tout d'acces de somnambulisme. Il se produisit cependant ce jour-la d'autres
phénomenes, mais ils se rattachent a un autre ordre d'idées dont je parlerai
tout a l'heure. M. Gibert n'arriva qu'a cinq heures 1 ; il me raconta alors
que, sur la proposition de M. B..., il avait songé a l'endormir vers 4 heures
1/4 et qu'il était alors a Graville, c'est-a-dire a deux kilometres au moins de
Mme B... D'ailleurs il lui fut facile de provoquer la contracture et de
réveiller le sujet. Il aurait été bon de répéter cette expérience plusieurs
fois, et il est fâcheux que le départ de Mme B... nous ait empechés de
recommencer. Cependant, elle me paraît décisive, si l'on songe qu'elle ne fait
que compléter les expériences précédentes et qu'elle se rattache a d'autres
faits du meme genre qu'il nous reste a exposer.
e) « Le
14 octobre, ce meme jour ou Mme B... avait été endormie depuis Graville,
j'observais pendant son sommeil, les phénomenes suivants : a 5 heures précises,
Mme B.... tout en dormant, se met a gémir et a trembler, puis murmure ces mots
: « Assez... assez... ne faites pas cela... vous etes méchant. » Elle se leve
sur son séant et, tout en gémissant, se met debout et fait quelques pas, puis,
en éclatant de rire, elle se rejette en arriere sur le fauteuil et se rendort
profondément. A 5 h. 5, la meme scene se reproduit exactement ; elle commence
de nouveau a etre troublée, tremble et gémit ; elle se souleve, se met debout
et semble vouloir marcher; au bout de quelques instants, elle rit encore en
disant : « Vous ne pouvez pas... si peu, si peu que vous soyez distrait je me
rattrape » et de fait elle se recouche et se rendort. Meme scene encore a
5 h. 10. Quand M. Gibert arriva, a 5 h. 1/2, il me montra une carte qui lui
avait été remise par une tierce personne, M. D... ; il n'avait pu avoir aucune
communication avec Mme B... depuis l'instant ou on lui avait remis la carte. On
lui proposait de commander a Mme B... différents actes assez compliqués de cinq
en cinq minutes depuis 5 heures. Ces actes, évidemment trop compliqués,
n'avaient pas été exécutés ; mais, au moment meme ou M. Gibert les ordonnait de
Graville, j'avais vu sous mes yeux, a deux kilometres de distance, l'effet que
ces commandements produisaient, et un véritable commencement d'exécution. Il
semble réellement que Mme B... ait senti ces ordres, qu'elle y ait résisté et
qu'elle n'ait pu désobéir que par une sorte de distraction de M. Gibert. Nous
avons recommencé cette expérience en nous mettant alors pres d'elle pendant le
sommeil léthargique. Il est singulier de remarquer que le résultat n'a pas été plus considérable, comme on
aurait pu s'y attendre. Par un commandement mental, la personne qui a endormi
Mme B... ne tarde pas, comme elle le dit, « a se rattraper » et a tomber en
arriere. L'ordre donné mentalement a une influence qui paraît immédiate ; mais,
autant que nous avons pu le voir, cette influence ne semble pas plus
considérable de pres que de loin.
«
Depuis, dans une nouvelle série d'expériences, apres une assez longue éducation du sujet, je suis parvenu a
reproduire moi-meme, a volonté, ce curieux phénomene. Huit fois de suite, j'ai
essayé d'endormir Mme B... de chez moi, en prenant toutes les précautions
possibles, pour que personne ne fut averti de mon intention, et en variant
chaque fois l'heure de l'expérience, et toutes
les fois Mme B... s'est endormie du sommeil hypnotique quelques minutes apres l'heure ou j'avais commencé a y
penser. »
Voici
des expériences plus anciennes, faites le 4 novembre 1820, a l'Hôtel-Dieu de
Paris, par le baron du Potet :
« Nous
étions tous rendus dans la salle ordinaire des séances, la malade exceptée. M.
Husson, médecin de cet hospice, me dit : « Vous endormirez la malade sans la
toucher, et cela tres promptement. Je voudrais que vous essayiez d'obtenir le
sommeil sans qu'elle vous vit et sans qu'elle fut prévenue de votre arrivée
ici. » Je répondis que je voulais bien essayer, mais que je ne garantissais pas
le succes de l'expérience, parce que l'action a distance, a travers des corps intermédiaires,
dépendait de la susceptibilité particuliere de l'individu. »
« Nous convînmes d'un signal que je pourrais
entendre. M. Husson, qui tenait alors des ciseaux a la main, choisit le moment
ou il les jetterait sur la table. On m'offrit d'entrer dans un cabinet séparé
de la piece par une forte cloison et dont la porte fermait solidement a clef.
Je ne refusai pas de m'y enfermer, ne voulant éluder nulle difficulté et ne
laisser aucun doute aux hommes de bonne foi, ni aucun prétexte a la malveillance.
« On fit
venir la malade, on la plaça le dos tourné a l'endroit qui me recélait, et a
trois ou quatre pieds environ. On s'étonna avec elle de ce que je n'étais pas
encore venu. On conclut de ce retard que je ne viendrais peut-etre pas ; que
c'était mal a moi de me faire ainsi attendre ; enfin, on donna a mon absence
prétendue toutes les apparences de la vérité.
« Au
signal convenu, quoique je ne susse pas ou et a quelle distance était placée
Mlle Sanson, je commençai a magnétiser en observant le plus profond silence, et
évitant de faire le moindre mouvement qui put l'avertir de ma présence. Il
était alors neuf heures trente-cinq minutes ; trois minutes apres, elle était
endormie, et, des le commencement de la direction de ma volonté agissante, on
vit la malade se frotter les yeux, éprouver les symptômes du sommeil et finir
par tomber dans son somnambulisme ordinaire.
« Je
répétai cette expérience le 7 novembre suivant devant M. le professeur
Récamier. Celui-ci prit toutes les précautions possibles, et le résultat fut en
tout conforme a notre premier essai. »
« Voici
les détails de cette expérience : lors de mon arrivée, a neuf heures un quart,
dans le lieu de nos séances, M. Husson vint me prévenir que M. Récamier
désirait etre présent et me voir endormir la malade a travers la cloison. Je
m'empressai de consentir a ce qu'un témoin aussi recommandable fut admis
sur-le-champ. M. Récamier entra et m'entretint en particulier de sa conviction
touchant les phénomenes magnétiques. Nous convînmes d'un signal : je passai
dans le cabinet ou l'on m'enferma. On fait venir la demoiselle Sanson ; M.
Récamier la place a plus de six pieds de distance du cabinet, ce que je ne
savais pas, et y tournant le dos. Il cause avec elle et la trouve mieux ; on
dit que je ne viendrai pas, elle veut absolument se retirer.
« Au
moment ou M. Récamier lui demande si elle
digere la viande (c'était le mot du signal convenu entre M. Récamier et
moi), je commence de la magnétiser. Il est neuf heures trente-deux minutes;
trois minutes apres, M. Récamier la touche, lui leve les paupieres, la secoue
par les mains, la questionne, la pince, et nous acquérons la preuve qu'elle est
completement endormie. »
Ces
expériences étranges furent répétées plusieurs fois, en changeant les heures et
les circonstances accoutumées, afin de ne laisser aucun doute dans l'esprit de
ces éminents observateurs. Mais écoutons encore Du Potet :
« Pour
détruire toute espece d'incertitude sur le résultat de cette action
prodigieuse, voici ce qu'on m'ordonna de faire:
« M.
Bertrand, docteur en médecine de la Faculté de Paris, avait assisté aux
séances. Il avait dit qu'il ne trouvait pas extraordinaire que la magnétisée
s'endormit, le magnétiseur étant placé dans le cabinet ; qu'il croyait que le
concours particulier des memes circonstances environnantes amenerait, sans ma
présence, un semblable résultat ; que, du reste, la malade pouvait y etre
prédisposée naturellement. Il proposa donc l'expérience que je vais décrire.
« Il
s'agissait de faire venir la malade dans le meme lieu, de la faire asseoir sur
le meme siege et a l'endroit habituel, de tenir les memes discours a son égard
et avec elle ; il lui semblait certain que le sommeil devait s'en suivre. Je
convins, en conséquence, de n'arriver qu'une demi-heure plus tard qu'a l'ordinaire.
A neuf heures trois quarts, on commença a exécuter vis-a-vis de la demoiselle
Sanson ce que l'on s'était promis. On l'avait fait asseoir sur le meme fauteuil
ou elle se plaçait ordinairement et dans la meme position ; on lui fit diverses
questions; puis on la laissa tranquille ; on simula les signaux employés
précédemment, comme de jeter des ciseaux sur la table, et l'on fit enfin une
répétition exacte de ce qui se pratiquait ordinairement. Mais on attendit
vainement l'état magnétique qu'on espérait voir se produire chez la malade ;
celle-ci se plaignit de son côté, s'agita, se frotta le côté, changea de place
et ne donna aucun signe de besoin de sommeil, ni naturel, ni magnétique.
« Le
délai expiré, je me rends a l'Hôtel Dieu ; j'y entre a dix heures cinq minutes.
La malade déclare n'avoir aucune envie de dormir, elle remue la tete, et se
trouve endormie dans l'espace d'une minute et demie, mais ne répond qu'une
minute apres. »
Nous-meme,
nous avons, sur deux sujets, Casimir M.... d'Avignon, et Mme A.... de Vichy,
répété les expériences de Du Potet, de MM Gibert et Janet, de M. d'Héricourt,
etc., avec le plus grand succes. Nous avons nombre de témoins, lesquels
ordonnaient les expériences, en indiquant le jour et l'heure et, toujours, nous
le répétons, nous avons obtenu plein succes. Nous devons ajouter que ces deux
sujets avaient été souvent endormis par nous et que, comme M. P. Janet, nous
pensons qu'un long entraînement est nécessaire pour obtenir ces phénomenes.
Les deux
cas qui suivent ont été pourtant produits en dehors meme de ces conditions.
Chez Mme
la comtesse D ... dans son château de Rochegude (Drôme), nous avons fait venir,
d'une piece dans l'autre, Mlle D..., alors qu'elle y pensait le moins. Il est
vrai que Mlle D... était un sujet hypnotique remarquable ; douée d'une grande
sensibilité, nous l'avions mis en somnambulisme souvent. Mais il n'en est pas
moins certain que nous agissions toujours a son insu et que le phénomene ne
mettait que de quelques secondes a une minute a se produire.
Le fait
suivant, comme le précédent, paraît plutôt etre du a la suggestion mentale, le
sujet ayant été endormi souvent.
Nous
étions en villégiature a Nyons (Drôme) M. B., négociant bien connu, grand
partisan du magnétisme animal, nous pria de vouloir bien, afin de convaincre
quelques incrédules, donner une séance chez lui. Nous accédâmes a son désir et
voici le fait étrange que nous produisîmes ce soir-la sur Mlle E..., une de ses
voisines.
Le
sommeil nerveux se produisit rapidement chez cette jeune fille - jusque-la rien
de surprenant - mais, apres avoir fait diverses expériences sur elle et l'ayant
réveillée, elle quitta furtivement la maison pour rentrer chez elle. Mme E....
une des invitées et tante de la jeune fille, l'ayant vue s'enfuir, car elle
s'enfuyait réellement, lui demanda pourquoi elle quittait ainsi la société.
- « Ce
monsieur me fait peur, lui dit-elle, et je ne veux plus qu'il m'endorme. »
Pendant
ce temps, la conversation roulait sur les expériences que nous venions de faire
et, sauf Mme E..., personne ne s'était aperçu du départ du sujet ; ce n'est
qu'apres une vingtaine de minutes environ qu'on constata son absence.
La tante
de la jeune fille, qui avait sans doute lu Alexandre Dumas pere, nous demanda
si nous ne pourrions pas la forcer a revenir chez M. B... Curieux de tenter
l'épreuve, nous l'appelâmes mentalement pendant quelques minutes, pensant bien
ne pas réussir. Mais, stupéfaction générale ! Une dizaine de minutes environ
apres, Mlle E... arriva en courant dans le salon ou nous étions et, se
précipitant vers nous, elle nous demanda ce que nous voulions ! Elle n'était
pas endormie, mais elle paraissait etre dans une sorte d'état hypnotique, l'état second peut-etre de l'Ecole de Nancy.
Cette
expérience avait produit une certaine émotion dans l'assistance, aussi nous
nous empressâmes de dégager le sujet : Mlle E.... interrogée, nous dit que, a
peine rentrée chez elle, - la distance qui sépare sa maison de celle de M. B...
est d'environ 300 metres - elle était rentrée dans sa chambre avec l'intention
de se coucher, mais qu'au moment ou elle allait commencer a se déshabiller,
elle avait éprouvé comme une sensation de chaleur lui monter a la tete,
sensation remplacée presque immédiatement par un « quelque chose » qui lui
disait de venir vers nous et que malgré son ferme désir de rester chez elle,
elle avait été forcée de venir a nous.
Nous
pourrions aisément multiplier les faits qui sont en faveur de la suggestion
mentale, mais nous pensons que notre énumération est suffisante pour éclairer
et intéresser le lecteur.
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